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Vertus de femmes

La bibliothèque libre.
Vertus de femmes
Traduction par Victor Bétolaud.
Librairie Hachette et Cie (1p. 593-639).

VERTUS DE FEMMES.



Plutarque, s’adressant à Cléa, blâme l’opinion de Thucydide qui prescrit aux femmes l’obscurité. Il a composé ce recueil pour montrer que la vertu est la même chez les femmes et chez les hommes. Le parallèle d’actions respectives accomplies par l’un et par l’autre sexe est le plus sûr moyen de reconnaître la similitude ou la différence de ces actions. — L’auteur ne donnera place ici qu’aux traits les moins connus ou les plus frappants. — Troyennes. — Phocéennes. — Femmes de Chio. — Argiennes. — Persanes. — Gauloises. — Méliennes. — Tyrrhéniennes. — Lyciennes. — Salmatides. — Milésiennes. — Filles de Cio. — Autres Phocéennes. — Valérie et Clélie. — Micca et Megisto. — Piéria. — Polycrite. — Lampsace. — Arétaphile. — Camma. — Stratonice. — Chiomare. — Une jeune fille de Pergame. — Timoclée. — Éryxo. — Xénocrite. — La femme de Pythès.

Nous ne professons pas, ô Cléa, sur la vertu des femmes la même opinion que Thucydide. Il proclame[1] en effet comme la plus honnête celle dont il est le moins parlé, soit en mal soit en bien, entre gens du dehors. Il pense que la réputation d’une femme vertueuse doit, comme sa personne, rester sous clef sans jamais sortir. Nous estimons que Gorgias fait preuve de meilleur goût quand il veut que la réputation d’une femme, et non pas son extérieur, soit connue de beaucoup de monde. Je juge excellente la loi romaine qui décerne aux femmes, de même qu’aux hommes, des éloges publics après leur mort quand elles les ont mérités. Aussi, lorsque le trépas eut ravi l’excellente Léontis, nous eûmes aussitôt alors avec vous un long entretien où ne manquaient pas les consolations philosophiques. Et de plus, aujourd’hui, comme vous en avez témoigné le désir, j’ai rédigé par écrit, à votre intention, la suite de cet entretien, dont le but est de prouver qu’il n’y a qu’une seule et unique vertu pour les femmes comme pour les hommes. Mon discours se composera de rapprochements empruntés à l’histoire. Sans doute ce n’est pas une composition destinée au charme de l’oreille. Mais si la nature des exemples est telle que le plaisir s’y joigne à l’instruction, il n’y a pas lieu de reculer devant l’utilité que présente l’alliance de l’agrément et de la démonstration. Je ne rougirai pas de rapprocher les Muses et les Grâces : union la plus belle de toutes et par l’effet de laquelle c’est surtout l’amour du beau qui porte la persuasion dans les âmes. Car enfin, raisonnons. Si, dans l’intention de prouver que le talent de peindre est le même chez les femmes que chez les hommes[2], nous produisions des peintures exécutées par celles-ci et valant les compositions que nous ont laissées les Apelle, les Zeuxis, les Nicomaque, irait-on nous accuser de viser à la galanterie et à la séduction quand nous devons fournir des preuves décisives ? Je ne le pense pas. Qu’est-ce à dire encore ? Si, pour démontrer que le talent de la poésie ou celui de l’imitation n’offre aucune différence chez les hommes et chez les femmes, qu’il est exactement le même, nous comparions les poésies de Sapho avec celles d’Anacréon, ou bien les oracles de la Sibylle avec les oracles de Bacis[3], serait-on en droit d’attaquer notre démonstration parce qu’elle aurait amené l’auditeur à la persuasion par l’agrément et le plaisir ? Non, sans doute, direz-vous encore. Eh bien donc, le meilleur moyen de reconnaître en quoi se ressemblent, en quoi diffèrent la vertu des hommes et celle des femmes, c’est de rapprocher la vie et les actes des uns et des autres, comme on ferait s’il s’agissait des œvres d’un art important ; c’est de les mettre en parallèle ; c’est d’examiner s’il y a le même caractère, le même type, dans la magnificence de Sémiramis et dans celle de Sésostris, dans la pénétration de Tanaquil et dans celle du roi Servius, dans le courage de Porcia et dans celui de Brutus, de Pélopidas, de Timoclée, en même temps que l’on tiendra compte de ce qu’il y a de commun, de ce qu’il y a d’essentiel dans ces ressemblances et dans ces mérites. En effet, en raison des natures, les vertus offrent certaines diversités qui sont comme autant, de nuances particulières et qui se conforment aux mœurs des personnages, à leur tempérament, à leur éducation, à leur genre de vie. Achille est courageux d’une autre façon qu’Ajax. La prudence d’Ulysse n’est pas semblable à celle de Nestor. Caton et Agésilas n’étaient pas justes de la même manière. La piété conjugale d’Irène, la grandeur d’âme de Cornélie n’étaient pas la piété conjugale d’Alceste et la grandeur d’âme d’Olympias. Toutefois n’allons pas, d’après cela, établir des multiplicités et des variétés de bravoures, de prudences, de justices, puisque, soit dit une seule fois pour toutes, les dissemblances du récit consacré à ces vertus selon chaque personnage ne tendent à exclure forcément aucune d’elles[4]. Au reste, les exemples trop fréquemment cités, et dont je pense que des livres solides vous ont donné le récit et la connaissance, je les omettrai ici. Je m’attacherai seulement aux actions mémorables passées sous silence par les auteurs qui, avant moi, ont réuni des faits répandus et devenus populaires. Et comme il y a beaucoup d’actes illustres accomplis par des femmes soit dans la vie publique soit dans la vie privée, il ne sera pas mal que je raconte d’abord un petit nombre de ceux qui ont été exécutés en commun.

TROYENNES.

La plupart de ceux qui s’enfuirent de Troie à la prise de cette ville, après avoir été battus de la tempête, furent, par suite de leur inexpérience de la navigation et de leur ignorance de la mer, jetés sur la côte d’Italie. De rade en rade, de mouillage en mouillage, ils arrivèrent forcément et à grand peine à l’embouchure du Tibre, d’où ils se répandirent dans le pays, cherchant à qui parler. Mais leurs femmes vinrent à réfléchir que, tout heureuse que pût être leur navigation, un établissement sur une terre quelconque valait mieux qu’une vie errante sur les flots, et que l’on devait se constituer une patrie, ne pouvant recouvrer celle qu’on avait perdue. À la suite de ces réflexions, elles s’accordèrent unanimement pour brûler les vaisseaux ; et l’initiative fut prise par une d’entre elles, qui s’appelait, dit-on, Roma. Après cette exécution les hommes courant vers la mer pour sauver leur flotte, elles s’élancent au-devant d’eux ; et comme elles redoutaient les unes la colère de leurs maris, les autres celle de leurs proches, elles s’attachent à eux, leur donnent de tendres baisers, et finissent par les adoucir à force de caresses. De là est venu pour les femmes romaines l’usage, qui subsiste encore aujourd’hui, de saluer ainsi leurs parents en leur donnant un baiser. Les Troyens ayant compris, comme cela devait être, la nécessité de la situation, et ayant d’ailleurs reçu des habitants du pays un accueil plein de bienveillance et d’humanité, se résignèrent à ce que leurs femmes avaient fait. Ils s’établirent dans cette contrée, et s’incorporèrent aux Latins.

PHOCÉENNES.

Le courage des Phocéennes n’a pas rencontré d’historien illustre, et pourtant, sous le rapport de la vertu, il n’est inférieur à aucun acte accompli par des femmes. C’est ce que témoignent les sacrifices importants que célèbrent encore aujourd’hui les Phocéens auprès d’Hyampolis et les anciens décrets nationaux. Cette histoire est écrite avec tous ses détails dans la vie de Daïphante, mais voici ce qui appartient personnellement aux femmes. Il y avait une guerre sans trêve ni merci entre les Thessaliens et les Phocéens. Ces derniers avaient fait mourir en un seul jour tous les magistrats, tous les officiers thessaliens qui exerçaient un pouvoir dans la Phocide. Les Thessaliens, à leur tour, avaient écrasé sous des meules deux cent cinquante otages de leurs ennemis ; après quoi ils s’étaient jetés, avec toutes leurs troupes, sur la Locride. Il fut décidé en conseil que l’on n’épargnerait aucun de ceux qui étaient en âge de porter les armes et que l’on réduirait en servitude les femmes et les enfants. Daïphante, fils de Bathyllius, était alors un des trois gouverneurs qui avaient l’autorité souveraine en Phocide. Il décida ses compatriotes à marcher contre les Thessaliens et à les combattre. Quant à ce qui était des femmes et des enfants, il proposa de les réunir de tous les points de la Phocide en un même emplacement, d’entasser à l’entour des amas de bois et d’y laisser des gardes avec l’ordre, s’ils savaient les Phocéens vaincus, de mettre sans retard le feu au bûcher et de brûler tout ce monde. La proposition fut accueillie à l’unanimité, sauf par un seul. S’étant levé, il déclara que, pour être juste, on devait obtenir le consentement des femmes elles-mêmes, ou, sinon, abandonner un tel projet et ne pas user de violence. Cette délibération parvint aux oreilles des femmes. Elles se réunirent en assemblée particulière. La proposition de Daïphante fut par elles adoptée, et elles le couronnèrent comme ayant ouvert l’avis qui était le plus glorieux pour la Phocide. On assure que les enfants aussi eurent leur réunion, et qu’ils conclurent dans le même sens. À la suite de ces faits les Phocéens livrèrent bataille sur le territoire de Cléone, près d’Hyampolis, et restèrent victorieux. Le décret des Phocéens fut appelé par les Grecs le décret du désespoir ; et à l’occasion du succès remporté on célèbre encore à Hyampolis en l’honneur de Diane des fêtes, remarquables entre toutes, qui se nomment Élaphébolies.

FEMMES DE CHIO.

Des habitants de Chio allèrent s’établir à Leuconia pour la cause que voici. C’était le mariage d’un homme qui passait pour un des notables de Chio. Comme on amenait la jeune épouse sur un char, le roi Hippoclus, parent du mari, se trouvait là, avec les autres. Cédant à un mouvement d’ivresse et de gaieté, il s’élança sur le char, moins pour commettre une insulte, que pour faire une plaisanterie, comme c’était la coutume. Mais il fut tué par les amis de l’époux. La colère du Ciel contre les habitants de Chio ne tarda pas à se manifester ; et le Dieu commanda de faire périr ceux qui avaient donné la mort à Hippoclus. Il fut répondu que tous les habitants étaient coupables de ce meurtre. Le Dieu voulut donc que sans exception ils quittassent la ville, s’il était vrai que le crime fût commun ; et la proscription s’étendit, de cette manière, sur les auteurs mêmes du fait, sur ceux qui en avaient été complices, et sur ceux qui d’une façon ou d’une autre l’avaient approuvé. Or ils n’étaient ni en petit nombre ni les moins puissants. On les envoya s’établir à Leuconia, ville que ceux de Chio avaient précédemment conquise sur les Coronéens, et qu’ils possédaient en commun avec ceux d’Érythrée. Plus tard la guerre éclata entre eux et ces derniers. Comme les nouveaux venus n’étaient pas en état de résister aux attaques de ce peuple, le plus puissant de l’Ionie, ils consentirent, sur la foi d’un traité, à quitter la ville, emportant avec eux une seule chlamyde et un manteau, sans nulle autre chose. Leurs femmes les blâmèrent amèrement de ce qu’ils abandonnaient leurs armes pour sortir ainsi dépouillés, au milieu des ennemis. Comme ils répétaient que leur serment les avait liés, elles leur conseillèrent de ne pas se dessaisir de leurs armes, et de dire aux Érythréens que la tunique d’un homme de cœur, c’est sa lance, et que son manteau, c’est son bouclier. Les maris se laissèrent persuader, parlèrent fermement et montrèrent leurs armes avec une attitude résolue qui intimida les Érythréens. Aucun de ceux-ci ne s’avança pour les retenir, et l’on se trouva trop heureux de voir qu’ils partaient. Ainsi les habitants de Chio durent leur salut à la leçon de courage qu’ils avaient reçue de leurs femmes. Un trait qui ne le cède en rien au précédent pour la vaillance honora également, mais beaucoup plus tard, les femmes de cette même Chio. Philippe, fils de Démétrius, assiégeait la ville. Une proclamation aussi barbare qu’insolente fut par lui publiée. Il promettait aux esclaves qui passeraient à lui de leur rendre la liberté et de les unir aux dames à qui ils appartenaient, s’engageant ainsi à marier chacun d’eux avec la femme de son maître. Elles en concurent un dépit terrible et farouche. Secondées des esclaves eux-mêmes qui, partageant leur indignation, se joignirent à elles, on les vit s’élancer sur les remparts. Là elles apportaient des pierres et des traits aux combattants, et les animaient de leurs exhortations et de leurs instances. À la fin elles luttèrent personnellement, et faisant pleuvoir une grêle de projectiles sur les ennemis, elles repoussèrent Philippe, sans qu’un seul de tous les esclaves fût passé de son côté.


