Voyages (Ibn Battuta, Sanguinetti)/Pèlerinage de La Mecque

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Traduction par Defrémery et Sanguinetti.
Imprimerie nationale (Tome premierp. 253-414).


Quand apparut la lune de chawwàl de l’année susmentionnée (726 de l’hégire = 1er septembre 1326 de J. C.), la caravane du Hidjàz sortit de la ville de Damas, et campa dans le village appelé Couçouah. Je me mis en marche avec die ; son commandant était Seïf eddin Eldjoùbàn, un des principaux émirs, et son kâdhi, Cherf eddin Eladhra’y elhaourâny. Cette année-là, le professeur des mâlikites, Sadr eddîn Elghomâry fit le pèlerinage de la Mecque. Je voyageai avec une troupe d’Arabes appelés El’adjàrimah (les hommes forts), dont le chef était Mohammed, fils de Râfi’, personnage important d’entre les émirs. Nous partîmes de Couçouah pour un gros village nommé Essanamaïn (les deux idoles), et ensuite pour la ville de Zor’ah (Adhra’ât), qui est petite, et fait partie du pays de Haourân. Nous fîmes halte tout près d’elle et nous nous dirigeâmes après cela vers la petite ville de Bosrâ. La caravane s’y arrête ordinairement quatre jours entiers, afin de donner le temps de la rejoindre à ceux qui sont restés en arrière à Damas, pour finir leurs affaires. C’est à Bosrà que vint l’envoyé de Dieu (Mahomet), avant le temps de sa mission divine, pour les intérêts du commerce de Khadîdjah ; et l’on voit dans cette ville la place ou se coucha sa chamelle, et sur laquelle on a bâti une grande mosquée. Les habitants du Haouràn se rendent dans cette ville, et les pèlerins y font leurs provisions pour le voyage. Après cela, ils partent pour Birket Zîza (l’étang de Ziza), et ils y restent un jour. Ensuite ils se dirigent vers Elladdjoùn, où se trouve de l’eau courante, et après, vers le château de Carac.

Ce dernier est un fort des plus admirables, des plus inaccessibles et des plus célèbres. On l’appelle le Château du corbeau, et il est entouré de tous côtés par la rivière. Il a une seule porte dont l’ouverture a été taillée dans la roche vive, et il en est ainsi de l’entrée de son vestibule. C’est dans ce château que les rois cherchent un refuge dans les calamités, et qu’ils se fortifient. Le roi Nàcir s’y retira ; car il fut investi de la royauté tandis qu’il était encore fort jeune, et son mamloûc et lieutenant, Salâr, s’empara du gouvernement à sa place. Le roi témoigna alors le désir de faire le pèlerinage de la Mecque, et les émirs consentirent à cela. Il partit, et lorsqu’il fut parvenu au défilé d’Aïlah, il se réfugia dans le château de Carac et y resta plusieurs années. Ensuite les émirs de Damas allèrent le trouver, et les mamloûcs, de leur côté, se réunirent à lui. Dans cet intervalle, la royauté avait été déférée à Beïbars echchachnéguir (le dégustateur), qui était le surintendant des vivres, et qui se donna le nom d’El-malic elmozhaffar (le roi victorieux). C’est lui qui a fondé le couvent appelé Elbeïbarsiyah, dans le voisinage de celui du Sa’îd essoua’dà (l’heureux des heureux : du très-heureux), qui a été bâti par Salàheddîn (Saladin], fils d’Ayoûb.

Le roi Nâcir se dirigea contre Beïbars à la tête de ses troupes, et ce dernier s’enfuit dans le désert. Il fut poursuivi par l’armée, on le prit, et on l’amena au roi, qui ordonna de le tuer, ce qui fut exécuté. On saisit aussi Salâr, qui fut enfermé dans une citerne, où il mourut de faim. On dit que, dans les angoisses de la faim, il mangea une charogne. (Que Dieu nous préserve d’une telle extrémité !).

La caravane resta quatre jours au dehors de Carac dans un lieu nommé Etthaniyah (la pente, la colline), et l’on se prépara à entrer dans le désert. Puis nous voyageâmes vers Mo’àn qui est la fin de la Syrie, et nous descendîmes du col d’Essaouàn vers le désert. On dit à son sujet : « Celui qui y entre est mort, et celui qui en sort est né. » Après une route de deux journées, nous campâmes à Dhât Haddj, lieu où l’on trouve de l’eau, mais où il n’y a point d’habitations. (Conf. Ritter’s Erdkunde, t. VIII, xiii, 3, p. 420, et 436-437, t. II de l’Arabie.) Ensuite nous nous dirigeâmes vers Ouàdy Baidah (la vallée de Baldah), qui est sans eau.

Nous arrivâmes à Taboûc, qui est l’endroit attaqué par l’envoyé de Dieu. On y voit une source qui fournissait d’abord fort peu d’eau ; mais quand Mahomet y descendit et y fit ses ablutions, elle donna en grande abondance de l’eau pure et limpide, et elle n’a cessé de le faire jusqu’à ce jour, par suite de la bénédiction du Prophète de Dieu. Les pèlerins de la Syrie ont la coutume, lorsu’ils arrivent dans la station de Taboûc, de prendre leurs armes, de dégainer leurs sabres, de faire des charges contre le campement, de frapper les palmiers avec leurs glaives et de dire : « C’est comme cela que l’envoyé de Dieu (Mahomet) est entré ici. »

La grande caravane campe près de ladite source, et tout le monde s’abreuve de son eau. Ils y restent quatre jours, pour se reposer, faire boire les chameaux et préparer l’eau pour le voyage du désert dangereux, qui est situé entre El’ola et Taboûc.

Les porteurs d’eau ont l’habitude de descendre sur les bords de cette source. Ils ont des réservoirs faits de peaux de buffles, en guise de vastes citernes, au moyen desquels ils donnent à boire aux chameaux, et ils remplissent les grandes outres et les outres ordinaires. Chaque émir ou grand personnage a un réservoir pour abreuver ses chameaux, ceux de ses compagnons, et pour remplir leurs outres. Les autres personnes de la caravane s’arrangent avec les porteurs d’eau, pour abreuver chacun son chameau et remplir son outre, moyennant un nombre déterminé de dirhems.

Ensuite on part de Taboûc, et l’on marche rapidement, de nuit comme de jour, par la crainte qu’inspire cette campagne déserte, au milieu de laquelle est le Ouâdi Elokhaïdhir, à l’instar de celui de l’enfer. (Que Dieu nous en préserve !) Les pèlerins y ont une certaine année éprouvé de grands malheurs, à cause du vent chaud et empoisonné (sémoùm) qui y souffle. Les eaux s’épuisèrent et le prix d’un vase plein d’eau monta à mille dinars ; mais acheteur et vendeur mouraient également, ainsi que cela fut écrit sur une pierre de la vallée.

Après cela on campe à l’étang de Mo’azzham, qui est vaste et doit son nom au roi Elmo’azzham, un des petits-fils d’Ayyoûb. (Conf. Recueil de voyages et de mémoires publiés par la Société de géographie, t. 11, pag. 133.) L’eau de pluie s’y assemble dans quelques années, et dans d’autres il est à sec. Le cinquième jour, depuis le départ de Taboûc, la caravane arrive au puits de Hidjr, je veux dire les demeures des Thamoudites. Il contient beaucoup d’eau ; mais aucune personne n’y descend, quelle que soit la violence de sa soif, et cela par imitation de la conduite de l’envoyé de Dieu, lorsqu'il y passa dans son expédition contre Taboûc. Or, il hâta la marche de sa chamelle, et il ordonna que nul ne bût de l’eau de ce puits. Ceux qui s’en étaient servis pour pétrir de la farine, la donnèrent à manger aux chameaux, (Voy. Essai sur l'Histoire des Arabes, par M. Caussin de Perceval, tome I, p. 24-28,et t. III, p. 280-286.)

Dans ce lieu se trouvent les habitations de Thamoûd, taillées dans des nionta’iînes de pierres rouges. Elles ont des seuils sculptés que celui qui les voit, croit être de construction récente. Les ossements cariés de ce peuple sont dans l’intérieur de ces maisons ; et notez que cela offre un grand exemple ! (Cette dernière phrase se trouve plusieurs fois dans le Coran : iii, 11 ; xxiv, 44, et lxxix, 26). Ici se voit l’endroit où s’est accroupie la chamelle de Sâlih, entre deux montagnes, dans l’intervalle desquelles existent des traces d’une mosquée, où l'on va prier. La distance d’Elhidjr à El’ola est d’une demi-journée et même moins. El’ola est une grande et belle bourgade, qui possède des jardins de palmiers et des eaux de source. Les pèlerins y restent quatre jours, pour y faire les provisions de route, pour laver leurs vêtements et pour y déposer les vivres qu’ils ont en trop, et ne prendre avec eux que le strict nécessaire. Les habitants de ce bourg sont des gens probes. C’est jusqu’ici que viennent les marchands chrétiens de la Syrie, et ils ne dépassent pas cette limite. lis y trafiquent en vivres et autres choses avec les pèlerins.

La caravane quitte ensuite El’ola, et, le lendemain de son départ, elle fait halte dans la vallée connue sous le nom d’El’atthâs. La chaleur y est étouffante, et le sémoùm destructeur y souffle. Une certaine année il souffla contre la caravane, de laquelle il n’échappa que fort peu de monde. Cette année-là est nommée l’année de l’émir Eldjàliky ; puis on campe à Badiyah, qui est un lieu de dépôt d’eaux souterraines, situées dans une vallée. On creuse dans cet endroit et il en sort de l’eau qui est saumâtre. Le troisième jour on s’arrête au dehors de la ville sainte, magnifique et noble.


THAÏBAH (MÉDINE), LA VILLE DE L’ENVOVÉ DE DIEU, QUE LA BÉNÉDICTION DE L’ÉTERNEL ET LA PAIX SOIENT SUR LUI, ET QU’IL SOIT ENNOBLI ET HONORÉ !

Vers le soir nous entrâmes dans l’enceinte sacrée et sublime, et nous arrivâmes à la magnifique mosquée, où nous nous arrêtâmes en saluant, à la porte du salut ; et nous priâmes près du noble mausolée (le mausolée de Mahomet) entre le tombeau et la chaire sublime. Nous caressâmes le morceau qui reste du tronc de palmier, lequel manifesta son penchant pour l’envoyé de Dieu. (Voir plus loin, p. 275.) Il est attaché à une colonne, qui s’élève entre le sépulcre et la chaire, à droite de celui qui a en face la kiblah. Nous nous acquittâmes des salutations qui sont dues au prince des premiers et des derniers, l’intercesseur des rebelles et des pécheurs, l’envoyé, le prophète, Elhàchemy alabthahy (du val d’Abthah à la Mecque), Mohammed. Nous parfîmes aussi le salut sur ses deux camarades de lit (couchés à son côté dans la tombe), ses deux compagnons, Abou Becr, le véridique, et Abou Hafs Omar, le judicieux. Nous reprîmes ensuite notre voyage, tout joyeux de cette immense faveur, et satisfaits d’avoir obtenu cette grâce considérable, remerciant Dieu d’être parvenus aux nobles lieux de pèlerinage de son prophète, et à ses sanctuaires magnifiques et sublimes. Nous adressâmes des vœux à l’Éternel, afin qu’il permît que cette visite ne fût pas notre dernière, et qu’il nous plaçât au nombre de ceux dont le pèlerinage est agréé, et dont le voyage est écrit dans la voie de Dieu.


DESCRIPTION DE LA MOSQUÉE DE L’ENVOYÉ DE DIEU, ET DE SON NOBLE MAUSOLÉE.

La mosquée vénérée est de forme allongée ; des nefs circulaires l’entourent sur ses quatre côtés, et au milieu se voit une cour pavée de cailloux et sablée. Tout autour de la noble mosquée est un grand chemin recouvert de pierres de taille. Le saint tombeau (que les bénédictions de Dieu et le salut soient sur son habitant !) se trouve au côté sud-est de la sublime mosquée. Sa forme est admirable et on ne saurait le décrire exactement. Il est entouré de marbre merveilleusement taillé et d’une qualité supérieure. Sa surface se trouve exhaussée par des frictions de musc, et d’autres parfums, continuées depuis bien longtemps ; et dans sa face méridionale se voit un clou d’argent qui est vis-à-vis la noble figure (de Mahomet). C’est là que le public s’arrête pour le salut, se tournant du côté de la noble figure, et ayant derrière lui la kihlah. Apres avoir salué, il se dirige à droite vers la face d’Abou Becr, le véridique, dont la tête se trouve près des pieds du Prophète. Ensuite il se rend près d’Omar, fils d’Alkhatthâb, dont la tête touche les épaules d’Abou Becr.

Au nord du saint mausolée (que Dieu augmente son excellence !) est un petit bassin de marbre, au sud duquel se voit la représentation d’une niche. On dit qu’elle était la demeure de Fâthimah, fille de l’envoyé de Dieu ; et l’on dit aussi que c’est son sépulcre. Dieu sait le mieux la vérité. Au milieu de la noble mosquée se voit une plaque couvrant le sol et fermant l’ouverture d’un souterrain pourvu de marches, et qui conduit à la maison d’Abou Becr, au dehors de la mosquée. Près de ce souterrain était le chemin que suivait sa fille Aïchah, mère des croyants, pour se rendre à la demeure de son père. Il n’y a pas de doute que c’est l’ouverture dont il est fait mention dans le hadîth. Le Prophète commanda de la conserver, et de boucher tout le reste. En face de la demeure d’Abou Becr est celle d’Omar, ainsi que celle de son fils Abd Allah. Au levant de la noble mosquée est la maison de l’imâm de Médine, Abou Abd Allah Màlic, fils d’Anas, et dans le voisinage de la porte du salut se trouve une fontaine à laquelle on descend par des degrés ; son eau est de source et on la nomme El’aïn azzarkâ (la source bleue).


DU COMMENCEMENT DE LA CONSTRUCTION DE LA NOBLE MOSQUÉE.

L’envové de Dieu arriva près de la noble Médine, lieu de la fuite, le lundi treize du mois de rabî’ premier, il descendit chez les fils d’Amr, fils d’Aouf, et resta avec eux vingt-deux jours, d’autres disent quatorze et quelques-uns quatre jours seulement. Ensuite il se rendit dans la ville même, et demeura chez les fils d’Annaddjàr, dans l’habitation d’Abou Ayyoùb alansâry (le Médinois), près duquel il resta sept mois, jusqu’à ce qu’il eût bâti ses habitations et sa mosquée. L’emplacement de celle-ci était un enclos de Sahl et de Sohaïl, tous deux fils de Ràfi’, fils d’Abou Omar, fils d’Anid, fils de Tha’labab, fils de Ghanam), fils de Malic, fils d’Annaddjàr, et qui étaient restés orphelins sous la tutelle d’Aç’ad, fils de Zorârah ; on dit aussi sous celle d’Abou Ayyoùb. Or l’envoyé de Dieu leur acheta cet enclos, et l’on prétend, d’autre part, qu’Abou Ayyoùb les satisfit à ce sujet ; l’on avance aussi qu’eux-mêmes le donnèrent au Prophète. Celui-ci bâtit la mosquée, et y travailla avec ses compagnons ; il y fit un mur, mais pas de toit ni de colonnes. Il lui donna une forme carrée, sa longueur étant de cent coudées, et sa largeur d’autant. L’on dit cependant que cette dernière était moindre que cela. La hauteur du mur était de la taille d’un homme. Lorsque la chaleur lut devenue intense, les compagnons de Mahomet parlèrent de recouvrir d’un toit la mosquée. Alors il y érigea des colonnes, faites de troncs de palmiers, et y construisit un toit avec leurs branches sans les feuilles ; mais quand le ciel donna de la pluie, l’eau dégoutta dans la mosquée et les compagnons du Prophète lui proposèrent de faire ce toit en terre détrempée avec de l’eau. Il dit à ce propos : « Nullement : il me suffit d’une cabane comme celle de Moïse, ou bien d’une couverture (un ombrage) comme celle de Moïse, ce qui est encore plus facile. » On demanda : « Qu’est-ce que la couverture de Moïse ? » et Mahomet répondit : « Lorsqu’il se tenait debout le toit touchait sa tête. » Il donna trois portes à la mosquée, mais il boucha celle du sud, lorsque la kiblah fut changée. La mosquée demeura dans cet état durant la vie du Prophète et celle d’Abou Becr, Quand vint le règne d’Omar, fils d’Alkhatthàb, il agrandit la mosquée de l’envoyé de Dieu en disant : « Si je n’eusse entendu le Prophète dire, qu’il nous fallait augmenter la mosquée, je ne l’aurais pas fait. » Il enleva les colonnes de bois et mit à leur place des piliers de brique ; il fit des fondements en pierre hauts de six pieds et il perça six portes, deux de chaque côté, à l’exception de la face méridionale ; et il dit au sujet de l’une de ces portes : « Il faut laisser celle-ci pour les femmes » ; et il ne fut jamais aperçu dans cet endroit, jusqu’au moment de sa mort. Il dit encore : » Si nous augmentions cette mosquée jusqu’à ce qu’elle atteignît le désert, elle ne cesserait pas pour cela d’être la mosquée de l’envoyé de Dieu. « Omar désira y comprendre un lieu appartenant à Abbâs, oncle de Mahomet ; mais il s’y opposa. Dans ce lieu était une gouttière qui se déversait dans la mosquée, et Omar l’ôta, en disant qu’elle nuisait au public, Abbâs le querella à ce sujet. Ils choisirent pour arbitre Obay, fils de Ca’b, et se rendirent dans son logis ; mais il ne les reçut qu’après un certain temps (littéral, après une heure). Lorsqu’ils eurent été introduits, il dit : « Ma jeune esclave était occupée à me laver la tête. » Omar se disposait à parler, mais Obay lui dit : « Laisse parler Abou’lfadhl, à cause de son degré de parenté avec le Prophète. » Abbâs dit alors : « Il s’agit d’un terrain qui m’a été assigné par l’envoyé de Dieu. J’y ai bâti avec le Prophète, et lorsque je plaçai la gouttière, mes pieds posaient sur les épaules de Mahomet. Or Omar l’a enlevée, et il veut faire entrer mon terrain dans la mosquée. » Obay reprit : « J’ai connaissance de cela, et j’ai de plus entendu dire à l’envoyé de Dieu ce qui suit : « David voulut bâtir la maison sainte (à Jérusalem) ; or il y avait sur cet emplacement une maison appartenant à deux orphelins. Il les invita à la lui vendre ; mais ils refusèrent ; puis il insista doucement près d’eux, et ils la lui vendirent ; mais ensuite ils agirent avec fraude ; le premier contrat fut annulé et la maison achetée de nouveau. Ensuite ils cassèrent de nouveau la vente, et David trouva trop élevé le prix qu’ils demandaient. Alors Dieu lui inspira cette pensée : si tu leur donnes d’une chose qui t’appartient, tu sais ce que tu as à faire ; mais si tu les dois payer de nos biens, donne-leur jusqu’à ce qu’ils soient satisfaits ; car celle de toutes les demeures qui doit le moins tolérer l’injustice, est une maison qui m’appartient ; mais je te défends de la bâtir. » David reprit alors : « Seigneur ! donne cette permission à Salomon » ; et Dieu la donna à Salomon. Omar dit : « Qui me garantit que l’envoyé de Dieu a dit cela ? » Or Obay alla trouver un bon nombre d’Ansâr, qui confirmèrent son assertion. Omar lui dit alors : « Certes, si je n’eusse trouvé personne autre que toi, j’aurais accepté ton récit ; mais j’ai préféré le voir confirmer. « Puis il reprit en s’adressant à Abbâs : « Au nom du ciel, tu ne rétabliras la gouttière que lorsque tes pieds poseront sur mes épaules. » Abbâs l’ayant fait, dit ensuite : « Puisque la possession du local m’est confirmée, je consens à en faire une aumône à l’intention de Dieu. » Omar abattit cette maison, et en ajouta le terrain à la mosquée.

Plus tard Othmân l’augmenta encore ; il y bâtit avec ardeur, s’en occupant par lui-même et y passant toute sa journée ; il la blanchit, l’embellit de pierres sculptées, et il l’agrandit sur toutes ses faces, sauf le côté du levant. Il y dressa des piliers de pierre, renforcés par des colonnes de fer et de plomb. Il la recouvrit de bois de teck (tectonia grandis ; en arabe sâdj, et sâka en sanscrit) et y construisit un mihrâb ; mais l’on dit que ce dernier est dû à Merouân. L’on prétend aussi que le premier qui a construit le mihrâb, c’est Omar, fils d’Ahd al’azîz, sous le khalifat d’Aloualîd.

Ensuite la mosquée fut agrandie par Aloualîd fils d’Abd almélic. Ce fut Omar, fils d’Abd al’azîz qui dirigea le travail. Il l’augmenta, l’embellit et en accrut beaucoup la solidité. Il la construisit de marbre et de bois de teck doré. Aloualîd avait envoyé à l’empereur grec un message ainsi conçu : « Je veux reconstruire la mosquée de notre Prophète, or aide-moi en cela. » Alors il lui expédia des artisans, et quatre-vingt mille mithkâls (ou ducats) d’or. Aloualîd ordonna de comprendre dans la mosquée les chambres des femmes du Prophète. Par conséquent, Omar acheta des maisons, de manière à l’étendre sur trois côtés : mais, arrivé à la kiblah, Obeïd Allah, fils d’Abd Allab, fils d’Omar, se refusa à lui vendre la maison de Hafsah (fille d’Omar et l’une des femmes de Mahomet). Ils eurent de longs entretiens à ce sujet, jusqu’à ce qu’à la fin Omar l’achetât, à la condition que ce qui en resterait appartiendrait aux vendeurs, et qu’ils en tireraient un chemin pour aller à la mosquée ; et c’est là l’ouverture qui s’y voit actuellement. Omar donna à la mosquée quatre minarets placés aux quatre coins. L’un d’eux dominait l’hôtel de Meronân, où Soleïmân, fils d’Abd almélic, se logea lorsqu’il fit le pèlerinage. Le moueddhin étant donc placé au-dessus de lui, lors de l’appel à la prière, il ordonna d’abattre la tour. Omar pratiqua un mihrâb dans la mosquée, et l’on dit que ce fut lui qui inventa cette sorte de niche (où l’imâm se tient pour prier).

La mosquée a été ensuite agrandie par Almahdy, fils d’Abou Dja’far almansoûr. Son père avait eu la ferme intention d’en agir ainsi ; mais il ne put l’accomplir, En effet, Haçân, fils de Zeïd, lui écrivit pour l’exciter à agrandir la mosquée du côté du levant, en lui disant, que si cela avait lieu, le saint mausolée se trouverait au milieu de la noble mosquée. Abou Dja’far le soupçonna de désirer seulement la destruction de l’hôtel d’Othmân, et lui écrivit : « Je sais ce que tu veux, laisse intacte la maison du cheïkb Othmân. » Abou Dja’far ordonna de recouvrir la cour, pendant l’été, avec des rideaux étendus sur des cordes attachées à des poteaux, placés dans la cour ; et cela afin d’abriter contre la chaleur ceux qui priaient. La longueur de la mosquée, après les constructions d’Aloualîd, était de deux cents coudées. Almahdy la porta à trois cents coudées. Il mit aussi la tribune (almaks sûrah) de niveau avec le sol ; car elle était auparavant plus élevée de deux coudées. Il écrivit son nom sur plusieurs endroits de la mosquée.

