Vie de Tolstoï/La Réponse de l’Asie à Tolstoï

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Hachette (p. 214-231).


LA RÉPONSE DE L’ASIE À TOLSTOY


Au temps où paraissaient les premières éditions de ce livre, nous ne pouvions mesurer encore le retentissement de la pensée de Tolstoy dans le monde. Le grain était en terre. Il fallait attendre l’été.

Aujourd’hui, la moisson est levée. Et de Tolstoy a surgi un arbre de Jessé. Sa parole s’est faite acte. Au Saint Jean le Précurseur d’Iasnaïa-Poliana a succédé le Messie de l’Inde, qu’il avait consacré : Mahâtmâ Gandhi.

Admirons la magnifique économie de l’histoire humaine, où, malgré les disparitions apparentes des grands efforts de l’esprit, rien ne se perd d’essentiel, et le flux et le reflux des réactions mutuelles forment un courant continu, qui s’enrichit sans cesse, en fécondant la terre.

À dix-neuf ans, en 1847, le jeune Tolstoy, malade à l’hôpital de Kazan, avait pour voisin de lit un prêtre lama bouddhiste, blessé grièvement à la face par un brigand, et il recevait de lui la première révélation de la loi de Non-Résistance, que le torrent de sa vie devait, trente ans, recouvrir.

Soixante-deux ans après, en 1909, le jeune Indien Gandhi recevait des mains de Tolstoy mourant cette sainte lumière, que le vieil apôtre russe avait couvée en lui, réchauffée de son amour, nourrie de sa douleur ; et il en faisait le flambeau qui a illuminé l’Inde : la réverbération en a touché toutes les parties de la terre.

Mais, avant d’en arriver au récit de ce baptême dans le Jourdain, nous voulons rapidement retracer l’ensemble des rapports de Tolstoy avec l’Asie. Une Vie de Tolstoy serait, sans cette étude, incomplète aujourd’hui. Car l’action de Tolstoy sur l’Asie aura, dans l’histoire, plus d’importance peut-être que l’action sur l’Europe. Il a été la première grande Voie de l’esprit qui relie, de l’Est à l’Ouest, tous les membres du Vieux-Continent. Maintenant la sillonnent, en l’un et l’autre sens, deux rivières de pèlerins.

Nous avons maintenant tous les moyens de connaître le sujet : car Paul Birukoff, pieux disciple du maître, a rassemblé en un volume sur Tolstoy et l’Orient les documents conservés[1].

L’Orient l’attira toujours. Tout jeune étudiant à l’Université de Kazan, il avait choisi d’abord la faculté des langues orientales arabo-turques. Dans ses années de Caucase, il fut en contact prolongé avec la culture mahométane, et il en subit fortement l’impression. Peu après 1870 commencent à paraître, dans ses recueils de Récits et Légendes pour les Écoles primaires, des contes arabes et indiens. Quand vint l’heure de sa crise religieuse, la Bible ne lui suffit point ; il ne tarda pas à consulter les religions d’Orient. Il lut considérablement[2]. Bientôt lui vint l’idée de faire profiter l’Europe de ses lectures, et il rassembla, sous le titre : Les pensées des hommes sages, un recueil, où l’Évangile, Bouddhâ, Laotse, Krishna fraternisaient. Il s’était convaincu, dès le premier coup d’œil, de l’unité fondamentale des grandes religions humaines.

Mais ce qu’il cherchait surtout, c’était le rapport direct avec les hommes d’Asie. Et dans les dix dernières années de sa vie, un réseau serré de correspondance se tressa entre Iasnaïa et tous les pays d’Orient.

De tous, c’était la Chine, dont la pensée lui était le plus proche. Et ce fut elle qui se livra le moins. Dès 1884, il étudiait Confucius et Laotse ; ce dernier était son préféré, parmi les sages de l’antiquité[3]. Mais, en fait, Tolstoy dut attendre jusqu’en 1905 pour échanger sa première lettre avec un compatriote de Laotse, et il ne paraît avoir eu que deux correspondants chinois. Il est vrai qu’ils sont de marque. L’un était un savant, Tsien Huang-t’ung ; l’autre ce grand lettré Ku-Hung-Ming, dont le nom est bien connu en Europe[4], et qui, professeur d’Université à Pékin, chassé par la Révolution, a dû s’exiler au Japon.