ARGIENNES.

À aucun des actes accomplis en commun par des femmes ne le cède, comme exploit glorieux, la lutte que les Argiennes, sous la conduite de la poétesse Télésilla, engagèrent contre Cléomène[5]. Issue, dit-on, d’une famille illustre, elle était d’une constitution maladive. Elle envoya donc demander aux dieux comment elle pourrait recouvrer la santé, et il lui fut répondu par l’oracle qu’elle eût à cultiver les Muses. Docile à l’ordre du dieu, elle se mit à composer des odes et de la musique. Dès lors elle fut en peu de temps délivrée de ses souffrances, et son talent poétique devint l’objet de l’admiration de ses concitoyennes[6]. Cependant Cléomène, roi des Spartiates, ayant mis à mort un grand nombre d’Argiens (non pas toutefois sept mille sept cent soixante-dix-sept, comme quelques-uns l’avancent fabuleusement), marchait contre la ville[7]. A.ce moment une ardeur et une audace toute divine s’empara des femmes qui étaient à la fleur de l’âge, et elles résolurent de sauver Argos en repoussant les ennemis. Guidées par Télésilla, elles saisissent des armes, se campent sur les créneaux, et forment une ceinture de défense autour des remparts, à la grande stupéfaction des ennemis. Cléomène est repoussé après avoir vu succomber un grand nombre des siens ; et Démarate, l’autre roi, qui avait, selon le récit de Socrate, pénétré jusque dans l’intérieur et occupé le quartier dit Pamphyliaque, est chassé par elles de cette position. La ville ainsi sauvée, les femmes qui avaient péri au milieu de l’action furent ensevelies dans la voie Argienne, et à celles qui survécurent on accorda le privilége d’élever, comme monument de leur valeur, une statue au dieu Mars. Cette bataille eut lieu le septième jour selon les uns, et selon les autres le premier, du quatrième mois, lequel, chez les Argiens, s’appelait autrefois Herméus. Quand revient cet anniversaire, on célèbre maintenant encore « les Injurieuses. » C’est une fête dans laquelle on revêt les femmes de tuniques et de chlamydes d’hommes, les hommes, au contraire, de péplums et de voiles. Pour réparer les vides laissés par la population masculine on maria les femmes non pas à des esclaves, comme le prétend Hérodote, mais aux citoyens les plus distingués des villes environnantes. Et encore semblaient-elles avoir leurs nouveaux maris en médiocre estime et ne les recevoir dans leur couche qu’avec une espèce de dédain, comme étant inférieurs à elles[8] ; de telle sorte qu’à cette occasion une loi autorisa les nouvelles mariées à se mettre une barbe au menton quand elles coucheraient avec leurs maris.


PERSANES.

Les Persans s’étant détachés de l’alliance d’Astyage et des Mèdes à l’instigation de Cyrus, ce dernier fut vaincu dans une rencontre. Comme les Persans fuyaient vers leur ville et que l’ennemi n’était pas loin de s’y jeter en même temps qu’eux, les femmes coururent à leur rencontre en avant des remparts ; et relevant leurs robes par le bas : « Où allez-vous, leur dirent-elles, ô les plus lâches de tous les hommes ? Car vous ne sauriez en fuyant rentrer dans ce sein d’où vous êtes sortis. » A cette vue et à ces paroles, les Persans confus de honte et se maudissant eux-mêmes, firent volte-face, chargèrent de nouveau les ennemis et les mirent en fuite. De cette époque date une loi, en vertu de laquelle toutes les fois que le Souverain fait son entrée dans la ville[9] chaque femme reçoit une pièce d’or. C’était Cyrus qui avait établi cette coutume. Mais Ochus, d’ailleurs homme méchant et le plus avide des rois, faisait toujours, dit-on, le tour de la ville sans la traverser, de sorte qu’il privait les Persanes de leur gratification. Alexandre, au contraire, y entra par deux reprises, et chaque fois il donna le double aux femmes enceintes.


GAULOISES.

Les Gaulois[10], avant d’avoir franchi les Alpes et de s’être établis dans la contrée qu’ils occupent de nos jours en Italie, furent en proie à des séditions si violentes, si difficiles à calmer, qu’elles allèrent jusqu’à la guerre civile. Mais les femmes étant survenues au milieu des rangs armés, prirent en main les différends. Elles se chargèrent de les régler ; et leurs décisions furent tellement irréprochables, que de cités à cités, de familles à familles, il se forma entre tous et d’un consentement unanime une bienveillance admirable. C’est depuis ce tempsque les Gaulois ont conservé l’usage de délibérer touchant la guerre et la paix en compagnie de leurs femmes et de requérir l’arbitrage de celles-ci dans les contestations qui s’élèvent entre eux et leurs alliés. Ainsi, dans le traité qu’ils firent avec Annibal, il fut stipulé, que si les Gaulois formulaient quelques plaintes contre ceux de Carthage, ce seraient les gouverneurs et les généraux Carthaginois résidant en Espagne qui les décideraient ; que si, au contraire, ceux de Carthage se plaignaient des Gaulois, les femmes de ces derniers seraient juges.


MÉLIENNES.

Les Méliens, sentant le besoin d’un territoire plus étendu, se donnèrent pour chef de la colonie qui partait un jeune homme d’une beauté remarquable, nommé Nymphée. Le Dieu leur ordonna de prendre la voie de mer et de s’établir dans l’endroit a où ils auraient perdu leurs porteurs. » Il arriva qu’au moment où ils abordaient en Carie et y débarquaient, leurs vaisseaux furent détruits par une tempête. Les Cariens qui habitaient Cryasse les inyitèrent, soit par compassion pour leur manque de ressources, soit par crainte de leur audace, à s’établir auprès d’eux, et leur cédèrent une portion de leur territoire. Plus tard, comme on vit qu’en peu de temps ils avaient pris un accroissement considérable, on résolut de les faire périr par embûches dans un banquet et une fête que l’on prépara. Le hasard voulut qu’une jeune Carienne nommée Caphène fût, à l’insu de tous, amoureuse de Nymphée ; et pendant que ce complot s’organisait elle lui révéla, ne pouvant de sang-froid se résigner à le voir périr, ce que méditaient les habitants de la ville. Les Cryassiens viennent donc faire leur invitation. Nymphée déclare qu’une loi défend à des Grecs de se rendre à un festin sans leurs femmes ; ce qu’ayant entendu, les Cariens les autorisent à mener aussi leurs moitiés. Nymphée, qui avait instruit ses Méliens du complot, voulut qu’ils vinssent en simple tunique et sans armes ; mais il fut convenu que leurs femmes porteraient toutes une épée sous leur robe, et que chacune d’elles pren drait place auprès de son mari. Au milieu du repas les Cariens reçoivent le signal convenu, Les Grecs ont compris que le moment est arrivé. Leurs femmes ayant toutes à la fois entr’ouvert leurs robes, ils saisissent les épées, se jettent sur les Barbares, et les massacrent tous sans exception. Devenus maîtres du territoire ils détruisirent la ville, et ils en fondèrent une autre, qu’ils nommèrent la nouvelle Cryasse. Pour Caphène, elle épousa Nymphée, et reçut les témoignages d’honneur et de reconnaissance qui convenaient à ses éminents services. Combien ne doit-on pas admirer chez ces femmes leur silence, leur sang-froid, et l’unanimité qu’elles montrèrent ! Pas une seule d’entr’elles, dans un si grand nombre, ne céda, même par une faiblesse involontaire, à un mouvement de lâcheté.


TYRRHÉNIENNES.

Des Tyrrhéniens ayant occupé Lemnos etImbros, enleverent de Brauron[11] des femmes Athéniennes. Ils eurent d’elles des enfants que les Athéniens expulsèrent de l’une et de l’autre île, comme étant à moitié barbares. Ces bannis, qui s’étaient rejetés sur Ténare, eurent occasion de rendre des services aux Spartiates dans la guerre contre les Hilotes ; et par reconnaissance on leur accorda le droit de cité. On leur permit aussi d’épouser des femmes de Sparte, sans cependant les admettre aux magistratures et dans le conseil. Plus tard ils furent soupçonnés de se réunir en assemblées secrètes faire une révolution et de méditer le renversement de ce qui était établi. Les Lacédémoniens se saisirent d’eux. On les jeta en prison et on les y garda rigoureusement, en même temps qu’on cherchait à établir leur culpabilité sur des preuves évidentes et solides. Cependant les femmes des incarcérés se présentèrent à la prison. À force d’instances et de prières, elles obtinrent des gardiens la faveur d’embrasser leurs maris et de leur adresser quelques mois. Elles n’eurent pas été plus tôt introduites, qu’en un instant elles les déterminèrent à changer bien vite de vêtements avec elles, à leur laisser ceux qu’ils portaient, et à sortir en se cachant le visage. Eux partis, elles se résignèrent à demeurer là, préparées à toutes les extrémités les plus terribles, pendant que les gardiens abusés et croyant laisser sortir les femmes ouvraient les portes aux maris. A la suite de leur évasion, ces derniers étant allés occuper le Taygète, pour déterminèrent les Hilotes à faire défection et les accueillirent au milieu d’eux. Sparte, vivement alarmée, leur envoya des parlementaires et conclut avec eux un traité de paix, dont les articles furent, qu’ils emmèneraient leurs femmes, que les Spartiates leur fourniraient de l’argent et des vaisseaux pour aller chercher ailleurs un territoire et une ville, qu’enfin ils seraient reconnus comme étant colons des Lacédémoniens et du même sang qu’eux. Ainsi firent ces Pélasges[12] sous la conduite de deux Lacédémoniens, Pollis et son frère Crataïdas[13]. Une partie d’entre eux s’établirent à Mélo ; mais le plus grand nombre, ceux qui suivaient Pollis, firent voile vers la Crète dans l’espérance de voir l’accomplissement des oracles. En effet il leur avait été prédit que quand ils auraient perdu leur déesse et leur ancre, ces courses vagabondes seraient terminées, et qu’ils auraient à fonder une ville là où ils se trouveraient en ce moment. Or ayant mouillé dans la partie de l’île qu’on appelle Chersonnèse, ils furent saisis de terreurs paniques au milieu de la nuit, et ainsi troublés ils s’élancèrent dans leurs vaisseaux au milieu du plus grand désordre, laissant à terre une statue de Diane. Cette effigie, relique nationale, avait été amenée par eux à Lemnos, et de Lemnos ils l’avaient avec eux promenée partout. Revenus de leur panique ils s’aperçurent avec regret, quand ils furent en mer, de la perte qu’ils avaient faite. En même temps Pollis reconnut que l’ancre n’avait plus son croc. Comme elle avait été, selon toute apparence, tirée trop violemment, ce croc, au milieu des bas fonds hérissés d’écueils, avait été arraché sans que l’on s’en aperçût. Alors Pollis, ayant déclaré que les paroles de l’oracle s’accomplissaient, donna le signal pour que l’on revînt en arrière. Il occupa la contrée, défit en plusieurs rencontres les troupes qu’on lui opposa, et s’établit à Lyctus. Il s’empara également d’autres villes qu’il réduisit sous sa domination. C’est pour cela que les Lyctiens prétendent, d’un côté descendre des Athéniens par leurs mères, de l’autre être une colonie de Spartiates.

LYCIENNES.