Après cela, le roi victorieux, Kalâoùn ordonna de bâtir un édifice pour les ablutions, près de la porte du salut. Ce fut le pieux émir Alà eddin, connu sous le nom d’Alakmar, qui présida a sa construction. Il le pourvut d’une cour spacieuse, et l’entoura de cellules, dans lesquelles l’eau coulait. Le roi voulait bâtir une maison pareille à la Mecque, mais cela ne lui réussit point. Ce fut son fils Almélic annâcir qui la construisit, entre Assafà et Almarouah (deux montagnes près de la Mecque) ; et nous ferons mention de cela, s’il plaît à Dieu.

La kiblah de la mosquée de l’envoyé de Dieu est une kiblah décisive, car Mahomet lui-même l’a établie. L’on dit aussi que ce fut Gabriel, et l’on prétend que ce dernier en indiquait au Prophète la direction, et que celui-ci la construisait. Suivant une autre version, Gabriel fit signe aux montagnes, qui s’abaissèrent jusqu’à ce qu’apparût la ca’bah ; et le Prophète bâtissait, en la voyant distinctement. Tout bien considéré, c’est donc une kiblah décisive. Dans les premiers temps qui suivirent l’arrivée du Prophète à Médine, la kiblah était dans la direction de Jérusalem. Elle a été placée dans la direction de la ca’bah après seize mois, et l’on dit aussi après dix-sept mois.


DESCRIPTION DE LA NOBLE CHAIRE

On lit dans le hadith que l’envoyé de Dieu prêchait d’abord près d’un tronc de palmier dans la mosquée, et lorsqu’on lui eut construit la chaire, et qu’il s’y transporta, le tronc de palmier gémit, comme la femelle du chameau gémit après son poulain. L’on rapporte que Mahomet descendit vers lui et l’embrassa, et qu’alors il se tut. Le Prophète dit ; « Si je ne l’avais pas embrassé, il se serait plaint jusqu’au jour de la résurrection. » Les récits diffèrent touchant l’auteur de la noble chaire. L’on dit, d’une part, qu’elle a été faite par Tamîm addâry, et, d’un autre côté, on l’attribue à un esclave d’Abbâs, ou à l’esclave d’une femme d’un des Ansâr. Cela se trouve dans le hadîth véridique. Elle a été faite de tamarin de forêt, et, suivant d’autres, de tamarisc. Elle possédait trois gradins, et le Prophète s’asseyait sur le plus élevé, et posait ses nobles pieds sur celui du milieu. Lorsque Abou Becr, le très-sincère, fut investi du pouvoir, il s’assit sur le degré du milieu, et posa ses pieds sur le premier. Quand Omar lui succéda, il s’assit sur le premier et posa ses pieds sur le sol. Othmân en agit de même dans le commencement de son khalifat ; mais, plus tard, il monta sur la troisième marche. Quand l’autorité appartint à Mo’aouiyah, il voulut transporter la chaire à Damas ; mais les musulmans jetèrent les hauts cris ; un vent violent souffla, le soleil s’éclipsa, les étoiles parurent en plein jour, la terre se trouva dans l’obscurité, en sorte que les hommes se heurtaient l’un contre l’autre, et le chemin n’était pas visible. À cause de cela, Mo’aouiyah renonça à son projet, ajouta à la partie inférieure de la chaire six marches ; et leur nombre fut ainsi porté à neuf.


DU PRÉDICATEUR ET DE L’IMÂM DANS LA MOSQUÉE DE L’ENVOYÉ DE DIEU.

L’imâm de la noble mosquée, au moment de mon entrée à Médine, était Bahâ eddîn, fils de Salâmah, un des principaux personnages du Caire. Son substitut était Izz eddîn, de Ouâcith, pieux, dévot, objet des désirs ardents des docteurs. (Que Dieu nous favorise par lui !) Le prédécesseur de l’imâm ci-dessus était Siràdj eddîn Omar almisry, qui remplissait aussi les fonctions de juge dans la noble Médine.


ANECDOTE.

On raconte que ce Siràdj eddîn occupa l’emploi de kâdhi et de prédicateur à Médine, pendant quarante années environ. Après cela il désira retourner au Caire ; mais, à trois reprises différentes, il vit en songe l’envoyé de Dieu, et chaque fois le Prophète lui défendait de quitter Médine, et lui annonçait, en même temps, la fin prochaine de sa carrière. Il ne renonça point à son projet, il partit et mourut dans un endroit appelé Souaïs (Suez) à trois journées de distance du Caire, et (par conséquent) avant d’y arriver. (Que Dieu nous garde d’une mauvaise mort !) Son substitut était le docteur Abou Abd Allah Mohammed, fils de Farhoûn, dont les fils, maintenant présents dans la noble Médine, sont : Abou Mohammed Abd Allah, professeur des mâlikites et substitut du juge, et Abou Abd Allah Mohammed. Ils sont originaires de la ville de Tunis, où ils jouissent d’une grande considération et d’une noble parenté. Dans la suite, le prédicateur et le juge de Médine fut Djemâl eddîn d’Ociouth, l’Égyptien. Antérieurement il était kâdhi dans le château d’Alcarac.


DES DESSERVANTS DE LA NOBLE MOSQUÉE, ET DE SES MOUEDDHINS.

Les serviteurs de cette noble mosquée, et ses gardiens sont des eunuques abyssins, ou autres ; ils ont une belle figure, un extérieur recherché et des vêtements élégants. Leur chef est nommé le cheïkh des serviteurs, et il a l’apparence extérieure des grands émirs. Ils ont une solde provenant de l’Égypte et de la Syrie, qu’on leur paye tous les ans (à Médine). Le chef des moueddhins, dans le noble temple, est l’imâm traditionnaire, le vertueux Djémâl eddîn Almathary, de Mathariyah, village près du Caire. Son fils est Texcellent Afîf eddîn Abd Allah. Le cheïkh Elmodjàouir, (habitant dans le temple), le pieux Abou Abd Allah Mohammed, fils de Mohammed de Grenade, connu sous le nom d’Attarrâs (fabricant de boucliers), est le principal des habitants du temple, et c’est lui qui s’est mutilé de ses propres mains, par crainte de la tentation.


ANECDOTE.

On dit qu’Abou Abd Allah algharnâthy était serviteur du cheïkh nommé Abd alhamîd al’adjamy. Celui-ci avait une fort bonne opinion de lui ; il lui confiait sa famille et ses biens, et le laissait dans sa maison lorsqu’il allait en voyage. Une fois il partit et le laissa, comme d’habitude, dans son logis. La femme du cheïkh Abd alhamîd se prit d’amour pour Abou Abd Allah, et l’invita à satisfaire ses désirs. Il répondit : « Je crains Dieu, et je ne tromperai pas celui qui m’a confié sa famille et ses richesses. » Elle ne cessa de le presser et d’insister près de lui, si bien qu’il craignit pour lui la séduction et qu’il se mutila. Cela fait, il perdit connaissance et il fut trouvé dans cet état. On le soigna jusqu’à ce qu’il guérît. Il fut ensuite un des desservants de la noble mosquée et un de ses moueddhins, et le supérieur de ces deux classes. Il est encore en vie.


DE QUELQUES PERSONNES HABITANT AUPRÈS DU TEMPLE DE MÉDINE.

Nommons d’abord le cheïkh pieux et vertueux Abou’l’abbâs Ahmed, fils de Mohammed, fils de Marzoûk, personnage d’une grande dévotion, jeûnant souvent et priant assidûment dans la mosquée de l’envoyé de Dieu, doué d’une constance et d’une résignation remarquables. Souvent il se retirait à la Mecque, l’illustre. Je l’ai vu dans cette ville en l’année vingt-huit (728 hég. 1328 de J. C.), et personne plus que lui ne faisait les tournées autour de la ca’bah. J’admirais son assiduité dans cet exercice, malgré la violence de la chaleur dans le lieu des processions. Cet endroit est pavé avec des pierres noires, et elles devenaient par la chaleur du soleil comme des plaques chauffées. Je vis les porteurs d’eau qui en répandaient sur elles, et à peine l’eau quittait la place où elle était versée, que celle-ci s’enflammait immédiatement. La plupart de ceux qui font les tournées en ce temps-là chaussent des bas, tandis qu’Abou’l’abbâs, fils de Marzoùk faisait ses tournées nu-pieds. Je le vis un jour ainsi et je désirai faire les tournées avec lui. J’arrivai à l’endroit des processions, et je voulus embrasser la pierre noire ; mais la chaleur des pierres dont il a été question ci-dessus me saisit, et je me décidai à m’en retourner, toutefois après avoir baisé ladite pierre. Je n’y pus arriver qu’avec un effort extrême. Ensuite je m’en allai et je ne fis pas les tournées ; je plaçai mon manteau (ou, suivant une autre leçon, mon tapis a prier) sur le sol, et je marchai sur lui jusqu’à mon arrivée au péristyle.

Il y avait à cette époque à la Mecque le vizir de Grenade, le principal personnage de cette ville, Abou’lkàcim Mohammed, fils de Mohammed, fils du docteur Abou’lhaçan Sahl, fils de Màlic alazdy. Il faisait, tous les jours, sept fois soixante et dix tournées (ou, d’après une autre leçon, sept tournées) ; mais il ne faisait pas de tournées au moment du midi, à cause de la grande chaleur. Le fils de Marzoûk faisait ses tournées en plein midi, l’emportant ainsi sur ce personnage.

Un autre individu habitant près du temple de Médine (que Dieu l'honore !), était le pieux cheïkh, serviteur de Dieu, Sa’îd, de Maroc, alcafil ; et un autre, le cheïkh Abou Mahdy Iça, fils de Hazroûn, de Méquinès (Micnâçah, ville au nord-ouest de celle de Fez).


ANECDOTE.

Le cheïkh Abou Mahdy s’établit à la Mecque auprès du temple, l’année vingt-huit (728 de l’hégire, 1328 de J. C.). Il se dirigea vers la montagne de Hirâ avec un certain nombre de modjâouirs (demeurant assidûment auprès du sanctuaire). Lorsqu’ils eurent gravi la montagne, et qu’après être arrivés au lieu d’adoration du Prophète (ou, suivant une autre leçon, qu’ils eurent prié dans le lieu, etc.) ils descendirent, Abou Mahdy resta en arrière de la compagnie. Il vit un chemin dans la montagne, et, pensant que c’était un chemin de traverse (littéral, court), il le prit. Sur ces entrefaites, sa société arriva au bas de la montagne, et l’attendit, mais sans le voir venir. Ils regardèrent autour d’eux et ne voyant aucune trace de leur camarade, ils crurent qu’il les avait précédés, et marchèrent vers la Mecque. De son côté, Iça suivit son chemin, par lequel il parvint à une autre montagne, et il s’égara de sa route. La soif et la chaleur le tourmentèrent, ses sandales tombèrent en lambeaux et il fut obligé de couper des morceaux de ses vêtements, et de s’en envelopper les pieds. A la fin, il ne put plus marcher et il s’assit à l’ombre sous un acacia. Dieu lui envoya un Arabe nomade monté sur un chameau. Il s’arrêta près de lui, et Iça l’informa de son état. Alors le Bédouin le fit monter sur son chameau, et le conduisit à la Mecque. Il avait autour de lui une bourse dans laquelle était de l’or, qu’il donna à son guide. Iça resta environ un mois sans pouvoir se tenir debout. La peau de ses pieds était tombée, et il s’en forma une autre. Pareille aventure est arrivée à un de mes camarades, que je mentionnerai plus loin, s’il plaît à Dieu.

Un autre d’entre les modjâouirs de la noble Médine est Abou Mohammed essarouy, un des bons lecteurs. Il se rendit auprès du temple de la Mecque dans l’année susnommée, et il y lisait le Livre de la guérison, du kâdhi Iyâdh, après la prière de midi. Il s’acquitta des fonctions d’imâm, dans cette ville, pendant les prières de nuit du mois de ramadhàn. Un autre modjâouir, c’est le jurisconsulte Abou’l’abbâs alfacy (de Fez), professeur des mâlikites à Médine. Il a épousé la fille du pieux cheikh Chihâb eddîn Azzérendy.


ANECDOTE.

On rapporte qu’Abou’l’abbàs alfacy s’entretenait une fois avec quelqu’un, et qu’il poursuivit son discours, jusqu’à ce qu’il proférât une grave erreur, dans laquelle il tomba à cause de son ignorance dans la science des généalogies et faute de retenir sa langue. Son péché fut grand ; que Dieu lui pardonne ! Il dit, en effet, que Hoçain, fils d’Aly, fils d’Abou Thâlib, n’a pas laissé de postérité. L’émir de Médine, Thofaïl, fils de Mansoûr, fils de Djammâz alharany, fut informé de ce propos qu’il blâma avec raison, et il voulut tuer le coupable. Cependant on lui parla en sa faveur, et il le chassa seulement de Médine ; mais on dit qu’il dépêcha, par la suite, quelqu’un qui l’assassina, et jusqu’à présent on n’en a pas de nouvelles. Que Dieu nous garde des fautes et des erreurs de la langue !


DE L’ÉMIR DE LA NOBLE MÉDINE.

L’émir de Médine était Cobeïch, fils de Mansoûr, fils de Djammâz. Il avait tué son oncle Mokbil, et l’on dit qu’il se lava dans son sang. Ensuite Cobeïch partit avec ses gens pour le désert, dans l’année vingt-sept (727 de l’hég. 1327 de J. C.), à l’époque des grandes chaleurs. Un jour ils furent atteints par la chaleur de midi, et ils se dispersèrent sous i’ombre des arbres ; et voici que les fils de Mokbil, en compagnie d’une troupe de leurs esclaves (paraissent et) s’écrient : « La vengeance de Mokbil ! » ils tuèrent de sang-froid Cobeïch, fils de Mansoûr, et ils léchèrent son sang. Après lui, fut nommé cpmmandant à Médine, son frère Thofaïl, fils de Mansoûr, celui qui a expulsé Abou Tabbâs alfacy, ainsi que nous l’avons dit plus haut.


DE QUELQUES NOBLES SANCTUAIRES SITUÉS HORS DE MÉDINE.

Mentionnons d’abord celui appelé Bakî’ algharkad. (C’est le cimetière de Médine : littéral, terrain où l’on rencontre beaucoup de racines d’une grande ronce épineuse.) Il est à l’orient de la noble Médine, et l’on s’y rend par une porte nonmiée Bàb albakî’ (la porte du cimetière). La première chose que rencontre celui qui s’y dirige, en sortant de ladite porte et à sa gauche, est le tombeau de Safiyyah, fille d’Abd almotthalib, tante paternelle de l’envoyé de Dieu, et mère de Zobeïr, fils d’Alaw wâm. En face est le tombeau de rimâm de Médine Abou Abd Allah Mâlic, fils d’Anas, que surmonte une petite coupole d’une construction fort simple. Vis-à-vis se voit le sépulcre du rejeton pur, saint, prophétique et noble, Ibrahim, fils de l’envoyé de Dieu au-dessus duquel s’élève une coupole blanche. A droite de celle-ci est le sépulcre d’Ahd arrahmàn, fils d’Omar, fils d’Alkhatthàb, qui est connu sous le nom d’Abou Chahmah. En face de lui est placé le tombeau d’Akîl, fils d’Abou Thâlib, et celui d’Abd Allah, fils de Dhou’ldjéntàhaïn (l’homme aux deux ailes) Dja’far, fils d’Abou Thâlib. En face de ceux-ci se voit un mausolée (littéral, un parterre), où l’on dit que se trouvent les tombeaux des mères des croyants. Il est suivi d’un autre, dans lequel est le tombeau d’Al’abbàs, fils d’Abd almotthalib, oncle de l’envoyé de Dieu ; et celui de Haçàn, fils d’Aly, fils d’Abou Thâlib. C’est une coupole qui s’élève dans les airs, admirablement construite, et située à la droite de celui qui sort par la porte du cimetière. La tête de Haçan se trouve aux pieds d’Al’abbàs ; leurs deux tombeaux sont élevés au-dessus du sol ; ils sont vastes et recouverts de tablettes merveilleusement jointes, incrustées de plaques de laiton, fort bien travaillées. Dans ce cimetière il y a aussi les tombeaux de ceux qui ont accompagné Mahomet dans sa fuite de la Mecque à Médine (mohâdjiroûn), des auxiliaires et autres associés du Prophète ; mais îa plupart de ces tombeaux sont inconnus. Au fond du cimetière est le tombeau du commandant des croyants Abou Omar Othmàn, fils d’Affân, que surmonte une grande coupole. Dans son voisinage est le tombeau de Fâthimah, fille d’Açad, fils de Hâchim, mère d’Aly, fils d’Abou Thâlib. (Puisse Dieu être satisfait d’elle et de son fils !) Un autre noble lieu de réunion est Kobâ ; il est situé au midi de la ville, à la distance d’environ deux milles. Le chemin qui y conduit traverse des lieux clos, plantés de palmiers. On y voit la mosquée qui a été fondée sur la crainte de Dieu et le dosir de lui plaire. (Conf. Coran, ix, 109-110. C’est le temple inauguré par Mahomet lui-même.)

C’est un temple carré, dans lequel il y a un minaret blanc et haut, qui s’aperçoit de loin. Dans son milieu est l’endroit où la chamelle qui portail le Prophète s’est agenouillée ; et le peuple regarde comme une source de bénédiction la prière faite en ce lieu. Du côté sud de sa cour est une niche sur un banc, et c’est le premier endroit dans lequel le Prophête s’est prosterné en priant. Au midi se voit une maison qui a appartenu à Abou Ayyoûb alansàry, et à laquelle sont contiguës des habitations qu’on attribue à Abou Becr, Omar, Fâthimah, et Aïchah. En face de la mosquée est le puits d’Arîs, celui-là même dont l’eau est devenue douce depuis que le Prophète y a craché. Auparavant elle était saumâtre. Dans ce puits est tombé le noble anneau (de la main) d’Othmân. (C’était le sceau du Prophète, qui a été ainsi perdu. Conf. Abou’lféda, Géogr. p. 87.)

Un autre sanctuaire, c’est la coupole de la pierre à l’huile d’olive, au dehors de Médine. On dit que l’huile a dégoutté d’une pierre qui se trouve dans cet endroit, eu faveur du Prophète. Au nord se voit le puits de Bodhâ’ah, et vis-à-vis de lui, la montagne de Satan, d’où il cria le jour du combat d’Ohod : « Votre Prophète a été tué ! » Sur le bord du fossé qu’a creusé l’envoyé de Dieu, lors du rassemblement des confédérés, est un château ruiné qu’on nomme le château des célibataires. On dit qu’Omar l’a fait bâtir pour les célibataires de Médine. En face de lui, à l’occident, est le puits de Roûmah, dont le commandant des croyants Othmân a acheté une moitié pour vingt mille (dirhems).

Un autre noble lieu de réunion est Ohod ; c’est la montagne bénie, au sujet de laquelle l’envoyé de Dieu a dit : « Certes qu’Ohod est une montagne qui nous aime, et que nous aimons. » Elle est située au nord de Médine, à la distance d’environ une parasange. En face d’elle sont les martyrs vénérés. Là est placé le tombeau de Hamzah, oncle de l’envoyé de Dieu, et autour de lui sont les martyrs qui ont succombé à Ohod, et dont les sépulcres sont au midi de la montagne. Sur le chemin de celle-ci est une mosquée qu’on attribue à Aly, fils d’Abou Thâlib, et une autre qu’on attribue à Selmân alfàricy (le Persan). On y voit aussi la mosquée de la conquête (Faih), où est descendu pour Mahomet le chapitre de la conquête (Coran, xlviii).

Notre séjour à Médine, dans ce premier voyage, fut de quatre jours, et nous passâmes toutes les nuits dans le noble temple. Les habitants formaient des cercles dans sa cour ; ils allumaient beaucoup de bougies, et ils avaient devant eux les coffrets du Coran divin qu’ils lisaient. Quelques-uns prononçaient les louanges de Dieu, et d’autres examinaient le saint tombeau. (Que Dieu augmente son excellence !)

Les conducteurs des montures chantaient gaiement de tous côtés l’éloge de l’envoyé de Dieu : telle est la coutume des gens dans ces nuits bénies, et ils font généreusement beaucoup d’aumônes en faveur des modjàouir et des pauvres. J’avais eu pour camarade dans ce voyage, depuis Damas jusqu’à Médine, un individu de cette dernière ville : c’était un homme de mérite, et connu sous le nom de Mansoûr, fils de Chacl. Il m’y donna l’hospitalité, et nous nous revîmes plus tard à Alep et à Bokhâra. J’avais aussi en ma compagnie le kâdhi d’Azzaïdiyyah (près de Baghdad), Cherf eddîn Kâcim, fils de Sinân, ainsi qu’un des pieux fakîrs de Grenade, dont le nom était Aly, fils de Hodjr alomaouy.


ANECDOTE.

Lorsque nous fûmes arrivés à Médine (que Dieu la glorifie, et que la plus excellente des bénédictions soit sur son habitant [Mahomet] !), Aly, fils de Hodjr, susnommé, m’a raconté qu’il avait vu cette nuit-là en songe quelqu’un qui lui dit : « Écoute-moi et souviens-toi de moi. »

Soyez les bien-venus, ô vous qui visitez son tombeau, et qui vous êtes confiés à lui le jour de la résipiscence des péchés.

Vous êtes arrivés près du sépulcre du bien-aimé, à Médine ; heureux celui qui peut s’y trouver le matin ou le soir !

Cet homme continua de demeurer à Médine, auprès du temple, après (le départ de) ses camarades (suivant une autre leçon, après son pèlerinage) ; puis il vint à la ville de Dihly, capitale du pays de l’Inde, dans l'année quarante-trois (743 hég. 1342-3 J. C.). Il se mit sous ma protection, et je racontai devant le roi de l’Inde l’anecdote de sa vision. Celui-ci ordonna de Tamener en sa présence, ce qui eut lieu. Il raconta cela lui-même au roi, qui en fut émerveillé et charmé, et qui lui dit quelques mots agréables en langue persane. Il prescrivit de lui donner l’hospitalité, et il lui fit présent de trois cents tencah (du persan tengach) d’or. Le poids du tencah, en dinars du Maghreb, est de deux dinars et demi. Le roi lui donna encore un cheval dont la selle et la bride étaient richement ornées, et une robe d’honneur. Il lui assigna de plus un traitement journalier.

