Vie de Marie-Antoinette d’Autriche, reine de France, femme de Louis XVI, roi des Français/5

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Lettres trouvées dans un petit porte-feuille verd, renfermé dans un compartiment secret du bureau de la reine.

Cette lettre est écrite au cardinal de Rohan, avant l’affaire du collier.


Mon cher esclave[1], tes sollicitudes amoureuses m’ont hier fait perdre la tête. Enivrée de la douce rosée que tu répandis sur ta souveraine à longs flots, elle s’abandonna trop à la passion que tu lui inspiras, et mon époux fut sur le point de me surprendre dans le désordre où tu me laissas. Quelle indiscrétion de m’abandonner ainsi, avant que mes sens ne soient entièrement revenus du délire enchanteur d’un amour violent ! Plus donc de ces oublis, qui compromettent mon repos et ta félicité. Viens ce soir me demander excuse de ce brusque départ ; viens me le demander avec cette soumission d’un esclave, qui fait tout pour calmer et appaiser son maître irrité. Tu sais avec quelles armes l’on vient à bout de m’attendrir ! Je compte qu’elles seront victorieuses, et je suis, en attendant tes moyens de défense, ta souveraine et ta reine.... etc…

Réponse à ce billet.

Ô ma souveraine ! ô ma bien aimée ! J’ai besoin de toute votre indulgence pour pardonner mes étourderies ; mais elles sont bien excusables, elles proviennent d’un amour qui n’eût point son égal. En vérité l’excès de vos faveurs me fait tourner la cervelle ; souvent tout le jour, l’ame occupée du bonheur qui m’attend dans vos bras, j’éprouve une palpitation continuelle, qui me coupe l’usage de la parole. La nature cède à l’amour, et quelque chose en moi veut me faire devancer l’heure du rendez-vous ; je ne suis occupé qu’à contenir ce quelque chose, qui fait toute ma joie lorsqu’il peut vous être agréable. Dans ce moment où je m’entretiens de vous, il me sert de pupître, et mes tablettes, agitées par sa vacillation redoublée, ne me laissent point la faculté de peindre, en beaux caractères, les sentimens dont je suis animé. Pardonnez à mon gribouillage, et grondez bien fort ce soir celui qui en est la cause....

Votre docile esclave.

Autre billet au même.

Ton gribouillage, cher esclave, me plaît, et je n’ai rien lu qui me fit tant de plaisir : l’amour étoit mon secrétaire, et m’aidoit à déchiffrer ce qu’il avoit lui-même prit plaisir à embrouiller. Ce désordre dans tes lignes me peignoit, au vrai, la forte agitation de ce quelque chose que tu me recommandes de gronder !.. Je n’en ferai rien, et le triomphe l’attend.

Je n’ai plus qu’une heure, et je l’employe à penser aux moyens de nous procurer de nouveaux plaisirs, et à bien régaler ce petit mutin, qu’à peine nous pouvons contenir ; je le logerai tant à l’étroit, qu’il faudra bien qu’il aille droit son chemin. Adieu, je suis aussi folle que toi, et ce n’est pas peu dire.....

Au même.

Ton admission au cardinalat, je vois bien, t’a donné le goût romain. Tu m’as ouvert une nouvelle route au plaisirs, et nous la fréquenterons quelquefois. Je suis Comme le bon la Fontaine : diversité est ma devise, je me plais à changer, et je trouve que la nature n’a pas assez varié ses moyens enchanteurs ; ils ne balancent pas assez l’abondante mesure des peines qu’elle a répandues sur nous.......... Mais comment me trouves-tu ? à mon âge philosopher ! Ô ! rejetons loin de nous ces idées attrabilaires, qui ne peuvent plaire qu’à ceux que la nature a blasés. Jouissons, mon ami, du temps présent et de nos avantages, sans nous occuper de l’avenir. N’oublies pas la promesse que tu m’as faite de venir troubler, agréablement, ma solitude dans le bosquet écarté, où ton amour me fit tant éprouver de plaisir. Campan veillera sur nous, et Adélaïde, de son côté, nous assurera un tête-à-tête, duquel je me promets une source abondante de plaisir. Prends bien tes dimensions pour me oindre secrètement ; je m’occuperai en t’attendant à te faire une couronne des plus belles roses de ce petit réduit. Cette couronne, formée de mes mains, ne peut t’être accordée que par l’amour : c’est à lui à dédier la victoire.