Le fait que l’on donne comme s’étant passé en Lycie est, bien que fabuleux, consigné par le témoignage d’une tradition. Il est dit qu’un certain Amisodore, appelé Isaras par les Lyciens, était venu de Zélée, colonie Lycienne, conduisant des brigantins dont le capitaine était Chimarrus, guerrier intrépide, mais au cœur farouche et inhumain. Ce Chimarrus montait un bâtiment qui avait pour enseigne un lion à la proue et un dragon à la poupe. Il fit beaucoup de mal aux Lyciens, tellement que l’on ne pouvait plus naviguer, ni habiter les villes du littoral. Il fut donc tué par Bellérophon, qui se mit à sa poursuite monté sur son Pégase[14], et qui chassa également les Amazones. Mais loin d’avoir aucune récompense digne de ses services, Bellérophon fut traité par Iobate[15] avec la dernière ingratitude. Étant donc venu sur le bord de la mer, il implora contre lui la vengeance de Neptune, demandant que le pays devînt stérile et privé de toutes ressources ; puis, ces imprécations formulées, il se retira. Soudain les flots se soulèvent et engloutissent le sol. C’était un spectacle effrayant, que cette mer qui le suivait en se gonflant et qui cachait au loin la plaine. Les hommes suppliaient Bellérophon de l’arrêter, mais ils ne le persuadèrent pas. Alors les femmes vinrent au-devant de lui, leurs robes relevées ; et comme un sentiment de pudeur le fit se retourner en arrière, les flots, dit-on, se retirèrent en même temps que lui. Quelques-uns, modifiant ce qu’un tel récit présente de fabuleux, veulent que ce ne soient pas ses im précations qui eussent mis les vagues en mouvement. Selon eux, la partie la plus fertile de la plaine était au-dessous du niveau de la mer ; et comme le rivage formait un escarpement prolongé qui retenait les eaux, Bellérophon le fit couper. La mer alors fit violemment irruption, et le plat pays fut inondé. Les hommes ne purent obtenir qu’il se rendît à leurs prières ; mais les femmes s’étant répandues en foule autour de lui, il éprouva un sentiment de honte et mit un terme à son courroux. D’autres disent tout simplement, que la fameuse Chimère était une montagne directement opposée au soleil, et que, recevant les rayons embrasés de cet astre dévorant, elle en réfléchissait l’intensité et la chaleur sur la la plaine dont tous les fruits se desséchaient par cette influence. Bellérophon[16], après y avoir songé longtemps, abattit le pan de montagne dont la surface trop polie renvoyait le plus vivement les rayons du soleil. Mais dans la suite n’ayant pas trouvé de reconnaissance chez les Lyciens, il résolut, dans sa colère, de se venger d’eux, et les femmes par vinrent à le fléchir. Du reste Nymphis, dans son quatrième livre de l’histoire d’Héraclée, donne une explication qui n’a rien de fabuleux. Il assure que dans le pays des Xanthiens un sanglier sauvage portait ladésolation parmi les animaux et dévastait les fruits de la terre. Bellérophon l’ayant tué, les Lyciens ne lui en témoignèrent aucune reconnaissance, et alors il implora contre eux la vengeance de Neptune. De toute la plaine se dégagèrent des exhalaisons salines qui gâtèrent complétement le sol et le rendirent amer, jusqu’au moment où, par égard pour les femmes qui étaient venues le supplier, Bellérophon pria Neptune d’apaiser son courroux. De là est venu chez les Xanthiens l’usage, quand il s’agit pour eux d’affaires d’intérêt, de prendre non pas le nom de leurs pères, mais celui de leurs mères.

SALMATIDES.

Annibal, fils de Barca, avant d’aller faire la guerre aux Romains, assiégea Salmatique, ville considérable de l’Ibérie. Dans un premier mouvement de terreur les assiégés convinrent de se soumettre à toutes ses exigences et de lui donner trois cents talents d’argent avec trois cents otages[17]. Mais dès qu’il eut levé le siége, ils se repentirent et n’exécutèrent aucun de leurs engagements. Il revint donc sur ses pas, et ordonna à ses troupes de faire main basse sur la ville et d’en piller les richesses. Les Barbares, épouvantés au dernier point, se résignèrent à ce que les citoyens de condition libre sortissent des murs avec leurs habits seulement, et abandonnassent leurs armes, leurs richesses, leurs esclaves et leur ville. Alors les femmes, pensant que chaque homme au moment où il franchirait les portes serait fouillé par les ennemis, mais que pour elles on ne les toucherait pas, prirent des épées qu’elles cachèrent soigneusement, et se précipitèrent dehors en même temps que leurs époux. Lorsque tous furent sortis, Annibal, qui avait installé une garnison de Massézyliens[18], chargea ceux-ci de les garder dans le faubourg, pendant que le reste des soldats répandus en désordre se livreraient au pillage. Mais comme on emportait un butin considérable, les Massézyliens ne purent se contenir à cette vue, et sans plus s’inquiéter de la garde à laquelle ils avaient été commis, ils quittèrent la place, fort mécontents, pour prendre part au pillage. Alors les femmes s’étant mises à crier présentèrent les épées à leurs maris, et même quelques-unes se jetèrent de leur personne sur les gardiens. Une d’elles saisit la lance d’un interprète nommé Banon, et en frappa cet homme, qui se trouva heureusement protégé par sa cuirasse. Pour les autres, ils furent tués ou mis en fuite, et les maris en foule se sauvèrent dans toutes les directions avec leurs femmes. Annibal l’ayant appris se mit à leur poursuite. Ceux que l’on saisit furent passés au fil de l’épée. Quant aux autres, ils atteignirent les frontières et purent s’échapper pour le moment. Plus tard ayant envoyé demander grâce, ils furent réintégrés dans leur ville par Annibal, qui les traita de la manière la plus rassurante et la plus humaine.

MILÉSIENNES.

Les jeunes filles de Milet furent saisies autrefois d’une manie étrange et bizarre, sans que l’on pût en connaître la cause. Ce qui sembla le plus probable, c’est que des influences malignes et pestilentielles répandues dans l’air avaient produit chez elles le trouble et le désordre de l’intelligence. Elles se trouvèrent toutes soudainement prises d’un désir de mort et d’une envie furieuse de se pendre. Un grand nombre d’entre elles se pendirent en effet secrètement. Représentations et larmes de leurs parents, prières de leurs amis, rien ne réussissait ; et pour mettre fin à leur existence, elles déjouaient toute l’attention, toute l’activité de ceux qui les surveillaient. Il semblait que ce fût une calamité céleste que nul secours humain ne pourrait arrêter. A la fin, sur la proposition d’un homme de sens, il fut décrété, que les jeunes filles qui se pendraient seraient portées toutes nues au bûcher à travers la place publique. Le décret reçut son exécution ; et non-seulement il produisit un temps d’arrêt, mais encore il fit complétement cesser cette manie de suicide. C’était, du reste, une grande preuve d’excellente nature et de vertu que cette crainte de l’infamie. Ces mêmes jeunes filles qui devant ce qu’il y a de plus terrible au monde, à savoir la mort et ses souffrances, s’étaient montrées résolues, cédèrent en songeant à un affront, et ne purent supporter la honte qui pèserait sur elles après leur trépas.

FILLES DE CIO.

Les jeunes filles de Cio étaient dans l’usage de se réunir pour des sacrifices publics où elles passaient toute la journée ensemble, et leurs prétendants les regardaient jouer et danser. Le soir elles revenaient successivement chez elles, et offraient leurs services aux parents et aux frères les unes des autres, allant jusqu’à leur laver les pieds. Souvent il arrivait que plusieurs jeunes gens s’éprissent d’une même fille, mais c’était un amour discret et honnête. Aussitôt qu’elle devenait la fiancée de l’un d’eux, les autres cessaient immédiatement leurs assiduités. Ce qui donnera d’une manière générale une idée de la chasteté de ces femmes, c’est que durant l’espace de sept cents ans il ne fut mention ni d’un seul adultère, ni d’une seule séduction consommée en dehors du mariage.

AUTRES PHOCÉENNES[19].

Les Tyrans de la Phocide s’étaient emparés de Delphes, et à cette occasion les Thébains leur faisaient la guerre dite « guerre sainte. » Une certaine nuit les femmes vouées au culte de Bacchus, et que l’on appelle Thyiades[20], emportées par leur délire furieux, entrèrent, sans avoir conscience de ce qu’elles faisaient, dans la ville d’Amphisse. Elles étaient excédées de fatigue ; et la raison ne leur étant pas encore revenue, elles s’étendirent sur la place publique, s’y couchèrent pêle-mêle et s’endormirent. Mais les femmes d’Amphisse eurent peur qu’à cause de l’alliance de la ville avec les Phocéens et de la présence des nombreux soldats de leurs tyrans ces Thyiades ne fussent l’objet de traitements indignes. Elles sortirent toutes de chez elles, et coururent à la place publique. Là elles les entourèrent en silence, sans troubler leur repos. Puis à leur réveil elles leur prodiguèrent chacune leurs soins et leur présentèrent de la nourriture. Enfin, autorisées par le consentement de leurs maris, elles les reconduisirent en toute sûreté jusqu’à ce

qu’elles eussent repassé les limites du territoires[21].

VALÉRIE ET CLÉLIE.

Tarquin le Superbe, septième roi de Rome depuis Romulus, fut chassé à la suite de l’affront subi par la vertueuse Lucrèce, femme d’un personnage considérable qui était parent de la famille royale. Un des fils de ce Tarquin, ayant été reçu chez elle en qualité d’hôte, s’était porté contre elle aux dernières violences. Lucrèce, après avoir annoncé de vive voix cet outrage à ses amis et à ses parents, se poignarda aussitôt elle-même. Déchu de la royauté à cette occasion, Tarquin entreprit guerres sur guerres pour reconquérir son trône. Entre autres tentatives il finit par déterminer Porsenna, roi d’Étrurie, à marcher contre Rome avec une armée considérable. En même temps que cette guerre, la famine vint encore fondre sur les Romains. Comme ils eurent appris que Porsenna était non-seulement un prince guerrier, mais encore un monarque plein d’humanité et de justice, ils voulurent le faire juge de leurs différends avec Tarquin. Ce dernier s’y refusa avec hauteur, répétant que si Porsenna ne restait pas pour lui un allié fidèle, il ne pourrait pas, non plus, être un arbitre équitable. Porsenna, dès lors,se détacha de lui, et prit l’engagement d’évacuer le territoire des Romains à titre d’allié quand on lui aurait rendu la portion de pays enlevée aux Toscans, ainsi que les prisonniers de guerre. A cette occasion il lui fut donné pour otages dix jeunes garçons et dix jeunes filles, et au nombre de ces dernières, Valérie, fille du consul Publicola. Le monarque Étrurien fit interrompre aussitôt tous les préparatifs de guerre commencés, sans attendre que chacun des articles de la capitulation fût entièrement exécuté. Les jeunes Romaines qui étaient dans son camp descendirent le long du fleuve, comme pour se baigner, et s’éloignèrent un peu. Puis à la sollicitation de l’une d’elles, qui s’appelait Clélie, elles at tachèrent leurs tuniques autour de leur tête, et remontèrent le courant, qui était fort rapide. Elles traversèrent ainsi à la nage des gouffres profonds, en se tenant les unes les autres, avec une peine et des fatigues incroyables. Il y en a qui disent que Clélie ayant eu le bonheur de rencontrer un cheval, monta dessus, et lui fit passer doucement le fleuve, pendant que les autres la suivaient à la nage, enhardies et soutenues par elles en dépit de tout. Sur quelles preuves s’appuient ils ? Nous le dirons un peu plus loin. Quand les Romains les virent revenues saines et sauves, tout en admirant leur énergie et leur audace ils désapprouvèrent ce retour, et ne supportèrent pas la pensée d’être inférieurs en bonne foi à un seul homme. Ils intimèrent donc aux jeunes filles l’ordre de repartir, et les renvoyèrent avec une escorte. Au moment où on leur faisait repasser le fleuve, Tarquin, qui avait dressé une embuscade, faillit s’emparer de ces jeunes filles. Mais Valérie, la fille du consul Publicola, put s’enfuir avec trois de ses serviteurs jusqu’au camp de Porsenna ; et le fils de ce prince, Aruns, venu promptement au secours des autres Romaines, les enleva des mains de leurs ennemis. Quand elles eurent été conduites devant le monarque, celui-ci, en les voyant, les somma de lui dire laquelle avait été l’instigatrice de ce coup hardi[22] et en avait commencé l’exécution. Toutes les autres, tremblant pour Clélie, gardaient le silence ; mais elle se dénonça spontanément. Pénétré d’admiration, Porsenna fit amener un cheval richement caparaçonné, l’offrit en présent à Clélie, et il les renvoya toutes avec beaucoup de bienveillance et de courtoisie. Cette circonstance sert d’argument à plusieurs, pour établir que Clélie avait traversé le fleuve à cheval. D’autres disent qu’il n’en est rien ; que, seulement, Porsenna ayant admiré dans la jeune fille une énergie et une audace au-dessus de son sexe[23], la jugea digne d’un présent qui convient à un guerrier. Aussi, remarquait-on[24] sur la voie sacrée une statue équestre de femme, représentant Clélie selon les uns, et selon

les autres, Valérie.

MICCA ET MEGISTO.

