Manifeste adressé aux Canadiens

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Manifeste adressé aux Canadiens
Alphonse Doutre et Cie (p. 323-324).

Le 27 Juin 1759[1], le Général Wolfe fit afficher, en arrivant à Québec, à la porte des différentes églises, le placard suivant :

« De par Son Excellence, James Wolfe, Major-général, Colonel d’infanterie, commandant en chef les troupes de Sa Majesté Britannique,

« Le Roi, mon maître, justement irrité contre la France, résolu d’en rabattre la fierté et de venger les insultes faites aux colonies anglaises, s’est enfin déterminé à envoyer en Canada l’armement formidable de mer et de terre que les habitants voient avancer jusque dans le centre de leur pays. Il a pour but de priver la couronne de France des établissements les plus considérables dont elle jouit dans le Nord de l’Amérique. C’est à cet effet qu’il lui a plu de m’envoyer dans ce pays à la tête de l’armée redoutable actuellement sous mes ordres. Les laborieux colons et paysans, les femmes, les enfants, ni les ministres sacrés de la religion ne sont point l’objet du ressentiment du Roi de la Grande-Bretagne ; ce n’est pas contre eux qu’il élève son bras ; il prévoit leurs calamités, plaint leur sort, leur tend une main secourable. Il est permis aux habitants de revenir dans leurs familles, dans leurs habitations, je leur promets ma protection ; je les assure qu’ils pourront, sans craindre la moindre molestation y jouir de leurs biens, suivre le culte de leur religion, en un mot jouir au milieu de la guerre de toutes les douceurs de la paix, pourvu qu’ils s’engagent à ne prendre directement ni indirectement aucune part à une dispute qui ne regarde que les deux couronnes. Si au contraire un entêtement déplacé d’une valeur imprudente leur fait prendre les armes, qu’ils s’attendent à souffrir tout ce que la guerre offre de plus cruel. Il leur est aisé de se représenter à quels excès se porte la fureur d’un soldat effréné ; mes ordres seuls peuvent en arrêter le cours. C’est aux Canadiens, par leur conduite, de se procurer cet avantage. Ils ne peuvent ignorer leur situation présente ; une flotte considérable bouche le passage des secours dont ils pourraient se flatter du côté de l’Europe ; une armée nombreuse les presse du côté du continent ; le parti qu’ils ont à prendre ne paraît pas douteux ; que peuvent-ils attendre d’une vaine et aveugle opposition ? qu’ils en soient eux-mêmes les juges.

« Les cruautés inouïes que les Français ont exercées contre les sujets de la Grande-Bretagne établis dans l’Amérique, pourraient servir d’excuse aux représailles les plus sévères ; mais l’Anglais dédaigne cette barbare méthode : sa religion lui prêche l’humanité et son cœur en suit avec plaisir les préceptes. Si la folle espérance de nous résister avec succès porte les Canadiens à refuser la neutralité que je leur propose et leur donne la présomption de paraître les armes à la main, ils n’auront sujet de s’en prendre qu’à eux-mêmes lorsqu’ils gémiront sous le poids de la misère à laquelle ils se verront exposés par leur propre choix. Il sera trop tard de regretter les efforts inutiles de leur valeur indiscrète, lorsque pendant l’hiver ils verront périr de famine tout ce qu’ils ont de plus cher. Quant à moi, je n’aurai rien à me reprocher, les droits de la guerre sont connus : l’entêtement d’un ennemi justifie les moyens dont on se sert pour le mettre à la raison.

« Il est permis aux habitants du Canada de choisir : ils voient d’un côté l’Angleterre qui leur tend une main puissante et secourable. Son exactitude à remplir ses engagements est connue ; elle s’offre à maintenir les habitants dans leurs droits et leurs possessions ; d’un autre côté la France, incapable de supporter ces peuples, abandonne la cause dans le moment le plus critique ; et si pendant la guerre, elle leur a envoyé des troupes, à quoi leur ont-elles servi ? à leur faire sentir avec plus d’amertume le poids d’une main qui les opprime au lieu de les secourir. Que les Canadiens consultent leur prudence ; leur sort dépend de leur choix.

« Donné à notre quartier-général de la paroisse de St. Laurent, Île d’Orléans, 27 Juin 1759.

« (Signé,) James Wolfe. »

  1. Correspondance officielle des Gouverneurs. Archives de Paris, XII, 88