Ô Capitaine ! Mon Capitaine !

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Traduction par Léon Bazalgette.
Mercure de France (I et IIp. 80-81).


Ô CAPITAINE ! MON CAPITAINE !


Ô Capitaine ! mon Capitaine ! fini notre effrayant voyage,

Le bateau a tous écueils franchis, le prix que nous quêtions est gagné,

Proche est le port, j’entends les cloches, tout le monde qui exulte,

En suivant des yeux la ferme carène, l’audacieux et farouche navire ;

Mais ô cœur ! cœur ! cœur !
Oh ! les gouttes rouges qui lentement tombent
Sur le pont où gît mon Capitaine,
Étendu mort et glacé.


Ô Capitaine ! mon Capitaine ! lève-toi et entends les cloches ;

Lève-toi — c’est pour toi le drapeau hissé — pour toi le clairon vibrant,

Pour toi bouquets et couronnes enrubannés — pour toi les rives noires de monde,

Toi qu’appelle leur masse mouvante aux faces ardentes tournées vers toi ;

Tiens, Capitaine ! père chéri !
Je passe mon bras sous ta tête !
C’est quelque rêve que sur le pont,
Tu es étendu mort et glacé.


Mon Capitaine ne répond pas, pâles et immobiles sont ses lèvres,
Mon père ne sent pas mon bras, il n’a ni pulsation ni vouloir,
Le bateau sain et sauf est à l’ancre, sa traversée conclue et finie,

De l’effrayant voyage le bateau rentre vainqueur, but gagné ;

Ô rives, Exultez, et sonnez, ô cloches !
Mais moi d’un pas accablé,
Je foule le pont où gît mon Capitaine,
Étendu mort et glacé.