Aristotime, ayant usurpé le souverain pouvoir en Élide, devait sa force au roi Antigonus ; mais il usait de l’autorité sans douceur et sans modération. Naturellement féroce par lui-même, la crainte le rendait, en outre, l’esclave des Barbares de toute espèce à qui il avait confié la garde de sa personne et de sa puissance. Quelque nombreux que fussent les outrages et les mauvais traitements exercés par cette soldatesque contre les citoyens, il était insensible à leurs maux. Telle fut, entre autres, la malheureuse aventure de Philodème. Cet Éléen avait une fille merveilleusement belle, nommée Micca, sur qui Lucius, un des officiers étrangers que soldait le Tyran, jeta ses vues plutôt par brutalité que par amour. Il envoie dire qu’il veut parler à Micca, et les parents de la jeune fille, en présence de la nécessité, la contraignent de se rendre à cet appel. Comme c’était une enfant généreuse et magnanime, elle se jeta au cou de son père et le supplia, avec les plus grandes instances, de souffrir qu’elle mourût plutôt que de perdre honteusement sa virginité par un crime. Cette scène avait causé un retard. Lucius, qui était en train de boire, enivré de débauche et de vin s’élance lui même hors de son logis avec fureur. Il trouve Micca ayant la tête dans les genoux de son père. Il lui enjoint de le suivre ; elle s’y refuse. Il lui déchire sa robe et la fouette toute nue, mais sans que la douleur arrache un seul cri à l’héroïque jeune fille. Le père et la mère, ne pouvant rien obtenir par leurs supplications et leurs larmes, n’avaient plus qu’à protester, en implorant les dieux et les hommes, contre d’aussi horribles et indignes traitements ; mais le Barbare, tout à fait égaré par la colère et par l’ivresse, égorge la jeune fille, dans l’état même où elle se trouve là, le visage appuyé sur le sein de son père, Le Tyran, loin d’être ému d’un pareil attentat, fit mettre à mort un grand nombre de citoyens et en bannit encore davantage. Il s’en réfugia, dit-on, huit cents chez les Étoliens, et ils supplièrent ceux-ci de retirer pour eux leurs petits enfants et leurs femmes des mains du Tyran. A peu de temps de là, Aristotime lui-même faisait proclamer un édit permettant à toutes les femmes qui le voudraient d’aller rejoindre leurs maris et d’emporter avec elles une partie de ce qui était leur propriété personnelle. Quand il eut reconnu avec quelle joie elles acceptaient toutes le décret (leur nombre dépassait six cents), il leur donna ordre de se mettre toutes en marche à un jour qu’il désigna, sous prétexte de pourvoir lui-même à leur sûreté. Ce jour venu, elles se réunissent aux portes, chargées de tout ce qu’elles avaient pu amasser de leurs richesses. Les unes tenaient leurs enfants sur les bras, les autres les transportaient dans des chariots, et elles s’attendaient les unes les autres. Tout à coup se présente un nombreux détachement des soldats du Roi, qui, du plus loin, leur crient de ne pas quitter la place. Puis, quand ils sont près d’elles, ils leur ordonnent de rebrousser chemin, retournant et poussant eux-mêmes contre elles les attelages, les chariots, et chevauchant au milieu de ces malheureuses sans ménagement. Elles ne peuvent ni suivre, ni s’arrêter, ni porter secours à leurs petits enfants, qui périssent tombant du haut des chars ou écrasés sous les roues[25]. Enfin à coup de fouets et avec de grands cris ces soldats mercenaires les chassent devant eux comme de pauvres moutons qui se renversent les uns sur les autres. Elles sont jetées dans la prison publique, et l’argent qu’elles ont est porté à Aristotime. Tant d’atrocités indignèrent les Éléens. Les femmes vouées au culte de Bacchus, et appelées « les Seize, » prennent sur l’autel du dieu des rameaux de suppliants, des bandelettes, et vont trouver Aristotimeau milieu de la place publique. Les gardes qui l’entourent s’écartent avec une sorte de honte. Elles s’arrêtent d’abord en silence, et dans une attitude religieuse présentent leurs rameaux. Mais quand il a reconnu qu’elles viennent implorer la grâce des femmes, il est furieux contre ses satellites. Il éclate en vociférations parce qu’ils les ont laissées s’approcher, et leur commande de les chasser de la place publique en poussant les unes et en frappant les au tres. De plus, une amende de deux talents est infligée à chacune d’elles. Tous ces événements amenèrent une conjura tion, organisée contre le Tyran par un certain Hellanicus. C’était un vieillard que son âge et la mort de ses deux fils semblaient condamner désormais à l’inaction, et le Tyran ne s’inquiétait point de lui. Dans le même temps ceux qui avaient été exilés revenaient de l’Étolie, s’emparaient d’Amymone, un des postes militaires les plus avantageux de la contrée, et y recevaient un grand nombre de citoyens qui s’enfuyaient d’Élis.Ces mouvements alarmèrent Aristotime. Il alla trouver les femmes[26], et se figurant qu’il réussirait par la crainte plus que par la douceur, il leur commanda d’adresser des lettres à leurs maris pour qu’ils eussent à quitter la contrée : il les menaçait, au cas où elles refuseraient, de les égorger après les avoir soumises aux plus indignes traitements et avoir fait périr au préalable leurs enfants sous leurs yeux. Comme il insistait longtemps et les sommait de dire si elles exécuteraient quelques-uns de ces ordres, les autres ne répondirent pas : elles se regardaient sans rien dire, et par leurs signes muets elles se témoignaient mutuellement qu’elles n’avaient point peur et que ces menaces ne les effrayaient pas. Une seule rompit le silence. Ce fut la femme de Timoléon, Megisto, à qui son mari et sa vertu donnaient le premier rang parmi elles. Sans daigner se lever, ni souffrir que ses compagnes le fissent, elle lui répondit, en restant assise : « Si tu étais un homme sensé, tu ne traiterais pas avec des femmes de ce que doivent faire leurs maris. Ce serait à eux, comme à nos maîtres, que tu t’adresserais, et tu trouverais pour eux des discours meilleurs que ceux par lesquels tu nous as trompées. Mais si tu veux te servir de nous pour les circonvenir parceque tu désespères de les persuader, ne compte pas nous abuser une seconde fois ; et de leur côté, ils ne seront pas inspirés assez malheureusement pour sacrifier au salut de quelques enfants et de quelques femmes la conservation de l’indépendance nationale. Non : ce ne saurait être pour eux un malheur aussi grand de nous perdre, puisque déjà ils ne nous ont plus, que ce ne sera un grand avantage de délivrer leurs concitoyens de ta cruauté et de tes insolences. » Pendant que Mégisto parlait ainsi, Aristotime, qui ne se contenait plus, ordonna d’apporter l’enfant de cette courageuse femme pour le faire périr sous les yeux de sa mère. Comme les satellites le cherchaient au milieu des autres qui jouaient et luttaient ensemble, elle l’appela elle-même par son nom : « Viens, ici, cher enfant : lui dit-elle, sois dérobé, avant de la sentir et de la comprendre, à une odieuse tyrannie. Il me serait plus pénible de te savoir réduit sous un indigne esclavage que d’être témoin de ton trépas. » Aristotime avait tiré son glaive contre elle ; déjà il s’élançait avec fureur, quand un de ses familiers, nommé Cylon, qui semblait lui être dévoué, mais qui le détestait et qui faisait partie de la conjuration organisée par Hellanicus, retint le tyran et lui détourna le bras. Cylon lui dit, en donnant à ses paroles l’accent de la prière, que ce serait agir comme un lâche, comme une femme, et non comme un souverain ni comme un homme qui sait conduire les affaires. Bref, il fit si bien que recouvrant à grand’peine sa raison, Aristotime se retira. Cependant un prodige remarquable lui apparut. Il était midi, et il se reposait avec sa femme pendant qu’on faisait les préparatifs du repas. On vit planer dans les airs un aigle qui tournoyait au-dessus de la maison, et qui, comme de dessein prémédité et avec intention, laissa tomber une pierre énorme précisément sur la partie du toit où était la chambre occupée en ce moment par Aristotime. En même temps qu’il se produisait ainsi d’en haut un grand bruit, les domestiques s’étaient mis à crier du dehors à la vue de l’oiseau[27]. Aristotime effrayé se fit conter ce qui se passait ; et mandant le devin qu’il consultait habituellement sur la place publique, il le questionna, plein de trouble, au sujet de ce prodige. Le devin l’engagea à être calme, l’assurant que Jupiter avait voulu l’éveiller et le secourir. Mais à ceux des citoyens à qui il se fiait ce même devin annonça qu’avant peu le châtiment suspendu sur la tête du Tyran ne manquerait pas d’écraser celui-ci. Hellanicus, avec les autres conjurés, en conclut qu’il n’y avait pas de temps à perdre. Il crut voir un de ses fils (tous les deux étaient morts), se présenter et lui dire : « Que faites vous, mon père ! Vous dormez, et demain il faudra que vous commandiez les troupes de la ville. » Cette apparition le remplit d’une heureuse confiance, et il réunit ses compagnons. Cependant Aristotime, qui avait appris que Cratère venait à son secours avec des forces considérables et qu’il était campé à Olympie, se trouva tellement rassuré que sans aucun de ses satellites il s’avança sur la place publique, en compagnie de Cylon. Hellanicus vit que le moment était propice. Au lieu de donner le signal dont il était convenu avec ceux qui devaient agir, il leva ses deux mains en l’air, et en même temps il s’écria d’une voix éclatante : « Pourquoi tarder, braves amis ? Quel beau théâtre pour combattre, que celui qui s’offre à vous au milieu de la Patrie ! » Le premier de tous Cylon, ayant tiré son épée, en frappe un de ceux qui étaient venus suivre le Tyran. Après lui Thrasybule et Lampis courent droit sur Aristotime. Il n’a que le temps de se réfugier dans le temple de Jupiter, mais il y est tué. On traîne son corps sur la place publique. Les conjurés appelèrent les citoyens à la liberté. Ceux-ci ne devancèrent pas en grand nombre leurs propres femmes, tant elles mirent de hâte à venir, poussant des cris de joie frénétiques. Elles se répandirent autour des hommes qui avaient consommé cette exécution, et leur ceignirent la tête de couronnes. La multitude se porta ensuite vers la demeure du Tyran. Sa femme, après s’être enfermée dans son appartement, s’y était pendue. Restaient leurs deux filles, encore vierges, d’une beauté remarquable et déjà en âge d’être mariées. On s’empara d’elles ; on les traina hors du palais pour les faire périr sans rémission, et l’on se proposait de les accabler d’abord de mauvais traitements et des derniers outrages. Mais Megisto était accourue avec ses autres compagnes. Elle s’écria que la conduite des hommes serait indigne si, prétendant représenter la démocratie, ils osaient commettre des brutalités semblables à celles des tyrans. Le plus grand nombre obéit à l’ascendant de cette héroïne[28], qui accompagnait de ses larmes un langage si hardi. Il fut décidé que l’on épargnerait tout affront aux jeunes princesses, et qu’on leur permettrait de se donner elles-mêmes la mort. On revint donc au palais, et il leur fut signifié qu’elles eussent sur l’heure à quitter la vie. Myro, l’aînée, détache sa ceinture, en forme un lacet, et après avoir embrassé sa sœur, elle l’engage à la considérer attentivement età exécuter ensuite ce qu’elle l’aura vue faire : « C’est, dit-elle, afin que nous ne mourions pas honteusement et d’une manière indigne de nous. » Mais la plus jeune lui demanda la permission de se tuer la première, et saisit à son tour la ceinture : « Je n’ai jamais refusé rien à tes prières, dit Myro : reçois donc cette nouvelle marque de ma tendresse. Moi, j’aurai du courage, et je souffrirai un supplice plus pénible que la mort même en te voyant, ô ma sœur chérie ! expirer avant moi. » En même temps elle lui montra comment il fallait se mettre le lacet autour du cou. Quand elle la vit morte, elle la détacha et la recouvrit avec soin. Pour ce qui était d’elle-même, elle pria Megisto de lui rendre un semblable service et de ne pas souffrir qu’après sa mort elle fût exposée d’une manière honteuse. Aussi, parmi les assistants ne se trouva-t-il personne qui fût assez dur, ou assez ennemi du Tyran, pour voir sans verser des larmes, sans être touché de compassion, l’héroïsme de ces deux jeunes filles.

Dans les milliers d’actes courageux accomplis en commun par des femmes, ceux que nous venons de citer suffisent. Nous passons maintenant aux actions individuelles ; et à mesure qu’elles se présenteront, nous les reproduirons sans suite, parce que nous ne croyons pas que l’ordre chronologique soit nécessaire en ces sortes de récits.