Il y avait dans cette ville un excellent docteur de Grenade, mais né à Bougie, qui était connu à Dihly sous le nom de Djémâl eddîn Almaghréby. Le susdit Aly, hls de Hodjr, se lia avec lui ; il lui promit de lui faire épouser sa fille, et le logea dans une cellule en dehors de sa maison. Cependant Aly acheta deux esclaves, mâle et femelle. Il avait l’habitude de laisser ses dinars dans la couverture de ses vêtements, car il ne se fiait à personne pour ce qui regardait son argent. Les deux esclaves s’entendirent pour prendre cet or ; ils l’enlevèrent et s’enfuirent. Lorsque Aly retourna chez lui, il ne retrouva plus ni les esclaves ni l’argent. Alors il s’abstint de manger et de boire, et il fut pris d’une maladie très-grave, par suite de la peine que lui causa ce qui lui était arrivé. J’exposai son aventure au roi, qui ordonna de lui donner l’équivalent de ce qu’il avait perdu, et qui lui dépêcha quelqu’un pour l’informer de cette détermination ; mais le messager le trouva mort. (Que Dieu très-haut ait pitié de lui !)

Nous partîmes de Médine pour aller à la Mecque, et nous fîmes halte près de la mosquée de Dhou’lholaifah, où l’envoyé de Dieu se constitua en état pénitentiel. (Cf. M. Caussin de Perceval, III, 176, 207 et 299.) Elle est à cinq milles de distance de la ville, et c’est là le terme du territoire sacré de Médine. Près de cet endroit est la rivière Al’akîk, et ce fut là que je me dépouillai de mes vêtements à coutures, je me lavai, et je revêtis le costume de mon état pénitentiel (ihrâm). le fis une prière de deux rec’ahs, et je m’obligeai à faire le pèlerinage simple de la Mecque. Je ne cessai de me conformer aux obligations prescrites (lilléral. de dire labbaïc, ou : « Me voici devant toi, ô mon Dieu ! louange à toi, etc. » ) par monts et par vaux, en montant comme en descendant, jusqu’à ce que j’arrivasse à Chi’b Aly (la gorge d’Aly), où je campai cette nuit-là. Ensuite nous partîmes et descendîmes à Raouhâ, où est un puits nommé le puits Dhât al’alam. L’on dit qu’Aly y a combattu les démons. Nous quittâmes ce lieu et campâmes à Safrâ : c’est une vallée florissante, dans laquelle il y a de l’eau, des palmiers, des édifices et un château qui est habité par des chérifs de la postérité de Haçan, et autres ; il y a aussi un grand fort, qui est suivi de beaucoup d’autres, et de villages qui se touchent. Nous partîmes de cette vallée et campâmes à Bedr, où Dieu a donné la victoire à son envoyé, a accompli sa noble promesse, et ruiné les chefs des polythéistes. C’est une bourgade où se voient des vergers plantés de palmiers, et qui sont contigus les uns aux autres. Il y a aussi un château fort dans lequel ou arrive par le fond d’une vallée située entre des montagnes. ABedr, il existe une source jaillissante dont l’eau forme un canal. L’emplacement du puits où furent jetés les idolâtres, ennemis de Dieu, est maintenant un jardin, et la sépulture des martyrs est derrière lui. La montagne de la miséricorde, où descendirent les anges (conf. Coran, iii, 119-121, et ailleurs) est à gauche de celui qui entre dans le dernier endroit, pour se diriger vers Safrà. En face est la montagne des tambours ; elle ressemble à une vaste colline de sable, et les habitants de ces contrées assurent qu’ils entendent toutes les nuits du jeudi au vendredi, dans cet endroit, comme un bruit de tambours. Le lieu de la cabane de l’envoyé de Dieu, dans laquelle il était pendant la journée de Bedr, priant son Seigneur, est au pied de la montagne des tambours. La place du combat se trouve vis-à-vis de lui. Près des palmiers du puits, il existe une mosquée, que l’on nomme le lieu où s’est accroupie la chamelle du Prophète. Entre Bedr et Safrâ il y a environ une poste (quatre parasanges), dans une vallée entre des montagnes, où les sources d’eau coulent abondamment, et les vergers de palmiers sont fort rapprochés.

Nous partîmes de Bedr pour la plaine connue sous le nom de plaine de Bezouà. C’est un désert dans lequel le guide lui-même s’égare, et l’ami ne pense plus à son ami. Il s’étend l’espace de trois jours de marche, et à son terme est la vallée de Râbigh. La pluie y forme des étangs dans lesquels l’eau séjourne longtemps. C’est à partir de cet endroit que commencent les cérémonies du pèlerinage pour ceux qui viennent de l’Égypte et de la Mauritanie, et il est près de Djohfah. Nous voyageâmes trois jours de Râbigh à Kholaïs, et nous passâmes par le défilé du Séouîk (propr. farine d’orge séchée au feu ; c’est aussi le nom d’une sorte de bouillie ou tisane qu’on fait avec cette farine, etc. etc.). Il est à la distance d’une demi-journée de Kholaïs, et renferme beaucoup de sable ; les pèlerins y boivent constamment le séouîk, qu’ils emportent avec eux exprès du Caire ou de Damas. On le prend mélangé avec du sucre ; et les émirs en remplissent les réservoirs, pour que le public s’y abreuve. On raconte que, l’envoyé de Dieu passant par ce défilé, ses compagnons n’avaient avec eux aucune nourriture ; alors il y prit du sable, qu’il leur donna ; ils le burent et y trouvèrent le goût du séouîk. (Voyez, pour une autre version, l’Essai sur l’histoire des Arabes, par M. Caussin de Perceval, t. III, p. 84.)

Nous campâmes ensuite à l’étang de Kholaïs. Il est dans un vaste terrain, qui abonde en enclos plantés de palmiers ; il a aussi un château fort, placé sur la cime d’une montagne. Dans la plaine, il y a un château ruiné. Près de Kholaïs est une source jaillissante, proche de laquelle on a pratiqué des sillons dans le sol, et qui coule ainsi vers les champs. Le seigneur de Kholaïs est un chérîf de la postérité de Haçan. Les Arabes de cette contrée y tiennent un grand marché où ils apportent des brebis, des fruits et des ragoûts.

Nous nous rendîmes ensuite à Osfàn, qui est situé dans une large plaine, entre des montagnes. Il possède des puits d’eau de source, l’un desquels est attribué à Othmân, fils d’Affan. Le sentier en pente, attribué aussi à Othmân, est à une demi-journée de Kholaïs : c’est un espace étroit entre deux montagnes. Dans un endroit de ce défilé, il y a un pavé ressemblant à des marches, et des traces d’une construction ancienne. Il y existe aussi un puits qu’on nomme le puits d’Aly, et l’on dit que c’est lui qui l’a creusé. A Osfàn, il y a un château antique et une tour solide, mais dont la force est diminuée par son état de ruine. Il y a encore beaucoup d’arbres de Mokl (palmiers nains et sauvages, daoum, dont le fruit est appelé mokl).

Nous quittâmes Osfàn et campâmes à Bathn Marr (la vallée de Marr), qu’on nomme aussi Marr des Zhohrân (nom d’une chaîne de montagnes). C’est une vallée fertile, abondante en palmiers, et qui possède une source jaillissante, qui coule et arrose cette contrée. C’est de cette vallée qu’on transporte les fruits et les herbes potagères à la Mecque (que Dieu l’ennoblisse !). Puis, au soir, nous partîmes de cette vallée bénie, tandis que nos cœurs étaient joyeux d’avoir atteint le but de leurs désirs, et satisfaits de leur état et de leur succès. Or nous arrivâmes vers le matin à la ville sûre, la Mecque (puisse Dieu très-haut l’illustrer !), et nous y descendîmes près du sanctuaire de Dieu (qu’il soit exalté !), demeure de son ami Ibrâhîm, et lieu de la mission de son élu Mohammed ; que la bénédiction de Dieu et la paix soient sur lui ! Nous entrâmes dans la maison sainte et noble (où quiconque y est entré se trouve en sûreté), par la porte des Bénou Cheïbah, et nous vîmes la sublime ca’bah ; que Dieu augmente sa vénération ! Elle est comme une jeune mariée qui brille sur le trône de l’illustration, et se balance dans les manteaux rayés de la beauté. Les foules du miséricordieux (c’est-à-dire les pèlerins) l’entourent, et elle conduit au jardin du paradis. Nous fîmes autour d’elle les tournées (prescrites) de l’arrivée, et nous baisâmes la noble pierre. Nous récitâmes une prière de deux rec’abs dans la place d’Abraham, et nous nous suspendîmes aux voiles de la ca’bah, à côté du Moltazem, lieu situé entre la porte et la pierre noire, et près duquel les prières sont exaucées. Ensuite nous bûmes de l’eau du puits de Zamzam ; et quand on la boit, on lui trouve (les qualités qu’on connaît) d’après les paroles du Prophète.

Nous courûmes entre Assafâ et Almarouah, et nous descendîmes dans une habitation située en ce lieu, près de la porte d’Ibràhîm. Louange à Dieu qui nous a ennoblis par notre présence dans cette illustre maison, et qui nous a mis au nombre de ceux que l’invocation d’Abraham (sur lequel soient la bénédiction et le salut !) a conduits au but ; qui a réjoui nos yeux par la vue de la noble ca’bah et de la mosquée sublime, de la pierre illustre, de Zamzam et du hathîm (nom d’un mur très-bas, près du temple).

Parmi les œuvres merveilleuses de Dieu, il est à remarquer qu’il a imprimé dans les cœurs des hommes le désir de se rendre auprès de ces illustres lieux, et la passion de se trouver dans leurs nobles places de réunion. Il a rendu leur amour tout-puissant dans les âmes ; car personne ne s’y arrête, qu’ils ne s’emparent aussitôt de tout son cœur ; et nul ne les quitte qu’il ne soit triste de s’en séparer, troublé de s’en éloigner, plein d’affection pour eux, et ayant la ferme intention de renouveler sa venue dans ces saints lieux. En effet, leur sol béni est le but des yeux, et leur amour remplit les cœurs, par suite de l’éminente sagesse de Dieu, et en confirmation de la prière de son ami (Abraham). Le désir rend présents ces lieux, tandis qu’ils sont éloignés, et il les représente à l’esprit, quoique absents. Celui qui s’y rend ne tient nul compte des peines qu’il éprouve et des contrariétés qu’il endure. Combien d’infirmes n’ont-ils pas vu distinctement la mort avant d’atteindre ces nobles sanctuaires, ou éprouvé le néant durant le voyage ! Et lorsque Dieu y a rassemblé ses hôtes, ils s’y trouvent contents et heureux, comme s’ils n’avaient goûté, pour y arriver, aucune amertume, ni enduré de malheurs ni de tourments. C’est, certes, là un ordre divin, une œuvre céleste ! C’est un argument qui n’est mélangé d’aucun doute, ni couvert d’aucune obscurité, ni envahi par aucune fausseté. Il est en grand honneur dans l’esprit des hommes intelligents, et il dissipe les soucis des gens préoccupés. Celui auquel Dieu a fait la grâce de pouvoir descendre dans ces contrées et d’être présent dans ces demeures, il l’a favorisé du plus grand bienfait, et l’a mis en possession de la meilleure part des deux habitations ; savoir celle de ce monde et l’autre. Or il est de son devoir d’être très-reconnaissant des dons qu’il a reçus, et de persévérer dans la lounnge de Dieu, à cause de ce qu’il lui a départi. Que Dieu très-haut, par suite de sa bonté et de sa générosité, nous mette au nombre de ceux dont la visite est agréée, et dont le commerce fait à cette occasion a prospéré ; dont les gestes sont écrits dans la voie de Dieu, et dont les péchés sont effacés par l’acceptation (du repentir).


DE LA SUBLIME VILLE DE LA MECQUE.

C’est une grande ville dont les édifices sont rapprochés. Elle a la forme d’un parallélogramme, et est située dans le fond d’une vallée que des montagnes entourent ; de sorte que celui qui se dirige vers elle ne la voit que lorsqu’il y est arrivé. Les monts qui l’avoisinent ne sont point extrêmement élevés. Les deux Akhchab sont de ce nombre : l’un est la montagne d’Abou Kobaïs, au midi de la ville, et fautive celle de Ko’aïki’ân de son côté (sic. Il y a ici une erreur que l’auteur corrige, en partie, plus loin. Abou’lféda (Géographie, p. 78) dit que la première de ces montagnes est à l’orient de la Mecque, et la seconde à l’occident : cela est exact). Au nord se trouve la montagne rouge, et à côté d’Abou Kobaïs sont les grands cols et les petits cols, qui sont deux gorges. Il y a de plus Alkhandamah, montagne que nous mentionnerons aussi plus bas. Tous les lieux où l’on immole les offrandes et où l’on pratique d’autres cérémonies du pèlerinage, tels que Mina, Arafah et Almozdalifah, sont au levant de la Mecque. Cette ville a trois portes, qui sont : 1° la porte d’Alma’la, dans le haut de la ville ; 2° la porte d’Achchobeïcah dans le bas ; on l’appelle aussi Bâb azzâhir et Bâb al’omrah. Elle est située au couchant, et c’est là qu’aboutit le chemin de la noble Médine, du Caire, de Damas et de Djoddah. C’est par cette porte qu’on se rend au Tan’îm, el nous mentionnerons cela plus loin ; 3° la porte d’Almasfal, qui est au sud : c’est par elle qu’est entré Khàlid, fils d’Alwalîd, le jour de la conquête.

La Mecque, ainsi que Dieu l’a dit dans son livre rare, en rapportant les paroles de son prophète Alkhalîl, est située dans une vallée stérile (cf. Coran, xiv, 40) ; mais l’invocation bénie d’Abraham l’a emporté en sa faveur, et toute chose nouvelle et bonne y est expédiée, et les fruits de chaque espèce y sont introduits. J’y ai mangé, en fait de fruits, des raisins, des figues, des pêches et des dattes, dont on ne trouve pas les pareils dans le monde entier. Il en est de même des melons qui y sont apportés : aucune autre espèce ne peut leur être comparée pour le parfum et la douceur. Les viandes sont grasses à la Mecque, et leurs saveurs délicieuses. En somme, tous les objets de commerce qu’on trouve éparpillés dans les différentes contrées sont rassemblés dans cette ville. On y importe de Thâïf, de Wâdi Nakhlah et de Bathn Marr les fruits et les hérites potagères, par suite de la bonté de Dieu envers les habitants de son territoire sacré et sûr, et envers ceux qui sont assidus dans sa maison antique (la ca’bah).


DE LA MOSQUÉE VÉNÉRABLE (QUE DIEU L’ENNOBLISSE ET L’EXALTE !)

Elle est située dans le milieu de la ville, et très-vaste, ayant en longueur, du levant au touchant, plus de quatre cents coudées, suivant ce que rapporte Alazraky ; sa largeur est à peu près d’autant. La ca’bah magnifique se trouve au milieu du temple. Il est d’une forme si admirable, et sa vue est si jolie, que la langue s’efforcerait vainement de décrire ses merveilles, et aucune description ne pourrait donner l’idée de sa parfaite beauté. La hauteur de ses murailles est d’environ vingt coudées ; son toit est supporté par de longues colonnes, rangées sur trois files, solidement et admirablement travaillées. La disposition de ses trois nefs est aussi fort belle, et il semble qu’elles n’en fassent qu’une seule. Le nombre de ses colonnes de marbre blanc est de quatre cent quatre-vingt-onze, sans compter les piliers de plâtre qui se trouvent dans l’Hôtel de l’assemblée, lequel est ajouté à la mosquée. Il est dans l’intérieur de la nef située au nord, et il a vis-à-vis la place (d’Abraham] et l’angle babylonien. On entre par cette nef dans sa cour, qui est contiguë. Cette même nef a, le long de sa paroi, des bancs surmontés d’arcades (hanâya), où s’asseyent les maîtres de lecture coranique, les copistes et les tailleurs. Dans la paroi de la nef qui lui fait face sont aussi des bancs pareils. Les autres nefs en ont également au bas de leurs murs, mais sans arcades. Près de la porte d’Abraham, se trouve une entrée de la nef occidentale qui a des colonnes de plâtre.

De nobles actes ont été exécutés par le khalife Almahdy Mohammed, fils du khalife Abou Dja’far almansour (que Dieu soit satisfait d’eux !) ; savoir : l’élargissement du temple de la Mecque, et le raffermissement de sa construction. Il est, en effet, écrit, à la partie supérieure du mur de la nef occidentale : « Le serviteur de Dieu, Mohammed almahdy, commandant des croyants (puisse Dieu le favoriser !), a ordonné d’agrandir la sainte mosquée, en faveur des pèlerins de la maison de Dieu. Cette construction a eu lieu dans l’année cent soixante-sept de l’hégire » (783-784).


DESCRIPTION DE LA CA’BAH VÉNÉRÉE ET NOBLE (QUE DIEU AUGMENTE SA CONSIDÉRATION ET SA NOBLESSE !).

La ca’bah (maison carrée) est située au milieu de la mosquée. C’est un édifice carré, dont l’élévation, sur trois de ses côtés, est de vingt-huit coudées, et sur le quatrième, de vingt-neuf. Ce dernier est celui qui se trouve entre la pierre noire et l’angle du Yaman. La longueur de sa face, depuis l’angle de l’Irak jusqu’à la pierre noire, est de cinquante-quatre empans. Il en est de même pour celle de la façade qui lui fait vis à-vis, et qui s’étend depuis l’angle du Yaman jusqu’à l’angle de la Syrie. La longueur du côté qui va de l’angle de l’Irak à celui de la Syrie, à l’intérieur du hidjr (mur au nord-ouest], est de quarante huit empans. Il en est ainsi de celui qui lui fait face, de l’angle de la Syrie à celui de l’Irak (sic. C’est une erreur, et il faudrait dire : de l’angle du Yaman à la pierre noire). Mais le dehors du hidjr est de cent vingt empans, et les tournées se font à l’extérieur de ce pan de mur septentrional. La ca’bah est construite avec des pierres très dures et brunes, jointes ensemble de la manière la plus admirable, la plus élégante et la plus solide ; de sorte que le temps ne les change pas, et les siècles n’y laissent aucune trace.

La porte de la ca’bah vénérée se trouve dans le côté situé entre la pierre noire et l’angle babylonien. La distance qui la sépare de la pierre noire est de dix empans, et ce lieu est nommé Almoltazam. C’est là que les prières sont exaucées. L’élévation de la porte au dessus du sol est de onze empans et demi, sa largeur, de huit empans, et sa hauteur, de treize. L’épaisseur du mur sur lequel elle est placée est de cinq empans. Elle est recouverte de lames d’argent d’un travail admirable ; ses deux poteaux (montants) et son linteau sont également revêtus de lames d’argent. Elle a aussi deux crampons du même amétl, fort grands, et sur lesquels est appliqué un verrou.

On ouvre la noble porte tous les vendredis, après la prière ; on l’ouvre aussi le jour anniversaire de la naissance du Prophète. La règle qu’on suit pour l’ouverture de la porte, c’est de prendre une estrade semblable à une chaire, ayant des marches et des pieds de bois, où sont adaptées quatre poulies, sur lesquelles roule l’estrade. On la place contre le mur de la ca’bah vénérée, de façon que son degré supérieur se trouve de niveau avec le noble seuil. Le chef des Benou Chaïbah y monte, tenant dans sa main la clef illustre ; il est accompagné par les huissiers, qui saisissent le rideau couvrant la porte de la ca’bah, appelé albarka’ (le voile), pendant que leur supérieur ouvre la porte. Après cela, il baise l’illustre seuil, et entre tout seul dans le sanctuaire, en fermant la porte. Il reste ainsi le temps de faire une prière de deux rec’ahs ; après quoi entrent les autres Chaïbites, en fermant aussi la porte. Ils font à leur tour les prières et les prosternations. On ouvre alors la porte, et le peuple s’empresse d’entrer. Mais, pendant les cérémonies ci-dessus, il se tient en face de la noble porte, avec des regards soumis, des cœurs humbles et les mains étendues vers le Dieu suprême. Lorsque la porte s’ouvre, il proclame la grandeur de l’Éternel et il s’écrie : « Ô Dieu, ouvre pour nous les portes de ta miséricorde et de ton pardon, toi, le plus miséricordieux de ceux qui sont miséricordieux ! »

L’intérieur de l’illustre ca’bah est pavé de marbre nuancé de blanc, de bleu et de rouge ; il en est ainsi du marbre qui recouvre ses murailles. Il a trois colonnes excessivement élevées, faites avec du bois de teck, et qui sont séparées l’une de l’autre de la distance de quatre pas ; elles occupent le milieu de l’espace qui constitue l’intérieur de l’illustre ca’bah. Celle du milieu fait face à la partie mitoyenne du côté qui est entre les deux angles, de l’Irak et de la Syrie.

Les rideaux de la noble ca’bah sont de soie noire, et l’on y a tracé des caractères blancs. Ils brillent d’une lumière et d’une splendeur (sans pareille), et recouvrent la ca’bab depuis le haut jusqu’au sol.

Un des prodiges admirables opérés dans la noble ca’bah, c’est que, sa porte s’ouvrant, le sanctuaire est rempli d’une multitude qui ne peut être comptée que par Dieu, qui l’a créée et l’a nourrie. Toutes ces populations y entrent ensemble, et la ca’bah n’est pas trop étroite pour elles. Un autre de ses miracles, c’est qu’on ne cesse jamais, ni la nuit ni le jour, de faire des tournées autour d’elle. Personne ne se rappelle l’avoir jamais vue sans quelqu’un y faisant lesdites processions. Une autre de ses merveilles, c’est que les colombes de la Mecque, bien qu’elles soient en grande quantité, ni les autres oiseaux, ne s’abattent point sur elle et ne planent pas au-dessus d’elle dans leur vol. On voit les pigeons voler au-dessus de tout le sanctuaire ; et lorsqu’ils se trouvent vis-à-vis de l’illustre ca’bah, ils s’en détournent vers un de ses côtés et ne s’élèvent pas sur elle. On dit qu’aucun oiseau ne s’y pose, à moins qu’il ne soit malade : alors, ou il meurt à l’instant, ou bien sa maladie guérit. Louange à Dieu, qui l’a distinguée par la noblesse et l’illustration, et lui a départi le respect et la vénération !


DE LA GOUTTIÈRE BÉNIE.

La gouttière se trouve à la partie supérieure du côté qui surmonte le hidjr ; elle est en or, large d’un empan, et elle s’avance à l’extérieur de la quantité de deux coudées. Le lieu situé au-dessous de la gouttière est l’endroit où l’on pense que la prière est exaucée. Au-dessous de la gouttière, dans le hidjr, est le tombeau d’Ismaël. On voit au-dessus de lui une plaque de marbre vert, allongée, en forme d’un mihrâb, et contiguë à une autre, également verte, mais ronde. L’une et l’autre sont larges d’un empan et demi ; elles sont d’une forme admirable et d’un aspect élégant. A côté de ce tombeau, vers l’angle de l’Irak, est celui de la mère d’Ismaël, Hàdjar (Agar). Il est distingué par une plaque de marbre vert, de forme circulaire, dont le diamètre est d’un empan et demi. La distance qui sépare les deux sépulcres est de sept empans.


