Vie du pape Pie-IX/Quelques années de tranquillité

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CHAPITRE XVII.

Quelques années de tranquillité.


Depuis son entrée triomphale dans Rome, en 1850, jusqu’en 1859, le Saint-Père connut une tranquillité relative. La révolution était toujours à l’œuvre, il est vrai ; elle minait sourdement le pouvoir temporel du Pape, mais Dieu permit que ses machinations n’eussent pas de suite immédiate. Il convenait, dit un auteur catholique[1] que la famille chrétienne jouît de ce repos pour se livrer à la joie de déposer sur le front de sa mère et de sa reine une nouvelle couronne. Du reste, cette heureuse période devait être bientôt suivie d’un déchaînement sans précédent contre l’Eglise et la Papauté.

Au chapitre XV, nous avons vu que Pie IX, durant la première moitié de cette période de neuf ans, s’était livré à des travaux apostoliques très considérables. Les soucis de sa charge de pasteur des âmes ne lui faisaient pas négliger ses devoirs de roi.

En reprenant possession de ses États, Pie IX fit une extension de l’amnistie qu’il avait déjà accordée et choisit pour secrétaire d’État et premier ministre le cardinal Antonelli qui occupa ce poste important jusqu’à sa mort, arrivée en 1876. Il reprit paisiblement sa vie de travail, de dévouement et de charité, visitant les hôpitaux, secourant les pauvres, encourageant les industries, les arts et les sciences, remettant l’ordre dans les finances de l’État délabrées par la révolution, pourvoyant à l’éducation de la jeunesse, à l’amélioration du sort des détenus, des orphelins, des veuves, des infirmes et des vieillards. [2] « Nul autre gouvernement en Europe, disait un écrivain italien à cette époque, n’a déployé tant d’activité, tant d’intelligence dans toutes les branches de l’administration, dans tous les genres de travaux. » « La vérité pure, ajoutait M. Louis Veuillot, est que nul peuple au monde n’est aussi libre, aussi respecté de ses chefs, aussi heureux que le peuple romain. »

Et cependant c’est ce gouvernement paternel, clément et sage qu’on a renversé, pour mettre à sa place un gouvernement tyrannique et corrompu, qui, sous prétexte d’affranchir le peuple, l’accable de taxes et de dettes ! Qu’elle est grande la folie des hommes et qu’ils comprennent peu leurs véritables intérêts, même matériels !

Après la guerre de Crimée, le congrès de Paris, qui s’était réuni dans un tout autre but, discuta les affaires de l’État romain. Cavour, ministre de Victor-Emmanuel, attaqua courageusement l’administration pontificale qui n’était pas représentée au congrès. Le représentant de la France, le comte Walewski et lord Palmerston, plénipotentiaire anglais, donnèrent leur appui à Cavour. Mais les autres diplomates ne voulant pas se prononcer sur la question, la discussion n’eut pas de suite pour le moment. Mais dès ce jour la conduite de Napoléon devint suspecte. Il supprima le rapport du comte de Rayneval, ambassadeur français, au ministre des affaires étrangères, rapport qui réfutait victorieusement les accusations portées par Cavour contre le gouvernement pontifical. Le futur héros de Sédan, fidèle aux traditions de sa race perfide, conspirait déjà avec le premier ministre de Victor-Emmanuel contre l’indépendance du Saint-Siège, la suite ne l’a que trop prouvé.

Pour répondre aux agitateurs qui ne cessaient de parler de l’impopularité du gouvernement pontifical, Pie IX entreprit, en 1857, un voyage à travers ses États. Il partit de Rome le 4 mai et se dirigea d’abord vers l’Ombrie. Son voyage, qui dura quatre mois, fut une véritable marche triomphale, au grand dépit des révolutionnaires. Partout sur son passage Pie IX laissa des témoignages de sa munificence ; partout aussi son peuple le reçut avec enthousiasme et joie.

À Pérouse, le Saint-Père ouvrit un institut agricole pour les enfants pauvres ; à Bologne il acheta, à même sa cassette particulière, la collection polyglotte de feu le cardinal Mezzofanti et en fit don à la bibliothèque publique de la ville ; il enrichit le musée numismatique de Ferrare d’une précieuse collection de monnaies pontificales. Dans son ancien diocèse d’Imola, il fit agrandir le monastère du Bon-Pasteur. À Forli il établit une maison de refuge pour apprendre aux enfants indigents les arts mécaniques. À Sinigaglia, ville qui l’avait vu naître, il éleva, à ses propres frais, un hospice pour les malades et les orphelins. Ancône doit à cette visite du Pape son magnifique observatoire.

Il revint à Rome le 5 septembre, après avoir visité les duchés de Toscane et de Modène.

Avant de terminer ce chapitre, il convient peut-être de dire un mot de l’affaire Mortara, oubliée aujourd’hui, mais autour de laquelle la presse et la diplomatie moderne firent un bruit indescriptible en 1858. Voici comment M. Louis Veuillot raconte l’affaire : « Conformément à la loi de l’Eglise et à la loi de l’État pontifical, un enfant né juif avait été retiré de la maison paternelle, parce que, baptisé en péril de mort, il appartenait à Jésus-Christ. L’enfant, recueilli à Rome, était élevé aux frais du Saint-Père, séparé de sa famille, mais non séquestré, et ses parents le pouvaient voir autant qu’ils le voulaient. » Voilà tout, et cependant la « civilisation moderne » s’en émut : la « civilisation moderne, » qui foule aux pieds à chaque instant les droits les plus sacrés de la famille et qui confie à l’État l’âme et le corps des enfants !


  1. L’abbé Guillaume, Continuation de l’Histoire Universelle de l’Eglise de Rohrbacher,
  2. Ls Veuillot, Pie IX.