Fantasmagoriana/Préface

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FantasmagorianaF. Schoell1 (p. v-xiv).


PRÉFACE


DU TRADUCTEUR.




On pense assez généralement que personne ne croit plus aux revenans. Cette opinion ne semble pourtant pas tout à fait exacte, quand on y réfléchit un peu mûrement. En effet, sans parler des mineurs et des montagnards, qui sont persuadés, les uns de l’existence d’esprits ou lutins, gardiens des trésors renfermés dans le sein de la terre, les autres de la vérité des apparitions de fantômes qui annoncent des nouvelles tantôt agréables, tantôt fâcheuses ; ne peut-on pas demander pourquoi, parmi nous, certains individus répugnent à passer dans un cimetière lorsque le jour a disparu ? pourquoi d’autres éprouvent un frisson involontaire en entrant la nuit dans une église, ou dans un édifice vaste et non habité ? pourquoi, enfin, des gens qui jouissent d’une réputation méritée de bon sens et de hardiesse, n’osent, dans les ténèbres, se hasarder à visiter des lieux ou ils sont sûrs de n’avoir rien à redouter des vivans ? On répète sans cesse que ceux-ci sont les seuls à craindre, et néanmoins on a peur la nuit, parce que l’on croit, par tradition, que ce temps est celui que préfèrent les fantômes pour apparoître aux habitans de la terre.

En admettant, au reste, comme une vérité démontrée, qu’à peu d’exceptions près, l’on ne croit plus aux revenans, et que tous les genres de frayeur dont nous venons de parler ne sont dus qu’à une horreur des ténèbres naturelle à l’homme, horreur dont il ne peut se rendre raison, il est un fait certain, c’est que l’on se plaît beaucoup à écouter les histoires de revenans, de spectres, de fantômes. Nous avons pour le merveilleux un certain goût qui nous fait prêter une oreille attentive à tous les récits dont les événemens sortent de la sphère habituelle des choses. Voilà sans doute pourquoi l’étude des sciences étoit jadis entremêlée de prodiges ; aujourd’hui, on l’a réduite à la simple observation des faits. Cette révolution salutaire et propre à hâter les progrès de la vérité, a cependant déplu à quelques esprits ; ils ont dit que l’on avoit dépouillé les sciences d’un de leurs attraits les plus vifs, et que la nouvelle méthode flétrissoit l’ame et désenchantoit l’étude. Ils ne négligent aucune occasion de faire reprendre au surnaturel un peu de cet empire dont il a justement été privé, et s’applaudissent hautement de leurs efforts dont ils ne peuvent néanmoins se féliciter ; les prodiges étant bannis à jamais des traités de physique et d’histoire naturelle.

Mais si le merveilleux, le surnaturel sont mal placés dans ces sortes d’ouvrages, ils le sont parfaitement dans un livre du genre de celui que nous publions. Ils n’y peuvent amener aucune conséquence dangereuse pour l’esprit ; car on s’attend d’après le titre, à lire des choses extraordinaires auxquelles chacun peut ajouter foi, suivant son degré de crédulité. Il est bon aussi qu’il existe des espèces de répertoires où l’on trouve quelques traces des travers d’imagination auxquels les hommes ont été si long-temps livrés. On en rit aujourd’hui, et cependant il n’est pas probable que les récits où les fantômes jouent le rôle principal, cessent d’avoir cours parmi nous. Tant que le genre humain subsistera, on parlera de revenans et de spectres, il se rencontrera des visionnaires de bonne foi.

On auroit pu, dans cette préface, traiter d’une manière érudite et méthodique la question des apparitions ; mais l’on n’auroit fait que répéter ce que don Calmet et l’abbé Lenglet-Dufresnoy[1] ont déjà dit sur cette matière. Ils l’ont à peu près épuisée, de sorte qu’il seroit très-difficile d’écrire après eux quelque chose qui eût le mérite de la nouveauté. Les personnes curieuses de connoître tout ce qui est relatif aux apparitions, consulteront avec fruit les ouvrages de ces deux écrivains. Ils offrent des récits au moins aussi étranges que ceux qui se trouvent dans notre recueil. L’abbé Lenglet-Dufresnoy, quoiqu’il dise qu’il y a réellement des apparitions, ne semble pas ajouter foi à ce qu’il rapporte ; mais don Calmet finit, comme l’observe Voltaire, par avoir l’air de croire à ce qu’il raconte, et surtout aux épouvantables histoires des vampires. Nous ajouterons, pour l’instruction des personnes qui seroient tentées d’approfondir le sujet dont il est question, que l’abbé Lenglet-Dufresnoy a donné une liste des principaux auteurs qui ont traité des esprits, démons, apparitions, songes, magies et spectres.

Depuis que ce laborieux écrivain a publié cette notice, Svedenborg et Saint-Martin se sont fait connoître par leurs ouvrages ; il a paru aussi en Allemagne des livres où l’on a traité à fond la question de l’apparition des esprits. Les deux auteurs qui l’ont embrassée dans le plus grand détail sont Wagener et Jung. Le premier, dans son livre intitulé : Les Spectres[2], cherche à expliquer les apparitions et à les rapporter à des causes naturelles et ordinaires. Le second, au contraire, croit fermement aux esprits. Sa théorie de la Phantasmatologie[3] fournit les preuves les moins douteuses de cette assertion. Ce livre, fruit d’une imagination ardente et exaltée, est en quelque sorte le manuel de la doctrine des Voyans modernes, connus en Allemagne sous la dénomination de Stillingianer. Ils doivent ce nom à celui de Stilling, sous lequel Jung a fait paroître les Mémoires de sa vie qui forment une suite d’ouvrages différens. Cette secte, qui existe réellement, est entée sur le Svedenborgianisme et sur le Martinisme, et compte de nombreux adhérens, surtout en Suisse. Nous voyons aussi dans le numéro de décembre 1811 du Monthly Review, que M. Grant a donné des détails assez circonstanciés sur les apparitions des esprits auxquels les montagnards écossais ajoutent une foi implicite.

En faisant le choix des contes traduits de l’allemand que l’on offre au public, l’on n’a rien négligé pour mériter l’approbation des personnes qui se plaisent à ces sortes de lectures. Si ce recueil a le bonheur d’obtenir quelque succès, on le fera suivre d’un autre, où l’on tâchera également de piquer la curiosité des amateurs.

Quant aux gens d’un goût difficile, à qui il sembleroit étrange qu’il pût se trouver la moindre lueur de vraisemblance dans tous ces récits, qu’ils se rappellent les mots de Voltaire au commencement de son article Apparition, dans le Dictionnaire philosophique : Ce n’est point du tout une chose rare qu’une personne vivement émue voie ce qui n’est pas.




  1. Dissertation sur les apparitions et sur les revenans, par don Augustin Calmet. 3.e édition. Paris, 1751, 2 vol. in-12.

    Traité historique et dogmatique sur les apparitions, les visions et les révélations particulières, avec des remarques sur la dissertation du R. P. don Calmet, par l’abbé Lenglet-Dufresnoy. Avignon ou Paris, 1751,2 vol. in-12.

    Recueil de dissertations anciennes et nouvelles sur les apparitions, les visions et les songes, avec une préface historique, par l’abbé Lenglet-Dufresnoy. Avignon ou Paris, 1751,4 vol. in-12.

  2. Die Gespenster, kurze Erzæhlungen aus dem Reiche der Wahrheit. Berlin, 1797 et suiv., in-8o.
  3. Theorie der Geister-Kunde. Nurnberg, 1808, in-8o. Ce livre a été défendu par plusieurs consistoires protestans.