DESCRIPTION DE LA PIERRE NOIRE.

Elle est élevée de six empans au-dessus du sol, de façon que l’homme de haute taille se courbe pour la baiser, et celui qui est petit allonge le cou pour l’atteindre. Elle est encastrée dans l’angle oriental ; sa largeur est de deux tiers d’empan, et sa longueur, d’un empan. Elle est fixée solidement, mais l’on ne sait pas à quelle profondeur elle entre dans l’angle susdit. Elle contient quatre fragments réunis ensemble, et l’on dit que le Karmathe (Dieu le maudisse !) est celui qui l’a cassée. On prétend aussi que c’est un autre qui l’a brisée, en la frappant avec une masse d’armes. Les assistants se précipitèrent pour le tuer, et, à cette occasion, il périt un bon nombre de Barbaresques. Les côtés de la pierre sont attachés par une lame d’argent dont la blancheur brille sur le noir de l’illustre pierre. Les yeux voient en elle une beauté admirable (à l’instar d’une jeune mariée) ; à l’embrasser, on éprouve un plaisir dont se réjouit la bouche, et celui qui la baise désirerait ne plus cesser de la baiser ; car c’est là une qualité inhérente à elle, et une grâce divine en sa faveur. Qu’il suffise de citer les paroles du Prophète à son sujet : « Certes, qu’elle est la main droite de Dieu sur sa terre ! » Que Dieu nous favorise de pouvoir l’embrasser et la toucher, et permette d’y parvenir à tous ceux qui le désirent ardemment !

Dans le fragment intact de la pierre noire, du côté qui touche à la droite de celui qui l’embrasse, est une petite tache blanche et brillante, semblable à un grain de beauté sur cette face resplendissante. On voit les gens, lorsqu’ils font les tournées, tomber les uns sur les autres, par suite de leur empressement à la baiser. Il est rare qu’on puisse arriver, si ce n’est après un long empêchement. La même chose arrive pour l’entrée de la maison illustre. C’est près de la pierre noire que commencent les processions, et ce lieu est le premier angle que rencontre celui qui fait les tournées. Lorsqu’il l’a embrassée, il s’en éloigne un peu en reculant, met la noble ca’bah à sa gauche et chemine dans ses tournées ; après cela, il rencontre l’angle de l’Irâk, situé au nord ; puis l’angle de la Syrie, à l’occident ; ensuite celui du Yaman, au midi, et après il revient à la pierre noire, à l’orient.


DE LA NOBLE STATION.

Il existe, entre la porte de la ca’bah et l’angle de l’Irâk, un lieu dont la longueur est de douze empans, la largeur de six environ, et la hauteur d’environ deux empans. C’était le lieu de la station (la grosse pierre) du temps d’Abraham ; ensuite le Prophète l’a transférée dans le lieu qui est maintenant un oratoire. Quant à l’endroit décrit ci-dessus, il est devenu une sorte de réservoir, et les eaux de la maison illustre coulent vers lui lorsqu’on la lave. C’est une place bénie, où les gens se pressent en foule pour y prier. Le lieu de la noble station est à l’opposite de l’espace qui existe entre l’angle de l’Irak et la porte illustre, mais il incline davantage vers cette dernière. Il est surmonté d’une coupole, au-dessous de laquelle se voit un grillage en fer, qui n’est pas tellement éloigné de la noble station, que celui qui passe ses doigts à travers le grillage, ne puisse atteindre le coffret (celui qui contient la pierre sacrée, sur laquelle Abraham se tenait en bâtissant la ca’bah). Le grillage est fermé ; mais au delà se trouve un lieu étroit, consacré à servir d’oratoire pour faire une prière de deux rec’ahs, après les tournées.

On lit dans le Sahîh que l’envoyé de Dieu , lorsqu’il entra dans la mosquée, se rendit à la ca’bah et y fit sept tournées ; après quoi il alla à la station et y lut. On commença alors à faire un oratoire de la station d’Abraham. Le Prophète fit, derrière elle, une prière de deux rec’ahs ; et c’est derrière le makâm, et dans le mur (ou la cloison : elhathîm) qui s’y trouve, qu’est situé l’oratoire de l’imâm des châfîites.


DESCRIPTION DU HIDJR, ET DU LIEU DES TOURNÉES.

La circonférence de la paroi du hidjr est de vingt-neuf pas, qui font quatre-vingt-quatorze empans, en comptant de l’intérieur du rond. Il est en marbre très-beau, blanc et lilas, parfaitement joint ; sa hauteur est de cinq empans et demi, et sa largeur de quatre et demi. L’intérieur du hidjr est un vaste pavé (une chaussée), fait avec du marbre blanc et lilas, disposé avec art, d’un ouvrage inimitable, et d’une solidité merveilleuse. Entre la paroi de la noble ca’bah qui se trouve sous la gouttière, et la portion du mur du hidjr qui lui fait face, il y a, en ligne directe, quarante empans. Le hidjr a deux entrées : l’une entre lui et l’angle babylonien, dont la largeur est de six coudées. C’est cet espace que les Koraichites avaient laissé en dehors lorsqu’ils édifièrent la ca’bah, ainsi qu’on l’apprend par les Traditions véridiques. L’autre entrée est près de l’angle syrien, et sa largeur est également de six coudées. Il y a entre les deux ouvertures quarante-huit empans. Le lieu des processions est pavé de pierres noires, solidement unies ; elles commencent à la distance de neuf pas, depuis la maison carrée ; mais du côté qui est en face de la noble station, elles arrivent jusqu’à elle, et l’entourent de toutes parts. Le reste du sanctuaire, ainsi que les nefs, sont couverts de sable blanc. Le lieu des tournées pour les femmes est situé à l’extrémité des pierres du pavé.


DU PUITS BÉNI DE ZAMZAM.

La voûte du puits de Zamzam est en face de la pierre noire, et entre elles deux il y a l’espace de vingt-quatre pas. La noble station est à droite de la coupole, et de l’angle de celle-ci au makâm, il y a dix pas de distance. L’intérieur de la coupole est pavé de marbre blanc, et l’orifice (littéral, le four) du puits béni est au milieu de la voûte, en appuyant un peu vers la paroi qui est à l’opposite de la ca’bah vénérée. Il est fait de marbre très-bien joint, et lié avec du plomb fondu : sa circonférence est de quarante empans, son élévation de quatre empans et demi. La profondeur du puits est de onze brasses. Le peuple assure que son eau augmente toutes les nuits du jeudi au vendredi. La porte de la coupole est du côté de l’orient, et l’on voit l’intérieur de celle-ci entouré d’un bassin, dont le diamètre est d’un empan, la profondeur d’autant, et l'élévation au-dessus du sol, d’environ cinq empans. On le remplit d’eau pour les ablutions ; autour de lui, il y a une banquette circulaire, sur laquelle les gens s’asseyent pour les purifications.

A la suite de la coupole de Zamzam se voit celle de la Boisson, qu’on attribue à Abbàs. Sa porte est du côté du nord, et l’on place maintenant dans cette coupole de l’eau de Zamzam, dans des jarres qu’on appelle dawàrik (pluriel de dawrak, cruche). Chacun de ces vases a une seule anse, et on les laisse dans cet endroit, pour y rafraîchir l’eau que le public boit.

C’est dans cette coupole que l’on renferme les nobles exemplaires du Coran et les autres livres de l’illustre sanctuaire. Il y a aussi un cabinet qui contient une caisse plate et de grande dimension, dans laquelle est déposé un Coran illustre, de l’écriture de Zaïd, fils de Thâbit, copié dix-huit ans après la mort du Prophète. Les habitants de la Mecque, lorsqu’ils souffrent de la disette, ou qu’ils sont affligés par quelque autre calamité, sortent cet exemplaire précieux ; et, après avoir ouvert la porte de la ca’bah vénérée, ils le déposent sur son noble seuil. Ils placent aussi près de lui le makâm d’Abraham. Le peuple s’assemble, ayant la tête découverte, priant, s’humiliant, et recherchant la faveur divine, au moyen du noble exemplaire et de la station illustre ; et il ne se sépare pas, que Dieu ne lui ait accordé sa miséricorde et ne l’ait couvert de sa grâce. Après la coupole d’Abbâs, et en se détournant un peu, il en existe une autre, connue sous le nom de la coupole de la Juive.


DES PORTES DU TEMPLE DE LA MECQUE ET DES NOBLES SANCTUAIRES QUI L’ENTOURENT.

Les portes de la sainte mosquée (que Dieu l’ennoblisse !) sont au nombre de dix-neuf, et la plupart ouvrent sur plusieurs autres portes (ou arcades ; cf. Burckhardt, Voyages en Arabie, I, 205). Nous nommerons :

1° La porte de Safâ, qui ouvre sur cinq portes. Anciennement elle était appelée la porte des Benou Makhzoûm : c’est la plus grande de la mosquée, et l’on son par elle dans le Maç’a (le cours, ou grande rue de la Mecque]. Celui qui arrive à la Mecque, préfère entrer dans la sainte mosquée par la porte des Benou Chaibah, et sortir, après en avoir fait le tour, par celle de Safâ. Il prend ainsi son chemin entre les deux colonnes que le prince des croyants, Almahdy, a fait ériger pour indiquer le chemin qu’a suivi l’envoyé de Dieu vers Safâ.

2° La porte des petits Cols (ou du polit Adjiâd), qui ouvre sur deux autres.

3° La porte des Tailleurs, qui ouvre aussi sur deux portes,

4° La porte d’Abbàs, qui ouvre sur trois.

5° La porte du Prophète : elle ouvre sur deux portes.

6° La porte des Benou Chaïbah : elle est située dans l’angle du mur oriental, du côté du nord (au nord-est), en face de la porte de l’illustre ca’bah, et sur la gauche ; elle ouvre sur trois portes ; c’est celle des Benou Abd Chams, et c’est par elle qu’entraient les khalifes.

7° Une petite porte qui n’a pas de nom particulier, et qui est vis-à-vis celle des Benou Chaïbah. On dit pourtant qu’elle est appelée la porte du Couvent, car on entre par elle dans le couvent du Lotus.

8°, 9° et 10° Les portes de l’Assemblée (ou du Conseil) : c’est le nom qu’on donne à trois d’entre elles. Deux sont sur la même ligne, et la troisième, dans l’angle occidental de l’hôtel de l’Assemblée. Celui-ci est devenu une mosquée, comprise dans l’intérieur du sanctuaire, et qui lui est annexée ; il est en face de la gouttière.

11° Une petite porte qui conduit à la maison d’Al’adjalah, et qui a été nouvellement percée.

12° La porte du Lotus : elle est unique. (Cf. Burckhardt, I, p. 205 , note.)

13° La porte de l’Omrah ; elle est également unique : c’est une des plus jolies du temple.

l4° La porte d’Ibrâhîm, qui est encore unique. On n’est pas d’accord sur l’origine de son nom. Quelques-uns l’attribuent à Abrabam, l’ami de Dieu ; mais la vérité est qu’elle doit son nom à Ibrâhîm alkhoùzy (du Khoùzistàn, ancienne Susiane), un des barbares (des Persans).

15° La porte du Hazouarah, qui ouvre sur deux portes.

16° La pointe des grands Cols (ou du grand Adjiâd) : elle ouvre aussi sur deux portes.

17° Une autre qu’on appelle, comme la précédente, des Cols (Adjiâd), et qui ouvre elle-même sur deux portes.

18° Une troisième, qu’on nomme pareillement la porte des Cols : elle ouvre sur deux portes, et est contiguë à celle de Safâ. Quelques personnes donnent à deux des quatre portes qu’on appelle des Cols le nom de portes des Marchands de farine. (On voit que la dix-neuvième porte n’est pas mentionnée ici. Elle était appelée la porte d’Aly.)

Le temple de la Mecque a cinq minarets : l’un à l’angle d’Abou Kobays, près de la porte de Safâ ; l’autre à l’angle de la porte des Benou Chaïbah ; le troisième près de la porte de la Maison du conseil ; le quatrième à l’angle de la porte du Lotus, et le cinquième à l’angle d’Adjiâd.

Tout près de la porte de l’Omrah est un collège fondé par le sultan vénérable Yoûcef, fils de Raçoûl, roi du Yaman, connu sous le nom du roi victorieux (Almozhaffar). C’est de lui que prennent leurs noms les dirhems almozhaffariyah, (qui ont cours) dans le Yaman. Il avait l’habitude de fournir les couvertures de la ca’bah, jusqu’à ce qu’il fût dépouillé de ce droit par Almélic almansoûr Kalàoûn.

En sortant de la porte d’Ibrâhim, on trouve une grande zâouïah dans laquelle habite l’imâm des mâlikites, le pieux Abou Abd Allah Mohammed, fils d’Abd arrahman, appelé Khalil (ami sincère). Au-dessus de ladite porte il existe un grand dôme excessivement élevé, dans l’intérieur duquel on a fait des ouvrages en plâtre tellement merveilleux, qu’on est impuissant à les décrire. C’est en face de cette porte, à la droite de celui qui entre, que s’asseyait le cheïkh, serviteur de Dieu, Djelâl eddîn Mohammed, fils d’Ahmed, d’Akchéhir. En dehors de la porte d’Ibrâhîm est un puits qui a le même nom que la porte, et près d’elle existe aussi la maison du pieux cheïkh Daniel le Persan. C’est par son intermédiaire qu’arrivaient à la Mecque les aumônes de l’Irak, sous le règne du sultan Abou Sa’îd. Tout près de là se trouve aussi l’hospice d’Almowaffak (le favori de Dieu), et qui est un des meilleurs. Je l’ai habité pendant mon séjour à la Mecque vénérée, et l’on y trouvait, à cette époque-là, le pieux cheïkh Abou Abd Allah azzouâouy, le Barbaresque, ainsi que le pieux cheikh Atthayyâr (le rapide) Sa’âdah aldjawwâny. Celui-ci rentra un jour dans sa cellule après la prière de trois heures, et il fut trouvé dans l’attitude d’un homme qui fait ses dévotions, la face tournée vers la ca’bah, mais mort, sans qu’il eût souffert antérieurement d’aucune maladie. Le cheïkh, le pieux Chams eddîn Mohammed, de Syrie, demeura dans ledit hospice l’espace de quarante années environ. Le pieux cheikh Cho’aïb, le Barbaresque, y a également habité ; il figurait parmi les dévots les plus distingués. J’entrai un jour chez lui, et mes yeux ne purent apercevoir dans sa cellule rien autre chose qu’une natte. Je lui dis quelques mots là-dessus ; mais il me répondit que je devais garder le secret sur ce que j’avais vu.

Il y a autour du noble sanctuaire beaucoup de maisons qui ont des belvédères et des terrasses, par lesquels on se porte sur le toit plat du temple. Les habitants de ces maisons ont les yeux toujours dirigés sur la noble mosquée. Il y a aussi des maisons possédant des portes qui donnent entrée dans le saint temple. Parmi elles, celle de Zobaïdah, épouse d’Arrachid, commandant des croyants ; la maison d’Al’adjalah, celle d’Achchérâby, etc.

Parmi les nobles lieux de réunion dans le voisinage de la sainte mosquée, nous citerons le Dôme de la révélation divine, qui se trouve dans la maison de Khadîdjah, mère des croyants, tout près de la porte du Prophète. Dans le temple même, il y a une petite chapelle où est née Fâthimah. Peu loin de là se trouve la maison d’Abou Becr, le très-véridique. A l’opposite se voit un mur saint, dans lequel existe une pierre bénie dont le bout dépasse la muraille, et que le peuple embrasse. On dit que cette pierre saluait le Prophète ; et l’on assure que Mahomet alla un jour à la maison d’Abou Becr, le très-véridique, qui n’y était pas ; l’envoyé de Dieu l’appelait, et c’est alors que cette pierre se mit à parler et à lui dire : « O envoyé de Dieu, il n’est pas ici. »


DESCRIPTION DE SAFÂ ET DE MARWAH.

De la porte de Safâ, qui est une de celles du temple de la Mecque, jusqu’à la montagne de Safâ, il y a soixante et seize pas ; et l’étendue de Safâ est de dix-sept pas. Elle a quatorze marches, dont la plus élevée ressemble à un banc. Entre Safâ et Marwah, il y a la distance de quatre cent quatre-vingt-treize pas ; à savoir, depuis Assafâ jusqu’au mil alakhdhar (l’obélisque vert), quatre-vingt-treize pas ; de celui-ci aux deux mîls verts, soixante et quinze pas, et des derniers à Maiwali, trois cent vingt-cinq pas (ce qui fait en tout quatre cent quatre-vingt-treize). Marwah possède cinq marches, et une seule arcade très-vaste. La longueur d’Almarwah est de dix-sept pas aussi. Quant au mil vert, c’est une colonne de couleur verte, fixée à l’angle du minaret qui se trouve au coin oriental de la mosquée, à gauche de celui qui prend sa course vers Marwah. Les deux mils verts sont deux colonnes vertes, placées en face de la porte d’Aly, qui est une des portes du sanctuaire : l’une se trouve dans la paroi du temple, à gauche de celui qui sort par la porte d’Aly, l’autre lui fait vis à-vis. C’est entre le mil vert et les deux mils verts qu’a lieu le ramal (la marche précipitée), en allant et en revenant. Entre Safà et Marwah, il y a un cours d’eau, autour duquel on tient un grand marché pour la vente des céréales, de la viande, du beurre fondu, des dattes et autres fruits. Ceux qui s’acquittent de la cérémonie de la course entre Assafâ et Almanvah, ont de la peine à s’en tirer, à cause de la foule des gens près des boutiques des marchands. Il n’y a point à la Mecque de marché régulier autre que celui-ci. Il faut excepter pourtant ceux des trafiquants en toiles et des droguistes, près de la porte des Benou Chaïbah. Entre Safâ et Marwah, il y a la maison d’Abbâs, qui est maintenant une sorte de couvent qu’habitent les personnes assidues dans le temple. C’est le roi Nàcir qui l’a restaurée, et il a aussi bâti la maison des purifications, entre Safâ et Marwah, l’année vingt-huit (728 de l’hégire, 1327-8 de J. C.). Il l’a garnie de deux portes, une sur le marché susmentionné, et l’autre sur celui des droguistes. Près d’elle est construite une habitation pour ses desservants. C’est l’émir Alà eddîn, fils de Hilâl, qui a présidé à ces constructions. A la droite de Marwah se voit la maison de l’émir de la Mecque, Saïf eddîn Athifah, fils d’Abou Némy, que nous mentionnerons plus tard.


DESCRIPTION DU CIMETIÈRE BÉNI.

Le cimetière de la Mecque est au dehors de la porte Alma’la, et son emplacement est aussi connu sous le nom de Hadjoûn (nom de la montagne où se trouve le cimetière). C’est d’elle qu’a voulu parler Alhârith, fils de Modhàdli aldjorhomy, dans les vers qui suivent :

C’est comme s’il n’y avait pas eu d’habitants entre Hadjoûn et Safâ, et que personne ne se fût entretenu à la Mecque dans des conversations de nuit.

Si, vraiment ! nous étions ses habitants ; mais les vicissitudes des temps et les chances défavorables nous ont perdus.

Dans ce cimetière sont enterrés un nombre considérable de compagnons du Prophète, de leurs contemporains ou de leurs successeurs immédiats, de savants, de dévots et de saints personnages ; mais leurs mausolées sont détruits, et les habitants de la Mecque ont oublié leur emplacement, de sorte que l’on n’en connaît qu’un petit nombre. Parmi ceux-ci, nous citerons le tombeau de la mère des croyants, et l’aide du prince des envoyés célestes, Khadîdjah, fille de Khowaïlid, la mère de tous les fils de Mahomet, à l’exception d’Ibrâhîm, et l’aïeule des deux nobles petits-fils (Haçan et Hocaïn). A côté se trouve le tombeau du khalife commandant des croyants, Abou Dja’far ahnansoûr, Abd Allah, fils de Mohammed, fils d’Aly, fils d’Abd Allah, fils d’Abbâs. Dans le cimetière, on voit l’endroit où fut mis en croix (après sa mort, et par ordre de Haddjàdj) Abd Allah, fils de Zobayr. Il y avait là un édifice qu’ont détruit les gens de Thâïf, dans un mouvement de colère, causé par les malédictions qui atteignaient leur (concitoyen) Haddjàdj, l’exterminateur. A la droite de celui qui a sa face tournée vers le cimetière, est une mosquée ruinée, et l’on dit que c’est celle dans laquelle les génies ont prêté hommage à l’envoyé de Dieu. Enfin, près de ce cimetière, existe le chemin pour monter à Arafât, et celui pour aller à Thâïf et vers l’Irâk.


DESCRIPTION DE QUELQUES SANCTUAIRES AU DEHORS DE LA MECQUE.

1° Alhadjoùn, que nous avons déjà mentionné. On dit aussi qu’on entend par ce mot la montagne qui domine le cimetière.

2° Almohassab, qu’on appelle encore Alahthah. Il se trouve à côté de la nécropole susdite, et l’on y voit la côte des Benou Kinânah, près de laquelle est descendu l’envoyé de Dieu, sur qui soient la bénédiction et le salut !

3° Dhou Thouwa, vallée qui descend jusque sur les sépulcres des émigrés, situés à Hasbâs, au-dessous de la pente de Cadâ. C’est par elle que l’on se rend aux bornes mises comme séparation entre (le territoire) licite et le (territoire) sacré. Lorsqu’Abd Allah, fils d’Omar, venait à la Mecque (que Dieu l’ennoblisse !), il passait la nuit à Dhou Thouwa, il y faisait ensuite ses ablutions, et se rendait à la Mecque le lendemain. On assure que le Prophète a agi de la sorte.

4° La Pente de Coda, dans le haut de la Mecque. C’est par là que Mahomet entra dans cette ville lors du pèlerinage d’adieu (son dernier pèlerinage).

5° La Pente de Cadâ, qu’on nomme aussi la Pente blanche. Elle se trouve au bas de la ville, et c’est par elle que sortit l’envoyé de Dieu, l’année du dernier pèlerinage. Elle est située entre deux montagnes, et dans le défilé qu’elle forme est un monceau de pierres placé sur le chemin. Tous ceux qui passent auprès lancent une pierre contre lui, et l’on dit que c’est là le sépulcre d’Abou Lahab (père d’une flamme) et de sa femme Hammâlat alhathab (la porteuse du bois. Conf. Coran, cxi). Entre cette pente et la Mecque, il y a une plaine tout unie, où descend la caravane en revenant de Mina. Dans le voisinage de cet endroit, à environ un mille de la Mecque, est une mosquée vis-à-vis de laquelle se voit une pierre, placée sur le chemin, à l’instar d’un banc, et surmontée d’une autre pierre, sur laquelle il y avait une sculpture dont les traces sont effacées. Ou dit que le Prophète s’est assis dans ce lieu, pour se reposer, lors de son retour de la visite des lieux saints ; et les gens regardent comme une bénédiction de pouvoir baiser cette pierre, et de s’appuyer contre elle.

