Vie du pape Pie-IX/Rentrée de Pie IX dans Rome

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CHAPITRE XIV.

Rentrée de Pie IX dans Rome.


Rien ne semblait s’opposer à la rentrée triomphale de Pie IX dans ses États. Mais Napoléon, instrument servile des loges maçonniques, voulut imposer des conditions au Saint-Père. Amnistie générale, sécularisation de l’administration, code Napoléon et gouvernement libéral ; voilà le programme de Napoléon. Pie IX répondit noblement qu’il resterait dans l’exil toute sa vie plutôt que de rentrer chez lui pour n’y être pas indépendant. D’ailleurs, c’était faire injure à Pie IX que de douter de sa clémence, lui qui n’avait fait que pardonner depuis son avènement au trône pontifical. Le 14 septembre 1849, il publia, proprio motu, de son propre mouvement, une amnistie aussi large que l’état des esprits pouvait le permettre et il fit connaître en même temps les réformes qu’il se proposait d’introduire dans l’administration civile de ses États.

La chambre française, sous l’inspiration du comte de Montalembert, ayant répudié le programme de Napoléon, celui-ci comprit enfin que le temps n’était pas venu de faire accepter ses projets. En attendant une occasion plus favorable d’imposer ses idées libérales au Saint-Siège, il permit à Pie IX de rentrer sans conditions dans sa capitale.

Pie IX quitta Portici, où il demeurait depuis quelque temps, le 4 avril 1850. Ferdinand II et sa cour l’accompagnèrent jusqu’à la frontière. Les adieux de Pie IX et du pieux roi furent touchants.

L’entrée de Pie IX dans ses États fut une marche triomphale. On avait voulu empêcher le Saint-Père de s’exposer au milieu des soldats français. « Ils sont enclins à la raillerie, lui disait-on, et ils ne voudront pas s’agenouiller pour recevoir vos bénédictions. » « Eh bien ! répondit le Pape, je les bénirai debout. »

Afin d’empêcher à Rome les démonstrations enthousiastes qui s’étaient manifestées dans les villes que Pie IX venaient de parcourir, les sociétés secrètes firent placarder des affiches menaçant du poignard tous ceux qui iraient au-devant de l’abbé Mastaï, et pour donner du poids à ces menaces on tenta, à deux reprises, de mettre le feu au Quirinal.

Mais le vrai peuple romain s’est réveillé, et le 12 avril 1850, il se précipite au devant de son bien-aimé souverain. Les cloches sonnent à toute volée, les canons grondent, la foule immense se presse autour du Saint-Père pour toucher ses habits et recevoir sa bénédiction ; la ville entière retentit des cris mille fois répétés : « Vive le Pape ! vive la religion ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » Pie IX, rayonnant de joie et le visage baigné de larmes, tient sa main élevée pendant des heures pour bénir son peuple repentant. Le Pape entre dans la basilique de Saint-Pierre ; les fidèles veulent le suivre, mais ce temple, le plus vaste du monde, ne peut contenir qu’une faible partie de la foule. On chante le Te Deum et le doyen des cardinaux donne la bénédiction du Saint-Sacrement. Pendant trois soirs, la ville entière est illuminée.

Quelques jours après son entrée dans la ville éternelle, Pie IX exprima le désir de visiter les hôpitaux militaires. « Je veux m’entretenir, disait-il, avec les pauvres soldats qui se sont fait blesser pour moi. » Grand fut l’émoi dans les salles de l’hôpital Saint-André, que le Pape visita le premier. Les blessés, oubliant leurs douleurs, se jetaient au bas de leur lit et allaient embrasser les pieds du Saint-Père. On raconte qu’il y eut un blessé qui, dans sa précipitation, accourut au devant de l’auguste visiteur sans autre vêtement que sa chemise. Ceux qui ne pouvaient se lever cherchaient à se faire un peu de toilette. Pie IX s’arrêta à chaque lit, adressant aux blessés des paroles de consolation et les remerciant, au nom de l’Eglise, des sacrifices qu’ils avaient faits. Puis il distribua des objets de piété, des chapelets, des médailles, des croix. Il aurait voulu visiter le même jour un autre hôpital, mais au sortir de Saint-André il ne lui restait plus rien. « Vous m’avez ruiné, dit-il gaiement, je n’ai plus rien à porter à vos camarades, ce sera pour une autre fois. » Le factionnaire, n’ayant pu laisser son poste, n’avait rien reçu. En voyant passer Pie IX, il lui dit : « Pardon, mon Pape, j’ai une mère qui serait bien heureuse, elle aussi, d’avoir un chapelet.» « Je n’en ai plus, répondit Pie IX ; mais soyez tranquille, je vous en ferai apporter deux, un pour elle et un pour vous. » La plupart de ces braves soldats, ne connaissant d’autre étiquette que celle de l’armée, appelaient le Saint-Père « mon Pape,» comme ils auraient dit « mon général. » « Pour moi, disait un vieux sous-officier, j’ai peut-être manqué aux convenances, mais j’ai donné au Pape une solide poignée de main et il me l’a rendue.»