PIÉRIA.

Quelques-uns des Ioniens venus à Milet s’étant pris de querelle avec les fils de Nélée, se retirèrentà Myanthe et s’y établirent. Ils eurent beaucoup à se plaindre des Milésiens, qui leur avaient déclaré la guerre à cause de cette défection. Cependant les hostilités n’étaient pas sans quelques trêves, et ne rompaient pas toute relation entre eux. Il y a plus : à l’occasion de certaines fêtes les femmes de Myanthe se rendaient à Milet. Dans la première de ces deux villes habitait un citoyen de haut rang nommé Pythès, dont la femme s’appelait Iapygie et la fille, Piéria. Un jour que les Milésiens célébraient en l’honneur de Diane un de ces sacrifices qualifiés par eux de « Néléides », Pythès céda au désir que lui témoignaient sa femme et sa fille : il les envoya à cette cérémonie. Celui des fils de Nélée qui avait le plus de crédit[29],Phrygius était son nom, devint amoureux de Piéria. Il cherchait en lui-même ce qu’il pourrait faire pour lui être le plus agréable : « Ce serait, lui dit-elle, si vous me ménagiez les moyens de venir ici fréquemment et en nombreuse compagnie. » Phrygius comprit que c’était demander que la paix et l’union régnât entre les citoyens des deux villes ; et il fit en sorte que la guerre se terminât. Aussi dans l’une et dans l’autre cité Piéria était en grande gloire et en grand honneur. Même encore aujourd’hui une des prières adressées aux dieux par les Milésiennes est celle-ci : a Puissions-nous être aimées par nos maris autant que Piéria le fut par Phrygius ! »

POLYCRITE.

Entre les habitants de Naxos et ceux de Milet une guerre s’éleva au sujet de la femme du Milésien Hypsicréon. Elle se nommait Nééra. Étant devenue amoureuse d’un hôte de son mari, Promédon le Naxien, elle se permit avec son amant de fréquentes traversées sur mer, et il la posséda. Mais enfin, comme elle redoutait son époux, elle se fit emmener à Naxos par Promédon, qui l’y installa en qualité de suppliante de Vesta[30]. Les Naxiens ne voulurent pas la rendre parce qu’ils désiraient complaire à Promédon, et ils alléguaient d’ailleurs pour prétexte son caractère de suppliante. La guerre fut donc déclarée. Plusieurs peuples, et parmi ceux d’Ionie les Erythréens plus ardemment que les autres, prirent parti pour les Milésiens. Les hostilités furent longues et désastreuses ; et il fallut la vertu d’une femme pour y mettre terme, comme la perversité d’une femme en avaitété l’origine. Diognète, général des Érythréens, occupait un poste à la garde duquel il avait été commis. C’était un château fort, dominant Naxos et protégé par sa nature, outre[31] qu’il avait été disposé de main d’homme. Dans ses différentes sorties Diognète faisait un butin considérable, et emmenait prisonnières des femmes libres et des jeunes filles. Il devint amoureux d’une d’entre elles, nommée Polyerite, qu’il traitait non pas en prisonnière mais comme si elle eût été son épouse légitime. Un jour il se célébrait une fête dans l’armée des Milésiens : tous étaient occupés à boire et à se divertir. Polycrite demanda à Diognète s’il s’opposerait à ce qu’elle envoyât quelques lots de pâtisseries à ses frères. Comme il y eut consenti, qu’il l’eut même pressée de le faire, dans un de ces gâteaux elle introduisit une petite tablette de plomb écrite, et par l’organe du porteur elle re commanda à ses frères de s’arranger pour être seuls quand ils mangeraient ce qu’elle leur avait envoyé. Ils trouvèrent la tablette, et lurent ce que Polycrite y avait consigné. Elle leur disait d’attaquer cette nuit même les Milésiens qui, plon-gés tous dans l’ivresse à cause de la fête, ne seraient nullement préparés. Ils communiquèrent l’avis à leurs chefs, et avec eux s’élancèrent à l’attaque. Le fort fut pris ; un grand nombre d’ennemis périrent ; mais sur la demande que Polycrite en fit à ses concitoyens, Diognète eut la vie sauve. Pour elle, arrivée aux portes de la ville, elle fut accueillie par les habitants qui venaient à sa rencontre pour lui offrir, avec des démonstrations de joie, des couronnes et les hommages de leur admiration. Mais elle ne put soutenir l’excès de son bonheur, et elle tomba expirante aux portes mêmes. C’est là qu’elle fut enterrée, et l’endroit s’appelle « Tombeau de l’Envie », comme si, par un sentiment jaloux, la Fortune eût envié à Polycrite la jouissance des honneurs qui lui étaient destinés.

Voilà comment les historiens de Naxos racontent le fait. Mais selon Aristote, Polycrite n’avait pas été faite prisonnière. C’était dans une autre circonstance que Diognète, l’ayant vue, était devenu amoureux d’elle, et lui avait dit qu’il était prêt à lui donner et à réaliser, pour l’amour d’elle, tout ce qu’elle demanderait. Elle avait promis de se rendre auprès de lui s’il lui faisait une seule promesse, pour laquelle, au rapport du philosophe, elle exigea de Diognète un serment. Quand il l’eut prononcé, elle voulut qu’il lui livrât Délie, (c’était le nom du fort), et elle déclara que s’il n’y consentait pas elle ne serait jamais à lui. Vaincu par son amour et enchainé par son serment, Diognète céda. Il livra le fort à Polycrite, et cette dernière le rendit à ses concitoyens. Par là ceux de Naxos reprirent une position égale à celle de leurs adversaires, et purent, aux conditions qu’il leur plut, traiter de la paix avec les Milésiens.

LAMPSACE.

Il y avait à Phocée deux frères jumeaux, de la race des Codrides, nommés Phobus et Blepsus. Phobus fut le même qui, au rapport de l’historien Charon de Lampsaque, se précipita le premier du promontoire de Leucate dans la mer. Revêtu d’une puissance et de prérogatives égales à celles d’un roi, il arriva que ce Phobus s’était rendu par mer à Parium pour ses affaires privées. Il y devint l’hôte et l’ami de Mandron, qui régnait sur les Bebryces dits Pityesséniens, et il le secourut dans une guerre où l’autre avait à repousser les attaques de peuplades voisines. Aussi, quand il se rembarqua, Mandron lui prodigua-t-il de nombreuses marques de reconnaissance, et s’engagea-t-il, entre autres promesses, à lui donner une partie de son territoire et de son royaume s’il voulait devenir ami des Phocéens et fonder une colonie à Pityesse. Phobus y détermina ses compatriotes, et fit partir son frère à la tête des futurs colons. En ce qui regardait le roi, tout se réalisa au gré de leurs espérances ; mais comme ils s’enrichissaient considérablement par le butin et les dépouilles qu’ils prenaient sur les Barbares leurs voisins, ils excitèrent d’abord la jalousie, puis ensuite la crainte des Bebryces, qui voulurent se débarrasser d’eux. Mandron était un prince bon et juste : ils ne purent l’animer contre ces Grecs. Mais profitant d’un voyage qu’il avait entrepris, ils se préparèrent à faire succomber les Phocéens par la ruse. Or leur dessein fut connu à l’avance par Lampsace, la fille de Mandron. Elle essaya d’abord d’en dissuader ses amis et ses proches : elle leur montra que ce serait une infamie et un sacrilége, que de faire périr ceux qui, après avoir été leurs bienfaiteurs et leurs alliés, étaient devenus à présent leurs concitoyens. Elle ne put les convaincre. Dès lors, elle révéla secrètement aux Grecs ce qui se tramait, les engageant à prendre leurs précautions. C’est pourquoi ceux-ci, après avoir préparé un sacrifice et un banquet, invitèrent les Pityesséniens à s’y rendre hors de la ville, dans un des faubourgs. Puis[32], comme ils s’étaient partagés en deux troupes, les uns vont occuper les remparts, les autres massacrent les habitants. Une fois maîtres de la ville ils font revenir Mandron, et ils l’invitent à régner sur eux. Pour Lampsace, qu’une maladie enleva sur ces entrefaites, ils lui consacrèrent dans la ville une sépulture magnifique, et de son nom ils donnèrent à la cité le nom de Lampsaque. Mais Mandron, qui ne voulait pas qu’on lè soupçonnat d’avoir trahi, refusa de revenir au milieu d’eux. Il demanda, au contraire, qu’ils lui renvoyassent les enfants et les femmes de ceux qu’ils avaient fait périr. C’est ce qu’ils s’empressèrent d’exécuter, loin de leur infliger aucun mauvais traitement. De plus ils ne se contentèrent pas des honneurs à demi divins accordés d’abord à Lampsace, ils décrétèrent plus tard qu’on lui sacrifierait comme à une déesse, et son culte s’est perpétué même jusqu’à nos jours.

ARÉTAPHILE.