6° Le Tan’im, qui est à la distance d’une parasange de la Mecque. C’est de là que les habitants de la ville commencent la visite des saints lieux ; car c’est le point du territoire libre le plus rapproché du territoire sacré. La mère des croyants, Aïchah, a entrepris sa visite en partant de cet endroit, lorsque Mahomet l’envoya à la Mecque, avec son frère Abd arrahmân, pour le pèlerinage des adieux ; et il ordonna au dernier de lui faire commencer la visite des lieux saints, à partir du Tan’im. On y a bâti, sur le chemin, trois mosquées qui portent toutes le nom d’Aïchah. La route du Tan’im est large, et le peuple a soin de la balayer tous les jours, dans le désir de mériter une récompense dans la vie future. Car, parmi ceux qui visitent les lieux saints, il y en a qui y marchent nu-pieds. Sur ce chemin sont les puits d’eau douce appelés du nom d’Achchobaicah.

7° Le Zâhir, qui est à environ deux milles de la Mecque, sur le chemin du Tan’im. C’est un lieu situé des deux côtés du chemin, et où se voient des traces de maisons, de vergers et de marchés. Sur un côté de la route, il y a une estrade allongée, sur laquelle sont disposées les cruches pour boire et les vases pour la purification, que le serviteur de ce lieu remplit aux puits du Zàhir. Ceux-ci sont d’une grande profondeur. Quant audit desservant, il est du nombre des fakîrs assidus près du temple ; et les gens de bien l’aident dans sa tâche, à cause du secours qu’y trouvent les visiteurs des saints lieux, tant pour faire les ablutions que pour se désaltérer. A côté du Zàhir est Dhou Thouwa (mentionné ci-dessus).


DES MONTAGNES QUI ENVIRONNENT LA MECQUE.

1° La montagne d’Abou Kobaïs, au sud-est de la Mecque (que Dieu la garde !), et l’un des deux Akhchab. De toutes les montagnes, c’est elle qui est la plus proche de la ville sublime, et elle fait face à l’angle de la pierre noire. A sa partie la plus élevée, il existe une mosquée et des traces d’un couvent et d’habitalions. Le roi Zhâhir (que Dieu ait pitié de lui !) avait l’intention de réparer ces restes. Abou Kobaïs domine le noble sanctuaire et toute la ville. De ce point, on découvre la beauté de la Mecque, la magnificence du temple, son étendue, et la ca’bah vénérée. On dit qu’Abou Kobaïs est la première montagne que Dieu ait créée. C’est là qu’il a déposé la pierre (noire), au temps du déluge ; et c’est à cause de cela que les koraïcbites l’appelaient le fidèle, vu qu’il livra à l’ami de Dieu, Abraham (sur qui soit le salut !), la pierre qu’on lui avait confiée. On assure qu’il contient le sépulcre d’Adam (sur qui soit le salut !). Dans cette montagne est aussi le lieu où se trouvait le Prophète, lorsque la lune se fendit devant lui. (Conf. Coran, liv, 1.)

2° Ko’aïki’ân, qui est l’autre Akhchab.

3° La montagne rouge, située au nord de la Mecque. (Que Dieu l’ennoblisse !)

4° Alkhandamah, montagne située près des deux gorges, appelées Adjiàd alacbar et Adjiàd alasgbar.

5° La montagne des oiseaux ; il y en a quatre ainsi nommées, et qui sont situées des deux côtés du chemin du Tan’îm. L’on dit que ce sont les montagnes sur lesquelles Abraham plaça les membres des oiseaux, qu’il appela ensuite, ainsi que Dieu l’a raconté dans son noble livre. (Voy. Coran, ii, 262.) Sur elles se voient des poteaux en pierre.

6° Le mont Hirâ, qui est au nord de la Mecque, et à la distance d’environ une parasange de cette ville. Il surmonte Mina, s’élève dans l’espace, et son sommet atteint une grande hauteur. L’envoyé de Dieu y faisait souvent ses dévotions, avant sa mission prophétique, et c’est ici que la vérité lui fut apportée de la part de son Seigneur, et que commença la révélation divine. C’est la montagne qui s’agita sous le Prophète, et à laquelle il dit alors : « Reste en repos, car il n’y a sur toi qu’un prophète, un homme véridique (Siddîk, surnom d’Abou Becr), et un martyr (Omar). » On n’est pas d’accord sur ceux qui l’accompagnaient dans ce moment, et l’on rapporte que les dix apôtres étaient avec lui. On dit encore que le mont Thabîr trembla aussi sous Mahomet.

7° Le mont Thaour, distant d’une parasange de la Mecque, sur la route du Yaman. C’est là que se trouve la caverne où se réfugia l’envoyé de Dieu , lorsqu’il s’enfuit de la Mecque en compagnie du très-véridique (Abou Becr), ainsi que cela est raconté dans le Coran (ix, 40). Alazraky rapporte dans son ouvrage, que la susdite montagne appela Mahomet et lui dit : «Viens à moi, Mohammed, à moi, à moi, car j’ai déjà donné refuge avant toi à soixante et dix prophètes. » Quand l’envoyé de Dieu fut entré dans la grotte, et y fut en sûreté avec son compagnon Abou Becr, l’araignée tissa immédiatement sa toile sur la porte, et la colombe y établit son nid et y pondit ; le tout par la permission du Dieu très-haut. Les idolâtres, accompagnés par un de ceux qui suivent les pistes, arrivèrent à la caverne, et ils dirent alors : « Les traces finissent ici. » Mais ils virent que l’araignée avait tissé sa toile sur l’ouverture de la grotte, et que la colombe y avait pondu ses œufs ; ils ajoutèrent donc : « Personne n’est entré ici. » Et aussitôt les polythéistes partirent. Sur ces entrefaites, Abou Becr dit à Mahomet : « Ô envoyé de Dieu ! et s’ils entraient ici par cette ouverture ? »… Mahomet répondit : « Nous sortirions par là », et il indiquait avec sa main bénie l’autre côté, dans lequel il n’y avait eu jusqu’alors aucune porte ; mais ils en ouvrit une en ce moment-là, par la puissance du roi généreux (Dieu). Les gens viennent visiter cette grotte bénie, et ils veulent y entrer par la porte qui donna passage au Prophète, regardant cela comme une bénédiction. Quelques uns réussissent, d’autres échouent, et restent pris dans l’ouverture, jusqu’à ce qu’ils soient retirés par un douloureux effort. Quelques personnes prient devant la caverne, sans y entrer. Les gens de ces contrées disent que celui qui est né en légitime mariage y entre aisément ; mais que celui dont la naissance est le fruit de la débauche, ne réussit point à y pénétrer. C’est pour cela que beaucoup de gens craignent de s’y aventurer ; car c’est là un lieu qui fait rougir, et qui couvre de confusion.

Ibn Djozay dit : « Un de nos cheïkhs pèlerins et bien avisés nous a raconté que la cause de la difficulté qu’on éprouve à entrer dans cette grotte, c’est qu’à l’intérieur, tout près de l’ouverture, se trouve une grande pierre, placée transversalement. Celui qui entre par cette fente, la face tournée vers le sol, en se penchant en avant, heurte sa tête contre la pierre, et il ne peut ni entrer, ni se redresser, puisque sa poitrine et sa face touchent la terre. L’individu est ainsi pris, et il n’est délivré qu’après des efforts, et lorsqu’on le retire de l’ouverture. Mais celui qui entre couché sur son dos réussit ; car, lorsque sa tête arrive contre la pierre placée en travers, il lève la tête et se tient assis, le dos appuyé contre ladite pierre, le milieu du corps dans l’ouverture, et ses deux pieds en dehors de la caverne. Après cela il peut se lever debout dans l’intérieur. » Mais revenons au récit de notre voyageur.


ANECDOTE.

Voici ce qui est arrivé dans cette montagne (Thaour), à deux de mes compagnons, dont l’un était le jurisconsulte illustre Abou Mohammed Abd Allah, fils de Ferhân alafrîkiy attoûzéry, et l’autre Abou’l’abbàs Ahmed alandalocy, de Cadix. Ils voulurent visiter la caverne, lors de leur séjour à la Mecque, dans l’année 728 (1327-8 de J. C.) et ils partirent seuls, sans se faire accompagner par un guide, connaissant le chemin. Ils s’égarèrent, manquèrent la route de la caverne et suivirent un tout autre chemin. C’était au moment de la grande chaleur, et dans la partie la plus ardente de l’été. Quand l’eau qu’ils avaient avec eux fut épuisée sans qu’ils eussent atteint la caverne, ils entreprirent de retourner à la Mecque. Ils aperçurent un chemin qu’ils suivirent ; mais il aboutissait à une autre montagne. La chaleur les incommodait beaucoup et la soif les tourmentait, de sorte qu’ils se virent menacés de périr. Le fakîh Abou Mohammed, fils de Ferhân, ne put plus marcher et se laissa tomber par terre. Alandalocy se sauva, car il était excessivement vigoureux, et il ne cessa de parcourir ces montagnes, jusqu’à ce que le chemin le conduisit à Adjiâd, d’où il fit son entrée à la Mecque. Il vint me trouver, et m’informa de cet événement, ainsi que du sort d’Abd Allah attoûzéry, et de son abaudon dans la montagne. Cela se passait vers la fin du jour. Le susdit Abd Allah avait un cousin germain nommé Haçan, qui habitait Wàdi Nakhlah, mais il se trouvait alors à la Mecque. Je l’informai de ce qui était arrivé à son cousin. J’allai aussi trouver le pieux cheïkh, l’imâm Abou Abd Allah Mohammed, fils d’Abd arrahmân, surnommé Khalil. C’était l’imâm des mâlikites. (Que Dieu nous en fasse profiter !) Je l’informai de la nouvelle, et il envoya aussitôt un certain nombre de Mecquois, versés dans la connaissance de ces montagnes et de ces gorges, pour chercher le fils de Ferhàn.

Quant à celui-ci, lorsque son camarade l’eut quitté, il se réfugia près d’une grosse pierre, à l’ombre de laquelle il s’assit. Il demeura dans cet état de fatigue et d’épuisement (littéral, de soif) pendant que des corbeaux volaient sur sa tête, s’attendant à le voir mort. Lorsque le jour fut fini, que l’obscurité arriva, il se sentit un peu de force, et la fraîcheur de la nuit le soulagea. Le matin il put se tenir debout, et descendit de la montagne dans le fond d’une vallée, que des hauteurs protégeaient contre les rayons du soleil. Il continua de marcher et aperçut une bête de somme, dont il suivit les traces, et qui le conduisit à une tente d’Arabes. Lorsqu’il la vit, il tomba par terre sans pouvoir se relever. La maîtresse de la tente l’aperçut (or son mari était allé puiser de l’eau). Elle lui donna toute l’eau qu’elle avait, sans qu’il fût désaltéré. Lorsque le mari arriva, il lui fit boire une outre d’eau et il ne parvint pas à apaiser sa soif. Il le fit monter sur un âne pour le conduire à la Mecque, où il arriva le second jour, au moment de la prière de l’après-midi, mais tellement changé, qu’on l’aurait dit sortant d’un tombeau.


DES DEUX ÉMIRS DE LA MECQUE.

La dignité d’émir de la Mecque, au temps de mon entrée dans cette ville, était possédée par les deux illustres chérîfs et frères Arad eddîn Romaïthah et Seïf eddîn Athîfah, tous les deux fils de l’émir Abou Némy, fils d’Abou Sa’d, fils d’Aly, fils de Kotâdah, les haçanites. Romaïthah était l’aîné ; mais il faisait précéder le nom d’Athîfah dans les prières qu’on faisait pour lui à la Mecque, à cause de sa justice. Les enfants de Romaïthah étaient Ahmed, Adjlàn (celui-ci est maintenant émir de la Mecque), Takiyab, Sanad et Oumm Kâcim. Ceux d’Athîfah étaient Mohammed, Mobârek et Maç’oûd. L’hôtel d’Athîfah est à droite de Marouah, et celui de son frère Romaïthah, dans le couvent d’Achchéràby, près de la porte des Benou Chaybah. On bat les tambours tous les jours à la porte des deux émirs, lors de la prière du coucher du soleil.


DES HABITANTS DE LA MECQUE ET DE LEURS MÉRITES.

Les gens de la Mecque se distinguent par de belles actions, des générosités parfaites, par leur excellent naturel, leur libéralité envers les malheureux, et ceux qui manquent d’appui, enfin par le bon accueil qu’ils font aux étrangers. Une de leurs coutumes généreuses, c’est que, toutes les fois qu’un d’eux donne un festin, il commence par offrir à manger aux fâkirs dépourvus de ressources, et assidus près du temple. Il les invite avec douceur et bonté, après quoi il leur sert des aliments. La plupart des pauvres, abandonnés, se tiennent près des fours où les habitants font cuire leurs pains ; et quand l’un d’eux a fait cuire son pain et l’emporte chez lui, ces pauvres le suivent. Il donne à chacun d’eux ce qu’il lui a destiné, et il ne les renvoie pas frustrés, quand même il n’aurait qu’un seul pain. Dans ce cas, il leur en distribue un tiers ou une moitié, de bon cœur, et sans la moindre contrariété.

Une des belles actions des Mecquois, c’est que les petits orphelins ont l’habitude de se tenir assis dans le marché, ayant chacun près de soi deux corbeilles (kouffah), l’une grande et l’autre petite. Ils appellent cela mictal (panier). Quand un habitant de la Mecque vient au marché, et qu’il achète des légumes, de la viande et des herbes potagères, il donne tout cela à un de ces garçons, qui place les légumes secs dans l’un des paniers, et la viande, ainsi que les herbes potagères dans l’autre. Il apporte le tout à la maison de ladite personne, afin qu’on lui prépare ainsi sa nourriture. Le maître de ces objets s’en va, de son côté, accomplir ses dévotions et s’occuper de ses affaires ; et il n’y a point d’exemple qu’un de ces orphelins ait trompé la confiance qu’on a mise en lui à ce sujet. Au contraire, ils livrent en toute intégrité ce dont ils ont été chargés, et ils reçoivent une récompense fixe en petites pièces de monnaie.

Les Mecquois sont élégants et propres dans leurs vêtements, dont la plupart sont de couleur blanche, et leurs habits sont toujours nets et brillants. Ils font un grand usage de parfums, de collyres, et se servent souvent de cure-dents faits en bois d’arâc vert. Les femmes de la Mecque sont éclatantes de beauté, d’une grâce merveilleuse, et douées de piété et de modestie. Elles aussi, emploient beaucoup les odeurs et les onguents, au pnjntque quelques-unes passeront la nuit dans les angoisses de la faim, pour acheter des parfums avec le prix de leurs aliments. Elles font le tour de la mosquée, toutes les nuits du jeudi au vendredi, et elles s’y rendent magnifiquement parées. L’odeur de leurs aromates remplit le sanctuaire, et lorsque l’une de ces dames s’éloigne, les émanations de son parfum restent après son départ.

Les habitants de la Mecque suivent, dans les fêtes du pèlerinage, et autres, des coutumes excellentes que nous mentionnerons, s’il plaît à Dieu, après avoir parlé de ses personnages illustres et de ses modjâouirs.


DU KÂDHI DE LA MECQUE, DE SON PRÉDICATEUR, DE L’IMÂM DES SOLENNITÉS DD PÈLERINAGE, DES SAVANTS DE CETTE VILLE, ET DE SES PERSONNAGES PIEUX.

Le kâdhi de la Mecque est le savant et pieux serviteur de Dieu Nedjm eddîn Mohammed, fils du savant imâm Mohiy eddîn Atthabary. C’est un homme vertueux, qui fait beaucoup d’aumônes, et secourt efficacement les modjâouirs. Son caractère est bon, il fait fréquemment les tournées sacrées, et il contemple souvent la noble ca’bah. Il distribue beaucoup d'aliments dans les grandes solennités, et particulièrement le jour anniversaire de la naissance du Prophète. Il nourrit en cette circonstance les chérîfs de la Mecque, ses grands, ses fakîrs, les desservants du noble sanctuaire et toutes les personnes assidues près du temple. Le sultan du Caire Almélic annâcir (que Dieu ait pitié de lui !) l’honorait considérablement, et faisait passer par ses mains toutes ses aumônes, ainsi que celles de ses émirs. Son fils Chihâb eddîn est un homme de mérite ; il est maintenant kâdhi de la Mecque ; que Dieu l’ennoblisse !

Le prédicateur de la Mecque est l'imâm de la station d’Abraham, sur qui soit le salut ! C’est l’homme disert et éloquent, le phénix de son siècle, Behâ eddîn Atthabary, l’un de ces prédicateurs tels qu’il n’en existe pas de pareil dans tout le monde habité, pour l’éloquence et la lucidité de l’exposition. On m’a assuré qu’il compose un sermon nouveau pour chaque vendredi, et ne le répète jamais.

L’imâm des fêtes du pèlerinage, qui est aussi celui des mâlikites dans le noble sanctuaire, est le cheïkh, le docteur, savant, pieux et humble, le célèbre Abou Abd Allah Mohammed, fils du docteur et imâm, pieux et modeste, Abou Zeyd Abd arrahmân. Il est connu sous le nom de Khalîl. (Que Dieu nous en fasse profiter, et qu’il prolonge ses jours !) Sa famille est originaire du Bilâd aldjérîd (le pays des dattes), dans l’Afrîkiyah, où elle est connue sous le nom des Benou Hayyoûn, et comptée parmi les principales familles ; mais son lieu de naissance, ainsi que celui de son père, c’est la Mecque. Il est un des grands personnages de cette ville, et je dirai plus, son phénix et son étoile polaire, du consentement de tout le monde. Il est continuellement plongé dans le service de Dieu, plein de pudeur, doué d’un cœur généreux, d’un beau caractère, d’une grande commisération, et il ne renvoie jamais un mendiant sans lui faire un don.


ANECDOTE BÉNIE.

Au temps de mon séjour à la Mecque, et pendant que j’habitais le collège Alinozhaffariyah, je vis en songe l’envové de Dieu assis dans la classe du dit collège. Il était placé près de la fenêtre grillée, doù l’on aperçoit la noble ca’bah, et le peuple prétait serment entre ses mains. Je voyais entrer le cheikh Abou Abd Allah, appelé Khalîl, qui s’asseyait devant le Prophète, dans une sorte d’accroupissement. Il mit sa main dans celle de l’envoyé de Dieu, en lui disant : « Je te prête serment sur telle et telle chose, » et il en nomma plusieurs, entre autres ceci : « … et que je ne renverrai aucun pauvre de ma maison, sans lui faire un don. » Tels furent ses derniers mots. Quant à moi, j’étais surpris de son discours, et me disais à part moi : « comment peut-il tenir un tel propos, et comment pourra-t-il accomplir sa promesse, avec la quantité de pauvres de la Mecque, du Yaman, de Zeyia’(c’est-à-dire de l’Abyssinie), de l’Irak, de la Perse, de l’Égypte et de la Syrie ? » Je le voyais en ce moment-là revêtu d’une tunique blanche et courte, un de ces habillements de coton appelés kafthân, qu’il avait l’habitude d’endosser quelquefois. Quand j’eus fait ma prière de l’aurore, je me rendis de bon matin chez lui, et je l’informai de mon rêve. Il s’en réjouit beaucoup, il en pleura (d’attendrissement), et me dit : « Cette tunique a été donnée à mon aïeul par un saint personnage, et je regarde comme une bénédiction de la porter. » Après cela, je ne le vis jamais renvoyer un pauvre sans le satisfaire. Il ordonnait aussi à ses serviteurs d’apprêter du pain, de cuire des mets, et de me les apporter tous les jours, après la prière de l’asr. (Il est à noter que) les habitants de la Mecque ne mangent qu’une seule fois par jour, après ladite prière, (celle de l’asr). Ils se bornent à cela jusqu’au lendemain à la même heure. Celui qui désire prendre un peu de nourriture dans le restant de la journée, se contente de quelques dattes. C’est pour cela que leurs corps sont sains, et qu’ils sont sujets à peu de maladies et d’infirmités.

Le cheikh Khalîl avait épousé la fille du kâdhi Nedjm eddîn Atthabary. Or il résolut de la répudier, et se sépara d’elle ; elle fut épousée ensuite par le jurisconsulte Chihâb eddîn annowaïry, un des principaux modjâouirs, et originaire de la haute Égypte. Elle demeura avec lui plusieurs années, et il fit avec elle un voyage à la noble Médine, où elle fut aussi accompagnée par son propre frère Chihâb eddîn. Son mari ayant violé un serment qu’il avait prêté sous peine de la répudier en cas de parjure, la quitta malgré son attachement pour elle. Le fakîh Khalil la reprit quelques années après. Parmi les personnages les plus remarquables de la Mecque, nous nommerons : 1° L’imâm des châfeïtes, Chihâb eddîn, fils de Borhân eddîn ;

2° L’imâm des hanéfites, Chihâb eddîn Ahmed, fils d’Aly, un des plus grands imâms de la Mecque et de ses hommes illustres. Il nourrit les modjàouirs et les voyageurs, et c’est le docteur le plus généreux de cette ville. En effet, il contracte tous les ans pour quarante ou cinquante mille dirhems de dettes, que le Seigneur payera pour lui. Les émirs turcs l’honorent beaucoup, et ont une bonne opinion de lui, vu qu’il est leur imàm ;

3° L’imâm des hanbalites, l’homme versé dans les traditions, le vertueux Mohammed, fils d’Othmân, originaire de Bagdad, mais né à la Mecque. Il est le substitut du kâdhi Nedjm eddîn ; il est aussi mohtecib (inspecteur des marchés) depuis l’assassinat de Taky eddîn Almisry. Les gens le craignent à cause de sa violence.


ANECDOTE.

Taky eddin, l’Égyptien, était inspecteur des marchés à la Mecque ; il avait l’habitude de se mêler de ce qui le regardait, et aussi de ce qui ne le regardait pas. Or il arriva qu’une certaine année on amena devant l’émir des pèlerins un jeune garçon de la Mecque, du nombre des malfaiteurs, qui avait volé un pèlerin. L’émir ordonna de lui couper la main. Taky eddîn lui dit alors : « Si tu ne fais pas exécuter l’ordre en ta présence, certes les Mecquois en empêcheront tes serviteurs, leur enlèveront le coupable et le feront sauver. » En conséquence, le commandant fit trancher sous ses yeux la main du jeune voleur ; et celui-ci conçut, à cause de cela, de la haine contre Taky eddîn. Il ne cessa d’épier les occasions de lui nuire ; mais il ne le put pas, car Taky eddîn avait reçu un haceb des deux émirs de la Mecque, Romaïthah et Athîfah, Voici en quoi consiste chez eux le haceb : on fait cadeau à quelqu’un d’un turban ou d’une calotte, en présence du public. Cela est une marque de protection pour celui à qui on l’a donné, et il ne cesse d’en jouir jusqu’à ce qu’il veuille se remettre en voyage, et partir de la Mecque. Taky eddîn resta encore un certain nombre d’années à la Mecque, ensuite il résolut de partir, prit congé des deux émirs, et fil la tournée des adieux. Il sortit par la porte de Safa, et son ennemi, l’individu à la main coupée, vint à sa rencontre, se plaignant à lui de son misérable état, et lui demandant de quoi subvenir à ses besoins. Taky eddîn le refusa avec dureté et le repoussa ; alors l’homme mutilé dégaina un poignard, qu’on connaît dans ce pays-là sous le nom de djanbiyah (ce qu’on porte au côté), et il lui en donna un coup qui lui occasionna la mort.