Au comte d’Artois.

Écervellé, imprudent, téméraire, je ne trouve point de termes pour te peindre ma colère. Comment, sans respect pour l’amitié fraternelle, tu m’as f...... jusque sur le lit de mon époux !...... Mais, mais, voilà de ces choses qui ne peuvent être faites que par toi. Tout autre auroit cherché à excuser ce moment de délire par des mouvemens tempérés, mais toi, bien au contraire, ton audace s’est accrue ; tu m’as poussé si vigoureusement que j’ai perdu l’usage de la parole, et que je n’ai pu te résister, comme mon devoir me l’ordonnoit. Malgré mon trouble, mon embarras, j’ai bien senti que tu allois loin, et pour cette fois je crois, que tu te punis toi-même, car, à coup sûr, il te viendra un neveu de cette aventure ; c’est alors que je rirai de ton imprudence : mal y veut, mal y tourne, dit un ancien proverbe. Si mon mari ne peut me rien faire, est-ce à toi de le suppléer ? Déjà j’ai eu occasion de te gourmander pour une imprudence, pas tout-à-fait si forte que celle-ci, mais qui n’en étoit pas moins imprudence ; dans ma loge à l’opéra, oser glisser une main libertine, et pénétrer dans le sanctuaire de Vénus !.... Je t’avois pardonnée cette petite étourderie, mais pour celle d’hier je ne puis la passer si légérement. J’exige que trois fois tu fasses réparation à l’endroit outragé, et cela pas plus tard que ce soir, derrière l’allée des tilleuls. Voilà comme j’aime à me venger d’un audacieux, dont les coups redoublés jettent l’alarme dans tout le pays de Cipris.

Réponse à la précédente.

Ton courroux, ma petite sœur, est fort plaisant, et tu me fais de ces reproches qui valent mieux que des complimens ; j’admire ton adresse à m’inviter de faire infidélité à l’union conjugale ; ce soir, sous l’allée des tilleuls, je te prouverai que je suis homme d’honneur, et que je ne refuse pas un cartel proposé par toi. Tu exiges de moi trois excuses à l’endroit outragé !..... Ma soumission est si grande que je lui en promets six, et je tiendrai ma promesse.

À propos, ma femme se doute de quelque chose, soyons plus réservés à l’avenir, car je ne voudrois point gager qu’elle ne nous fit une scène avec mon frère.... À ce soir, j’achèverai le petit neveu dont tu me menaces. J’aime mieux perdre l’espoir d’une couronne, que de me priver des plaisirs que l’on goûte avec toi. Je te baise un million de fois, et j’attends, avec l’impatience d’un amour extrême, l’heure du berger...... Adieu, adieu ; à ce soir.....

Toujours au Comte d’Artois.

Tu avois bien deviné sur la jalousie de ta femme, elle m’a touché hier quelque chose de notre intelligence. J’ai fait la sourde oreille, et n’ai point paru comprendre. Notre station, dans l’allée des tilleuls, nous a vendus ; elle a été trop longue, et tu m’a mis dans un état, en vérité, qu’il ne falloit pas être sorcier pour deviner ce qui venoit de se passer. Heureusement que j’avois eu la précaution de faire boire abondamment mon époux. Cependant, je crus qu’il seroit à-propos de lui faire tenter de jouir des plaisirs conjugaux, car rien ne m’ôtera dans l’idée que je pourrois devenir enceinte, et il est utile de lui faire croire un miracle, qu’il ne peut opérer. Quelques agaceries lui firent connoître une partie de mes intentions ; il entreprit, pour lui, ce rude ouvrage ; je mis tout en œuvre pour faire parler l’amour, il resta muet. Cependant j’introduisis dans le temple sacré de Vénus son flasque priape ; je sais que j’outrageai les amours, mais la circonstance l’exigeoit. Enfin, avec tout mon art, je parvins à lui montrer l’étincèle du plaisir, et je fis semblant d’en prendre moi-même, et beaucoup ; je me pamai, je portai ses mains sur ma gorge, encore brûlante de tes feux : voilà le seul attouchement qui me fit sensation. J’avois beau serrer étroitement mon prisonnier, je ne le sentois qu’en imagination, et ton souvenir ne contribua pas de peu à me donner encore quelque plaisir.