Dans les lettres qu’il adresse à ces deux Chinois d’élite, et particulièrement dans celle, très longue, à Ku-Hung-Ming, qui a la valeur d’un manifeste (octobre 1906), Tolstoy exprime l’attachement et l’admiration qu’il éprouve pour le peuple chinois. Ces sentiments ont été renforcés par les épreuves que la Chine a subies, avec une noble mansuétude, en ces dernières années où les nations d’Europe ont fait assaut contre elle d’ignobles brutalités. Il l’engage à persévérer dans cette sereine patience et prophétise qu’elle lui devra la victoire finale. L’exemple de Port-Arthur, dont l’abandon par la Chine à la Russie a coûté si cher à la Russie (guerre russo-japonaise), assure qu’il en sera de même pour l’Allemagne à Kiautschau et pour l’Angleterre à Wei-ha-Wei. Les voleurs finissent toujours par se voler entre eux. — Mais Tolstoy est inquiet d’apprendre que, depuis peu, l’esprit de violence et de guerre s’éveille chez les Chinois ; il les conjure d’y résister. S’ils se laissaient gagner par la contagion, ce serait un désastre, non seulement dans le sens où l’entendait « un des plus grossiers et ignares représentants de l’Occident, le Kaiser d’Allemagne », qui redoutait pour l’Europe le péril jaune, — mais dans l’intérêt supérieur de l’humanité. Car, avec la vieille Chine disparaîtrait le point d’appui de la vraie sagesse populaire et pratique, paisible et laborieuse, qui, de l’Empire du Milieu, doit s’étendre progressivement à tous les peuples. Tolstoy croit le moment venu d’une transformation capitale dans la vie de l’humanité ; il a la conviction que la Chine est appelée à y jouer le premier rôle, à la tête des peuples d’Orient. La tâche de l’Asie est de montrer au reste du monde le vrai chemin à la vraie liberté ; et ce chemin, dit Tolstoy, n’est autre que le Tao. Surtout que la Chine se garde de vouloir se réformer sur le plan et l’exemple de l’Occident, — c’est-à-dire en remplaçant son despotisme par un régime constitutionnel, une armée nationale et la grande industrie ! Qu’elle considère le tableau lamentable de ces peuples d’Europe, avec l’enfer de leur prolétariat, avec leurs luttes de classes, leur course aux armements et leurs guerres sans fin, leur politique de rapine coloniale, — la banqueroute sanglante de toute une civilisation ! L’Europe est un exemple, — oui ! — de ce qu’il ne faut pas faire. Et comme la Chine ne peut, d’autre part, rester dans l’état présent, où elle se voit livrée à toutes les agressions, une seule voie lui est ouverte : celle de la Non-Résistance absolue vis-à-vis de son gouvernement et de tous les gouvernements. Qu’elle poursuive, impassible, sa culture de la terre, en se soumettant à la seule loi de Dieu ! L’Europe se trouvera désarmée devant la passivité héroïque et sereine de 400 millions d’hommes. Toute la sagesse humaine et le secret du bonheur sont dans la vie de travail paisible sur son champ, en se guidant d’après les principes des trois religions de Chine : le Confucianisme, qui libère de la force brutale ; le Taoïsme, qui prescrit de ne pas faire aux autres ce qu’on ne veut pas que les autres vous fassent ; et le Bouddhisme, qui est tout abnégation et amour.

Des conseils de Tolstoy, nous voyons ce que la Chine d’aujourd’hui paraît faire ; et il ne semble pas que son docte correspondant, Ku-Hung-Ming, en ait beaucoup profité : car son traditionalisme, distingué mais borné, offre pour toute panacée à la fièvre du monde moderne en travail une Grande Charte de Fidélité à l’ordre établi par le passé[5]. — Mais il ne faut point juger de l’immense Océan par ses vagues de surface. Et qui peut dire si le peuple de Chine n’est pas beaucoup plus près des pensées de Tolstoy, qui s’accordent avec la millénaire tradition de ses sages, que ne le feraient supposer ces guerres de partis et ces révolutions, qui passent et qui meurent sur son éternité ?

Tout au contraire des Chinois, les Japonais, avec leur vitalité fébrile, leur curiosité affamée de toute pensée nouvelle dans l’univers, furent les premiers d’Asie avec qui Tolstoy entra en relations (dès 1890, ou peu après). Il se méfiait d’eux, de leur fanatisme national et guerrier, surtout de leur prodigieuse souplesse à s’adapter à la civilisation d’Europe et à en épouser sur-le-champ tous les abus. On ne peut dire que sa méfiance ait été entièrement injustifiée : car la correspondance assez abondante qu’il entretint avec eux lui apporta plus d’un mécompte. Tel qui se disait son disciple, tout en ayant la prétention à concilier son enseignement avec le patriotisme, le désavoua publiquement, comme le jeune Jokai, rédacteur en chef du journal Didaitschoo-lu, en 1904, au moment de la guerre du Japon avec la Russie. Encore plus décevant, fut le jeune H. S. Tamura qui, d’abord bouleversé jusqu’aux larmes par la lecture d’un article de Tolstoy sur la guerre russo-japonaise[6], tremblant de tout son corps, et criant, transporté, que « Tolstoy est l’unique prophète de notre temps », se laisse quelques semaines après rouler par la vague de délire patriotique, après la destruction de la flotte russe par les Japonais, à Tsusima, et finit par publier contre Tolstoy un mauvais livre qui l’attaque…

Plus solides et sincères — mais si loin de la vraie pensée de Tolstoy — ces social-démocrates japonais, protestataires héroïques contre la guerre[7], qui écrivent à Tolstoy, en septembre 1904, et à qui Tolstoy, en les remerciant, exprime sa condamnation absolue, à la fois de la guerre et du socialisme[8].