Arétaphile, de Cyrène, ne remonte pas à une haute antiquité. Elle vivait du temps de Mithridate. Sa vertu et l’acte de résolution par elle accompli la rendent digne de figurer avec avantage dans le conseil des demi-déesses[33]. Elle était fille d’Églator et de Phédime, personnages de haute condition tous les deux. Outre sa merveilleuse beauté, elle pas sait pour avoir un très-grand sens et pour n’être rien moins qu’étrangère à la science politique. Ce furent les malheurs publics de sa patrie qui mirent chez elle ces qualités en lumière. Nicocrate avait usurpé le pouvoir souverain à Cyrène. Il avait mis à mort un grand nombre de citoyens, et entre autres un prêtre d’Apollon, nommé Mélanippus, qu’il tua de sa propre main pour s’emparer du sacerdoce. Sous ses coups avait aussi succombé Phédime, l’époux d’Arétaphile, et il avait épousé malgré elle cette dernière. Il ne se contenta pas d’avoir porté de nombreux attentats contre les lois. Il plaça aux portes de la ville des gardes commis pour outrager les morts que l’on conduisait à leur dernière demeure. Ils perçaient leurs cadavres à coups de poignard et leur appliquaient des fers brûlants. C’était dans la crainte que quelque citoyen ne s’échappât de la ville en se faisant passer pour mort. Arétaphile supportait avec peine ses maux particuliers, malgré la très-grande part que le tyran, fort épris d’elle, lui donnait dans sa puissance. Elle exerçait en effet sur lui une sorte de domination. Inflexible et farouche d’ailleurs, il ne s’apprivoisait que pour elle. Mais ce qui la désolait le plus, c’étaient les malheurs de sa patrie indignement opprimée. Les citoyens étaient égorgés les uns après les autres, et l’on n’espérait de vengeance d’aucun côté : car ceux qui avaient été bannis, se sentant dénués de toute ressource, étaient frappés de terreur et res taient dispersés. Arétaphile voulut se constituer seule l’espérance commune de tous. Le noble courage qui avait rendu si célèbre Thébé, la femme du tyran de Phères, lui inspira à elle-même une glorieuse émulation. Elle était privée, il est vrai, de l’assistance amicale que Thébé avait rencontrée dans sa famille ; mais elle résolut de faire périr Nicocrate par le poison. Préparant toutes choses en vue de ce dessein, elle s’était procuré plusieurs substances vénéneuses. Elle en faisait l’essai, lorsqu’elle fut découverte et dénoncée. Sur les premiers indices, la mère du tyran, Calvia, femme d’un naturel sanguinaire et inflexible, voulait que sans retard on livrât Arétaphile à la mort, après lui avoir fait subir les plus honteux traitements. Nicocrate, au contraire, trouvait dans son amour des prétextes pour retarder et pour adoucir les effets de sa fureur. L’énergie que mettait Arétaphile à repousser les accusations et à se défendre, semblait en quelque sorte justifier ces dispositions. Mais quand elle eut été accablée sous les preuves et qu’elle vit que ses préparatifs d’empoisonnement ne pouvaient se nier, elle en fit l’aveu, prétendant toutefois que ce n’était pas un breuvage mortel qu’elle avait apprêté : « Cher époux, dit-elle, je lutte pour ménager mes plus précieux intérêts, à savoir, la tendresse que vous me portez, ma gloire, et la puissance dont, grâce à vous, il m’est donné de jouir. J’excite donc la jalousie de bien des femmes criminelles dont je redoute les poisons et les artifices, et je me suis laissé persuader que je devais chercher à les prévenir. Je suis folle peut-être, peut-être cédé-je trop aux faiblesses de mon sexe, mais je ne mérite pas un tel sort, à moins que mon souverain juge ne se décide à faire périr, pour avoir usé de philtres et d’enchantements, celle qui éprouvait le besoin d’être aimée de lui plus ardemment qu’il ne le voulait. » Nicocrate crut devoir mettre à l’épreuve la sincérité d’une pareille justification. En présence de Calvia, cette femme dure et implacable, il fit mettre Arétaphile à la question ; mais elle opposa aux bourreaux une fermeté si invincible que sa belle-mère fut lassée et renonça malgré elle. Pour Nicocrate, convaincu de l’innocence d’Arétaphile il fit cesser la torture et se repentit d’y avoir recouru. Peu de jours s’étaient même à peine écoulés, que son amour le ramenait près d’elle et qu’il la reprenait avec lui, faisant tout pour regagner sa bienveillance à force d’hommages et de tendresses. Mais elle ne devait pas céder aux bons traitements quand elle avait triomphé des tourments et de la douleur. Son noble patriotisme s’accrut encore de ses désirs de vengeance, et elle imagina un autre moyen. Elle avait une fille en âge de se marier et suffisamment belle. Ce fut comme un appât dont elle se servit auprès du fils de Nicocrate, parce que le jeune homme devait se laisser facilement prendre à l’attrait du plaisir. L’opinion la plus générale est qu’elle usa d’enchantements et de philtres auprès de sa fille, pour que celle-ci subjuguật le prince et lui fit perdre la raison. Il se nommait Léandre. Une fois épris, il n’eut ni cesse ni trêve que son frère ne lui eût permis de se marier. D’un côté la jeune fille, à qui sa mère avait fait la leçon, se mit dès ce moment à exciter Léandre : elle lui persuada qu’il devait affranchir la ville, que lui-même n’était pas libre sous un gouvernement tyrannique, puisqu’il n’avait pas le droit de prendre ou de garder une compagne. D’un autre côté les amis de ce jeune homme insinuaient toujours dans son esprit des griefs et des soupçons contre son frère, afin de se concilier les bonnes grâces d’Arétaphile. Dès qu’il sut que cette dernière avait les mêmes projets que lui et qu’elle agissait vigoureusement, il précipita l’exécution. Il gagna un domestique appelé Daphnis, et fit par lui donner la mort à Nicocrate. Mais à partir de ce moment, loin de se rapprocher d’Arétaphile, Léandre montra aussitôt par ses actes que s’il avait tué son frère il n’avait pas fait disparaître le tyran, et il déploya le despotisme le plus brutal et le plus insensé. Toutefois Arétaphile jouissait auprès de lui d’un peu d’honneur et d’autorité. Elle ne semblait pas le haïr, et elle ne lui faisait point une guerre ouverte. C’était en secret qu’elle disposait ses plans. D’abord elle suscita contre luiune expédition des Libyens, en déterminant un des petits rois, nommé Anabus, à envahir la contrée et à marcher contre Cyrène. En suite elle calomnia auprès de Léandre les amis et les généraux du tyran : elle lui dit qu’ils n’avaient pas d’ardeur à combattre et qu’ils aimaient bien mieux la paix et leur tranquillité. Elle ajoutait que, du reste, il devait désirer lui-même cet état de choses pour conserver sa vie avec son trône et pour affermir son autorité sur ses sujets. Elle promettait en même temps de ménager une cessation d’hostilités, et se faisait forte, pour peu qu’il l’y autorisât, de déterminer Anabus à un accommodement qui préviendrait les maux à peu près irrémédiables d’une guerre. Léandre l’y invitant, Arétaphile eut d’abord un entretien particulier avec l’Africain ; et à force de largesses, à force d’argent, elle lui fit promettre qu’il s’emparerait de la personne de Léandre lorsque celui-ci se rendrait à la conférence. L’Africain s’y engagea. Pour le tyran, il hésitait ; mais comme Arétaphile lui eut répété qu’elle serait présente à l’entretien, cette déclaration lui fit honte, et il partit sans armes et sans escorte. A peine était-il arrivé, à peine avait-il aperçu Anabus, qu’il fut saisi d’un vif sentiment de répugnance, et il voulait encore attendre ses satellites ; mais Arétaphile, qui était là, sut le retenir en lui adressant tour à tour des paroles rassurantes et des reproches. Il balançait toujours. Alors elle lui saisit la main par un mouvement énergique et résolu, et le fit approcher du Barbare. C’était le livrer tout à fait à l’ennemi. Au même instant on se saisit de sa personne. Arrêté, chargé de chaînes, il fut gardé à vue par les Africains, jusqu’au moment où les amis d’Arétaphile apportant les sommes promises se présentèrent avec les autres citoyens. Ceux-ci en effet, dès qu’ils avaient été informés, étaient accourus en foule à cet appel. Quand ils eurent vu Arétaphile, peu s’en fallut qu’ils n’oubliassent la colère dont ils élaient animés contre le tyran. Le besoin d’assouvir leur vengeance ne fut pas celui qui leur sembla le plus impérieux. Leur premier mouvement, leur premier acte de liberté fut de saluer unanimement cette femme généreuse avec des démonstrations de joie et des torrents de larmes. On se prosternait à ses pieds comme devant la statue d’une déesse. Les flots d’adorateurs se succédèrent sans interruption, et ce ne fut qu’à grand’peine que vers le soir, après s’être fait livrer Léandre, ils retournèrent à la ville. Dès lors, bien rassasiés d’offrir à Arétaphile leurs éloges et leurs hommages, ils songèrent à s’occuper des tyrans. Calvia fut brûlée vive. Léandre, cousu dans un sac, fut jeté à la mer. On décida qu’Arétaphile partagerait le gouvernement de l’État et l’autorité souveraine avec les principaux citoyens. Mais elle, comme ayant conduit un drame des plus longs et des plus compliqués jusqu’au dénouement où la couronne se décerne, elle avait hâte de rentrer dans son gynécée. Elle abjura complétement toute participation aux affaires publiques ; et à dater de ce jour elle passa tranquillement sa vie entière, occupée de travaux d’aiguille, au milieu de ses amis et de ses proches.

CAMMA.

Il y avait en Galatie deux tétrarques puissants, qui étaient assez proches parents l’un de l’autre. Ils se nommaient Sinatus et Synorix. Le premier avait épousé la jeune Camma, remarquable par les charmes de sa beauté et de son âge, mais plus admirée encore à cause de sa vertu. Non-seulement elle était sage et dévouée à son mari, mais en outre elle avait un esprit éminent et une grandeur d’âme peu commune, de sorte qu’elle était adorée de ses sujets pour sa douceur et sa bonté. Ce qui lui donnait plus de relief encore, c’est qu’elle était prêtresse de Diane, la principale divinité des Galates. Dans les cérémonies et les sacrifices on la voyait toujours parée magnifiquement. Synorix devint donc amoureux d’elle ; mais ne pouvant ni par la force ni par la persuasion parvenir à la posséder tant que vivrait son mari, il consomma un forfait odieux. En effet il fit périr Sinatus en employant la ruse ; et à peine un très-bref délai s’était il écoulé, qu’il sollicitait la main de Camma. Celle-ci avait fixé sa demeure dans le temple[34] ; et loin de céder à l’affliction et à l’abattement, elle attendait avec courage et sang froid l’occasion de faire expier à Synorix son forfait. De jour en jour le tétrarque devenait plus pressant, et les raisonsles plus spécieuses ne semblaient pas lui manquer. Il lui disait, que supérieur en tout le reste à Sinatus, il l’a vait fait périr par amour pour elle et non par aucun autre mauvais sentiment. La jeune veuve commença par ne pas opposer des refus trop sévères. Elle sembla ensuite s’adoucir peu à peu, d’autant plus que ses parents et ses amis insistaient auprès d’elle. Comme ils voulaient flatter Synorix et gagner ses bonnes grâces parce qu’il jouissait d’un pouvoir considérable, ils employaient tour à tour auprès de Camma la violence et la persuasion. A la fin elle consentit. Elle lui fit dire de se rendre auprès d’elle, voulant, ce furent ses paroles, « que la déesse devînt garant de leur union et de leur fidélité réciproque ». Quand il se présenta, elle lui tendit affectueusement la main pour le conduire l’autel. Puis après avoir fait des libations avec une coupe, elle avala une partie du breuvage contenu dans cette coupe et fit boire le reste à Synorix : or c’était de l’hydromel empoisonné. Dès qu’elle se fut assuré qu’il avait bu, elle poussa un cri éclatant, et s’étant prosternée aux pieds de la déesse : « Divinité vénérable, s’écria-t-elle, c’est pour voir cette journée que j’ai survécu au meurtre de mon Sinatus ; et durant tout mon veuvage l’espoir de la vengeance a été la a seule douceur que j’aie goûtée dans la vie. Maintenant que cette vengeance est satisfaite, je descends rejoindre a mon époux. Et toi, ô le plus infâme de tous les hommes, a au lieu d’un mariage et d’un lit nuptial c’est un tombeau que les tiens auront à te préparer. » A ces mots le Galate, qui sentait déjà le poison agir et lui torturer les entrailles, s’élança sur son char. Il espérait que le mouvement et l’agitation lui seraient favorables, mais il en descendit bientôt et se fit placer dans une litière. Le soir même il expirait. Pour Camma, elle vécut encore tout la nuit ; elle apprit que Synorix avait cessé de vivre, et ce fut pleine de courage et de joie qu’elle se sentit mourir.

STRATONICE.

La Galatie compta encore deux femmes dignes de passer à la postérité : Stratonice, fille de Déjotarus, et Chiomare, fille d’Ortiagon. Stratonice savait que son mari désirait des enfants légitimes pour laisser le trône à des héritiers ; et comme elle ne pouvait devenir mère, elle lui conseilla elle même de prendre une autre femme : de cette manière il aurait des enfants qu’il substituerait sans scandale aux droits de légitimes héritiers. Déjotarus admira son désinté ressement, et la laissa maîtresse de tout disposer. Alors elle choisit parmi les captives une jeune fille parfaitement belle, à qui elle céda sa place auprès de Déjotarus. Ce prince en eut des enfants, et Strátonice les éleva avec au tant de tendresse et de magnificence que s’ils eussent été les siens propres.

CHIOMARE.

Chiomare, femme d’Ortiagon, se trouva au nombre des prisonnières avec les autres femmes de Galatie quand les Romains, sous la conduite de Cnéius Manlius[35], eurent défait dans une bataille les Galates d’Asie. L’officier qui s’était emparé d’elle abusa de la circonstance en vrai soudard, et il déshonora sa captive. C’était un homme grossier, et il ne connaissait aucune retenue dès qu’il s’agissait de plaisir et d’argent. Toutefois la dernière de ces deux passions fut chez lui la plus forte ; et comme une rançon considérable lui avait été promise en échange de Chiomare, il la conduisit, pour la rendre contre espèces, sur le bord d’un fleuve qui séparait les deux armées. Mais au moment où les Galates, ayant traversé, lui comptaient l’argent et allaient reprendre Chiomare, elle fit signe à un d’entre eux de frapper le Romain qui prenait congé d’elle avec des démonstrations affectueuses. Le Galate obéit, lui trancha la tête, que Chiomare releva pour l’envelopper dans les plis de sa robe, et l’on partit. Quand elle fut arrivée près de son époux elle jeta cette tête devant lui, et comme il s’écriait, transporté d’admiration : « Chère femme, combien la fidélité est une belle chose ! » « Oui, » reprit-elle ; « mais ce qui qui est plus beau encore, c’est qu’il n’y ait au monde qu’un seul homme vivant qui se soit approché de moi. » Polybe raconte avoir eu occasion, à Sardes, de converser avec cette courageuse femme dont il admira le grand cœur et la haute intelligence.

UNE JEUNE FILLE DE PERGAME[36].

