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FABLES CHOISIES.

Quant à vous, suivez Mars, ou l’Amour, ou le Prince ;
Allez, venez, courez, demeurez en Province ;
Prenez Femme, Abbaye, Employ, Gouvernement ;
Les gens en parleront, n’en doutez nullement.




II.
LES MEMBRES ET L’ESTOMACH.



Je devois par la Royauté
Avoir commencé mon Ouvrage.
A la voir d’un certain costé
[1] Messer Gaster en est l’image.
S’il a quelque besoin, tout le corps s’en ressent.
De travailler pour luy les membres se lassant,
Chacun d’eux resolut de vivre en Gentilhomme,
Sans rien faire, alleguant l’exemple de Gaster.
Il faudroit, disoient-ils, sans nous qu’il vécût d’air.
Nous suons, nous peinons comme bestes de somme ;
Et pour qui ? pour luy seul : nous n’en profitons pas :
Nostre soin n’aboutit qu’à fournir ses repas.
Chommons : c’est un métier qu’il veut nous faire apprendre.
Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre,
Les Bras d’agir, les jambes de marcher.
Tous dirent à Gaster, qu’il en allast chercher.
Ce leur fut une erreur dont ils se repentirent ;
Bien-tost les pauvres gens tomberent en langueur :
Il ne se forma plus de nouveau sang au cœur :
Chaque membre en souffrit : les forces se perdirent.
Par ce moyen, les mutins virent,
Que celuy qu’ils croyoient oysif et paresseux

  1. L’Estomach. (Note de la Fontaine.)