Mais l’esprit de Tolstoy pénétrait, malgré tout, le Japon et le labourait jusqu’au fond. Lorsqu’en 1908, pour son quatre-vingtième anniversaire, ses amis russes s’adressèrent à tous les amis du monde, afin de publier un livre de témoignages, Naoshi Kato envoya un intéressant Essai, qui montre l’influence considérable de Tolstoy au Japon. La plupart de ses livres religieux y avaient été traduits ; vers 1902-1903, ils produisirent, dit Kato, une révolution morale, non seulement chez les chrétiens japonais, mais chez les bouddhistes ; et de cette commotion, un renouvellement du bouddhisme est sorti. Jusqu’alors, la religion était un ordre établi et une loi du dehors. Elle prit (ou reprit) un caractère intérieur. « Conscience religieuse » devint, depuis, le mot à la mode. Et certes, ce réveil du moi n’était pas sans dangers. Il pouvait mener, — il mena, en nombre de cas, — vers de tout autres fins que l’esprit de sacrifice et d’amour fraternel — à la jouissance égoïste, à l’indifférentisme, au désespoir, et même au suicide : il y eut des catastrophes chez ce peuple vibrant qui, dans ses crises de passion, porte toutes les doctrines aux ultimes conséquences. Mais il se forma ainsi, particulièrement près de Kioto, de petits groupes tolstoyens qui travaillaient leur champ et professaient le pur Évangile de l’amour[9]. D’une façon générale, on peut dire que la vie spirituelle au Japon a subi, en partie, l’empreinte de la personnalité de Tolstoy. Encore aujourd’hui, subsiste au Japon une Société Tolstoy, qui publie une revue mensuelle de soixante-dix pages, intéressante et nourrie[10].

Le plus aimable exemple de ces disciples japonais est le jeune Kenjiro Tokutomi, qui contribua aussi au livre du jubilé de 1908. Il avait écrit, de Tokio, une lettre enthousiaste à Tolstoy, dans les premiers mois de 1906, et Tolstoy y avait aussitôt répondu. Mais Tokutomi n’avait pas eu la patience d’attendre la réponse : il s’était embarqué sur le premier bateau, pour aller le voir. Il ne savait pas un mot de russe et très peu d’anglais. Il arriva à Iasnaïa en juillet, y demeura cinq jours, reçu avec une bonté paternelle, et repartit directement pour le Japon, couvant, tout le reste de sa vie, les grands souvenirs de cette semaine et le lumineux « sourire » du vieillard. Il l’évoque dans ses charmantes pages de 1908, où parle son cœur simple et pur :

« Je vois son sourire, à travers le brouillard des 730 jours passés depuis que je l’ai vu, et par-dessus les 10 000 kilomètres qui nous séparent.

Maintenant je vis dans une petite campagne, dans une chétive maison, avec ma femme et mon chien. Je plante des légumes, j’arrache la mauvaise herbe, qui repousse sans cesse. Toute mon énergie et toutes mes journées se dépensent à arracher, arracher, arracher… Peut-être cela tient-il à ma nature d’esprit, peut-être à ce temps imparfait. Mais je suis pleinement heureux… Seulement, c’est bien triste, quand on ne sait qu’écrire, dans une occasion pareille !… »

Le petit Japonais a su, par ces simples lignes d’une humble vie heureuse, de sagesse et de labeur, réaliser beaucoup mieux l’idéal de Tolstoy et parler à son cœur que tous les doctes collaborateurs au livre du Jubilé[11].

En sa qualité de Russe, Tolstoy avait de nombreuses occasions de connaître les mahométans, — puisque l’empire de Russie en comptait vingt millions de sujets. Aussi tiennent-ils une large place dans sa correspondance. Mais ils n’y apparaissent guère avant 1901. Et ce fut, au printemps de cette année, sa réponse au Saint-Synode et son excommunication qui les lui conquirent. La haute et ferme parole traversa le monde musulman comme le char d’Élie. Ils n’en retinrent que l’affirmation monothéiste, où leur semblait se répercuter la voix de leur Prophète, et ils tâchèrent naïvement de l’annexer. Des Baschkirs de Russie, des muftis indiens, des musulmans de Constantinople lui écrivent qu’ils ont « pleuré de joie », en lisant le démenti public infligé par sa main à toute la chrétienté ; et ils le félicitent de s’être enfin délivré « de la sombre croyance à la Trinité ». Ils l’appellent leur « frère » et s’efforcent de le convertir tout à fait. Avec une comique inconscience, l’un d’eux, un mufti de l’Inde, Mohammed Sadig, de Kadiam, Gurdaspur, se réjouit de lui faire connaître que son nouveau Messie islamique (un certain Chazrat Mirza Gulam Achmed) vient d’anéantir le mensonge chrétien de la Résurrection en retrouvant au Kaschmir le tombeau de « Ijuz Azaf » (Jésus), et il lui en envoie une photo, avec le portrait de son saint réformateur.