Mithridate, après avoir attiré à Pergame sous les apparences de l’amitié soixante des principaux Galates, affectait de leur témoigner du dédain et les traitait en véritable despote. Ils en étaient tous indignés. Un d’entre eux, nommé Porédorax, tétrarque des Tosiopes[37], était remarquable par sa force corporelle et par l’énergie de son caractère. Il se chargea de saisir Mithridate, quand ce prince rendrait la justice sur son siège au Gymnase, et de les précipiter, l’un portant l’autre, dans la fondrière voisine[38]. Le hasard voulut que ce jour-là Mithridate ne se rendit pas au Gymnase et qu’au contraire il manda les Galates chez lui. Porédorax les exhorta de son mieux à prendre courage, à se jeter sur le tyran lorsqu’ils seraient réunis autour de sa personne et à le mettre en pièces après lui avoir donné la mort. Le complot parvint à la connaissance de Mithridate par suite d’une dénonciation, et il livra successivement chacun des Galates au fer du bourreau. Tout à coup il vint à se souvenir d’un jeune homme qui, parmi eux, l’emportait de beaucoup sur ceux de son âge en grâce et en beauté. La compassion et le repentir agitèrent son cœur ; et il se montra d’autant plus affligé, que le jeune homme devait avoir été une des premières victimes. Toutefois il envoya au plus vite quelqu’un, avec ordre de le relâcher s’il était trouvé vivant encore. Cet adolescent se nommait Bépolitanus, et son bonheur en cette circonstance fut merveilleux. Au moment où il avait été arrêté il portait un vêtement des plus beaux et des plus riches, que le bourreau voulut se réserver sans le salir et le tacher de sang. Il s’y prenait donc tout à l’aise pour dépouiller Bépolitanus. Ce fut pendant ce délai qu’il vit accourir ceux qui venaient de la part du roi, et qui, en même temps, criaient le nom du jeune homme. Voilà comment celui-ci fut sauvé, contre toute attente, par l’avidité, passion qui en a perdu tant d’autres. Quant à Porédorax, après avoir été mis en morceaux il fut jeté sans sépulture, et aucun ami n’osa même approcher de ses restes. Seule une jeune fille de Pergame, que sa beauté avait fait connaître du Galate quand il vivait, tenta d’ensevelir son corps après l’avoir enveloppé. Mais les gardes s’en aperçurent, et ils la conduisirent devant le roi. On dit qu’en la voyant Mithridate éprouva une vive émotion, tant sa jeunesse et sa candeur la faisaient ressembler à une enfant ; et, comme il il est naturel, cette émotion augmenta lorsqu’il sut que l’amour avait inspiré un tel courage. Il se laissa fléchir. Il permit à la jeune fille d’enlever et d’ensevelir le mort ; et les vêtements funèbres, ainsi que tout l’appareil de la sépulture,

furent prélevés[39] sur la fortune de Porédorax.

TIMOCLÉE.

Théagène le Thébain, animé pour les intérêts de sa patrie des mêmes sentiments qu’Epaminondas, que Pelopidas, que les plus braves citoyens, échoua contre la fatalité qui accabla la Grèce entière à Chéronée. Il succomba au moment où, déjà victorieux, il poursuivait l’ennemi l’épée dans les reins. Ce fut même à lui qu’un des fuyards criait : « Jusqu’où nous poursuivras-tu ? » et Théagène lui répondit : « Jusqu’aux frontières de la Macédoine ». En mourant il laissait une sœur, dont le mérite suffisait pour attester que le frère n’avait pas été plus grand et plus illustre par ses vertus personnelles que par un courage tout héréditaire. Du reste elle recueillit elle-même les fruits de sa propre vertu, qui la mit en état de supporter plus légèrement sa part de toutes les calamités communes. Alexandre avait pris Thèbes. Ses soldats s’étaient répandus dans les différents quartiers de la ville pour s’y livrer au pillage. Le chef qui avait fait main basse sur la maison de Timoclée, se trouva être un homme étranger à toute douceur, à tout sentiment humain, et brutal jusqu’à la stupidité. Il commandait un bataillon de Thraces, et il s’appelait comme le roi, à qui, du reste, il ne ressemblait en rien[40]. En effet, incapable de concevoir du respect pour la naissance et la conduite de Timoclée, il la fit venir après le repas quand il se fut gorgé de vin, et il voulut qu’elle couchât avec lui. Ce ne fut pas la fin. Il se mit, en outre, à la re cherche de l’or et de l’argent qu’il supposait avoir été cachés par elle ; et à ce sujet tantôt il l’accablait de menaces, tantôt il lui promettait de l’élever tout à fait au rang de son épouse. Timoclée saisit l’occasion qu’il lui présentait ainsi. « J’aurais dû », lui dit-elle, « mourir avant cette nuit fatale, pour conserver du moins, quand j’avais tout perdu, mon corps exempt d’outrages. Mais puisque le sacrifice est ainsi consommé, puisqu’il me faut voir en vous un protecteur, un maître, un époux que m’impose le Ciel, je ne vous priverai pas de ce qui vous appartient : car je ne le vois que trop, je suis devenue tout ce qu’il vous plaira a que je sois. Je possédais de riches atours, de la vaisselle d’argent, de l’or et des sommes considérables. Mais la ville une fois prise, je chargeai mes servantes de faire de toute cette fortune un seul monceau, que j’ai jeté, ou plutôt déposé, dans un puits qui se trouve à sec. Il n’y a pas beaucoup de personnes qui le sachent, attendu que ce puits a un couvercle, et qu’il est entouré d’un taillis très ombragé. Puissent ces trésors, quand vous les aurez pris, assurer votre bonheur ! Ce seront du moins à vos yeux des témoignages qui vous feront connaître la prospérité et l’opulence dont jouissait notre maison. » Ayant entendu ces paroles le Macédonien n’attendit même pas qu’il fût jour, et se dirigea incontinent vers ce lieu, Timothée marchant devant lui. Il ordonne de fermer le jardin pour n’éveiller l’attention de personne ; et, vêtu de sa seule tunique, il descend dans le puits. C’était Clotho, la redoutable vengeresse, qui l’y conduisait, sous les traits de Timoclée restée à la surface du sol. Quand elle sentit, à l’intonation de la voix, qu’il était arrivé jusqu’au fond, elle fit pleuvoir, pour sa part, une grèle de pierres. De leur côté ses servantes y en apportèrent, en les roulant, un grand nombre de plus lourdes, et cela jusqu’à ce qu’elles l’eussent mis en pièces et enseveli sous cet amas. Les Macédoniens informés de l’aventure retirèrent le corps ; et comme un décret antérieur ordonnait de ne plus faire périr aucun Thébain, ils arrêtèrent Timoclée, et la conduisirent devant le prince, à qui fut conté cet acte audacieux. Alexandre voyant la fermeté de son regard et la gravité de sa démarche, jugea tout aussitôt de sa dignité et de son courage. Il lui demanda d’abord quelle était sa condition de femme. Mais elle, sans témoigner la moindre émotion et d’un air résolu : « J’avais pour frère, » lui dit-elle, « Théagène qui commandait à Chéronée, et qui périt en combattant contre vous autres pour défendre l’indépendance des Grecs et nous préserver des horreurs que nous subissons. Mais puisque nous sommes réduits à une situation si peu digne de notre naissance, nous ne reculons point devant la mort ; et tout sera meilleur à a mes yeux que de passer, si vous ne pouvez y mettre obstacle, une nuit pareille à la précédente. » Les plus sensibles de l’assistance[41] fondirent en larmes ; mais pour Alexandre, il ne songea pas à plaindre une femme qui lui semblait si fort au-dessus de la pitié. Ce fut de l’admiration que lui inspirèrent et cette vertu et ces paroles qui l’accusaient puissamment lui-même. Il donna ordre à ses officiers de veiller sur elle et de prendre des précautions pour que des excès aussi injurieux ne fussent pas commis de nouveau contre une illustre maison. Quant à Timoclée, il la renvoya libre, elle et tous ceux qui furent reconnus lui appartenir à titre de parenté.

ERYXO.

Battus, surnommé l’Heureux, eut pour fils Arcésilaüs, qui sous le rapport des mœurs ne rappelait en rien son père. Car Battus,de son vivant, l’avait condamné à un talent d’amende parce qu’il avait fait entourer sa demeure de créneaux. Après la mort de son père, cet Arcésilaüs, obéissant à une férocité naturelle qui lui valut même son surnom, et de plus aux conseils d’un méchant ami, nommé Laarque, devint un tyran au lieu d’être un roi. Laarque, qui lui-même aspirait traitreusement au pouvoir, provoquait l’exil ou la mort des principaux Cyrénéens et multipliait les griefs accumulés contre Arcésilaüs. Il finit, en lui donnant à manger du lièvre marin, par le faire tomber dans une maladie de langueur qui devint mortelle. Quand Arcesilaüs fut expiré, il prit le pouvoir sous prétexte de le conserver à Batius, fils du prince. En raison de son bas âge et d’une infirmité qui le rendait boiteux, l’enfant était méprisé. Mais un grand nombre de citoyens s’intéressaient à la mère, femme d’une haute sagesse, d’une grande humanité, et qui tenait à des familles nombreuses et puissantes. Aussi Laarque, lui faisant une cour assidue, demanda-t-il sa main. Il promettait, s’il devenait son époux, d’adopter Battus pour fils et de partager le trône avec lui. Eryxo, c’était le nom de cette princesse, après avoir pris conseil de ses frères, autorisa Laarque à s’aboucher avec eux, comme si pour sa part elle acceptait ce mariage. Laarque s’adressa donc aux frères ; mais à dessein ils traînaient en longueur, et suscitaient des retards. Alors Eryxo envoya auprès de Laarque une de ses esclaves chargée de lui dire : « Que ses frères, à la vérité, élevaient pour le moment des oppositions, mais qu’ils cesseraient toute résistance et donneraient leur consentement si Laarque et elle avaient ensemble un commencement de relations ; que si donc il le voulait bien, il eût à se rendre près d’elle pendant la nuit, et qu’une fois l’affaire commencée le reste marcherait au mieux. » C’était mettre Laarque au comble de la joie. La proposition amoureuse de la jeune femme le fit donner tête baissée dans le piége ; et il promit de venir dès qu’elle aurait commandé. Eryxo s’était en tendue en cela avec Polyarque, l’aîné de ses frères. Le moment est déterminé pour un rendez-vous, et Polyarque est en secret introduit dans l’appartement de sa sœur avec deux jeunes gens armés d’épées. C’étaient des fils ardents à venger le trépas de leur père mis précisément à mort depuis peu sur l’ordre de Laarque. Eryxo l’ayant donc envoyé chercher, il arriva sans aucun de ses satellites. Les jeunes gens le tuèrent de leurs épées, et son cadavre fut jeté par-dessus les remparts. On fit alors paraître Battus. Il fut déclaré roi en vertu des titres qu’il tenait de ses pères[42], et Polyarque rendit aux Cyrénéens leur ancienne forme de gouvernement. Cependant il se trouvait alors dans Cyrène un grand nombre de soldats d’Amasis. Ils étaient dévoués à Laarque, et pour la ville c’était le sujet d’alarmes sérieuses. Ces soldats députèrent vers Amasis quelques-uns d’entre eux, chargés de lui apprendre la conduite de Polyarque et d’Eryxo. Il entra dans une grande fureur. Déjà il songeait à déclarer la guerre aux Cyrénéens quand sa mère vint à mourir, et il dut s’occuper de ses funérailles. Dans l’intervalle on était venu annoncer quelles étaient ses intentions. Polyarque jugea donc qu’il ferait bien d’aller se justifier auprès de lui. Eryxo ne souffrit pas que son frère partît seul : elle voulut le suivre et partager ses périls. Leur mère elle-même, Critola, bien que d’un âge fort avancé, ne se sépara point d’eux. C’était une femme entourée de la plus grande considération, et sœur du premier Battus, l’heureux. Quand ils furent arrivés en Égypte, l’acte par eux consommé avait déjà inspiré à tout le monde une grande admiration. Amasis en particulier accueillit avec un empressement extraordinaire la sage et courageuse Eryxo ; et il ne laissa repartir Polyarque et les deux femmes qu’après les avoir honorés de présents et traités comme personnages de condition royale.

XÉNOCRITE.