(Un autre notable de la Mecque, est :)

4° Le pieux docteur Zeïn eddîn Atthabary, frère utérin du susdit Nedjm eddîn. C’est un homme vertueux, et bienfaisant pour les modjàouirs.

5° Le docteur béni, Mohammed, fils de Fehd alkorachy, un des hommes distingués de la Mecque. Il a été substitut du kâdhi Nedjm eddîn, après le décès du fakîh Mohammed, fils d’Othmân alhanbaly.

6° Le juste et pieux Mohammed, fils de Borhân eddîn. C’est un homme dévot et timoré, tourmenté par des scrupules. Je le vis un jour faisant les ablutions dans le réservoir du collège mozhaffarien. Jl se lavait et se relavait, et lorsqu’il eut passé les mains sur sa tête, il la frotta encore plusieurs fois ; non content de cela, il plongea la tête dans le bassin. Lorsqu’il voulait prier, ordinairement c’était avec i’imâm châfeïte, et si ce dernier avait fini, il disait : « C’était mon intention, c’était mon intention. » Il priait alors avec d’autres imâms. Il faisait souvent le tour de la ca’bah, il visitait fréquemment le sanctuaire, et répétait les louanges de Dieu.


DE QUELQUES MODjAOUIRS A LA MECQUE.

1° Le savant et pieux imâm, ie soûfy contemplatif, l’adorateur de Dieu, Atîf eddîn Abd Allah, fils d’As’ad alyamany achchâfi’y, connu sous le nom d’Alyâfi’y. Il faisait beaucoup de promenades autour de la ca’bah dans la nuit, le matin et le soir. Quand il avait accompli ses tournées dans la nuit, il montait sur la terrasse du collège mozhaffarien, où il s’asseyait en contemplant la noble ca’bah, jusqu’à ce que le sommeil s’emparât de lui. Alors il mettait une pierre sous sa tête, et il dormait un peu. Après cela, il renouvelait les ablutions et il se remettait à ses tournées, jusqu’au moment de faire les prières de l’aurore. 11 était d’abord marié avec la fille du pieux docteur Chihâb eddîn, fils d’Alborhân ; mais sa femme était fort jeune, et elle ne cessait de se plaindre à son père de sa position. Celui-ci lui ordonnant de patienter, elle resta ainsi un certain nombre d’années avec son mari, et le quitta ensuite.

2° L’homme pieux et saint, Nedjm eddîn Alos’oûny. Il était auparavant kâdhi dans la haute Égypte ; mais il se dévoua entièrement au culte de Dieu, et alla demeurer près du noble sanctuaire. Il visitait tous les jours les saints lieux, à partir du Tan’im, et pendant le mois de ramadhân, deux fois par jour. Car il avait confiance dans cette parole que la tradition attribue au Prophète : « La visite des saints lieux, dans le ramadhân, équivaut à un pèlerinage fait avec moi. »

3° Le vertueux et pieux cheïkh, Chems eddîn Mohammed, d’Alep. Il faisait de nombreuses processions, lisait beaucoup le Coran, et était un des plus anciens modjàouirs à la Mecque, où il mourut.

4° Le pieux Abou Becr de Chirâz, connu par le surnom de Silencieux. Il multipliait ses tournées, et il resta à la Mecque plusieurs années sans jamais parler.

5° Le pieux Khidhr al’adjémy. Il jeûnait beaucoup, faisait assidûment la lecture du Coran et les processions autour de la ca’bah.

6° Le cheikh probe, Borhân eddîn Al’adjémy, le prédicateur. On avait placé pour lui une chaire en face de la ca’bah vénérée, et il y prêchait et exhortait le peuple avec une langue éloquente et un cœur humble, qui lui gagnaient toutes les âmes.

7° L’homme intègre, sachant bien chanter le Coran, Borhân eddin Ibràhîm almisry, illustre professeur de lecture coranique, demeurant au couvent du Lotus. Les Égyptiens et les Syriens lui apportaient leurs aumônes, et il instruisait les orphelins dans la lecture du livre de Dieu, les nourrissait et les habillait.

8° Le vertueux serviteur de Dieu, Izz eddîn, de Wâcith. Il possédait de grandes richesses, et on lui apportait chaque année de son pays de fortes sommes, avec lesquelles il achetait des grains et des dattes, qu’il distribuait aux infirmes et aux pauvres. Il avait l’habitude de présider en personne au transport de ces objets dans leurs logis, et il ne cessa de le faire qu’à sa mort.

9° Le docteur probe et dévot, Abou’lhaçan Aly, (ils de Rizk Allah alandjary, un des habitants du territoire de Tanger. C’était un des hommes pieux les plus notables ; il demeura à la Mecque plusieurs années et y mourut. Il existait une amitié ancienne entre lui et mon père, et quand il venait dans notre ville de Tanger, il logeait chez nous. Il avait à la Mecque un logement dans le collège mozhaffarien, où il enseignait la science pendant le jour ; mais la nuit il se retirait dans sa demeure du couvent Rabî’. C’est un des plus beaux de cette ville ; dans son enceinte il existe un puits d’eau douce, qui n’a pas son pareil dans toute la Mecque. Ce couvent est habité par des hommes pieux ; les gens du Hidjàz l’ont en grande vénération, et ils s’engagent par des vœux à lui apporter des offrandes. Les habitants de Thâïf le fournissent de fruits : et c’est un usage parmi eux, que chaque personne possédant un verger de palmiers, de raisins, de pêches (lirsic ou khoûkh) et de figues (qu’ils appellent khamth), en prélève la dîme pour ce couvent, et la lui apporte sur son chameau. La distance entre la Mecque et Thàïf est de deux journées. Quant à celui qui n’observe pas cette habitude, ses fruits diminuent dans l’année suivante, et sont atteints par la destruction.


ANECDOTE SUR LE MÉRITE DUDIT COUVENT.

Les esclaves de l’émir Abou Némy, seigneur de la Mecque, allèrent un jour dans ce couvent ; ils y entrèrent avec ses chevaux, et les abreuvèrent avec l’eau du susdit puits. Quand ils eurent reconduit les chevaux à l’écurie, ceux-ci furent pris de douleurs, au point qu’ils se roulaient par terre, et frappaient le sol avec leurs têtes et leurs pieds. Lorsque l’émir sut cela, il se rendit lui-même à la porte du couvent, il s’excusa près des pauvres moines qui l’habitaient, et en fit sortir un avec lui. Ce moine frotta de la main le ventre des chevaux d’Abou Némy ; ils versèrent alors toute l’eau du puits qu’ils avaient dans leurs entrailles et ils guérirent. Par la suite, les serviteurs d’Abou Némy ne se présentèrent plus au couvent, que dans de bonnes intentions.

Au nombre des modjàouirs à la Mecque sont :

10° L’homme probe et béni, Abou Tabbâs alghomâry, un des camarades d’Abou’lhaçan , fils de Rizk Allah. Il a habité le ribâth (couvent) Rabî’, et il est décédé à la Mecque.

11° Le pieux Abou Ya’koùbYoùcef, de la plaine de Ceuta. Il était serviteur des deux cheïkhs ci-dessus, et il est devenu supérieur du couvent à leur place, après leur mort.

12° L’homme pur, dévot et contemplatif, Abou’lhaçan Aly, fils de Farghoûs (ou Farghoûch), de Tlemcen.

13° Le cheïkh Sa’id, l’Indien, supérieur du couvent Calâlah.


ANECDOTE.

Le cheïkh Sa’îd était allé trouver le roi de l’Inde, Mohammed chah, qui lui avait donné beaucoup de richesses, avec lesquelles il vint à la Mecque. L’émir Athîfah le fit mettre en prison, exigeant de lui la remise de ses trésors ; et comme il s’y refusa, il subit le genre de torture consistant dans la compression des pieds. Il donna alors vingt-cinq mille dirhems d’argent, puis il retourna dans l’Inde, où je le vis. Il se logea dans l’hôtel de l’émir Saïf eddîn Ghada, fils de Hibat Allah, fils d’Iça, fils de Mohanna, prince des Arabes de Syrie. Ce Ghada était établi dans l’Inde, et marié à la sœur du roi de cette contrée, ainsi qu’on verra plus tard, lorsque nous raconterons son histoire. Le roi de l’Inde ayant donné au cheikh Sa’id une somme d’argent, il partit en compagnie d’un pèlerin nommé Ouachl, un des familiers de l’émir Ghada. Ce dernier l’expédiait pour qu’il lui amenât plusieurs de ses gens, et avait remis en même temps audit Ouachl des trésors et des présents. Parmi ceux-ci, se trouvait la robe d’honneur dont l’avait revêtu le roi de l’Inde, la première nuit de ses noces avec sa sœur. Cette robe était de soie, couleur bleu de ciel, brodée d’or et entremêlée de pierres précieuses en si grand nombre, que sa couleur azurée n’était pas visible. L’émir expédia également avec Ouachl cinquante mille dirhems, qui devaient servir à l’achat de chevaux de race pour son usage.

Or le cheikh Sa’id se mit en route avec Ouachl, et ils achetèrent des marchandises avec l’argent qu’ils avaient disponible ; mais quand ils furent arrivés à l’île Sokothrah, d’où emprunte son nom l’aloès sokothrin (vulg. socotrin, d’où chicotin), ils furent attaqués par des voleurs indiens, montés sur un grand nombre d’embarcations. Un combat acharné eut lieu, dans lequel beaucoup de monde périt des deux côtés. Comme Ouachl était bon archer, il tua une quantité d’ennemis ; ceux ci pourtant finirent par être vainqueurs, et ils blessèrent Ouachl d’un coup de lance , dont il mourut quelque temps après. Ils prirent tout ce qu’il y avait dans le bâtiment, puis ils l’abandonnèrent aux voyageurs avec ses agrès et les provisions de route ; de sorte qu’ils se rendirent à Aden , où Ouachl expira.

L’usage de ces pirates est de ne tuer et de ne noyer personne, si ce n’est pendant le combat. Ils prennent les biens des passagers, et les laissent aller ensuite où ils veulent, avec leur navire. Ils ne s’emparent pas non plus des esclaves, vu qu’ils appartiennent à leur nation.

Or le hâddj Sa’îd avait entendu dire au roi de l’Inde qu’il avait l’intention de reconnaître dans ses états le pouvoir abbâcide, ainsi que le firent les rois indiens ses prédécesseurs ; tels que le sultan Chenis eddîn Lalmich, son fils Nàcir eddîn, le sultan Djelâl eddîn Fîroùz chàh et le sultan Ghiiath eddîn Belhen. En effet, les robes d’honneur leur avaient été expédiées de Baghdad. Quand Ouachl fut trépassé, le cheïkh Sa’îd se rendit au Caire près du khalife Abou’l’abbàs, fils du khalife Abou’rrébî’ Soleymân arabbâcy, et il l’informa de la volonté du roi de l’Inde. Le khalife lui remit un écrit de sa propre main, où il concédait la vice-royauté de l’Inde au roi de cette contrée. Le cheïkh Sa’îd prit ce diplôme avec lui, et se dirigea vers le Yaman, où il acheta trois khifah noires. Après cela il s’embarqua pour l’Inde, et quand il fut arrivé à Cambaie (qui est à la distance de quarante jours de Dihly, capitale du roi de l’Inde), l’officier chargé de transmettre les nouvelles, écrivit au roi pour l’informer de l’arrivée du cheïkh Sa’îd. Il ajouta qu’il était porteur de l’ordre du khalife et de sa lettre. Le roi commanda qu’on le conduisît à la métropole, avec de grands honneurs. Quand il approcha d’elle, le roi fit sortir à sa rencontre les émirs, les kâdhis, et les fakîhs. Il sortit lui-même pour le recevoir, et lorsqu’il le vit, il l’embrassa. Le cheïkh Sa’îd lui remit l’ordonnance du khalife, qu’il baisa et plaça sur sa tête. Il lui livra aussi la caisse où se trouvaient les trois robes d’honneur, et le roi la porta sur ses épaules, en faisant quelques pas. Il endossa un de ces vêtements, et il fit revêtir le second à l’émir Ghiiâth eddîn Mohammed, fils d’Abd alkàdir, fils de Yoûcef, fils d’Abd al’azîz, fils du khalife Almostansir, l’abbàcide. Il séjournait près du roi de l’Inde, et nous raconterons plus tard son histoire. Le roi habilla avec la troisième robe l’émir Kaboûla, surnommé le grand prince. C’est lui qui se tient debout derrière la tête du roi, et en écarte les mouches. D’après les ordres du sultan, on revêtit de robes d’honneur le cheïkh Sa’îd et les gens de sa suite ; puis on le fit monter sur un éléphant, et il fit ainsi son entrée dans la ville. Le sultan était en avant de lui sur son cheval, et il avait à droite et à gauche les deux princes auxquels il avait fait revêtir les deux robes abbâcides. La capitale avait été décorée de différentes sortes d’ornements ; on y avait dressé onze pavillons de bois, ayant chacun quatre étages. Tous ceux-ci étaient remplis de troupes de chanteurs, hommes et femmes, ainsi que de danseuses, tous esclaves du sultan. Lesdites coupoles étaient garnies d’étoffes de soie brodées d’or dans le haut et dans le bas, à l’intérieur ainsi qu’à l’extérieur. Dans leur milieu se voyaient trois réservoirs faits avec des peaux de buffles et pleins d’eau , dans laquelle on avait délayé du sirop. Tout le monde pouvait en boire, et personne n’en était empêché. On donnait à chacun, après qu’il en avait goûté, quinze feuilles de bétel, du foüfel (noix d’arec) et de la noûrah (chaux), qu’il mâchait. Ces ingrédiens rendent l’haleine très-agréable, augmentent l’incarnat du visage et la rougeur des gencives, chassent la bile, et activent la digestion des aliments.

Lorsque le cheïkh Sa’îd fut monté sur l’éléphant, on étendit par terre devant lui des étoffes de soie sur lesquelles l’éléphant marcha, depuis la porte de la ville jusqu’au palais du sultan. Il fut logé dans un hôtel près de l’habitation du roi, et celui-ci lui envoya des richesses considérables. Toutes les étoffes suspendues dans les pavillons, et les autres qui y étaient étendues, ainsi que celles placées devant l'éléphant, étaient perdues pour le sultan. Ceux qui s’en emparaient étaient les musiciens, les artisans qui avaient construit les coupoles, les domestiques chargés du service des réservoirs, etc. C’est comme cela qu’ils agissent dans ce pays, lorsque le sultan arrive de voyage.

Le roi ordonna, au sujet du diplôme du khalife, qu’on eût à le lire tous les vendredis sur la chaire, entre les deux sermons (khothbah). Le cheïkh Sa’îd resta un mois à Dihly ; ensuite le roi l’expédia au khalife avec des présents. Il arriva à Cambaie, et y séjourna, en attendant des circonstances propices pour son voyage par mer.

Or le roi de l’Inde avait déjà envoyé de sa part un ambassadeur au khalife. C’était le cheïkh Radjeb alborka’ïy, un des supérieurs des soûfis, originaire de la ville de Kirim, dans la plaine du Kipdjak. Il le fit accompagner de présents pour le khalife, entre autres, d’un rubis valant cinquante mille dinars ; et il écrivit au khalife pour lui demander un diplôme qui l’investit du titre de son remplaçant dans l’Inde et le Sind ; ou pour l’engager à envoyer, comme son lieutenant dans ces contrées, un autre personnage, à sa volonté. C’est dans ces termes qu’il s’était exprimé dans sa missive, par suite de sa vénération pour le khalifat, et de sa bonne volonté.

Le cheïkh Radjeh avait en Égypte un frère appelé l’émir Saïf eddîn Alcâchif. Lorsque Radjeb se rendit près du khalife, celui-ci refusa de lire l’écrit, et de recevoir le cadeau, si ce n’est en présence d’Almélic assâlih (le roi intègre), Ismâïl, fils d’Almélic annàcir. Saïf eddîn conseilla alors à son frère Radjeb de vendre la pierre précieuse. Il le fit, et acheta avec le prix (qui fut de trois cent mille dirhems) quatre pierreries. Il se présenta devant le roi, lui donna l’écrit, ainsi qu’une des pierreries, et il donna les autres à ses émirs. Il fut convenu qu’on écrirait au roi de l’Inde, suivant son désir, et on expédia des témoins près du khalife, qui attesta avec serment avoir choisi ledit roi pour son lieutenant dans l’Inde et les pays adjacents. Le roi Sâlih fit partir de son côté un ambassadeur, qui était le principal cheïkh du Caire, Roch eddîn Aradjémy. Il était accompagné par le cheïkh Radjebet et une troupe de soûfis. Ils s’embarquèrent sur le golfe Persique, pour se rendre d’Obollah à Hormouz. Le sultan de cette contrée était alors Kothb eddîn Temtéhen, fils de Thoùrân chah. Il les reçut avec honneur et mit à leur disposition un navire pour l’Inde. lis arrivèrent à Cambaie pendant que le cheïkh Sa’îd s’y trouvait ; et l’émir de cette ville était alors Makboùl attaltaky, un des familiers du roi de l’Inde. Le cheïkh Radjeb alla le trouver et lui dit : « Il n’y a pas de doute que le cheïkh Sa’îd n’ait agi envers vous avec imposture, et les robes d’honneur qu’il a apportées ici, il les a achetées à Aden. Il faut donc le saisir et l’envoyer à Khondi ’alem (maître du monde, c’est-à-dire le sultan). » L’émir lui répondit : « Le cheïkh Sa’îd est fort en honneur près du sultan et l’on ne saurait agir de la sorte à son égard, à moins d’un ordre exprès du monarque. Cependant, je le ferai partir avec vous, afin que au sultan, et le préposé aux nouvelles en fit de même. Le roi en fut troublé, et il fit appréhender le cheïkh Radjeb, pour avoir osé parler ainsi devant des témoins, après les honneurs qui avaient été rendus par le sultan au cheïkh Sa’îd. On ne permit pas à Radjeb d’approcher du sultan, qui honora de plus en plus le cheïkh Sa’id. Quand le principal cheïkh (du Caire) entra chez l’empereur, celui-ci se leva, l’embrassa et le traita avec considération ; et toutes les fois qu’il se présentait à lui, il se levait. Le susdit cheïkh Sa’îd resta dans l’Inde, entouré d’honneur et de respect, et je l’y ai laissé l’année quarante-huit (748 de l’hégire, 1347-8 de J. C.)

On voyait à la Mecque, du temps de mon séjour dans cette ville, Haçan le Barbaresque, le fou. Son histoire est merveilleuse, et sa condition, étonnante ; il était avant cela sain d’esprit, et avait toujours été domestique de l’ami de Dieu, Nadjm eddîn d’Ispahan.


ANECDOTE SUR HAÇAN LE FOU.

Haçan faisait pendant la nuit beaucoup de promenades autour de la ca’bah, et il y rencontrait un fakîr, qui faisait aussi beaucoup de processions dans la nuit, et qu’il ne voyait jamais dans la journée. Une nuit ce fakîr adressa la parole à Haçan, lui demandant comment il se portait, et il ajouta : « Ô Haçan, sache que ta mère pleure ton absence, et désire fort de te voir. (Elle était du nombre des pieuses servantes de Dieu). N’aimerais-tu pas la voir ? » Haçan lui répondit : « Oui certes, mais cela ne m’est pas possible. » Le fakîr reprit : « Nous nous réunirons ici la nuit prochaine, s’il plaît à Dieu, » En effet, la nuit du lendemain (c’était celle du jeudi au vendredi) Haçan le trouva où il lui avait donné rendez-vous. Ils firent pendant longtemps des processions autour du sanctuaire, après quoi le fakîr sortit, suivi de Haçan, vers la porte d’Alma’la. 11 ordonna à ce dernier de fermer les yeux et de saisir son vêtement, ce qu’il fît. Après un certain temps, il lui dit : Connais-tu ta ville ? » Haçan répondit affirmativement. Le fakîr reprit : La voici. » Haran ouvrit les yeux, et il se trouva près de la maison de sa mère. Il y entra, et ne dit rien à sa mère de ce qui s’était passé. Il resta près d’elle une quinzaine, et je pense que c’était dans la ville d’Açafy (Safi, dans le Maroc). Il se dirigea ensuite vers le cimetière, où il rencontra son compagnon, le fakîr, qui lui demanda de ses nouvelles. Haçan répondit : « O mon maître, j’ai envie de voir le cheïkh Nadjm eddîn. J’étais sorti de chez lui suivant mon habitude, et voici que je me suis absenté tout ce temps. Or je désire que tu me reconduises vers lui. » Le fakîr le lui promit, et lui donna rendez-vous dans le cimetière pour la nuit, suivante. Quand il l’eut trouvé dans cet endroit, il lui ordonna de faire ainsi qu’il avait pratiqué à la Mecque, savoir : de fermer les yeux, et de prendre le pan de sa robe. Haçan ayant obéi, voici qu’il se trouve à la Mecque avec le fakîr. Celui-ci lui reconunanda de ne rien dire à Nadjm eddîn, de ce qui avait eu lieu, et de n’en parler à personne. Quand il entra chez son maître, celui-ci lui dit : « Où as-tu été, ô Haçan, pendant ton absence ? » Il refusa de le lui apprendre ; mais le maître insista, et Haçan lui raconta l’histoire. Nadim eddîn, désirant connaître le fakir, alla de nuit avec Haran au lieu où il allait d’habitude, et quand le fakîr passa devant eux, Haçan dit : « Ô mon maître, le voilà ! » Cet homme l’entendit, et frappa avec sa main sur la bouche de Haçan, en disant : « Tais-toi, que Dieu te fasse taire ! » Or sa langue devint muette, et son intelligence s’envola. Il resta maniaque à la Mecque, faisant les tournées la nuit et le jour, sans se laver et sans prier. Le peuple le regardait comme un objet de bénédiction, et l’habillait. Lorsqu’il avait faim, il s’en allait au marché, qui est entre Sai’a et Marwah, et entrant dans l’une de ses boutiques, il mangeait ce qu’il voulait. Personne ne le chassait, ni ne l’empêchait : au contraire, tout le monde se réjouissait de le voir prendre quelque aliment chez soi ; car la bénédiction et l’accroissement se manifestaient alors dans la vente et le gain. Quand Haçan se rendait au marché, tous les trafiquants tendaient leur cou vers lui, chacun d’eux désirant vivement qu’il mangeât quelque chose chez soi ; et cela par suite de l’expérience qu’ils avaient faite de l’avantage qui en résultait pour eux. Pareille chose arrivait à l’égard des porteurs d’eau, quand il voulait boire. Il ne cessa d’agir de la sorte, jusqu’à l’année vingt-huit (728 de l’hégire, 1328 de J. C.), où l’émir Saïf eddîn Yelmelec fit le pèlerinage de la Mecque. Il l’emmena avec lui en Égypte et son histoire finit ainsi. Puisse Dieu nous être utile par son moyen !