On ne saurait imaginer l’admirable tranquillité, à peine teintée d’ironie (ou de mélancolie), avec laquelle Tolstoy reçoit ces étranges avances. Qui ne l’a point vu dans ces controverses ne connaît point la souveraine modération où sa nature impérieuse était arrivée. Jamais il ne se départit de sa courtoisie et de son calme bon sens. C’est l’interlocuteur mahométan qui s’emporte, qui lui prête, irrité, « un reste des préjugés chrétiens du moyen âge[12] » ou qui, à son refus de croire en le nouveau Messie musulman, lui oppose la classification menaçante que le saint homme fait, en trois compartiments, des hommes recevant la lumière de la vérité :

« … Les uns la reçoivent par leur propre raison. Les autres par les signes visibles et les miracles. Les troisièmes par la force de l’épée. (Exemple : le Pharaon, à qui Moïse a dû faire boire la mer Rouge, pour le convaincre de son Dieu.) Car « le Prophète envoyé par Dieu doit enseigner au monde entier[13]… »

Tolstoy ne suit pas ses correspondants agressifs sur le terrain de combat. Son noble principe est que les hommes, aimant la vérité, ne doivent jamais appuyer sur les différences entre les religions et sur leurs manques, mais sur ce qui les unit et ce qui fait leur prix. — « C’est à quoi je m’efforce, dit-il, envers toutes les religions, et notamment envers l’Islam[14]. » — Il se contente de répondre au bouillant mufti que « le devoir de quiconque possède un sentiment vraiment religieux est de donner l’exemple d’une vie vertueuse. » C’est là tout ce dont nous avons besoin[15]. Il admire Mahomet, et certaines de ses paroles l’ont ravi[16]. Mais Mahomet n’est qu’un homme, comme le Christ. Pour que le Mahométisme ainsi que le Christianisme deviennent une religion juste, il faudra qu’ils renoncent à la croyance aveugle en un homme et un livre ; qu’ils admettent seulement ce qui est en accord avec la conscience et la raison de tous les hommes. — Même sous la forme mesurée dont il revêt sa pensée, Tolstoy s’inquiète toujours de ne pas froisser la foi de celui qui lui parle :

« Pardonnez si j’ai dû vous blesser. On ne peut pas dire la vérité à moitié. On doit la dire toute, ou pas du tout[17]. »

Inutile d’ajouter qu’il ne convainc point ses interlocuteurs.

Du moins, il en trouve d’autres, mahométans éclairés, libéraux, qui sympathisent pleinement avec lui : — au premier rang, le célèbre grand-mufti d’Égypte, le cheikh réformateur Mohammed Abdou[18], qui lui adresse, du Caire, en 1904 (le 8 avril), une noble lettre, le félicitant de l’excommunication dont il était l’objet : car l’épreuve est la divine récompense pour les élus. Il dit que la lumière de Tolstoy réchauffe et rassemble les chercheurs de vérité, que leurs cœurs sont dans l’attente de tout ce qu’il écrit. Tolstoy répond, avec une chaude cordialité. — Il reçoit aussi l’hommage de l’ambassadeur de Perse à Constantinople, prince Mirza Riza Chan, délégué à la première conférence de la Paix, à La Haye, en 1901.

Mais il est surtout attiré par le mouvement Béhaïste (ou Bâbiste), dont il entretient constamment ses correspondants. Il entre en relations personnelles avec certains Béhaïstes, comme le mystérieux Gabriel Sacy, qui lui écrit d’Égypte (1901), et qui aurait été, dit-on, un Arabe de naissance, converti au Christianisme, puis passé au Béhaïsme. Sacy lui expose son Credo. Tolstoy répond (10 août 1901) que le « Bâbisme l’intéresse depuis longtemps et qu’il a lu tout ce qui lui était accessible à ce sujet » ; il n’attache aucune importance à sa base mystique et à ses théories ; mais il croit à son grand avenir en Orient, comme enseignement moral : « tôt ou tard, le Béhaïsme se fondra avec l’anarchisme chrétien. » Ailleurs, il écrit à un Russe qui lui envoie un livre sur le Béhaïsme qu’il a la certitude de la victoire « de tous les enseignements religieux rationalistes, qui surgissent actuellement des diverses confessions : Brahmanisme, Bouddhisme, Judaïsme, Christianisme ». Il les voit allant toutes « vers le confluent d’une religion unique, universellement humaine[19] ». — Il a le contentement d’apprendre que le courant béhaïste a pénétré en Russie, chez des Tatares de Kazan, et il invite chez lui leur chef, Woissow, dont l’entretien avec lui a été noté par Gussev (février 1909)[20].

