Page:Curie - Pierre Curie, 1924.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
104
PIERRE CURIE

qui, attaché inflexiblement au service de son idéal, a honoré l’humanité par une existence de travail vécue dans le silence, dans la simple grandeur de son génie et de son caractère. Il avait la foi de ceux qui ouvrent des voies nouvelles ; il savait qu’il avait une haute mission à remplir, et le rêve mystique de sa jeunesse le poussait invinciblement, en dehors du chemin usuel de la vie, dans une voie qu’il nommait antinaturelle, car elle signifiait le renoncement à la douceur de l’existence. Pourtant, résolument, il subordonna à ce rêve ses pensées, et ses désirs ; il s’y adapta et s’y identifia de manière de plus en plus complète. Ne croyant qu’à la puissance pacifique de la science et de la raison, il vécut pour la recherche de la vérité. Sans préjugé et sans parti pris, il apporta la même loyauté dans l’étude des choses que dans la compréhension des autres hommes et de lui-même. Détaché de toute passion commune, ne cherchant ni la suprématie, ni les honneurs, il n’avait point d’ennemis, bien que l’effort accompli sur lui-même en ait fait un de ces êtres d’élite, que l’on trouve à toutes les époques de la civilisation en avance sur leur temps. Et ainsi que ceux-là, il pouvait exercer une influence profonde, par le seul rayonnement de sa puissance intérieure.

Il est utile de comprendre combien une pareille existence représente de sacrifice. La vie du grand savant dans son laboratoire n’est pas comme beaucoup peuvent le croire une idylle paisible ; elle est plus souvent une lutte opiniâtre livrée aux choses, à l’entourage et surtout à soi-même. Une grande découverte ne jaillit pas du cerveau du savant tout achevée,