Le Roman anglais de notre temps/VI

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Humphrey Milford (p. 113-130).


CHAPITRE VI

DÉVELOPPEMENT DU ROMAN ANGLAIS
DEPUIS TRENTE ANS

§ i

Les Tendances nouvelles

Au néant où, vers 1885, sombrait l’âge victorien, la fiction britannique essaya, vers la fin du xixme siècle, d’échapper en s’extériorisant. L’Angleterre se jeta, pour ainsi dire, hors d’elle-même, dans l’espace et dans le temps. C’est ainsi que le roman se trouve conduit au romanesque, à l’aventure, avec Stevenson, les exotiques, les archaïques, — au sens de l’action, de la race, de la discipline, à la glorification de la conquête et de l’Empire, avec Rudyard Kipling et les coloniaux, — à l’Utopie scientifique, satire ou panacée, avec H. G. Wells et les visionnaires du mécanisme social.

Et, sans doute, il y avait bien, dans ces mouvements centrifuges, une manière de rupture avec le roman du xixme siècle plutôt tourné vers l’intérieur. Mais romantisme, utopisme, énergisme ne sont que des échappatoires. S’abstraire d’un problème moral ou social, ce n’est pas le résoudre, mais l’esquiver. Il faut bien regarder chez soi pour connaître sa maison.

Parallèlement, simultanément, le vieil esprit d’introspection subsista donc chez une partie, non la moindre ni la moins fervente, de la gent romancière. Il s’exaltait dans la révolte et la critique. Une légion de femmes auteurs que ni l’aventure, ni l’action, ni l’utopie ne réussissaient heureusement à satisfaire, exploraient passionnément les questions de morale sexuelle, de mariage et d’amour, de droit et de religion, auxquelles ressort le destin de la femme, par conséquent de la famille et de l’humanité. C’est ainsi que de Sarah Grand à May Sinclair est née toute une littérature faiblement artistique, mais socialement puissante.

Mieux armés, plus forts, maîtres dans leur métier, John Galsworthy, puis maint jeune romancier, labourèrent le même champ et atteignirent plus loin en surface comme en profondeur.

D’autres, comme Arnold Bennett, les provinciaux, les paysagistes de la vie sociale, regardaient aussi chez eux, vers l’intérieur de la cité, et en rapportaient des documents plutôt que des instruments.

Tous, cependant, étaient des révolutionnaires. L’observation en apparence la plus désintéressée s’accompagnait d’une puissance invisible de désintégration. Tous continuaient la destruction de l’édifice empirique, utilitaire et victorien. L’Angleterre, au début du xxme siècle, a vécu dans une fièvre de disruption, dont, à lui seul, le roman suffirait pour témoigner.

Instrument d’une des plus rapides transformations morales et sociales qu’ait jamais subies un pays, il ne pouvait manquer de se modifier lui-même. Quand éclata la guerre, le moule de la fiction anglaise était en train d’éclater entre les mains de certains jeunes romanciers inspirés par l’amorphisme russe et une sorte d’anarchisme cosmopolite. Samuel Butler, Henry James, Romain Rolland, Gorki, Dostoïevski exerçaient en même temps des influences contradictoires sur ces novateurs sans chef et sans doctrine. Hugh Walpole, Compton Mackenzie, Oliver Onions, J. D. Beresford, Gilbert Cannan, D. H. Lawrence, Frank Swinnerton, Stacy Aumonier sont parmi les plus récents romanciers anglais. Rien de plus divers que leurs talents. Seule, la commodité du développement m’engage à les réunir en un même groupe.

La grande guerre a inspiré une foule de romans qui échappent au cadre de cette étude, et elle continuera pendant plusieurs générations d’exercer une formidable influence littéraire. Nous nous arrêtons aux jeunes survivants qui avaient commencé leur œuvre avant cette convulsion de l’humanité. Stevenson, Kipling, Wells, May Sinclair, John Galsworthy, Arnold Bennett, Joseph Conrad, les romancières, les jeunes ; autour de ces noms et de ces groupes s’ordonne le développement de la fiction contemporaine en Angleterre.

§ ii

Les Romans d’Histoire et d’Aventures de
Stevenson à Maurice Hewlett

Fendant que les réalistes et les psychologues, les romanciers sociaux et les romanciers symbolistes, s’épuisaient en formules et ennuyaient le grand public, un jeune Écossais ressuscitait la fiction d’aventures. Sans s’inquiéter des modes littéraires, il s’adressait à ce qu’il y a de plus jeune et de plus sain dans toute génération, enchantait les enfants, jeunes et vieux, et s’emparait du gamin qui survit chez l’homme mûr.

