La Fiancée de Corinthe/Acte I

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ACTE PREMIER

Le théâtre représente la cour d’une maison. Dans le mur de droite s’ouvre une porte exhaussée de degrés ; dans le mur de gauche, une petite porte parmi les lierres et les vignes vierges. Au milieu, sur quatre marches de marbre, se dresse l’autel. La cour est formée par une haie fleurie, trouée d’une brèche, au-delà de laquelle on aperçoit les champs et les pâles oliviers descendant vers les plaines et vers la gauche, près du mur, les premiers arbres d’un jardin. C’est une journée tiède et lumineuse, au temps des raisins mûrs.


Scène première

DÉMOPHOS, MÉNŒCHOS, APOLLONIA
(Apollonia paraît sur les degrés de la maison. Elle s’appuie
à l’une des colonnes de la porte.)
Apollonia

Elle dort. Chère mère, tu reposes d’un salutaire sommeil que depuis longtemps tu ne connaissais plus. Hier encore, quand je franchissais cette porte, c’était pour venir pleurer devant l’autel et je suppliais les dieux d’épargner ma mère et de me frapper à sa place. Maintenant elle s’est endormie tranquille et souriante. Bientôt, sans doute, elle reviendra s’asseoir auprès de nous sur ces degrés… (Elle descend et s’assied au pied de l’autel, rêveuse, elle regarde autour d’elle.) Comme le ciel est clair ! Comme la lumière est douce sur les arbres ! Allons, Démophos, et toi aussi, Ménœchos, je veux qu’aujourd’hui l’autel domestique soit mieux paré que celui des temples. Vite, vite, cueillez-moi des fleurs et des rameaux. (Démophos et Ménœchos entrent, ils se dirigent vers le mur et se mettent à cueillir des branches.) Non, pas celui-là, pas celui-là ! Ne vois-tu pas dans ce rameau les feuilles jaunies !

Démophos

Celui-ci ? Il est flexible et doux.

Ménœchos, cueillant aussi un rameau.

Celui-ci ? Parmi ses jeunes feuilles vertes les grappes noires resplendissent comme des joyaux ; il sera l’ornement de ta guirlande.

Apollonia

C’est bien, Ménœchos. (Ménœchos, debout devant elle, la regarde tresser sa guirlande. Elle lève la tête.) Allons ! Tu es déjà fatigué ! Il faut des roses encore pour les mêler aux ramures ; des roses pourpres et des roses blanches. À quoi penses-tu ? Si tu restes ainsi à me contempler, il vaudrait autant avoir près de moi Manticlès.

Ménœchos

Ô Apollonia, il te serait sans doute plus agréable d’avoir pour aide Manticlès.

Démophos

Les vieillards sont mauvais compagnons de la joie des vierges ; ils s’entendent mal à tresser les couronnes, et les fleurs sont plus belles dans les mains heureuses des jeunes hommes.

Apollonia

Tu pourras célébrer la jeunesse dans les hymnes qu’on chante aux Anthestéries. Je veux des roses, à moins qu’il n’y ait plus de rosiers dans la Hellas.


Scène II

STRATYLLIS, MYRRHINA
(Elles viennent du jardin, portant des roses qu’elles jettent en riant
sur les genoux d’Apollonia.)
Stratyllis et Myrrhina

Il y en a encore !

(Elles s’assoient sur les marches de l’autel et se mettent à tresser des guirlandes.)

Ménœchos

Qu’as-tu besoin du vieux Ménœchos pour cueillir les fleurs ! Tes paroles les ont fait surgir autour de toi, plus éclatantes et plus nombreuses que dans les illustres jardins de Rhodes.

Stratyllis

Comme dans le troupeau on choisit la plus belle génisse pour les holocaustes, ainsi sur les buissons sanglants nous avons cueilli pour les dieux les plus splendides roses.

Myrrhina

Nous avons dépouillé le jardin. La prêtresse est-elle contente ?