Dans le livre du jubilé, en 1908, l’Islam est représenté par un juriste de Calcutta, Abdullah-al-Mamun-Suhrawardy, qui élève à Tolstoy un majestueux monument. Il l’appelle yogi et souscrit à ses enseignements de la Non-Violence, qu’il ne juge pas opposés à ceux de Mahomet ; mais « il faut lire le Coran, comme Tolstoy a lu la Bible, sous la lumière de la vérité, et non dans la nuée de la superstition ». Il loue Tolstoy de n’être pas un surhomme, un Uebermensch, mais le frère de tous, non pas la lumière de l’Occident ou de l’Orient, mais lumière de Dieu, lumière pour tous. Et, dans une lueur prophétique, il annonce que la prédication de Tolstoy pour la Non-Violence, « mêlée aux enseignements des sages de l’Inde, produira peut-être en notre temps de nouveaux Messies ».

C’était de l’Inde en effet que devait sortir le Verbe agissant, dont Tolstoy fut l’annonciateur.

L’Inde était, en cette fin du xixe siècle et au début du XXe, en plein réveil. L’Europe ne connaît pas encore, — à part une élite de savants bien renseignés, qui ne sont pas très pressés de dispenser leur science au commun des mortels et se cantonnent volontiers dans leur coque linguistique, où ils se sentent à huis clos[21] — l’Europe est encore loin d’imaginer la prodigieuse résurrection du génie indien qui s’annonça dès les années 1830[22] et resplendit vers 1900. Ce fut une floraison éclatante et soudaine dans tous les champs de l’esprit. Dans l’art, dans la science, dans la pensée. Le seul nom de Rabindranath Tagore a, détaché de la constellation de sa glorieuse famille, rayonné sur le monde. Presque en même temps, le Vedantisme était rénové par le fondateur de l’Arya-Samâj (1875), Dayananda Sarasvati, celui qu’on a nommé le « Luther hindou » ; et Keshub Chunder Sen faisait du Brahmâ-Samâj un instrument de réformes sociales passionnées et un terrain de rapprochement entre la pensée chrétienne et la pensée d’Orient. Mais, surtout, le firmament religieux de l’Inde s’illuminait de deux étoiles de première grandeur, subitement apparues, — ou réapparues après des siècles, pour parler selon le grand style de l’Inde, au sens profond[23] — ces deux miracles de l’esprit : Ramakrishna (1836-1886), le fou de Dieu, qui embrassait dans son amour toutes les formes du Divin, et son disciple, plus puissant encore que le maître, Vivekananda (1863-1902), dont la torrentielle énergie a, pour des siècles, réveillé dans son peuple épuisé le Dieu d’action, le Dieu de la Gitâ.

La vaste curiosité de Tolstoy ne les ignora point. Il lut les traités de Dayananda, que lui envoya le directeur de The Vedic Magazine (Kangra, Sakaranpur), Rama Deva. Dès 1896, il s’était enthousiasmé des premiers écrits parus de Vivekananda[24], et il savourait les Entretiens de Ramakrishna[25]. — C’est un malheur pour l’humanité que Vivekananda, lors de son voyage d’Europe en 1900, n’ait pas été orienté vers Iasnaïa Poliana. Celui qui écrit ces lignes ne peut se consoler, en cette année de l’Exposition Universelle où le grand Swami passait à Paris, si mal entouré, de n’avoir pas été celui qui relie les deux voyants, les deux génies religieux de l’Europe et de l’Asie.

Ainsi que le Swami de l’Inde, Tolstoy était nourri de l’esprit de Krishna, « seigneur de l’Amour[26] ». Et plus d’une voix de l’Inde le saluait comme un Mahâtmâ, un ancien Rishi réincarné[27]. Gopal Chetti, directeur de The New Reformer, qui se voua dans l’Inde aux idées de Tolstoy, le rapproche, en son écrit pour le Livre du Jubilé (1908), de Bouddhâ le prince qui renonça ; et il dit que, si Tolstoy était né aux Indes, il eût été tenu pour un Avatara, un Purusha (incarnation de l’Âme universelle), un Sri-Krishna.

Mais le courant fatal du fleuve de l’histoire allait porter Tolstoy, du Rêve en Dieu des yogis au seuil de la grande action de Vivekananda et de Gandhi, — de l’Hind-Swaraj.