DES HABITUDES DES MECQUOIS DANS LEURS PRIÈRES, ET DES LIEUX où OFFICIENT LEURS PRÉLATS.

Il est d’usage que le premier imäm qui prie soit celui des châfeïtes, qui obtient la prééminence de la part des dépositaires de l’autorité. Sa prière a lieu derrière la noble station, celle d’Abraham, l’ami de Dieu (sur qui soit le salut !). Il existe là une place ou paroi (hathîm) qui lui est destinée, et qui est admirable. La généralité des habitants de la Mecque suit son rite. Ce hathîm consiste en deux solives, jointes par des traverses en guise d’échelle, et ayant en face deux autres solives qui ressemblent en tout aux premières. Tout cela est fixer sur des pilastres en plâtre, et en haut de la cloison on a placé transversalement une poutre, dans laquelle sont des crochets de fer, où l’on suspend des lampes en verre. Après que l’imâm des châfeïtes a fait sa prière, vient celui des mâlikites, qui prie dans un oratoire, en face de l’angle du Yaman. Le prélat des hanbalites prie en même temps que lui, vis-à-vis du lieu qui se trouve entre la pierre noire et l’angle du Yaman. Vient enfin l’imâm des hanéfites, qui prie vis-à-vis la gouttière vénérée, au-dessous d’un hathîm consacré à son usage. On place devant les prélats, et dans leurs oratoires, des bougies, et l’ordre qu’ils observent est tel que nous venons de le dire pour quatre des prières de la journée. Mais pour celle du coucher du soleil, il la célèbrent tous en même temps, chaque imâm avec son troupeau. Il en résulte de l’erreur et de la confusion, car souvent il arrive qu’un mâlikite s’incline avec un châfeïte, ou qu’un hanéfite se prosterne avec un hanbalite. C’est pour cela qu’on les aperçoit tous attentifs à la voix du moueddhin, qui avertit sa troupe, afin de ne pas tomber dans la confusion.


DE LA COUTUME QU’ILS OBSERVENT DANS LE SERMON ET LA PRIÈRE DU VENDREDI.

Le vendredi on a coutume de placer la chaire bénie contre le côté de la noble ca’bah qui est entre la pierre noire et l’angle de l’Irak, de sorte que le prédicateur a la face tournée vers la noble station. Lorsqu’il sort, il s’avance habillé entièrement de noir, coiffé d’un turban et d’un thaïléçân (voile fait de mousseline, que l’on pose sur le turban ou seulement sur les épaules, et qui retombe sur le dos) de cette couleur, le tout fourni par le roi Annâcir. Il est rempli de gravité et de dignité, et il marche en se balançant entre deux drapeaux noirs, portés par deux moueddhins. Il est précédé par un des administrateurs du temple, tenant à la main la farka’ah. On nomme ainsi un bâton au bout duquel se trouve une lanière mince et tordue, qu’il agite dans l’air, et elle rend un son aigu qu’entendent ceux qui se trouvent dans le temple, comme ceux qui sont au dehors ; c’est là le signal de la sortie du prédicateur. De cette manière il arrive près de la chaire, baise la pierre noire, et prie à côté d’elle. Après cela, il se dirige vers la chaire, ayant devant lui le moueddhin du Zamzam, qui est le chef des crieurs. Il est aussi habillé de noir, et porte sur son épaule une épée, qu’il tient avec sa main. On fixe les deux étendards des deux côtés de la chaire, et lorsque le prédicateur monte la première marche, le moueddhin lui passe au cou l'épée, avec la pointe de laquelle il frappe un coup sur ladite marche. Il attire par là l’attention des assistants. Il fait de même à la seconde et à la troisième marche, et quand il est parvenu au degré le plus élevé, il frappe un quatrième coup ; puis il se tient debout et fait une prière à voix basse, le corps tourné vers la ca’bah. Ensuite il se tourne vers le public en saluant à droite et à gauche, et l’assistance lui rend le salut. Il s’assied après cela, et tous les crieurs en même temps font l’appel à la prière, du haut du dôme de Zamzam. Lorsque l’appel est fini, le prédicateur fait un discours, dans lequel il multiplie les prières pour Mahomet, et au milieu duquel il prononce les paroles suivantes : Ô mon Dieu, que la bénédiction soit sur Mahomet et sur sa famille, tant qu’on fera des processions autour de cette maison ! » (Et il montre du doigt la noble ca’bah.) « Ô mon Dieu, bénis soient Mahomet et sa famille, tant qu’on fera les stations à Arafah ! » Il fait ensuite des vœux pour les quatre premiers khalifes, les autres compagnons du Prophète, ses deux oncles (Hamzah et Al’abbâs), ses deux petit-fils, Haçan et Hoçaïn, pour leur mère, ainsi que pour Khadidjah, leur aïeule. Après cela il prie pour le roi Nàcir, pour le sultan, le champion de l’islamisme, Noùr eddîn Aly, fils du roi protégé de Dieu ; Dàoûd, fils du roi victorieux ; Yoûcef, fils d’Aly, fils de Raçoùl ; et pour les deux seigneurs chérifs, de la descendance de Haçan, émirs de la Mecque, savoir : Saïf eddîn Athîfah (qui est le plus jeune des deux ; mais dont on place le nom en premier à cause de sa grande équité), et Açad eddîn Romaïthah : ce sont les fils d’Abou Némy, fils d’Abou Sa’d, fils d’Aly, fils de Kotâdah. Auparavant le khathib priait aussi pour le sultan de l’Irâk ; mais depuis il a cessé de le faire. Quand le prédicateur a fini son sermon, il prie et il s’en retourne. On porte les deux drapeaux à sa droite et sa gauche, et la farka’ah devant lui, pour avertir que la prière est terminée. Enfin, on remet la chaire à sa place, vis-à-vis de l’illustre station.


DE LEUR HABITUDE EN CE QUI TOUCHE L’APPARITION DES NOUVELLES LUNES.

Le premier jour du mois, l’émir de la Mecque sort entouré de ses officiers. Il est vêtu d’habits blancs, coiffé d’un turban, et il porte à son cou un sabre. Il montre du calme, de la gravité, et se rend à la noble station, où il fait une prière de deux rec’ah. Il baise ensuite la pierre noire, et commence les sept tournées. Pendant cela, le chef des crieurs se place sur le haut du dôme de Zamzam ; et dès que l’émir a accompli un tour, et qu’il se rend à la pierre noire pour la baiser, le chef des moueddhins s’empresse de prier pour lui et de le féliciter à haute voix, sur le commencement du mois. Après cela il récite une pièce de vers à sa louange et à celle de ses illustres ancêtres. Il agit ainsi après chacune des sept tournées. Quand celles-ci sont finies, l’émir fait deux génuflexions près du moltazem, et deux autres derrière le makâm, et il se retire ensuite. Il se conduit exactement de la sorte, toutes les fois qu’il se rend en voyage ou qu’il en revient.


DE LEURS HABITUDES PENDANT LE MOIS DE RADJEB.

Quand apparaît la lune de radjeb, l’émir de la Mecque fait battre les tambours et sonner les clairons, pour annoncer le commencement du mois ; puis il sort à cheval le premier jour, accompagné des habitants de la ville, qui sont, soit à cheval, soit à pied, dans un ordre magnifique. Tous ont leurs armes, et ils joutent devant lui ; les cavaliers décrivent des cercles ou courent, et les piétons s’attaquent les uns les autres, jettent eu l’air leurs javelines, et les rattrapent rapidement. Les deux émirs Romaïthab et Athîfah ont leurs fils avec eux, ainsi que leurs officiers, tels que : Mohammed fils d’Ibràhîm ; Aly et Ahmed, tous deux fils de Sabîh ; Aly, fils de Yoûcef ; Cheddâd, fils d’Omar ; Amir achcharik ; Mansoûr, fils d’Omar ; Moùra almozrik (le louche), et autres grands personnages de la postérité deHaçan, ou officiers supérieurs. Devant eux sont les drapeaux, les tambours et les timbales, et ils marchent avec mesure et gravité, jusqu’à ce qu’ils soient arrivés au lieu fixé. Ils s’en retournent au temple après cela, toujours dans l’ordre accoutumé. L’émir se met à faire les processions autour de la ca’bah, tandis que le moueddhin du Zamzam se tient sur le dôme de ce nom, priant pour lui après chaque tournée de la manière décrite plus haut. Puis, l’émir fait une prière de deux rec’ah près du moltazem ; il prie aussi près du makâm, et se sanctifie par lui. Il sort ensuite dans le maç’a, et s’avance rapidement à cheval, entouré de ses généraux et précédé par les hallebardiers (troupe de nègres au service de l’émir). Il se dirige enfin vers son hôtel. Ce jour est un jour de fête chez les Mecquois ; ils s’habillent de leurs plus beaux vêtements et ils luttent d’émulation à cet égard.


DESCRIPTION DE LA VISITE SACRÉE DANS LE MOIS DE RADJEB.

Les habitants de la Mecque font la visite sainte de radjeb avec une telle pompe, qu’on n’en connaît pas de pareille. La visite dure nuit et jour, et le mois tout entier est consacré à des œuvres pieuses ; spécialement le premier jour, le quinzième et le vingt-septième. Ils ont l’habitude de se préparer pour ces solennités quelques jours d’avance. Je fus présent à leur visite du vingt-sept du mois. Les chaussées de la ville étaient encombrées de litières recouvertes d’étoffes de soie et de toile fine ; car chacun agit dans la mesure de ses moyens. Les chameaux étaient parés, et portaient au cou des colliers de soie. Les tentures des litières étaient fort amples et touchaient presque le sol : de sorte que ces véhicules ressemblaient à des tentes dressées. Tout le monde se rendait au lieu de réunion du Tan’îm, et les vallées de la Mecque étaient remplies de ces litières (littéral, les entraînaient comme un torrent). Des feux étaient allumés des deux côtés du chemin, et des bougies et des fanaux précédaient les litières. L’écho des montagnes répétait les cris de dévotion de ceux qui louaient Dieu, de sorte que les cœurs s’attendrissaient et les larmes coulaient. Quand on eut terminé la visite et accompli les processions autour de la ca’bah, on sortit pour la course entre Assafa et Almarwah, lorsque déjà une partie de la nuit était écoulée. Le maç’a resplendissait de l’éclat des lampes et était encombré de monde ; les femmes parcouraient l’espace entre Assafa et Almarwah, portées dans leurs sièges suspendus ; et le noble temple était également illuminé. On appelle cette visite l’omrah de la colline ; car elle commence à partir d’une petite hauteur, qui est en face de la mosquée d’Aïchah, à la distance d’une portée de flèche, et près de la mosquée dont on attribue la construction à Aly.

L’origine de cette visite vient de ce que Abd Allah, fils de Zobeïr, après avoir fini de bâtir la sainte ca’bah, sortit à pied et déchaussé, pour visiter les lieux saints. Il était accompagné par la population de la Mecque, et c’était le vingt-sept du mois de radjeb. Il parvint à la hauteur ci-dessus, et il commença de ce point les cérémonies de la visite sacrée. Il se dirigea par la pente de Hadjonn vers le Ala’la, par où entrèrent les musulmans le jour de la conquête de la Mecque. Cette visite est devenue, pour les Mecquois, une coutume qui est encore en vigueur.

La journée d’Abd Allah est fort célèbre, car il distribua ce jour-là beaucoup de victimes à immoler ; les chérifs de la Mecque et les personnages opulents firent de même. Ils passèrent ensuite plusieurs jours à manger et à distribuer des aliments, afin de rendre grâce au Dieu très-haut de l’assistance qu’il leur avait accordée pour la réédification de son noble temple, dans l’état où il se trouvait du temps d’Abraham. Mais lorsque Ibn Zobeïr eut été tué, Haddjâdj détruisit la ca’bah, et il la rétablit telle qu’elle était sous les Koreïchites. Ceux-ci l’avaient faite très-petite, et l’envoyé de Dieu n’y changea rien, par égard pour le peu de temps qui s’était écoulé depuis leur conversion à l’islamisme. Plus tard, le khalife Abou Dja’far almansoûr voulut rétablir la ca’bah dans l’état où l’avait laissée Ibn Zobeïr. Ce fut Màlic (que Dieu ait pitié de lui !) qui l’en empêcha, en lui disant : «  commandeur des croyants ! ne fais pas de la maison sainte un jouet pour les rois ; car, toutes les fois que l’un d’eux désirera la changer, il le fera aussi. » Alors le khalife la laissa comme elle était, afin de ne pas fournir un pareil prétexte.

Les habitants des contrées limitrophes de la Mecque, comme les Badjilah, les Zahrân, et les Ghâmid, s’empressent d’assister au petit pèlerinage de radjah ; et ils apportent à la Mecque des céréales, du beurre fondu, du miel, de l’huile d’olive, des raisins secs et des amandes. Alors les prix des denrées baissent à la Mecque, la vie des habitants devient aisée et le bien-être, général. Sans les gens de ces cantons, les Mecquois se trouveraient dans des conditions d’existence fort pénibles : et l’on assure que, lorsque les premiers restent dans leur pays, et n’apportent pas ces provisions, leur propre sol devient stérile, et la mortalité sévit parmi leurs bestiaux. Au contraire, quand ils conduisent des denrées à la Mecque, leur terrain est fertile, la bénédiction divine se manifeste dans leur pays, et leurs troupeaux prospèrent. Au moment de partir avec ces provisions, si la paresse les retient, leurs femmes s’assemblent et les forcent à se mettre en route. Tout cela est un effet des bontés du Dieu suprême, et de sa sollicitude pour sa ville sûre. Le haut pays qu’habitent les Badjîlah, les Zahrân, les Ghàmid et d’autres tribus, est très-fertile, abondant en raisin et riche en grains. Ses habitants s’expriment avec facilité ; ils sont loyaux et bons croyants. Quand ils font les tournées de la ca’bah, ils se jettent sur elle avec empressement, pour se mettre sous la protection de son voisinage et s’attacher à ses rideaux ; et ils adressent à Dieu de telles invocations que les cœurs en sont émus, (littéral, se fendent de compassion), et que les yeux les moins sensibles pleurent. On voit la foule qui les entoure les mains étendues, pleine de foi dans leurs prières. Personne ne peut accomplir les tournées avec eux, ni toucher la pierre noire, à cause de leur grand empressement dans tout cela. Ils sont courageux, forts, et habillés de peaux de bêtes. Lorsqu’ils approchent de la Mecque, les Arabes qui se trouvent sur leur passage craignent leur arrivée, et évitent de les attaquer ; mais tous les pèlerins qui ont fait route avec ces gens, se sont félicités de leur société. On dit que le Prophète a fait mention d’eux, et leur a décerné un bel éloge en ces termes : « Enseignez-leur la prière, et ils vous enseigneront l’invocation à Dieu. » Il sulllt à leur gloire d’avoir été compris dans cette expression générale de Mahomet : « La foi et la sagesse sont originaires du Yaman. »

On raconte qu’Abd Allah, fils d’Omar, attendait le moment où ils faisaient leur tournées, et qu’il se joignait à eux pour se sanctifier par leurs prières. Toute leur histoire est merveilleuse, et l’on rapporte dans une tradition ces paroles de Mahomet : « Empressez-vous de les accompagner dans les tournées ; car la miséricorde divine tombe sur eux à l’instar d’une pluie bienfaisante. »


DE LA COUTUME QU’ILS OBSERVENT DANS LA NUIT DU QUATORZE AU QUINZE DU MOIS DE CHA’BÀN.

Cette nuit est une des nuits vénérées chez les Mecquois, qui s’empressent de l’employer en œuvres pies : comme les processions autour de la ca’bah, la prière, soit en commun, soit isolément, et la visite des saints lieux. Des réunions se forment dans la sainte mosquée, et chacune est présidée par un imâm. Ils allument des lanternes, des lampes et des fanaux ; et la clarté de la lune s’ajoutant à tout ceci, la terre et le ciel resplendissent de lumière. Ils font des prières de cent génuflexions, et après chacune de celles-ci ils récitent la première soûrah du Coran, ainsi que celle de la sincérité (cxii), en les répétant dix fois. Quelques personnes prient en particulier dans le hidjr, d’autres font les processions autour du temple illustre, et d’autres, enfin, sont occupées à visiter les saints lieux.


DE LEUR COUTUME DANS LE MOIS DE RAMADHÂN TRÈS-VÉNÉRÉ.

Aussitôt que la lune de ramadhân se montre, on bat les tambours et les timbales chez l’émir de la Mecque, et la sainte mosquée présente un aspect pompeux, à cause du renouvellement des nattes, et de l’augmentation des bougies et des lanternes. Aussi resplendit-elle de lumière et brille-t-elle de beauté et d’éclat. Les imams se divisent en différentes troupes, à savoir : les châfeïtes, les hanéfites, les hanbalites et les zeïdites. Quant aux mâlikites ils se réunissent près de quatre lecteurs, ils font tour à tour la lecture, et allument les cierges. Il ne reste pas dans toute la mosquée ni un coin, ni un endroit quelconque ou l’on ne trouve un lecteur priant avec une assemblée. Le temple résonne des voix des lecteurs, les âmes s’attendrissent, les cœurs s’émeuvent et les yeux répandent des larmes. Quelques personnes se contentent de faire les tournées, ou de prier seules dans le hidjr. Les imâms châfeïtes sont les plus zélés de tous. Ils ont pour coutume d’accomplir d’abord la prière usitée dans les nuits du ramadhàn (terdouih), laquelle consiste en vingt rec’ahs. Après cela, l’imâm fait des tournées avec son troupeau, et lorsqu’il a terminé sept fois le tour de la ca’bah, on frappe la farka’ah. (Nous avons déjà dit que celle-ci est portée, le vendredi, devant le prédicateur.) C’est là un signal du retour à la prière. Il fait alors une prière de deux génuflexions ; puis il accomplit sept autres tournées, et il continue ainsi, jusqu’à ce qu’il ait complété le nombre de vingt nouvelles rec’ahs. Ensuite ils font les prières appelées chaf’ et ouitr (pair et impair : prières qui ont lieu pendant la dernière partie de la nuit et toujours avant l’aurore), et se retirent. Les autres imâms n’ajoutent absolument rien aux cérémonies usuelles.

Lorsque le moment arrive de prendre le repas qui précède l’aurore, le moueddhin du Zamzam observe cet instant du haut du minaret situé à l’angle oriental du temple, Il se lève alors, invitant, avertissant et engageant les fidèles à faire ce repas. Tous les crieurs sont postés sur les autres minarets, et lorsque l’un d’eux parle, son voisin lui répond. On place au sommet de chaque tour une solive à l’extrémité de laquelle est adapté transversalement un bâton, où l’on suspend deux lanternes de verre allumées et d’une grande dimension. Quand la première lueur de l’aurore apparaît, et qu’on a averti à plusieurs reprises de cesser le repas, les deux fanaux sont descendus, et les crieurs commencent à faire l’appel à la prière, en se répondant l’un à l’autre. Les maisons de la Mecque (que Dieu l’ennoblisse !) ont toutes des terrasses, de façon que, celui dont l’habitation est trop éloignée pour qu’il puisse entendre l’appel à la prière, aperçoit néanmoins les deux lanternes susdites. Il continue son repas de la fin de la nuit jusqu’au moment où il ne voit plus les deux lanternes, et alors il cesse immédiatement de manger.

Dans toutes les nuits impaires des dix derniers jours du mois de ramadhàn, on complète la lecture du Coran, et le kâdhi, les docteurs et les grands y assistent. Celui qui la termine est un fils de quelque notable habitant de la Mecque. Lorsqu’il a fini, on dresse pour lui une chaire ornée de soie, on allume des bougies et il prêche. Après cela son père invite les assistants à se rendre chez lui et leur sert des mets abondants et des sucreries. C’est ainsi qu’ils agissent dans ces nuits impaires, dont la plus magnifique est chez eux celle du vingt-sept. La pompe usitée dans celle-ci dépasse celle des autres nuits. En effet, on y achève le Coran vénéré, derrière la noble station, et l’on dresse en face du hathîm des châfeïtes de grandes poutres qui se joignent à lui, et en travers desquelles on adapte de longues planches. On forme ainsi trois étages sur lesquels sont des bougies et des lanternes de verre, et peu s’en faut que la splendeur de ces lumières n’offusque la vue. L’imâm s’avance, et fait la prière de la nuit close. Il commence ensuite à lire la soûrah du destin (Coran, xcvii), car c’est le point où les imâms étaient parvenus dans leur lecture, la nuit précédente. Dans ce moment tous les imâms cessent la prière téràouîh, par respect pour l’achèvement du Coran dans le makâm ; ils y assistent et se sanctifient de la sorte. L’imâm finit en inclinant la tète quatre fois ; puis il se lève et prêche, tourné vers le makâm, après quoi les imâms retournent à leurs prières, et la réunion se sépare. Enfin, la leclure totale du Coran se termine la nuit du vingt-neuf, dans la station mâlikite. C’est un spectacle modeste, pur de toute ostentation et respectable. On achève le Coran et on fait un sermon.


DE LA COUTUME QU’OBSERVENT LES MECQUOIS DANS LE MOIS DE CHAWWÀL.

Dans ce mois, qui ouvre les quatre mois célèbres consacrés au pèlerinage, les habitants de la Mecque allument des lanternes, ainsi que des lampes et des bougies, la première nuit, à peu près comme ils font la vingt-septième nuit du ramadhân. On place des lumières dans toutes les parties des minarets ; on illumine tout le toit de la mosquée sainte, ainsi que celui de la mosquée qui se trouve au sommet d’Abou Kobeïs. Les moueddhins passent toute cette nuit à prononcer le tablîl, le tacbîr et le tasbîh (c’est à dire les différentes formules des louanges de Dieu). La population se partage en ceux qui font les processions autour de la ca’bah, ou qui prient, ou qui mentionnent le nom de Dieu, ou qui invoquent le secours divin. Après avoir fait la prière de l’aurore ils commencent les préparatifs de la fête ; ils revêtent leurs plus beaux habits, et accourent dans le noble temple pour y prendre place. Jls y font la prière de la fête ; car il n’existe point de lieu plus méritoire que celui-ci. Les premiers qui se rendent au matin dans la mosquée, ce sont les Bénou Cheybah. Ils ouvrent la porte de la sainte ca’bah, et leur chef s’assied sur le seuil, tandis que les autres se tiennent devant lui. Ils attendent l’arrivée de l’émir de la Mecque, et vont à sa rencontre. Celui-ci fait sept fois le tour de la ca’bah, tandis que le crieur du Zamzam est placé sur la terrasse de la coupole du même nom, et que, suivant son habitude, il prononce à haute voix l’éloge de l’émir, et prie pour lui et pour son frère, de la manière déjà mentionnée. Après cela, le prédicateur arrive, ayant de chaque côté une bannière noire, et devant lui la farca’ah ; il est habillé de noir. Il prie d’abord derrière l’illustre station ; puis il monte sur la chaire, et fait un sermon éloquent : après quoi, les assistants vont l’un vers l’autre, se saluant, se donnant la main et se demandant mutuellement le pardon de leurs fautes, ils se dirigent ensuite vers la noble ca’bah, où ils entrent par bandes ; puis ils se rendent au cimetière de la porte d’Alma’la, afin de se sanctiller par la visite des compagnons de Mahomet et des illustres anciens qui y sont enterrés ; enfin, ils se séparent.