Apollonia

Obéissantes hiérodoules, la prêtresse vous remercie. (Elle s’arrête un moment et rêve.) Être prêtresse ! S’avancer en un manteau de lin parmi les foules religieuses et offrir aux déesses les prémices du printemps et les fruits derniers de l’automne… Mêlée aux théories blanches, invoquer Artémis chasseresse ou la puissante Déméter, et, vierge, intercéder pour la fécondité du monde…

Myrrhina

Que penserait de cela l’amant qui va venir, le Khalkidien Manticlès. Apollonia, si tu étais prêtresse, tu n’aurais sans doute pour époux qu’un dieu invisible et lointain.

Stratyllis, interrompt, et jette avec impatience
une couronne commencée.

Nous ne finirons jamais seules ! Pourquoi Mélitta ne vient-elle pas nous aider ?

Démophos

Mélitta est partie.

Ménœchos

Elle est aux champs, elle surveille les esclaves qui sont dans les vignes, emplissant les grandes cuves. Dans la maison d’Iphis, ce jour fut de tout temps consacré au divin Dionysios. Enfant, j’ai suivi les vendangeurs et, jeune homme, j’ai foulé de mes pieds puissants les grappes mures ; et maintenant je ne puis même plus mener à la vendange les éphèbes et les vierges.

Ménœchos

Tu regrettes sans doute de ne plus danser parmi les vendangeurs ? Tu regrettes les vendangeuses folles à la figure ensanglantée de raisins.

(Les trois jeunes filles se mettent à rire.)
Stratyllis

Célèbrera-t-on cette année les Iobacchies ?

Ménœchos

Le temps des Iobacchies n’est plus ; ils ne sont plus les jours où l’on portait dans les maisons joyeuses la cruche de vin couronnée de fleurs, où l’on promenait dans la campagne, derrière le bouc couvert de guirlandes, le phallos glorieux. La Hellas est attristée par des sectes moroses et l’on n’entend plus résonner sur les collines de Korinthe les tympanons et les cymbales.

Apollonia, rêvant.

Les cymbales… les tympanons…

Ménœchos, se tournant vers la maison.

Antique demeure d’Iphis, le dieu étranger a franchi ta porte ! Comme un hôte trompeur ruinant la maison qui l’accueille, il s’est assis à ton foyer, et ton foyer ne brûle plus pour le daïmon familial. Ta femme, Iphis, n’offre plus sur l’autel méprisé les gâteaux de miel et les libations de lait. Elle a oublié les rites vénérables… Que dis-je ? Elle a oublié même son nom. Maintenant Derkèto se nomme Béréniké et sous ce toit elle adore le Crucifié.

Apollonia

Tais-toi, Ménœchos. Ne parle plus de cela. Parle plutôt des anciennes fêtes. Tu es heureux d’avoir vécu en ces temps où les dieux eux-mêmes ordonnaient la joie. Aujourd’hui j’aurais avec ferveur accompli les rites. Je suis joyeuse. Je ris de tout, de toi qui sembles prêt à chanter « Io Bacche », de Myrrhina qui me regarde, de Stratyllis qui s’embrouille en tressant le lierre.

Stratyllis

Manticlès n’est pas si joyeux, lui qui s’en va.

Apollonia

Khalkis n’est pas loin de Korinthe. Manticlès reviendra bientôt.

Myrrhina

Tu parles ainsi quand le fiancé est encore près de toi. Tes paroles seraient autres si tu avais vu derrière les lointains promontoires se perdre les blanches voiles de sa galère.

Ménœchos

Si court que soit le voyage, nulle route sous le ciel n’est sûre pour les hommes. Partout veillent des dieux jaloux. Vierges qui vous avancez vers la maison nuptiale, craignez de rencontrer sur le seuil les Kères éternelles. Prenez garde, vous que souille aux yeux des Olympiens le crime d’être heureux.

Apollonia

Aujourd’hui je ne puis croire à la haine des immortels. La joie de la vie fleurit en mon âme. Cette journée d’automne m’est plus douce que les claires aurores du printemps. Iacchos furieux frappe-t-il les vignes aux belles grappes et Zeus a-t-il jamais puni de sa foudre les amandiers en fleurs ? Les dieux nous aiment, Ménœchos. Vois : Manticlès s’éloigne et depuis longtemps la maladie cruelle enferme ma mère dans la maison et cependant j’espère et je ris. N’est-ce pas une main divine qui écarte de moi la tristesse ?