Doué d’une personnalité charmante, il avait eu le soin et le courage de se faire patiemment un style. Ce n’était pas seulement un raconteur, mais un écrivain. Il lui a manqué, pour être un des grands auteurs de la période contemporaine, une matière digne de sa manière.

Robert Louis Stevenson avait trente-trois ans lorsqu’il publia, en 1883, Treasure Island. Ce fut son premier grand succès. De là date la résurrection littéraire du roman d’aventures.

Fils d’ingénieur, descendant de puritains, il avait eu de la peine à esquiver la vocation scientifique et la jeunesse pieuse vers laquelle ses parents le dirigeaient. La faiblesse de sa constitution fut un bon prétexte à d’heureux séjours en France. Il a toute sa vie exploité naïvement, gentiment, le malheur d’être né phtisique. Quand il eut, à vingt-quatre ans, conquis l’assentiment de sa famille, il vécut à Londres, s’y fit des amis parmi les critiques et les poètes : Sidney Colvin, Leslie Stephen, W. E. Henley, Edmund Gosse. Ils lui frayèrent le chemin du succès.

De ses séjours à l’étranger, il avait rapporté An Inland Voyage (1878), récit charmant d’un voyage en canot sur les rivières de France et de Belgique, et Travels with a Donkey in the Cevennes (1879) où refleurissent les grâces sentimentales de Sterne. Mais le succès et l’argent lui manquaient. Il en avait besoin. Il était tombé amoureux à Barbizon de Mrs. Fanny Osbourne, qui était retournée en Californie, avait divorcé et l’attendait. Il prévoyait l’opposition de ses parents. Ne voulant pas leur demander de subsides, il partît comme émigrant, arriva quasi-mort de fatigue et d’épuisement à San-Francisco. Son père lui fit, par télégramme, une rente qui lui permit de se marier. Il vint en Europe, séjourna dans les Alpes à Davos, se fixa quelque temps à Bournemouth où il écrivit : Dr. Jekyll and Mr. Hyde, puis Kidnapped, retourna en Amérique, et finit par se fixer aux îles Samoa. Il y passa les trois dernières années de sa vie. Les excellentes nouvelles publiées sous le titre de Island Nights Entertainments et le volume des délicieuses Vailima Letters sont les fruits principaux de cette période.

Quiconque n’a pas lu Stevenson ignore le charme sain des récits d’aventures bien composés et bien écrits. Ses amis ont failli lui faire tort en présentant cet exquis conteur comme un génie de premier ordre. Une réaction est survenue. Son talent d’écrivain n’est pas contesté. Mais la génération présente lui conteste toute originalité, toute sincérité. « Un poseur qui exploite son charme, » tel est le verdict d’un de ses plus récents critiques. — « Un feuilletoniste retors, » dit-on aussi, « pur comme l’eau claire, léger comme le vide, qui sait avec art conter des riens. »

Il est vrai que les personnages de Stevenson sont d’une simplicité élémentaire. Il est vrai qu’il compose et invente comme s’il n’avait pas soupçonné les complexités de l’existence matérielle, ni les problèmes de la vie morale. N’empêche que nous relisons Treasure Island et The Master of Ballantrae quand maint ouvrage plus ambitieux a perdu pour nous toute saveur. Ce n’est pas un mince privilège que de captiver à la fois le savant et l’ignorant, l’enfance et la vieillesse. Et puis, Stevenson était, qu’on le veuille ou non, un grand artiste en prose. Ils ne sont pas si nombreux les romanciers anglais qui furent en même temps des écrivains accomplis. On peut bien pardonner à l’un des plus cultivés d’avoir laissé paraître qu’il l’était.

Stevenson mourut en 1894, quand Joseph Conrad commençait à écrire. Ce dernier a, depuis vingt-cinq ans, hérité de la maîtrise dans le roman d’aventures. Mais il y a beaucoup ajouté, grâce à son incomparable expérience de la mer, et à son génie compréhensif. Il l’a vivifié, pénétré de tout ce qu’apportait la théorie littéraire de Henry James. Il en a fait quelque chose de supérieur et de nouveau. L’art de Joseph Conrad est plus profond et plus fertile que celui des conteurs qui l’ont précédé. Il appartient à une autre génération, à une autre race. Quand le mouvement romantique et romanesque suscité par Stevenson eut épuisé sa force, vers 1904, Conrad l’avait déjà élargi, transformé. Il avait introduit dans la fiction d’aventures un élément psychologique et symbolique qui l’a renouvelée, des procédés nouveaux de composition et de récit qui en ont fait un genre sans précédent.