Détours étranges du destin ! Le premier qui l’y conduisit fut l’homme qui, plus tard, devait devenir le meilleur lieutenant du Mahâtmâ indien, mais qui, en ce temps, était encore, comme Paul avant le chemin de Damas, le violent ennemi de ces pensées : C. R. Das[28]… Est-il permis d’imaginer que la voix de Tolstoy a pu contribuer à le ramener à sa vraie mission ? — À la fin de 1908, C.-R. Das était dans le camp de la Révolution. Il écrivit à Tolstoy, sans lui rien voiler de sa foi violente ; il combattait, à visage découvert, la doctrine tolstoyenne de la Non-Résistance ; et cependant, il lui demandait un mot de sympathie pour son journal, Free Hindostan. Tolstoy répondit une très longue lettre, presque un traité, qui, sous le titre de Lettre à un Indien, 14 décembre 1908, se répandit dans le monde entier. Il proclamait énergiquement la doctrine de la Non-Résistance et de l’Amour, en encadrant chaque partie de son argumentation dans des citations de Krishna. Il n’apportait pas moins de vigueur dans son combat contre la nouvelle superstition de la science que contre les anciennes superstitions religieuses. Et il faisait aux Indiens un reproche véhément de renier leur sagesse antique pour épouser l’erreur d’Occident.

« On pouvait espérer, disait-il, que, dans l’immense monde brahmano-bouddhiste et confucianiste, ce nouveau préjugé scientifique n’aurait point place, et que les Chinois, les Japonais, les Hindous, ayant compris le mensonge religieux qui justifie la violence, arriveraient directement à concevoir la loi de l’amour, propre à l’humanité, qui fut promulguée avec une force si éclatante par les grands maîtres de l’Orient. Mais la superstition de la science, qui a remplacé celle de la religion, envahit de plus en plus les peuples de l’Orient. Elle subjugue déjà le Japon et lui prépare les pires désastres… Elle se répand sur ceux qui, en Chine et dans l’Inde, prétendent, comme vous, être les meneurs de vos peuples. Vous invoquez, dans votre journal, comme un principe fondamental qui doit guider l’activité de l’Inde, l’idée suivante :

« Resistance to agression is not simply justifiable, but imperative ; non-resistance hurts both altruism and egoism. »

« … Eh quoi ! vous, membre d’un des peuples les plus religieux, vous allez, d’un cœur léger et confiant en votre instruction scientifique, abjurer la loi de l’amour, proclamée au sein de votre peuple, avec une clarté exceptionnelle, dès l’antiquité reculée !… Et vous répétez ces stupidités que vous ont suggérées les champions de la violence, les ennemis de la vérité, les esclaves de la théologie d’abord, ensuite de la science, — vos maîtres européens !

« Vous dites que les Anglais ont asservi l’Inde, parce que l’Inde ne résiste pas assez à la violence par la force ? — Mais c’est tout juste le contraire ! Si les Anglais ont asservi les Hindous, ce n’est que pour cette raison que les Hindous reconnaissaient et reconnaissent encore la violence comme principe fondamental de leur organisation sociale ; ils se soumettaient, au nom de ce principe, à leurs roitelets ; au nom de ce principe, ils ont lutté contre eux, contre les Européens, contre les Anglais… Une Compagnie commerciale — trente mille hommes, des hommes plutôt faibles — ont asservi un peuple de deux cents millions ! Dites cela à un homme libre de préjugés ! Il ne comprendra pas ce que ces mots peuvent signifier… N’est-il pas évident, d’après ces chiffres mêmes, que ce ne sont pas les Anglais, mais les Hindous eux-mêmes qui ont asservi les Hindous ?…

« Si les Hindous sont asservis par la violence, c’est parce qu’eux-mêmes ont vécu de la violence, vivent à présent de la violence et ne reconnaissent pas la loi éternelle de l’amour, propre à l’humanité.

« Digne de pitié et ignorant l’homme qui cherche ce qu’il possède et ignore qu’il le possède. Oui, misérable et ignorant l’homme qui ne connaît pas le bien de l’amour qui l’entoure et que je lui ai donné ! » (Krishna).

« L’homme n’a qu’à vivre en accord avec la loi de l’amour, qui est propre à son cœur et qui recèle en soi le principe de Non-Résistance, de Non-Participation à toute violence. Alors, non seulement une centaine d’hommes ne pourraient asservir des millions, mais des millions ne pourraient asservir un seul. Ne résistez pas au mal et ne prenez pas part à ce mal, à la contrainte de l’administration, des tribunaux, des impôts, et surtout de l’armée ! — Et rien, ni personne au monde ne pourra vous asservir ! »

Une citation de Krishna termine (comme elle a commencé) cette prédication de la Non-Résistance faite par la Russie à l’Inde :

« Enfants, levez plus haut vos regards aveuglés, et un monde nouveau, plein de joie et d’amour, vous apparaîtra, un monde de Raison, créé par Ma Sagesse, le seul monde réel. Alors, vous connaîtrez ce que l’amour a fait de vous, ce dont il vous a gratifiés et ce qu’il exige de vous. »

Or, cette lettre de Tolstoy tombe dans les mains d’un jeune Indien, qui était « homme de loi », à Johannesburg, en Sud-Afrique. Il se nommait Gandhi. Il en fut saisi. Il écrivit à Tolstoy, vers la fin de 1909[29]. Il lui annonçait la campagne de sacrifice, qu’il dirigeait depuis une dizaine d’années, dans l’esprit évangélique de Tolstoy[30]. Il lui demandait l’autorisation de traduire en langue indienne la lettre à C.-R. Das.

