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Wikisource:Extraits/2025/45

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Clémence Robert, Je suis Femme dans Harmonies sociales et poétiques, 1841

JE SUIS FEMME.

Née ici, j’y mourrai. — Jamais l’heureux voyage
Ne viendra de son aile ouvrir mon horizon ;
Je ne connaîtrai rien du monde de passage
Au delà de ce mur qui borde ma maison ;
Je ne foulerai pas, avançant vers la ligne,
La terre où l’olivier est l’appui de la vigne,
Où les jours de soleil éclosent tout entiers,
Où toutes les saisons versent leur goutte d’ambre…



Je ne comprendrai pas les lois de l’univers :
Comment la terre, avec ses couronnes de glace,
Son voile parsemé d’océans, de déserts,
Sous le regard du jour avance dans l’espace ;
Comment dans son asile est tout ce que je vois,
Comment nous existons, l’oiseau, la plante et moi ;
Je ne connaîtrai pas, en soulevant leurs voiles,
Ce que Dieu, dans le ciel, écrivit en étoiles,
Ni l’immense bonheur de l’esprit élancé
Qui parcourt tous les cieux, tous les chemins de flamme
Où le Créateur a passé :
Je suis femme.

Non. — Mais je connaîtrai ce monde de l’amour,
Où mieux qu’à l’orient on voit naître le jour,
Où mieux que dans la mer et le plus beau rivage,
On voit du Créateur apparaître l’image :
Je comprendrai sans art, sans soins laborieux,
Sa langue maternelle aux accents d’ambroisie ;
J’entendrai dans les cœurs chanter sa poésie ;
Je connaîtrai sa sphère et le cours radieux
De ses astres de feu, mêlant leur vive trame,
Tout son empire et tous ses cieux :
Je suis femme.