(À ce moment une voix retentit dans la maison,
c’est Bereniké qui appelle.)

Ménœchos ! Ménœchos !

Ménœchos

Me voici ! (À Apollonia.) Ta mère m’appelle.

(Il sort.)

Scène III

APOLLONIA, STRATYLLIS, MYRRHINA
Apollonia

Que lui veut-elle ? Sa voix est étrange.

Stratyllis, un peu troublée.

Je l’ai toujours entendue parler ainsi.

(Démophos lui présente un rameau. Elle le refuse du geste.)
Stratyllis

Non, c’est assez, je ne veux plus tresser de guirlandes.

(Démophos sort, Stratyllis et Myrrhina s’avancent vers la maison, écoutent et se parlent bas. À ce moment on frappe à la petite porte.)

Apollonia

C’est Manticlès !

Stratyllis, s’avance vers la porte, suivie de
Myrrhina. Elle ouvre.

C’est Manticlès.

(Manticlès entre.)

Scène IV

APOLLONIA, STRATYLLIS, MYRRHINA, MANTICLÈS
Manticlès

Salut à toi, Stratyllis ! Salut à Myrrhina !

Stratyllis

Éros t’aveugle-t-il à ce point que tu ne voies pas Apollonia ?

Myrrhina

Est-ce nous qui t’empêchons de la voir ? Viens, Stratyllis, allons achever de cueillir les roses.

(Elles sortent par le jardin.)

Scène V

MANTICLÈS, APOLLONIA
(Pendant que les jeunes filles disparaissent, ils se regardent,
les mains unies.)
Manticlès

Apollonia !… Regarde-moi ainsi, silencieusement, regarde-moi encore de tes doux yeux de vierge et laisse sur mes bras ton corps s’incliner, pareil au souple sarment des treilles… Ma blanche fiancée, tu es belle comme ne le fut nulle nymphe, et ils n’ont pas connu mieux que moi le bonheur suprême, les héros qui furent élus entre les hommes pour recevoir des baisers de déesses.

Apollonia

Bien-aimé… Là-bas, dans la palestre poudreuse où jouait la jeunesse, tu m’es apparu comme un roi victorieux au milieu de captifs sans gloire. Il me semble qu’avant toi je n’avais jamais vu d’éphèbes. Tu viens vers moi, pareil au dieu resplendissant qui se lève dans les cieux, et, quand tu t’en vas, je te contemple au loin, triste et ravie, comme on regarde le soleil disparaître sur la mer. Depuis hier, je ne t’avais pas vu !

Manticlès

Je t’ai vue !

Apollonia

Tu m’as vue ?

Manticlès

Oui. Sur une galère aux voiles de pourpre, je t’emportais vers mes hautes demeures, vers la grande île d’Euboia. Tu étais assise sur un escabeau d’ivoire, plus radieuse qu’Hélène, et, dans le lointain, je voyais déjà paraître les murailles de Khalkis. Mais, devant le vaisseau rapide, fuyait la ville, comme devant le chasseur les roses flamants. J’étais couché à tes pieds et j’oubliais la mer, j’oubliais les prochains rivages. Insoucieux, je buvais tes regards. Au milieu du vaste océan, le navire voguait sans pilote et sans rameurs. Pareils aux ancêtres de la Hellas, pareils à Deukaliôn, fils de Promêtheus et à la divine Pyrrha, nous flottions sur la terre engloutie par une nouvelle colère de Zeus. Soudain s’éleva devant nous une cité prodigieuse qui semblait bâtie par les Titans. Elle étageait sur une colline blanche ses temples et ses palais, et dans son Pnyx se dressaient d’innombrables statues. La foule encombrait les places et les rues ; et les hommes étaient forts comme des athlètes, et les femmes avaient la beauté des Kharites immortelles. Les éphèbes se pressaient dans les gymnases et sous les portiques de marbre, où retentissait la parole des sages. Partout des guerriers majestueux préparaient les glaives pour les batailles et se hâtaient vers les forges rouges où les armuriers battaient le fer, ciselaient les boucliers, aiguisaient les javelots. Par les portes d’argent, des chariots attelés de bœufs apportaient les vendanges vermeilles ; d’admirables troupeaux paissaient dans les prairies vertes, et, dans les champs inépuisables, les blés splendides renaissaient sous la faux des moissonneurs. Nous regardions cela et nous nous demandions l’un à l’autre quel était ce peuple puissant et riche, aimé des dieux, lorsque nous entendîmes dans l’air une grande voix qui nous disait : « C’est ta race, ô Manticlès ; ces hommes sont sortis de tes flancs, Apollonia ! » Alors la ville devint trop petite pour nos générations futures, et les murailles s’entr’ouvraient, et l’enceinte s’élargissait quand le chant du coq me réveilla.