Tolstoy lui envoya sa bénédiction fraternelle, dans le « combat de la douceur contre la brutalité, de l’humilité et de l’amour contre l’orgueil et la violence ». Il lut l’édition anglaise de l’Hind Swarâj, que Gandhi lui fit parvenir ; et il pénétra aussitôt toute l’importance de cette expérience religieuse et sociale :

« La question que vous traitez, de la Résistance passive, est de la plus haute valeur, non seulement pour l’Inde, mais pour toute l’humanité. »

Il se procura la biographie de Gandhi par Joseph J. Doke[31], et il fut captivé. Malgré la maladie, il tint à lui adresser quelques lignes affectueuses (8 mai 1910). Et lorsqu’il se sentit rétabli il lui adressa, de Kotschety, le 7 septembre 1910, — un mois avant sa fuite vers la solitude et la mort, — une lettre d’une telle importance que, malgré sa longueur, je tiens à la reproduire, presque entière, à la fin de cette étude. Elle est et restera, aux yeux de l’avenir, l’Évangile de la Non-Résistance et le testament spirituel de Tolstoy. Les Indiens du Sud-Afrique la publièrent en 1914, dans le Golden Number of Indian Opinion consacré à la Résistance passive en Sud-Afrique[32]. Elle fut associée au succès de leur cause, à la première victoire politique de la Non-Résistance.

Par un contraste saisissant, l’Europe, à la même heure, y répondait par la guerre de 1914, où elle s’entre-dévora.

Mais quand la tempête fut passée et que sa clameur sauvage, par degrés, s’éteignit, on entendit de nouveau, par delà le champ de ruines, monter comme une alouette la voix pure et ferme de Gandhi. Elle redisait, sur un mode plus clair et plus mélodieux, la grande parole de Tolstoy, le cantique d’espoir d’une nouvelle humanité.

