Page:Aristote - Production et destruction des choses, Ladrange, 1866.djvu/470

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Donc l’être n’est pas pensé. Et de même que les choses vues sont pour cela dites visibles, que les choses qu’en entend sont dites Entendables[1], parce qu’on les entend, et que l’on ne nie pas les choses visibles parce qu’on ne les entend pas, pas plus qu’on ne nie les choses entendables sous prétexte qu’on ne les voit pas, chacune de ces choses devant être jugée par son sens spécial et non par un sens étranger, de même les choses pensées n’en seront pas moins, parce qu’on ne pourra pas les voir par la vue ni les entendre par l’ouïe, du moment qu’elles sont saisies par le critérium qui leur est propre. Par suite, si quelqu’un pense que les chars roulent sur les eaux et qu’il ne les voie pas, il n’en faut pas moins croire fermement que les chars roulent sur les eaux. Mais cela est absurde. Donc l’être n’est pas pensé, et il ne saurait être compris.

Mais en supposant qu’il fût compris, on ne saurait le transmettre à un autre. En effet, les êtres qu’on peut voir et entendre, et d’une manière générale qu’on peut sentir, sont supposés extérieurs à nous ; et parmi eux, les visibles sont saisis par la vue, ceux qu’on peut entendre sont saisis par l’ouïe, sans qu’il y ait jamais d’interversion possible. Comment donc alors pourrait-on les expliquer à autrui ? En effet, le moyen d’explication que nous avons, c’est la parole ; et la parole n’est ni les objets eux-mêmes ni les êtres. Ce n’est donc pas les êtres que nous expliquons à autrui ; c’est uniquement la parole, qui est absolument différente des réalités elles-mêmes. De même donc que le visible ne peut

  1. J’ai dû forger ce mot pour conserver la symétrie qui est dans le texte.