Apollonia

Manticlès, tes paroles sont magiques et ta voix est pour moi comme la flûte puissante dont l’harmonie enivre les Korybantes. Parle-moi encore, redis-moi les songes que t’envoient les dieux bienfaisants.

Manticlès

À quoi bon s’entretenir de mes rêves ! Tu es là maintenant. Que sert-il de parler de visions vaines quand je puis te serrer dans mes bras et de mes lèvres baiser ton front !

(Il l’embrasse.)
Apollonia, le regarde un instant ; puis, les yeux noyés,
regardant dans le vide, elle se parle à elle-même.

Quand viendra-t-elle l’aube éclatante où, loin des étrangers, nous marcherons seuls dans nos jardins aux portes closes parmi les lauriers et les troënes ?

Manticlès

Laisse ma tête s’ensevelir dans ta chevelure fauve ; que nos haleines se mêlent, que les battements de nos cœurs se confondent. Ils sont aimés des Immortels ceux qui meurent jeunes. Je voudrais que les Euménides nous reçoivent tous deux au seuil de l’Hadès, comme des amants fugitifs dans un bois sacré ; car j’ai peur de périr séparé de toi.

Apollonia, effrayée.

Tais-toi, Manticlès ! Quelle divinité mauvaise te souffle ces paroles ? Un frisson d’épouvante s’est emparé de moi. Tais-toi, ne parle plus de la mort !

Manticlès

Comment n’y pas songer ? Je pars, Apollonia, et il me semble qu’en sortant de ta maison bien-aimée je quitte la terre radieuse. Je te dis adieu, et je crois saluer pour la dernière fois les belles campagnes, et la douce lumière des vivants.

Apollonia, lui met la main sur la bouche.

Tais-toi ! J’ai supplié les Okéanides. Ainsi qu’elles guident vers Délos la trirème sacrée, ainsi elles conduiront à Khalkis le navire qui porte mon fiancé.

Manticlès

Tu as raison : à travers la mer paisible, mon navire atteindra la blanche Khalkis et j’entrerai dans le port familier. Les jeunes filles de ma demeure m’aideront à préparer la maison nuptiale. Bientôt je reviendrai te chercher et nous fuirons ensemble vers les jardins que tu rêvais.

Apollonia, s’avance vers l’autel.

Puissant fils de Khronos, toi qui, vêtu d’une armure d’or, fends les flots glauques et conduis sur l’Océan tes chevaux à la corne d’airain ; entends ma voix, ô Poseidaôn. Toi qui prosternas dans la poussière le fier Hippolytès, toi qui brisas les vaisseaux du redoutable Aias, sois favorable à mon bien-aimé. Époux d’Amphitrité, souverain des tempêtes, roi de la mer, toi qui entoures la terre, toi qui l’ébranles par ton trident et l’épouvantes par ta voix, sois-nous favorable. Dieu à la chevelure bleue, ancêtre honoré à Éleusis, créateur, fécondateur, voyant, maître des Tritons et des Okéanides, toi que les vierges servent à Korinthe ; ô Poseidaôn, reçois mes offrandes de myrrhe et d’encens ; protecteur des nefs rapides, exauce mes vœux.

(Elle recule et marche vers Manticlès. Le jeune homme
l’attire sur sa poitrine.)
Manticlès

Je t’aime, Apollonia !

Ils restent un instant enlacés, Manticlès se dégage brusquement et crie :
Adieu !
Apollonia, tendant les bras vers lui.

Manticlès !

Manticlès, se retournant.