R. R.
Mai 1927.
  1. Tolstoi und der Orient. Briefe und sonstige Zeugnisse über Tolstois Beziehungen zu den Vertretern orientalischer Religionen, von Paul Birukov, Rotapfel Verlag, Zürich u. Leipzig, 1925.
  2. Birukov a dressé, à la fin de son volume, une liste des principaux ouvrages sur l’Orient auxquels Tolstoy a eu recours.
  3. Il semble que certains Chinois aient reconnu aussi ces affinités. Un voyageur russe en Chine écrit en 1922 que l’anarchisme chinois est imbu de Tolstoy et que leur précurseur commun est Laotse.
  4. La librairie Stock vient de publier la traduction française de son livre : L’Esprit du peuple chinois, avec préface de Guglielmo Ferrero, 1927.
  5. Tolstoy critique vigoureusement, dans sa lettre à Ku-Hung-Ming, l’enseignement traditionnel en Chine de l’obéissance au souverain : il y voit un dogme aussi peu fondé que le droit divin de la force.
  6. Cet article avait paru dans le Times, en juin 1904 ; et Tamura le lut, en décembre, à Tokio.
  7. Izo-Abe, directeur du journal « Heimin Shimbun » (« Le simple Peuple »). Avant que la réponse de Tolstoy leur parvînt, les courageux protestataires étaient emprisonnés et leur journal suspendu.
  8. J’ai cité plus haut, page 164, un passage de cette réponse. À ce jugement sur le socialisme, Tolstoy ajoute : « Le vrai bien de l’homme est son salut spirituel et moral ; le bien matériel y est inclus. Et ce haut but ne peut être atteint que par la complète réalisation religieuse et morale des individus, dont la somme dans les peuples représente l’humanité. » D’autre part, en 1909, Tolstoy répondra aux questions économiques d’une Société japonaise « pour la libération du pays », en lui recommandant les théories agraires d’Henry George.
  9. « Tu n’es pas seul, maître. Réjouis-toi ! » lui écrira Tokutomi, le 3 octobre 1906. « Tu as ici beaucoup d’enfants, en esprit… »
  10. La revue : Tolstoi Kenki (étude de Tolstoy).
  11. Tokutomi rappelle que Tolstoy lui demanda, en 1906 : — « Savez-vous quel est mon âge ? » — « Soixante-dix-huit ans, » répondis-je. — « Non, vingt-huit. » Je réfléchis et je dis : — « Ah ! oui, en comptant votre naissance du jour où vous êtes devenu le nouvel homme. » Il fit signe que oui. »
  12. Asfendiar Woissow, de Constantinople.
  13. Lettre de Mohammed Sadig, 22 juillet 1903.
  14. Lettre d’Elkibajew, 10 juin 1908.
  15. À Mohammed Sadig, 20 août 1903.
  16. Tolstoy était enthousiaste de la prière de Mahomet pour la pauvreté : « Seigneur, conserve ma vie en pauvreté et fais qu’en pauvreté je meure ! »
  17. À Woissow, 11 novembre 1902.
  18. Cette grande personnalité, dont l’influence réformatrice s’est exercée sur l’université d’Al Azhar, et, par delà, sur tout l’Islam Sunnite, où il représentait le modernisme, a été récemment étudiée par B. Michel et le Cheikh Moustapha Abdel Razik, qui ont traduit et publié en français son principal traité : Rissalat al Tawid, — Exposé de la religion musulmane, librairie Orientaliste Paul Geuthner, 1925.
  19. À Isabella Arkadjewna Grinewskaja. Dans une autre lettre à Elkibajew (10 juin 1908), Tolstoy dit qu’il n’y a qu’une seule religion. Elle ne s’est pas encore tout entière révélée à l’humanité, mais elle apparaît dans toutes les religions, par fragments. « Tout progrès de l’humanité repose sur l’union toujours plus intime des hommes dans cette unique vraie religion. »
  20. Dans une lettre à Krymbajew, en 1908, Tolstoy, définissant une vraie religion par l’amour de Dieu et du prochain, dégagé de toute croyance parasite, fait l’éloge du Bâbisme et de la secte de Kazan. Une autre lettre de décembre 1908 à Fridulchan-Wadalbekow exprime la même admiration du Bâbisme.
  21. À quelques exceptions près, au premier rang desquelles je nomme Max Müller, grand esprit et grand cœur, que vénérait Vivekananda.
  22. En 1828, l’un des plus vastes esprits de notre temps, Râjâ Râm Mohan Roy, fonda la communauté de Brahmâ Samâj, qui rassemblait toutes les religions du monde en un système religieux, basé sur la croyance en un seul Dieu. Une telle pensée, nécessairement limitée d’abord à une élite, a eu, depuis, des échos profonds dans l’âme de grands mystiques du Bengale ; et, par eux, elle pénètre peu à peu dans les masses.
  23. Vivekananda disait de lui-même : « Je suis Çankara. » (le grand Vedantiste du viiie siècle).
  24. Yogas’s Philosophy. Lectures ou Râja Yoga or conquering internal nature, by Swami Vivekananda, New-York, 1896.
  25. Parahamsa Sri Ramakrishna, by Vivekananda, 2e édition, Madras, 1905.
  26. « Lord of Love », titre d’un ouvrage de Baba Premananda Bharati (1904), dont Tolstoy traduisit des fragments.
  27. Premananda Bharati, 1904.
  28. C.-R. Das, mort récemment, était devenu l’ami intime de Gandhi et le chef politique du parti Swarajiste indien, qui veut concilier les méthodes de Non-Violence avec la participation aux Conseils législatifs.
  29. De Londres. La lettre est perdue. On ne la connaît que par la réponse de Tolstoy.
  30. Dans son Autobiographie, en cours de publication, sous le titre : Histoire de mes Expériences avec la Vérité (Young India, 26 août et 14 octobre 1926), Gandhi raconte que ce fut en 1893-94 qu’il lut pour la première fois un ouvrage de Tolstoy : Le Royaume de Dieu est en vous. « J’en fus bouleversé. Devant l’indépendance de pensée, la moralité profonde et la sincérité de ce livre, tous les autres me parurent pâles et insignifiants… » Un ou deux ans plus tard, il lut : Que devons-nous faire ? et Les Évangiles ; il fit une étude passionnée de Tolstoy. « Je commençai à réaliser de plus en plus, dit-il, les infinies possibilités de l’amour universel… » En 1904, il crée à Phœnix, près de Durban, une colonie agricole, sur les plans de Tolstoy. Il y rassemble les Indiens, sous la double loi qu’il leur imposa de Non-Résistance et de pauvreté volontaire. On trouvera dans ma Vie de Mâhâtmâ Gandhi (p. 18-23) le récit de cette croisade qui se prolongea près de vingt ans. Un an avant qu’il écrivît à Tolstoy, il venait d’achever son fameux livre : Hind Swarâj (Home Rule Indien), — cet « Évangile de l’amour héroïque », dont le gouvernement de l’Inde prohiba l’original en Gujarât et dont Gandhi envoya l’édition anglaise à Tolstoy le 4 avril 1910.
  31. Joseph J. Doke : M. K. Gandhi, an Indian Patriot in South Africa, 1909.
  32. Édité à Phœnix, Natal.