Mon époux enchanté, crut avoir fait merveille, et je lui dis : pour cette fois nous avons un héritier ; il ne se posséda pas d’aise, et il instruisit, ce matin, tout le monde de sa victoire. Tu vois qu’il est essentiel de ne pas me faire promettre équivoquement, mais je ne veux plus que tu t’hasardes dans les bosquets, tu n’est pas assez prudent, et malgré le vif plaisir que j’ai de fouler les roses ; je ne m’y exposerai plus avec toi.

J’ai parlé à la Montansier qui me fait préparer un boudoir, dont tu auras l’étrenne. Adieu, songe à notre héritier de commande.

Lettre du cardinal de Rohan.

Le très-humble esclave a-t-il donc perdu les bonnes graces de sa souveraine ? et par quel crime a-t-il pu les perdre, Ô vous qui êtes l’essence de ma vie, instruisez-moi par quels moyens je puis rentrer en faveurs auprès de vous, et qui a pu vous faire dédaigner mes feux ? Je me suis adressé à Campan plusieurs fois pour savoir s’il n’auroit pas quelques bonnes nouvelles à m’apprendre : il m’a désolé par son silence. Expliquez-vous, je vous prie, à cet égard, si vous ne voulez pas apprendre la mort du malheureux, qui ne peut vivre sans ses chaînes.

Réponse à la précédente.

En Vérité, cher esclave, ton épître vaut une élégie de d’Arnaud, elle m’a fait rire. Tu demandes ton crime, il est dans ma légèreté. Un autre amour m’a, pour quelques instants, distrait du tien ; ne m’en veut pas pour cela, je suis bonne, et ne puis résister au plaisir de soulager ceux qui me disent, avec bonne foi, qu’ils souffrent pour moi. Mais pour cela je ne t’ai point oublié, et, pour t’en donner des preuves, trouves-toi ce soir sous le grand oranger que tu connois si bien. Mais n’y viens pas avec cet air rembruni qui règne dans ton glacial billet ; rappelles près de toi les ris, et les jeux, et nous les unirons aux graces d’un rendez-vous amoureux.

Lettre du cardinal.

Graces, graces vous soient mille fois rendues, ma souveraine, pour avoir traité votre humble esclave beaucoup mieux qu’il ne mérite. Vous m’avez bien récompensé de quelques momens de privation, et je ne sais, en vérité, où votre esprit ingénieux peut trouver les ressources inépuisables de volupté ; c’est tous les jours de nouvelles imaginations, et l’Arétin, ce fameux sectateur de l’amour, ne fut qu’un ignorant près de vous. Votre génie fertile vous produit de nouvelles jouissances ; c’est à vous à faire le code de l’amour : l’on le croiroit dicté par ce dieu même.

Quelle grace dans les attitudes ! quels mouvemens légers et arrondis ! Comme cela va bien chercher le plaisir jusque dans ses plus profonds réduits ! Toute la nature se dilate, il n’est point de partie qui ne prenne part à ces douces jouissances...... L’idée encore de ces tableaux, que je voudrois pouvoir peindre en traits de feux, me met hors de moi..... Ah !.... je ne..... puis retenir la nature..... Elle s’épanche.... elle m’échappe..... Ah !...... Ah !.... ma plume tombe de ma main......

Réponse à la précédente.

Le désordre de ta lettre, cher esclave, m’a fait hier, partager ton plaisir, et je n’ai point voulu que rien soit perdu pour moi. Sans m’arrêter aux complimens, dont tu partages la moitié, je me suis représenté les momens délicieux que nous passâmes ensemble, et m’en suis fait faire une répétition, informe il est vrai, par mon massif époux ; tu penses bien que l’imagination a tout fait, je n’ai pas laissé que de prendre du plaisir dont tu fus l’objet. Eh bien, ces grâces, dont l’idée seule te fait échapper la nature, ne peuvent en réalité produire un demi succès au premier homme de france ! Ô nature que tu es bizare !...... Après une légère épreuve il ronfla royalement, et me laissa plus animée qu’avant. J’achevai l’ouvrage qu’il avoit si mal commencé, et..... mais de la discrétion, la peinture de ce tableau te feroit peut-être retomber dans tes extases, et j’aime mieux que tu conserves pour d’autres momens ces doux présens de l’amour, il doit seul en disposer l’usage. Campan te dira le moment où ta souveraine te rendra au bonheur.

