Déclaration de la Province de Lorraine

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DÉCLARATION
DE
LA PROVINCE
DE LORRAINE.


Enfin, après deux ans et demi de massacres, de ravages, d’incendies, de crimes et de malheurs de toute espèce, l’assemblée de factieux et de révoltés, connue sous le nom d’Assemblée Nationale, vient d’achever ce qu’elle nomme la Constitution Françoise, que les trois-quarts des François répètent sans s’entendre, croyant désigner une forme de gouvernement supérieure à toutes les autres, qui doit faire la gloire du Royaume et le bonheur du Peuple, et qui n’est aux yeux de la raison, qu’un assemblage dégoûtant de conceptions factieuses, d’inventions absurdes de décrets dictés par la révolte, l’ignorance, la cupidité, l’orgueil et l’impiété, monument éternel et hideux de la folie et de la perversité humaine.

C’est dans ce court délai de deux années, que sous le nom de révolution, la plus horrible conjuration dont l’Histoire du monde fasse mention, produit plus de crimes et de maux, que dix siècles de barbarie ; c’est aux yeux de l’Europe armée, qu’une horde de vils scélérats, détrône un Monarque vertueux, modèle de bienfaisance, attaque impunément tous les Souverains, et soulève leurs Peuples contre eux. Appellé par son Souverain, pour l’aider à réparer le désordre des Finances, cette infernale Assemblée arbore l’étendart de la rébellion, détruit la Monarchie, anéantit la Religion, renverse les Autels, ravage et pille les Provinces, attaque et envahit toutes les propriétés, éguise mille poignards contre son Roi et son auguste Famille, fait égorger cent mille Citoyens, dévoue à la persécution et aux supplices tous ceux qui gémissent sur tant de forfaits, ou qui restent fidèles à leur Roi, se maintient dans cette effroyable puissance, par les moyens d’un million d’assassins armés, nommés amis de la Constitution, et rassasiés de sang et de pillage, se retire sans obstacle et sans responsabilité, au milieu des imprécations et des cris agonisans de tous les malheureux qu’elle a fait, chargée de l’anathême de tous les honnêtes gens laissant le Royaume aux abois, et tous les bons François dans le désespoir.

Tel est l’effrayant tableau de la conduite de l’Assemblée dite Nationale, qu’un Peuple séduit et trompé, n’avoit pensé à examiner jusqu’ici. Bercé de vaines espérances, égaré par les chimères de liberté et d’égalité, il commence à s’appercevoir qu’il n’a été que l’instrument dont se sont servis les factieux pour satisfaire toutes leurs passions, et que sous le prétexte de faire le bien du peuple, ils n’ont évidemment travaillé que pour leur intérêt. Jusques-là, les bons esprits subjugués, les honnêtes-gens intimidés, les Provinces consternées n’avoient osé adresser à ce Peuple le langage de l’honneur et du devoir ; on l’auroit fait vainement, en réclamant, en protestant contre ces œuvres de ténèbres, qui couvroient la France de deuil et de sang.

Aujourd’hui que le Peuple commence à sentir sa misère, qu’une détresse générale réfroidit les partisans les plus zélés de la démocratie ; que les vertus du Roi ont regagné l’affection de ses Sujets abusés par des traîtres ; que l’horreur de la saine partie de la Nation éclate contre l’Assemblée régicide qui vient de s’enfuir ; que le mépris couvre celle qui lui a succédé ; que tous les nobles et riches propriétaires du Royaume se rendent auprès des Princes persécutés, pour revenir sous leurs auspices briser les fers de leur Roi, et expier par leur amour et leur fidélité les attentats commis contre sa personne sacrée ; que toute la France se lasse des tyrannies municipales, et qu’à l’exception des scélérats nommés amis de la Constitution, autrement Jacobins tout le monde soupire après le retour de l’ordre et de la justice : c’est à cette époque que les Provinces doivent réclamer hautement contre les entreprises sacriléges formées contre la Religion et le Trône, contre leurs loix, leurs coutumes, leurs avantages. Celle d’Alsace a déja protesté hautement contre ces criminelles innovations. La Province de Lorraine imitant un si noble exemple, voulant être une des premières à attester son amour pour les droits de la Monarchie, et sa fidélité pour son Roi, supplie très-humblement Sa Majesté, de la réintégrer dans l’état où elle a été cédée à la France, par le traité de Vienne, que nulle puissance n’a eu le droit d’altérer, sans le consentement des parties contractantes. En conséquence, nombre de membres des trois Ordres de cette Province, réunis à ceux du Parlement de Nanci, dans le Duché de Luxembourg, sous la protection de l’Empereur, se regardant comme l’organe des sentimens de leurs concitoyens, comme les défenseurs des droits de leur Province, arrêtent et déclarent qu’ils protestent hautement, à la face de l’Europe, contre toutes les innovations contraires au vœu général de la Province, exprimé dans les cahiers, et notamment contre la soi-disant Constitution Françoise, qui a détruit jusqu’à son nom, qu’elle révère et qu’elle entend conserver ainsi que ses Loix antiques et respectables, auxquelles elle a dû son bonheur et sa prospérité.

2o Que les Députés aux États-généraux de la France, n’ayant reçu aucun pouvoir pour faire ce qu’ils ont exécuté, n’y étant parvenu que par une sacrilége invasion de la toute puissance, et par des attentats inouis jusqu’à ce jour, tous leurs prétendus décrets sont nuls de droit, et que loin d’y obéir, tout François fidèle à son honneur et à sa conscience, doit repousser avec horreur l’œuvre du crime et de la perversité.

