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ont pas une moindre envie ni un moindre besoin de la paix, mais ce n’est vraisemblablement plus de la même paix. Attention ; attention partout; à notre armée de Salonique, s’il leur vient à l’esprit que le plus pressant pour eux est de, se donner de l’air à l’Orient; en Italie, s’ils voyaient jour à s’y faire brèche dans l’armée ou dans la nation ; en France, s’ils sont convaincus, ainsi que nous le sommes nous-mêmes, que la décision ne s’obtiendra que sur le front occidental. Ici encore, prévoir, c’est parer. Il n’y a pas à être optimiste, ni pessimiste; ces mots mêmes n’ont aucun sens, en face des faits, qui sont ce qu’ils sont, et qui ne sont ni meilleurs ni pires; mais il s’agit d’être réaliste, de ne négliger rien et de n’exagérer rien ; non d’être sûr, ni d’être inquiet, mais d’être prêt.

Plaçons-nous premièrement en face du fait de l’anarchie russe. Nous avons appris, il y a un mois, que Lénine, tout à coup sorti de sa cachette, s’était aisément rendu maître de Pétrograd, et que Kerensky, avec son gouvernement provisoire, s’était évanoui comme une fumée ou comme un son. Il y a quinze jours, nous apprenions que le dit Lénine, ou plutôt Vladimir Ilitch Oulianoff, dit Lénine, avait, sous le nom de « Commissaires du Soviet du peuple, » constitué un gouvernement de sa façon, s’il est permis de parler en ce cas d’un gouvernement, où Trotsky, dit Bronstein ou Braunstein (voyez la liste de la Morning Post), jouait le rôle de ministre des Affaires étrangères, et qui devait bientôt appeler à la dignité de généralissime le vieil adjudant Krylenko, dit « le père Abraham, » ou peut-être Aron Abram, dit Krylenko. Mais un « gouvernement » populaire, révolutionnaire, et même ultra-révolutionnaire, ne peut pas, même investi et institué par sa propre usurpation, même se prétendant émané directement du peuple, ne pas avoir au moins l’apparence de s’appuyer sur un semblant d’assemblée. Aussi Lénine et ses compères en ont-ils immédiatement fait une, composée de représentai spontanés et improvisés, ou soi-disant représentans, — car comment élus et nommés par qui ? — des comités de paysans, de l’armée, des associations professionnelles de postiers et de cheminots. Le truc est grossier : par un cycle de complaisances réciproques, Lénine et ses co-commissaires tirent leur pouvoir de la pseudo-assemblée du peuple, qui tire le sien de l’agrément et de la commodité de Lénine.

De toute manière, ce pouvoir, qui est ce qu’il est et qui vaut ce qu’il vaut, qu’en font-ils ? Et, question préalable, qu’il serait bien utile d’élucider, dans quel rayon exactement, sur quel territoire