Au Marquis de Champcenetz.

J’ai reçu, marquis, vos vœux quoiqu’un peu téméraires ; mais je suis bonne. Confiez-vous à Denise, elle vous introduira dans un endroit où nous pourrons nous expliquer sans crainte.

Lettre du Comte d’Artois.

Qu’as-tu donc, ma toute belle ? tu me boudes ; mais en vérité cela n’est pas bien. J’ai hier crevé un cheval tout exprès pour revenir de Paris, et me rendre près de toi à l’heure accoutumée, et j’appris que tu ne vîns point à notre rendez-vous ; oh je suis piqué, et très piqué. D’Orléans vouloit que nous allassions à l’opéra ; j’ai refusé tout net pour toi, puis tu me fais croquer le marmot ; je suis fâché, te dis-je, et très-fâché. Campan peut te dire combien j’ai juré après toi.

Au Comte d’Artois, en réponse
à la précédente.

Vous êtes fâché, fort bien. Qui de nous deux a droit de l’être ? Après que vous me donnez pour rivale l’imbécile du T... Ne voilà-t-il pas de belles amours ? Elles sont dignes de votre légèreté : je ne veux plus vous voir.

Réponse.

Oh, oh, de la jalousie, ma chère belle-sœur, qui diable s’y seroit attendu ! Va, va, passons-nous mutuellement nos petites infidélités ; je ne te parle point moi de Rohan, de Champcenetz, de Dillon, de etc.... etc...., et trente pages, d’etcetera. Ce n’est pas pour des gens de notre sorte que sont faits les reproches. Songe que la vie est courte, et qu’il faut en jouir. Laisse-moi carte blanche, et je te promets, à mon tour, de ne jamais te contrarier sur tes goûts. J’ai un livre nouveau rempli de jolies gravures, qu’il faut que je te fasse voir. Mais ce sont des amans heureux, et l’on ne peut s’entretenir avec eux qu’en partageant le même bonheur.

Réponse.

Volage aimable, on ne peut rien te refuser. Allons, ne parlons plus de nos torts, et viens nous faire voir ce livre des amans heureux ; s’il contient quelques jouissances qui ayent échappé à notre sagacité, nous nous empresserons d’en faire l’épreuve.

Denise t’indiquera le nouvel endroit que j’ai découvert dans nos bosquets : il est charmant, nous l’étrennerons ce soir. Adieu… Sur-tout point de reproches.

Au Comte d’Artois.

Eh bien ! trop cruel homme, je te l’avois bien dit ; j’en tiens pour mes neuf mois, voilà de tes étourderies. Pense-tu que le public prendra le change sur cet évènement ? L’on ne croit plus au miracle, et le seul homme intéressé à soupçonner la fourbe, et celui qui y voit le moins clair. Si tu avois vu hier mon époux, sautillant de joie dans ses appartemens, il t’auroit fort amusé ; il se crut en droit, d’après ce triomphe, de tenter de nouveaux plaisirs, et quel fut mon étonnement lorsque je vis sa main chercher à caresser mon sein ; je ne lui fis aucune résistance, et il poussa la hardiesse jusqu’à me renverser en désordre sur un sopha.

Je crus que la nature avoit fait en lui quelque prodige ; mais, hélas ! il ne me présenta qu’un hideux gage de son amour. J’employai toutes les ressources dont tu me connois capable, rien, absolument rien, ne m’annonça l’espoir d’en venir à mon honneur. Il fut obligé de se contenter d’un chatouillement mannuéliste qui me fit, je te l’avoue, quelques sensations ; il alluma des feux qu’il t’est réservé d’éteindre. Viens ce soir, ne t’engage pour aucune autre partie : je t’attendrai.

L’on ne trouva plus dans ce porte-feuille que des billets peu intéressans, et des notes de marchandes de modes.

FIN.
  1. L’on sait que c’étoit l’épithète donnée par la reine à ce héros ecclésiastique.