INTERDICTION DE LA CA’BAH.

Le vingt-septième jour du mois de dhou’lka’dah, on relève les rideaux de l’illustre ca’bah à la hauteur d’environ une brasse et demie, et cela sur ses quatre faces, afin de garantir ces voiles contre les mains qui voudraient les mettre au pillage. On appelle cela l'interdiction de la cabah ; et c’est un jour qui réunit un grand concours d’assistants dans le noble temple. A partir de ce moment, l’on n’ouvre plus la sainte ca’bah qu’après l’accomplissement de la station d’Arafah (douze jours plus tard).


DES CÉRÉMONIES ET DES ACTES DU PÈLERINAGE.

Le premier jour du mois de dhou’lhiddjah, on bat les tambours et les timbales au moment des prières, de même qu’au matin et au soir, comme un signal de la solennité bénie, de l’entrée des pèlerins à la Mecque. On continue ainsi tous les jours, jusqu’à celui de l’ascension à Arafât. Le septième du même mois, le prédicateur fait un sermon éloquent, aussitôt après la prière de midi, par lequel il enseigne au peuple les cérémonies du pèlerinage et tout ce qui regarde la journée de la station. Le huitième jour, la population sort de bonne heure et monte à Mina. Les émirs de l’Égypte, de la Syrie et de l’Irak, de même que les savants, passent cette nuit-là à Mina. Un combat d’amour-propre et une lutte de gloire s’engagent entre les Égyptiens, les Syriens et les Irakiens, en ce qui concerne l’illumination des bougies ; mais la prééminence est toujours du côté des Syriens. Le neuvième jour, ils se dirigent, après la prière de l’aurore, de Mina vers Arafah, et dans leur chemin ils passent par la vallée Mohassir, qu’ils traversent rapidement, suivant l’usage. Cette vallée constitue la limite entre Mozdalifah et Mina. Mozdalifah est une vaste plaine entre deux montagnes ; et elle est entourée de citernes et de réservoirs, qui sont du nombre de ceux qu’a fait construire Zobeidah, fille de Dja’far, fils d’Abou Dja’far almansoûr, et épouse du commandant des fidèles Hâroûn arrachîd. Il y a cinq milles de distance entre Mina et Arafah, et autant entre Mina et la Mecque. Arafah est aussi connue sous deux autres noms, savoir : Djam’(réunion), et Almach’ar alharâm (le saint lieu des cérémonies). Arafat est une plaine très-vaste, environnée de beaucoup de montagnes, et au bout de cette plaine se trouve la montagne de la Miséricorde. C’est là, et dans les endroits qui l’avoisinent, qu’a lieu la station. Les deux Alam (poteaux et bornes) sont à un mille environ devant le mont de la Miséricorde, et ils constituent la limite entre le territoire libre et le territoire sacré. Près de ceux-ci, et dans le voisinage d’Arafah, est la vallée d’Arnah, que le Prophète a ordonné de laisser de côté. Il faut l’éviter, et il faut aussi se garder d’un retour précipité à la Mecque avant le plein coucher du soleil. Or les chameliers pressent souvent beaucoup d’individus, en leur faisant craindre la foule au moment du retour, et les font avancer, jusqu’à ce qu’ils les amènent dans ladite vallée d’Arnah ; par suite de quoi leur pèlerinage est manqué. La montagne de la Miséricorde, citée plus haut, s’élève au milieu de la plaine de Djam’(Arafah) ; elle est isolée des autres montagnes et formée par des pierres séparées l’une de l’autre. Sur sa cime existe un dôme attribué à Oumm Salamah, au milieu duquel se trouve une mosquée où les gens accourent à l’envi pour prier. Une vaste terrasse l’entoure, qui domine la plaine d’Arafat. Au sud de la mosquée est un mur, où sont pratiqués des oratoires pour les fidèles. Au bas de la montagne, à la gauche de celui qui est tourné vers la ca’bah, se voit une maison de construction antique, qui est attribuée à Adam, et à sa gauche sont les rochers près desquels se tenait le Prophète (Mahomet) ; tout autour sont des citernes et des bassins pour recevoir l’eau. Dans ces environs est aussi le lieu où se tient l’imâm, où il prêche et célèbre le jour de fête, entre la prière de midi et celle de trois heures. A la gauche des deux Alam, toujours pour celui qui regarde la ca’bah, est la vallée de l’Arâc, où se voit cet arbuste, l’arâc vert, qui s’étend au loin dans le sol. Quand arrive le moment du retour à la Mecque, l’imâm mâlikite fait signe avec sa main, descend de son poste, et la foule se précipite tout d’un coup pour revenir à la Mecque ; de manière que la terre en tremble et les montagnes en sont ébranlées. Oh ! quelle noble station, quel illustre lieu d’assemblée ! Les âmes en espèrent d’heureuses suites, et les désirs se dirigent vers les dons de la miséricorde divine. Puisse Dieu nous mettre au nombre de ceux qu’il a distingués en ce jour par son approbation !

Ma première station a eu lieu le jeudi, dans l’année vingt-six (726 de l’hégire, 1326 de J. C.). L’émir de la caravane de l’Égypte était alors Arghoûn, le porte-encrier, lieutenant du roi Annâcir. La fille de ce roi avait fait le pèlerinage cette année-là, et elle était femme d’Abou Becr, fils dudit Arghoûn. La femme du roi Annâcir avait aussi fait le pèlerinage cette même année ; son nom était Alkhondah (la princesse), et elle était fille du grand sultan Mohammed Ouzbec, roi de Sera et de Khârezm. L’émir de la caravane syrienne était Seïf eddîn aldjoùbàn. Lors de la marche pour la rentrée à la Mecque, après le coucher du soleil, nous arrivâmes à Mozdalifah, à l’heure de la dernière prière du soir ; et nous y fîmes les deux prières du coucher du soleil et du soir, toutes les deux à la fois, suivant le précepte de l’envoyé de Dieu. Lorsque nous eûmes fait la prière de l’aurore à Mozdalifah, nous nous rendîmes au matin à Mina, après la station et l’invocation à Dieu dans Almach’ar alharâm (Arafah). Mozdalifah tout entière est un lieu de station, excepté pourtant la vallée de Mohassir, où l’on pratique la marche précipitée, jusqu’à ce qu’on en soit sorti. La plupart des gens se munissent à Mozdalifah de petits cailloux destinés à être jetés dans les djamaràt (ou djimâr ; cf. Burckhardt, I, 381), et cela est préférable. D’autres, au contraire, les ramassent autour de la mosquée Alkhaïf ; et la chose est ainsi laissée à la discrétion de chacun. Arrivés à Mina, les pèlerins s’empressent de lancer les cailloux dans la djamrah du défilé. .Après cela, ils égorgent et sacrifient des chameaux et des brebis, ils se rasent la tête et ils peuvent user de toute chose, à l’exception des femmes et des parfums, dont ils doivent s’abstenir jusqu’à ce qu’ils aient accompli la procession du retour simultané d’Arafah. Le jet des cailloux contre cette djamrah s’effectue le jour du sacrifice, au lever du soleil. La majeure partie des gens part ensuite pour ladite procession , après avoir sacrifié les victimes et s’être rasé la tête. Il y en a qui restent jusqu’au second jour, dans lequel, vers le déclin du soleil , ils jettent sept cailloux contre la première djamrah et autant contre celle du milieu. Ils stationnent, pour invoquer Dieu , près de ces deux djamrah , se conformant ainsi à la conduite de Mahomet. Le troisième jour, ils descendent en hâte à la Mecque, après avoir lancé en tout quarante-neuf cailloux. Beaucoup d’entre eux restent le troisième jour, après celui des sacrifices, jusqu’à ce qu’ils aient lancé soixante et dix cailloux.


DU VOILE DE LA CA’BAH.

Le jour du sacrifice, la caravane de l’Égypte envoie dans l’illustre temple le voile de la noble ca’bah, qu’on place sur la terrasse de la maison sainte. Le troisième jour, après celui du sacrifice, les Bénou Cheybah le descendent sur la noble ca’bah. C’est une étoffe de soie très-noire, doublée en toile de lin. A sa partie supérieure il y a une broderie, où sont tracées avec des caractères blancs les paroles suivantes : Dieu a fait de la cabah une maison sainte, comme station, etc., jusqu’à la fin du verset. (Coran, v, 98.) Sur ses autres côtés il y a aussi des broderies, où se trouvent tracés, en lettres de couleur blanche, des versets du Coran. Elle resplendit d’une vive lumière, qui brille sur le fond noir de l’étoffe. Lorsqu’elle a été attachée à la ca’bah, on en relève les pans pour les garantir des mains des fidèles. C’est le roi Annàcir qui fournit le voile de la ca’bah vénérée et qui envoie tous les ans les honoraires du juge, du prédicateur, des imâms, des crieurs de la mosquée, des administrateurs, ainsi que le salaire des valets. Il pourvoit aussi annuellement aux besoins du temple illustre en ce qui regarde les bougies et l’huile.

Pendant les solennités que nous décrivons, on ouvre la noble ca’hah tous les jours, pour les habitants de l’Irak, du Rhoràçân, etc., qui sont arrivés avec la caravane babylonienne. Ceux-ci restent à la Mecque quatre jours après le départ des deux caravanes de l’Égypte et de la Syrie. Ils font alors de nombreuses aumônes aux personnes assidues dans le temple, etc. ; je les ai vus circuler autour du temple, pendant la nuit, et donner de l’argent et des étoffes à tous les modjâouirs et les Mecquois qu’ils y rencontraient. Ils agissaient de même envers ceux qui contemplaient l’illustre ca’bah. Souvent ils trouvaient un individu endormi ; alors ils plaçaient dans sa bouche de l’or et de l’argent jusqu’à ce qu’il se réveillât. Lorsque j’arrivai de l’Irak avec eux, dans l’année vingt-huit (728 de l’hégire, 1328 de J, C.), ils firent beaucoup d’actes de cette espèce. Ils répandirent tant d’aumônes, que le prix de l’or baissa considérablement à la Mecque, et le change du mithkàl parvint à dix-huit dirhems d’argent ; tout cela à cause de la grande quantité d’or qu’ils distribuèrent en aumônes. Dans cette année-ci (l’année 728) on mentionna sur la chaire, et sur la coupole du Zamzam le nom d’Abou Sa’id, roi de l’Irak.


DÉPART DE LA MECQUE ; QUE DIEU L’ENNOBLISSE !

Je quittai la Mecque à la fin du jour, le 20 de dhou’lhiddjah, en compagnie du commandant de la caravane de l’Irâk, Albahluwân (pehlewin, héros) Mohammed albaouïh, de Mossul. Il était chargé de conduire la caravane après la mort du cheïkh Chibâb eddîn Kalender, qui était un homme généreux, plein de mérite et fort estimé par son sultan. Il se rasait la barbe et les sourcils, à la manière des kalenders. En quittant la Mecque, le susdit émir Albahluwân loua, pour me transporter jusqu’à Baghdad, une moitié de ces doubles litières en forme de paniers ; il en paya le prix de son argent et me reçut sous sa protection. La tournée d’adieu accomplie, nous partîmes pour Bathn Marr avec une foule d’habitants de l’Irâk, du Khorâçân, du Fars et autres Persans, qu’on pouvait dire innombrables. La terre en était agitée comme la mer l’est dans ses flots, et ils marchaient à l’instar d’un épais nuage. Celui qui quittait un moment la caravane pour quelque besoin, et qui n’avait pas un signe de ralliement qui l’aidât à reconnaître sa place, ne pouvait la retrouver, à cause de la multitude des gens de la troupe.

Il y avait pour les pauvres voyageurs d’abondants dépôts d’eau, où ils s’abreuvaient, des chameaux pour porter les vivres destinés à en faire des aumônes, ainsi que les médicaments, les sirops et le sucre pour ceux qui tomberaient malades. Quand la caravane campait, on préparait la nourriture dans de grandes chaudières de cuivre, nommées Doçoût (pluriel de dest ; conf. l’Hist. des sult, mamlouks, t. II, 2e part., p. 238, 209, note) ; et l’on donnait à manger aux voyageurs pauvres, ainsi qu’à ceux qui n’avaient pas de provisions. Il y avait en outre dans la caravane bon nombre de chameaux pour servir au transport de tout individu qui se trouvait dans l’impuissance de marcher ; le tout provenant des aumônes et des générosités du sultan Abou Sa’îd.

Ibn Djozay ajoute ici : « Que Dieu honore ce noble surnom ! Quel rang admirable n’occupe-t-il pas dans la libéralité ! Considérez seulement notre maître, l’océan des générosités, celui qui a arboré l’étendard de la bienfaisance et qui est un modèle de gloire et de vertu. Je veux parler du commandeur des musulmans, Abou Sa’îd, fils de notre maître, l’exterminateur des infidèles, le vengeur de l’islamisme, le commandant des musulmans, Abou Yoùcef ; que Dieu veuille sanctifier leurs âmes illustres et conserver le royaume à leur sainte postérité, jusqu’au jour du jugement ! »

Revenons au récit. Cette caravane ouvre des marchés abondants, des avantages considérables, et tous les genres d’aliments et de fruits. On y voyage aussi la nuit, et l’on allume des fanaux devant les files des chameaux et les litières. On aperçoit alors la contrée brillante de lumière et la nuit changée en un jour resplendissant.

Nous partîmes ensuite de Bathn Marr pour Osfân, puis pour Kholays. Après quatre autres étapes, nous campâmes à la vallée de Samc. Nous fîmes cinq autres marches, après quoi nous nous arrêtâmes à Bedr. On parcourait deux étapes par jour : l’une après l’aurore et l’autre le soir. Nous quittâmes Bedr, et campâmes à Safrâ, où nous restâmes une journée pour nous reposer. De là à l’illustre Médine, il y a trois jours de marche. Nous partîmes et arrivâmes à Thaïbab, la ville de l’envoyé de Dieu ; que sa bénédiction et son salut soient sur lui ! Nous pûmes ainsi visiter une seconde fois le (tombeau du) Prophète. Notre séjour à Médine fut de six jours, et nous y fîmes provision d’eau pour une marche de trois journées. Nous partîmes et campâmes la troisième nuit à la vallée d’Al’aroûs ; nous y prîmes de l’eau, tirée de dépôts souterrains peu profonds : on n’a qu’à creuser la terre au-dessus d’eux, et on en tire de l’eau de source très-bonne à boire. Nous partîmes de Wadi’l’aroûs et entrâmes dans le paysde Nedjd. C’est un vaste plateau qui s’étend aussi loin que la vue. Nous respirâmes son zéphir suave et odoriférant ; et après quatre marches, nous descendîmes près d’un dépôt d’eau appelé Al’oçaïlah, puis près d’un autre dit Nokrah. Ici il y a des restes de citernes qui ressemblent à de grands bassins. Nous arrivâmes plus tard à un dépôt d’eau nommé Alkàroùrab. (La leçon du Mérâcid, ms, de la Bibl. impér. est Alkaroûra **) Ce sont des réservoirs pleins d’eau pluviale, de ceux dont la construction est due à Zobaïdah, fille de Dja’far ; que Dieu ait pilié d’elle et la favorise ! Cet endroit forme le milieu du territoire de Nedjd. C’est une région vaste ; l’air y est bon, le climat sain, le sol excellent, et elle est tempérée dans toutes les saisons. De Kâroùrah nous arrivâmes à Hadjir ; il y a ici des réservoirs d’eau qui quelquefois sont a sec ; alors on creuse dans les puits et l’on a de l’eau. Après cela nous campâmes à Samîrah ; c’est un terrain creux, dans une plaine, où se trouve une sorte de château habité. Son eau est abondante et contenue dans des puits ; mais elle est saumâtre. Les Arabes des environs y apportent des moutons, du beurre fondu et du lait, qu’ils vendent aux pèlerins, en échange de vêtements eu coton écru, et nullement en échange de tout autre objet. Nous marchâmes ensuite, puis fimes halte a la montagne percée. Elle se trouve sur un terrain désert, et à sa cime il existe une ouverture profonde que les vents traversent. De là nous partîmes pour la vallée Alcoroûch, qui manque d’eau. Nous voyageâmes la nuit, et parvînmes le matin au château de Faïd. Il est grand et situé sur un vaste plateau ; un mur l’entoure et il a près de lui un faubourg. Ses habitants sont des Arabes, qui gagnent leur vie avec les pèlerins, en vendant et en trafiquant. C’est ici que les pèlerins déposent une partie de leurs provisions, lors de leur passage de l’Irak à la Mecque, et ils les retrouvent à leur retour. Ce point est à moitié route de la Mecque à Baghdad : de Faïd à Coûfah, il y a la distance de douze jours de marche, par un chemin bien uni, où l’on trouve de l’eau dans les réservoirs. Les pèlerins ont l’habitude d’entrer à Faïd en ordre de bataille et avec l’appareil de la guerre, afin d’effrayer les Arabes qui s’y trouvent réunis et de couper court à leur avidité à l’égard de la caravane. Nous y rencontrâmes les deux émirs des Arabes, qui étaient Fayyâdh et Hiyâr, tous les deux fils de l’émir Mohannâ, fils d’Iça. Ils étaient accompagnés d’une quantité innombrable de cavaliers et de fantassins arabes. Ils montrèrent de la vigilance et le désir de protéger les pèlerins et les bagages. Les Arabes amenèrent des chameaux et des moutons, et les gens de la caravane leur achetèrent ce qu’ils purent.

Nous partîmes ensuite et allâmes camper à Adjfour (les puits : pluriel de djefr). Ce lieu doit sa célébrité aux deux amants Djamîl et Bothaïnah. Nous poursuivîmes notre route, et après avoir campé dans le désert, nous voyageâmes la nuit et fîmes halte à Zaroùd. C’est un lieu plat, où se trouvent des sables répandus. On y voit de petites maisons, entourées d’une enceinte, à l’instar d’un château, et des puits dont l’eau n’est pas douce. Nous descendîmes ensuite à Tha’labiyah, qui possède un château en ruines, vis-à-vis lequel se voit une immense citerne, où l’on descend par un escalier. Elle contient assez d’eau de pluie pour toute la caravane. Beau coup d’Arabes se rassemblent ici et vendent des chameaux. des moutons, du beurre fondu et du lait. D’ici à Coùfah, la distance est de trois marches. Nous reprîmes notre route et nous campâmes à l’étang du Lapidé. Ce nom vient d’un tombeau qui est sur le chemin, et près duquel se voit un monceau considérable de pierres. Tout individu qui passe par là en lance contre lui. On dit que ce lapidé était un râfidhite (hérétique), qui partit avec la caravane pour le pèlerinage de la Mecque. Une querelle s’éleva entre lui et des Turcs sunnites (orthodoxes). Il proféra des injures contre un des compagnons de Mahomet, et il fut tué à coups de pierres. Il y a dans ce lieu beaucoup de tentes appartenant à des Arabes ; ceux-ci vont trouver la caravane avec du beurre fondu, du lait, etc. On y voit aussi un grand réservoir qui fournit de l’eau à tous les pèlerins. C’est un de ceux qu’a fait bâtir Zobaïdah ; que Dieu ait compassion d’elle ! Toutes les citernes, tous les bassins ou les puits qui existent sur cette route, entre la Mecque et Bajïhdad, sont des monuments de la générosité de Zobaïdah ; que Dieu la récompense et lui en paye le prix ! Sans sa sollicitude pour ce chemin, personne ne l’aurait suivi.

Nous continuâmes notre voyage et nous nous reposâmes à un lieu nommé Machkoùk (le Mérâcid, t. I, p. 215 et t. II, p, 119 écrit Chokoûk). Il possède deux réservoirs contenant de l’eau douce et claire. Les gens de la caravane répandirent celle qui leur restait, pour faire provision de celle-ci. Après cela nous partîmes et campâmes ensuite dans un endroit appelé Ténânîr (les fourneaux) ; il y a ici une citerne pleine d’eau. Nous quittâmes ce lieu pendant la nuit, et passâmes après le lever du soleil à Zommâlah (la vraie leçon est Zobâlah, d’après le Lobb allobâb, p. 128, et le Méracid, t. I, p. 2i5 et 504). C’est un bourg bien peuplé, où il y a un château appartenant aux Arabes, deux citernes pour conserver l’eau et beaucoup de puits. C’est un des abreuvoirs de cette route. Nous marchâmes de nouveau, et fîmes halte aux deux Haïtham, où il y a deux réservoirs d’eau. Après cela nous continuâmes notre route, et nous campâmes au bas du défilé nommé le défilé de Satan ; nous le gravîmes le second jour. C’est le seul chemin montagneux qui existe sur cette route, et encore il n’est ni difficile, ni long. Nous arrivâmes ensuite à un lieu nommé Wàkiçah, où il y a un grand château et des citernes. Il est habité par des Arabes et c’est le dernier abreuvoir de ce chemin. En effet, passé celui-ci jusqu’à Coûfah, il n’y en a point d’autre célèbre, si ce n’est les abreuvoirs de l’eau de l’Euphrate. Dans ce lieu, beaucoup d’habitants de Coûfah viennent à la rencontre des pèlerins. Ils apportent de la farine, du pain, des dattes et autres fruits, et les gens échangent des félicitations amicales. Nous campâmes ensuite à Laourah (la leron du Merâcid, ms. de la Bibl. imp. est Laouzah, **), où il y a un grand réservoir d’eau ; puis dans un lieu nommé les Mosquées, où il Y a trois citernes ; et après cela, dans un endroit appelé la Tour des Cornes. C’est une tour située dans une plaine déserte, très-élevée et revêtue de cornes de gazelles. Il n’y a autour d’elle aucune habitation. Nous campâmes ensuite dans un lieu nommé ’Odhaïb : c’est une vallée fertile qu’avoisinent des habitations, et qu’entoure une riche campagne, laquelle offre un vaste champ pour la vue. Nous arrivâmes à Kàdiciyyah, où se livra le combat célèbre contre les Persans, dans lequel Dieu fit triompher la religion musulmane et humilia les Mages, adorateurs du feu. A dater de ce moment, ils ne purent plus se relever, et Dieu les a détruits complètement. Le chef des musulmans était alors Sa’d, fils d’Abou Wakkas, et Kàdiciyyah était une grande ville lorsque ce général en fit la conquête. Elle fut ruinée, et il n’en reste actuellement que l’équivalent d’un bourg considérable, où se trouvent des lieux plantés de palmiers et des abreuvoirs alimentés par l’eau de l’Euphrate.