Ce n’est pas une moindre admiration que doit inspirer l’héroïne de Cumes, Xénocrite, pour la manière dont elle se conduisit avec le tyran Aristodème, surnommé le Délicat[43]. Disons en passant, que ceux qui croient comprendre l’origine de ce surnom ignorent la vérité. Les Barbares le surnommèrent « Délicat, » qui équivaut à « impubère », parce qu’il était à peine sorti de l’enfance. Il se trouvait au nombre des jeunes garçons qui gardaient encore leur chevelure, (on les nommait « coronistes, » sans doute à cause de cette chevelure) lorsqu’il figura dans les guerres entreprises contre les Barbares. Là il s’était distingué et avait acquis de l’illustration. Ce n’était pas seulement son audace et ses coups de main, c’était encore sa pénétration et sa prévoyance, qui l’avaient rendu remarquable entre tous. Aussi ses concitoyens pénétrés d’admiration l’élevèrent-ils aux premiers emplois ; et il fut mis à la tête du secours que l’on envoyait aux Romains vivement pressés par les Etrusques, lorsque ceux- ci voulaient rétablir sur son trône Tarquin le Superbe. Dans cette expédition, qui fut d’assez longue durée, Aristodėme mit tout en œuvre pour être agréable à ceux de ses concitoyens qui formaient son corps de troupes. Bien plus jaloux de flatter les passions populaires que de justifier son titre de général, il leur persuada de se porter avec lui contre le Sénat[44] et de chasser de la ville les meilleurs et les plus puissants. Devenu maître du pouvoir à la suite d’un tel coup, il se surpassa lui-même en scélératesse par les indignités qu’il exerça contre des femmes et des enfants de condition libre. En effet on rapporte qu’il habituait les garçons à laisser croître leurs cheveux, à porter des parures en or ; que les filles, au contraire, étaient forcées de se faire raser la tête en rond, d’avoir des chlamydes de jeunes garçons et de petites tuniques écourtées[45]. Quoi qu’il en soit, il s’éprit tout particulièrement de Xénocrite, dont le père était exilé, et il la posséda. Il aurait pu rappeler le père et obtenir son consentement. Mais il pensa que la jeune fille serait trop contente d’être à lui, n’importe à quel titre, du moment qu’elle verrait toute la ville envier le sort qu’elle avait et l’estimer bien heureuse. Cependant une telle condition ne la frappa point de vertige. Honteuse de vivre avec un homme à qui elle n’avait été ni mariée ni fiancée, elle ne désirait pas moins que les ennemis de l’usurpateur l’affranchissement de son pays. Il arriva dans ces conjonctures, qu’Aristodème faisait creuser tout autour de la ville un vaste fossé, travail qui n’était ni nécessaire ni utile. Il voulait sans nul motif[46] vexer ses concitoyens, les accabler de fatigues et ne leur laisser aucune trêve. Chacun avait une certaine quantité de terre à transporter tous les jours. Une femme[47] qui travaillait comme les autres voyant Aristodème venir de son côté, détourna la tête et se cacha le visage avec sa tunique. Quand il fut parti les jeunes gens se moquaient d’elle, et lui demandaient en riant pourquoi elle se dérobait ainsi par une sorte de pudeur aux regards du seul Aristodème, et pourquoi les autres ne lui inspiraient pas le même sentiment : « C’est », répondit-elle d’un air très-sérieux[48], « parce que dans Cumes il n’y a qu’Aristodème qui soit un homme ». Cette parole produisit sur tous une profonde impression, et la honte qu’en ressentirent les plus généreux leur inspira le dessein de reconquérir leur liberté. Xénocrite qui le sut, dit, à ce que l’on rapporte, qu’elle aimerait mieux, elle aussi, charrier de la terre pour voir son père rappelé que de partager le luxe d’Aristodème et un si grand pouvoir. Elle les encouragea donc au complot qu’ils organisèrent contre le tyran, complot dont le chef était Thymotèle. Grâce aux facilités qu’elle leur ménagea pour parvenir jusqu’à la personne d’Aristodème, ils le trouvèrent désarmé et sans gardes. Ils s’emparèrent de lui facilement et le massacrèrent. Ainsi fut délivrée la ville de Cumes, grâce à l’énergie de deux femmes[49], l’une qui leur inspira l’idée et le courage de tenter l’entreprise, l’autre qui leur en prépara le succès. On offrit à Xénocrite des honneurs et des récompenses considérables. Elle relusa tout, ne réclamant que le droit d’ensevelir le corps d’Aristodème, ce qui lui fut accordé. En outre on la choisit pour prêtresse de Cérès, et l’on pensa que cette distinction ne serait pas moins agréable à la Déesse qu’elle n’était convenable pour Xénocrite.

LA FEMME DE PYTHÈS.

On dit que la femme de Pythès, lequel vécut au temps de Xerxés[50], était aussi un modèle de haute raison et de vertu. Ce Pythès, à ce qu’il paraît, avait découvert des mines d’or ; et passionné outre mesure pour les richesses qu’il en tirait, il était d’une insatiabilité sans bornes. Non-seulement il y travaillait lui-même, mais il forçait tous ses sujets, sans distinction aucune, d’en faire autant. Ils étaient obligés de déterrer l’or, de le transporter, de le nettoyer : c’était leur occupation constante, leur travail exclusif. Un grand nombre y avaient péri, et tous étaient découragés. Les femmes vinrent déposer des rameaux de suppliantes à la porte de l’épouse de Pythès[51]. Elle leur dit de s’en retourner pleines de bon espoir. Elle fit venir ensuite les ouvriers orfévres en qui elle avait le plus de confiance, et les ayant enfermés, elle leur commanda de figurer en or des pains, des gâteaux de toute sorte, ainsi queles mets et les friandises qu’elle savait être particulièrement agréables à Pythès. Ils confectionnèrent tous ces objets. Précisément Pythès revenait d’un voyage qu’il était allé faire hors de son pays. Il demanda qu’on lui servît à souper. Sa femme ordonna de placer devant lui une table en or sur laquelle il n’y avait rien qui fût bon à manger, mais rien, aussi, qui ne fût en or. Au premier coup d’oeil Pythès se montra enchanté de ces imitations, mais unefois qu’il eut rassasié ses regards il voulut manger. Sa femme lui servit en or tous les mets qu’il se trouva désirer. Alors il s’impatienta, criant qu’il avait faim. Mais elle lui dit : « Il n’y a que cela dont vous ayez répandu l’abon dance parmi nous : le reste nous manque. Toute industrie, tout art a disparu. Personne ne laboure la terre. Semailles, plantations, récoltes propres à la nourriture, il n’est rien que nous n’ayons laissé de côté pour déterrer et a chercher un métal inutile : c’est à quoi nous nous épuisons, nous et nos concitoyens. » Ces remontrances émurent Pythès. Sans renoncer complétement à l’exploitation de ses mines, il n’y fit plus travailler qu’un cinquième des habitants et à tour de rôle. Il tourna les autres du côté de l’agriculture et des arts. Quand Xerxès marcha contre les Grecs, Pythès qui avait déployé la plus grande magnificence pour le recevoir et pour lui offrir des présents, demanda une grâce au monarque : c’était que parmi tous ses enfants, et il en avait un grand nombre, un seul fût exempt de partir à l’armée et restât avec lui pour soigner sa vieillesse. Xerxès, irrité, fit égorger et couper en deux ce seul fils que demandait Pythès, et donna l’ordre à son armée de passer entre les lambeaux du cadavre ; après quoi il emmena les autres fils avec lui. Tous périrent dans diverses batailles. Désespéré d’une telle barbarie, Pythès éprouva ce qui arrive à beaucoup d’hommes dépourvus d’énergie et de sens. Il redoutait la mort et la vie lui était insupportable ; il ne voulait plus vivre, mais il n’avait pas assez de force pour se défaire de l’existence. Or il y avait dans la ville une vaste plate-forme au pied de laquelle coulait un fleuve nommé le Pythopolitès. Il s’y fit construire un monument funéraire ; et il détourna le courant des eaux, de manière à ce qu’en traversant la plate-forme elles vinssent baigner le sépulcre. Ce travail achevé, il descendit seul dans le monument après avoir remis à sa femme et le pouvoir et le gouvernement absolu de la ville. Mais il lui défendit d’approcher jamais de ce côté : elle devait seulement lui faire parvenir chaque jour son repas, déposé dans une petite nacelle, jusqu’au jour où l’esquif continuerait sa route, rapportant les vivres intacts : dès lors il y aurait lieu de cesser tout envoi parce que Pythès n’existerait plus. C’est ainsi qu’il passa le reste de sa vie. Pour sa femme, elle administra le pouvoir avec sagesse, et elle apporta un heureux changement aux maux que les citoyens avaient soufferts.


FIN DU PREMIER VOLUME

  1. Guerre du Péloponnèse, liv. II, à la fin du discours de Périclès.
  2. Amyot : « que c’est un mesme art de peindre les femmes que les hommes. » Ce n’est pas du tout la pensée de Plutarque, du moins à notre sens.
  3. D’autres : « Baccis », « Brocchis. »
  4. La pensée de l’auteur est difficile à bien saisir. Elle a quelque solidité cependant.
  5. Amyot ajoute : « roy de Lacedæmone. »
  6. Amyot : « Et elle devint très renommée entre les femmes. »
  7. Amyot ajoute : « espérant la surprendre vuide d’habitants. »
  8. Ces cinq derniers mots ne sont pas reproduits par Amyot.
  9. Amyot ajoute : « retournant d’aulcun voyage lointain ; »
  10. Littéralement : « les Ceites. »
  11. Ainyot : « du bourg de Lauria. »
  12. C’est un autre nom qui désigne ces émigrés tyrrhéniens. Amyot supprime cette mention qui est importante et qui, en même temps, a sa difficulté.
  13. Amyot : « Ils prirent pour leurs capitaines Pollis, Adelphus et Crataïdas, Lacédémoniens. » Du mot qui veut dire « frère, » il a fait un nom propre : « Adelphus. »
  14. Les poëtes feignent que c’estoit un cheval ailé ; mais il est vraysemblable que c’estoit un vaisseau fort léger. Note d’Amyot.
  15. Amyot ajoute : « roy de Lycie. »
  16. Amyot ajoute : « homme de grand entendement. »
  17. Amyot ajoute : « pour seureté de la capitulation. »
  18. Amyot : « les Massiliens, »
  19. Le deuxième de tous ces récits est intitulé aussi Phocéennes. Wyttembach voudrait que celui-ci fût intitulé plutôt : Amphissiennes.
  20. Amyot ajoute : « qui vault autant à dire comme les forsenées. »
  21. Amyot : « jusqu’aux montagnes. »
  22. Amyot ajoute : « pour passer la rivière. »
  23. Amyot supprime : « au dessus de son sexe. »
  24. Amyot : « on en voit encore aujourd’hui. »
  25. Amyot : « sous les pieds des chevaux. »
  26. Amyot ajoute : « en la prison. »
  27. Amyot : « A la vue du pronostique. »
  28. Amyot : « de ces honestes dames. »
  29. Amyot ajoute : « et d’autorité dans la ville. »
  30. Amyot entend d’une autre manière : « La feit rendre suppliante à son à son autel et foyer domestique », et il ajoute à la phrase entière un développement qui n’est pas dans le texte : « Hypsicréon l’envoya bien redemander, mais les Naxiens, etc. »
  31. Ce « outre qu’il avait été » nous semble être exprimé dans le texte, bien qu’aucune interprétation ou traduction ne le reproduise.
  32. Amyot ajoute : « pendant que les habitants estoient à ce festin. »
  33. Peut-être « des héroïnes. » — Amyot : « elle feict un acte comparable à tous les plus magnanimes conseils des antiques demy-déesses. »
  34. Peut-être : « faisait de fréquentes stations dans le temple. »
  35. Mot à mot : « Quand les Romains et Cn. Manlius eurent défait, etc. »
  36. Amyot fait, dans son texte même, précéder ce récit de toute une transition : « Mais puisqu’il est venu à propos de faire mention des Galates, j’en réciterai encore une telle histoire. »
  37. Wyttembach veut qu’on lise « des Tolistobages. »
  38. Le texte dit simplement : « dans la fondrière. » Amyot entend : « que Porédorax vouiait se précipiter aussi. »
  39. Tous entendent : « .... de l’ensevelir aux frais de la couronne. » Nous croyons que notre sens, bien que peu satisfaisant en apparence, est seul autorisé par le grec.
  40. Toute cette dernière phrase incidente manque dans la traduction d’Amyot.
  41. Amyot : « Tous les gents d’honneur qui furent là présent se prirent a plorer. »
  42. Amyot : « déclaré roy à la mode et coustume du païs. »
  43. Amyot ajoute : « qui vault autant à dire comme mol pour la dissolution de ses meurs. » Cette paraphrase semble contredire l’explication du mot, telle que Plutarque la donne un instant après.
  44. Amyot ajoute : « quand ils seroient de retour. »
  45. Amyot : « des sayes sans manches. »
  46. Nous donnons ici une valeur réelle à l’adverbe άλλωζ
  47. Par suite d’une lacune qui existe dans le grec, le nom de cette femme n’est pas exprimé, et Amyot suppose que c’est Xénocrite. La fin de l’histoire prouve clairement que ce n’est pas d’elle qu’il s’agit à cet endroit.
  48. Ces mots : « d’un air très-sérieux » ne sont pas reproduits par Amyot.
  49. Amyot : « par deux vertus d’une femme ». C’est la suite de son contre-sens signale en la note 4 de la page précédente.
  50. Amyot : « .... vécut du temps que le roy Xerxès veint faire la guerre aux Grecs. »
  51. Amyot ajoute : « pour l’esmouvoir de pitié, et la prier de les vouloir secourir à ce besoing. »