3o Que sous l’apparence de faire le bien du Peuple, les factieux n’ont évidemment travaillé que pour leur intérêt particulier ; ce qu’a prouvé invinciblement l’ingratitude abominable des uns ; la cupidité insatiable des autres, les pillages de tous, et le soin qu’ils ont eu de s’emparer de tous les pouvoirs et de toutes les places.

4o Qu’en feignant de vouloir ramener la Religion et le Clergé à leur institution primitive, ils n’ont eu en vue que de s’emparer de ses biens, pour servir d’aliment à leur usurpation, gagner les municipalités, et substituer le protestantisme républicain, à une Religion sainte, qui lance l’anathême contre les traîtres et les rebelles.

5o Que le Roi indignement trahi par ceux qu’il avoit comblé de biens, outragé et menacé chaque jour ; enfin, prisonnier depuis deux ans, n’a pu avoir de volonté libre pour approuver et accepter cette soi-disant Constitution.

6o Que les traîtres effrayés de cette vérité, et ayant besoin d’un grand crime qui relevât leur puissance déja chancelante, en abaissant celle que l’opinion rendoit au Roi, résolurent de le rendre odieux au Peuple. En conséquence, ils fomentèrent le projet de son évasion, pour le faire arrêter, et sous l’abominable prétexte qu’il vouloit trahir la France, et la livrer aux horreurs de la guerre, lui faire éprouver des outrages et le calomnier de manière à le rendre l’objet de la haine et de la risée de son Peuple. On sait trop comment ils y parvinrent ; après avoir été averti du départ de la Famille Royale, par la perfidie d’un monstre digne de Ravaillac, la femme Rochereuil, femme de garde-robe de la Reine, qui en prévint le sieur Gouvion, Aide-de-camp du Sieur la Fayette, lequel ayant prit ses mesures d’avance, fit arrêter le Roi près des frontières, afin de faire suspecter plus odieusement les motifs de son départ. Après son arrestation, toute l’Europe sait de quelle manière il fut ramené dans sa Capitale ; les cheveux en dressent sur la tête, en se rappellant cette marche de cannibales, et ce triomphe infernal de tous les crimes, sur le malheur et la vertu.

7o Que les exécrables instrumens de ce nouveau régicide, les traîtres la Fayette, Gouvion, Baillon, Drouet et Guillaume, ont été loués et récompensés pour leur détestable perfidie.

8o Qu’enfin, ce Roi vertueux autant qu’infortuné, traité avec une inhumanité et une indignité, dont les Peuples les plus féroces n’ont jamais fourni d’exemple, a, par sa déclaration du 21 Juin 1791, annoncé à toute l’Europe sa véritable situation, ainsi que ses vrais sentimens ; et que son acceptation à la Constitution, pour lequel ce tissu de scélératesse avoit été machiné, est aussi évidemment forcé que toutes ses autres démarches, puisqu’il se trouvoit entre les mains des factieux, gardé par les satellites de la rébellion, et obligé de recevoir comme règle de sa conduite, les conseils d’un Beaumetz, d’un Barnave, d’un Thouret ; en un mot, de ce que l’Assemblée régicide renfermoit de plus scélérat et de plus impur ; et qu’à moins d’y être contraint par une violence manifeste, d’autant plus dangereuse, qu’elle est moins apparente, un Roi ne peut accepter une Constitution monstrueuse qui le détrône, et qui détruit sa Religion et son Empire.

Ce considéré, la Province de Lorraine ne voyant qu’avec frayeur la situation de la France, réclame l’exécution du traité de cession fait à Vienne, le 28 Août 1736, notamment l’article XIV, qui dit : — Subsisteront et — seront également maintenu… les Priviléges de l’Église — de la Noblesse et du Tiers-État ; les annoblissemens, graduations, et concessions d’honneur faites par les Ducs de Lorraine, &c. Entend ladite Province, vouloir être gouvernée par le Roi son Seigneur, selon la teneur du traité, sinon, retourner sous la domination de l’Empereur Duc de Lorraine, son ancien Souverain. Décerne des Éloges à MM. le Vicomte du Hautoy, les Comtes de Ludres et de Ménonville, qui ont eu le courage de braver les factieux en défendant les droits de leur Province ; déclare en même temps, filoux et traîtres à leur Patrie, le Curé Grégoire d’Embermesnil, les Sieurs Duquesnoy et Voidel ; ordonne à tous les bons Citoyens, de les poursuivre et de les faire arrêter par-tout, pour être jugés et punis comme parjures et incendiaires.

Ordonne à tous les Lorrains fidèles, d’aller joindre les Princes frères du Roi, de les servir de leurs bras et de leurs biens, dans le noble projet qu’ils ont formé de délivrer leur frère et Seigneur le Roi de France, des mains de ses assassins.

Déclare adhérer à la protestation des braves Alsaciens, énoncée par le Conseil Souverain de Colmar ; renouvelle, à la face de l’Europe, ce serment de fidélité qu’elle a fait au Roi, de défendre de tout son pouvoir les droits de la Religion et du Trône ; touché des vertus de son Roi, de l’héroïsme d’Antoinette de Lorraine, son auguste compagne, et de tous les malheurs de la Famille Royale, invite tous les Lorrains à combattre pour une cause si juste et si noble, et s’ils n’ont pas de moyens suffisans pour la faire triompher, de s’ensevelir sous les ruines de la Monarchie.

Fait à Luxembourg, le 10 Octobre 1791.