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SOUVENIRS

d’une magnificence admirable. Elle avait pour son usage personnel un nécessaire de table en or massif, et la collection de ses tabatières était la plus splendide et la plus curieuse chose du monde. Au milieu de toutes ces dorures et de ces grands portraits de connétables, avec tous ces lions de Luxembourg et ces alérions de Montmorency, on était d’abord un peu surpris en apercevant une petite bonne femme en robe de taffetas brun, avec le bonnet et les manchettes de gaze unie à grand ourlet, sans bijoux et sans aucune espèce d’étalage ou de franfreluches. Mais en approchant, c’était une physionomie si animée, et si bien tempérée pourtant, un visage si noble et si régulier encore, une attitude modeste, mais presque royale on pourrait dire, avec un propos si spirituellement varié, si naturellement poli, si digne et si fin tout à la fois, qu’on l’écoutait et la regardait continuellement avec un plaisir inexprimable.

Le costume des vieilles femmes de ce temps-là avait un grand avantage pour elles, et c’était celui de ne ressembler en aucune manière à celui des jeunes femmes de leur temps, avec lesquelles on ne se trouvait jamais à lieu d’établir une comparaison, toujours si défavorable aux douairières ! Les vieilles femmes étaient alors des espèces de figures à part, on les jugeait sans penser à leur sexe qui n’existait plus pour les idées de galanterie non plus que pour la toilette. Les pauvres vieilles femmes de mon temps me font grand’pitié quand je les vois avec des bonnets fleuris, des fichus menteurs et tout leur attirail juvénile, qui fait qu’on les compare involontairement avec leurs petites-filles, et qu’on les trouve horribles, en