Adieu ! (Il revient, l’embrasse encore et s’enfuit.)

Apollonia, avec un sanglot.

Manticlès !

(Elle va vers l’autel, l’entoure de ses bras, reste un instant immobile,
agenouillée. Puis elle se relève plus calme.)


Scène VI

APOLLONIA, STRATYLLIS, MYRRHINA
Myrrhina

Il est parti.

Apollonia

Parti !…

Stratyllis

Console-toi ; dans quelques mois, entourées de nos compagnes, la chevelure ornée d’hyacinthe, nous invoquerons Lètô au voile sombre, protectrice de la jeunesse, et nous chanterons à ta porte les chœurs hyménaiens.

Apollonia

Dans quelques mois !… À peine est-il disparu… Et avec lui s’est éloignée la joie. Quand je le savais près de moi, à Korinthe, jamais aucune crainte ne m’assaillait. Maintenant je ne dirai plus le soir, lorsque le soleil couchant voilera de pourpre la mer profonde : « Manticlès va venir ! » Et dans les crépuscules violets, nous ne marcherons plus ensemble au milieu des parterres éclatants de roses.

Stratyllis, à Myrrhina.

Ne vaut-il pas mieux, à jamais insoucieuse des noces fleuries, rester à filer la laine dans la chambre des vierges que de se soumettre ainsi tout entière à Kypris.

Myrrhina

Règles-tu toi-même ton destin ? Prétends-tu échapper au royal Érôs, maître des hommes et des dieux ? Les poètes disent qu’il vainquit les magnanimes héros et les Olympiens vénérables, et qu’il trouble même les morts.


Scène VII

MÉNŒCHOS entre

Apollonia !

Apollonia

Qu’y a-t-il donc, Ménœchos ? Pourquoi trembles-tu ainsi ? Tu es pâle comme un messager de mauvaises nouvelles.

Ménœchos

Ta mère t’appelle… va, te dis-je. Elle veut te voir. Abandonne tes guirlandes, Apollonia ; car peut-être Bérénikè ne cueillera plus bientôt que les fleurs des champs d’asphodèles.

Apollonia, pousse un cri de terreur, et les bras étendus, sa chevelure dénouée épandue en flots d’or fauve sur ses épaules, elle se précipite dans la maison.

Scène VIII

STRATYLLIS, MYRRHINA, MÉNŒCHOS
Ménœchos, s’avançant vers l’autel.

Est-ce l’heure de votre vengeance, daïmones de la maison ?

Stratyllis et Myrrhina

Que se passe-t-il donc ?

Ménœchos

Je l’ai trouvée assise sur son lit, les yeux creusés de fièvre, le visage pâle. Elle a tendu les bras vers moi et m’a fait signe de m’asseoir près de sa couche : « Reste là, Ménœchos, m’a-t-elle dit ; je ne veux pas être seule, la mort vient. » Ensuite elle m’a demandé si la nuit s’approchait. J’ai écarté les rideaux des fenêtres ; elle a vu le ciel déjà rougi par le crépuscule, et tout bas elle a murmuré : « C’est bien, il arrivera à temps celui qui doit me sauver. »

Myrrhina

Elle espère donc encore ?

Stratyllis

Quel médecin doit venir ?

Ménœchos

Nul médecin ne viendra. C’est le prêtre de son dieu qu’elle attend, celui qui l’a éloignée de nos autels sacrés ; celui-là !


Scène IX

Pendant que Ménœchos parle, le prêtre paraît à gauche sur le seuil de la porte. Il est vêtu d’une robe de laine brune, et tient à la main un long bâton de cyprès recourbé en forme de houlette. Sa chevelure blonde est séparée en deux ondes égales, une bandelette d’or étreint son front, et sa barbe flave et frisée descend en deux pointes sur sa poitrine. Il traverse la cour, se détourne pour ne pas passer devant l’autel, et s’arrête un instant devant Ménachos, qu’il regarde.)
Le Prêtre

La paix soit avec vous, mon frère.

(Il entre dans la maison ; le vieillard le suit. Stratyllis et Myrrhina,
effrayées, entourent l’autel.)
FIN DU PREMIER ACTE