Entre la mort de Stevenson (1894) et le plein développement littéraire de Joseph Conrad (qui date de Nostromo, 1904), un groupe d’écrivains, diversement et remarquablement doués, perpétuaient, qui la manière et qui l’esprit de Stevenson. Chacun d’eux a son individualité très précise. Aucun n’est imitateur. Mais ils ont ceci de commun qu’ils ont tous maintenu au premier plan le romanesque dans le roman et fait prédominer le récit sur l’intention. Il est facile, au nom d’un intellectualisme qui se prétend supérieur, de railler et de dénigrer ce genre littéraire. II n’en répond pas moins à l’un des instincts les plus naturels, celui du mystère et de l’action, et satisfait au moins, aussi légitimement que les bavardages psychologiques ou les dissertations sociales, certaines des aspirations de l’humanité. Le roman, Dieu merci, n’est pas fait exclusivement pour les professeurs et les critiques.

Vers 1892 et 1893, M. Edmund Gosse et M. Saintsbury prédisaient la fin prochaine des modes purement littéraires et la répercussion, le prolongement de la fiction d’aven tures que venait de ressusciter Stevenson. Ils ne se trompaient pas.

Stevenson était mort sans terminer un de ses ouvrages : St. Ives. La tâche de le compléter fut confiée à M. Quiller-Couch (depuis lors Sir Arthur Quiller-Couch). Cet écrivain qui signe « Q » occupe maintenant une chaire célèbre de littérature anglaise. Il n’était pas possible de faire un meilleur choix. Le même don de vie, la même félicité verbale, le même sens de l’art et de l’action qui animent Treasure Island et The Master of Ballantrae, se retrouvent dans les romans d’aventures de « Q », par exemple Dead Man’s Rock (1887) et The Adventures of Harry Revel (1903). Nulle part, pas même chez Walter Scott et Stevenson, l’union de la fidélité historique et de l’humour, de la poésie, n’est plus étroite que dans The Splendid Spur (1889) qui traite de la grande guerre civile dans l’ouest de l’Angleterre, et Fort Amity (1904), qui évoque la lutte inégale entre Français et Anglais pour la possession du Canada.

« Q » n’a pas borné son effort au roman d’histoire et d’aventure. Il est aussi ce que Stevenson n’était pas, un observateur sagace, pénétrant, de l’âme humaine tout entière, jusque dans ses recoins ; le peintre fidèle d’une province et de ses types. Il ne peut s’empêcher de mettre de la grâce et de la gaîté, de l’humour et de la poésie, dans ses tableaux par ailleurs fort exacts, et d’introduire l’anecdote jusque dans le document. Ne nous en plaignons pas.

Troy Town, c’est la petite ville de Fowey, en Cornouailles. The Ship of Stars (1899) est l’histoire d’un gamin de Cornouailles, type de ces rêveurs celtiques qui deviennent de puissants hommes d’action et remuent le monde en réalisant leur rêve. The Westcotes nous touche plus vivement. Ce sont les aventures d’une jeune fille anglaise et d’un prisonnier français durant les guerres napoléoniennes.

Hocken and Hunken (1912) déborde d’humour et de bonne humeur. Deux vieux capitaines, salés par toute une vie de mer, courtisent une veuve opulente et charnue. Jamais le pays de Cornouailles n’avait fourni de types plus humains, plus savoureux que Mrs. Bodenna et ses prétendants.

« Q » semble avoir donné sa pleine mesure dans Hetty Wesley (1903). La jeune sœur des prophètes du méthodisme est sacrifiée à leur carrière, comme l’humanité de l’homme est parfois immolée à sa foi. L’œuvre est d’une belle tenue, le style digne du sujet.

Sir Arthur Quiller-Couch a en outre écrit des ballades, des parodies, des essais, et est l’un des critiques les plus avisés et les plus fins de l’Angleterre. Il a trop produit pour avoir excellé dans aucun genre, sauf le roman provincial et d’aventures. Son œuvre n’en mériterait pas moins d’être mieux connue en France.

Rider Haggard (aujourd’hui Sir Henry Rider Haggard) et Conan Doyle (aujourd’hui Sir Arthur Conan Doyle), qui étaient bien loin d’avoir le même talent littéraire, ont atteint depuis longtemps la popularité, même chez nous.

Le premier a été fonctionnaire colonial dans l’Afrique du Sud, puis est devenu agriculteur en Angleterre. Il connaît la vie et les affaires. Il a étudié de près, par exemple, les mines d’or et de diamant ; les coopératives du Danemark, les conditions de vie en maint pays. Qu’il traite du Mexique ou de l’Égypte, de la Palestine ou de la Scandinavie, il sait de quoi il parle. Il se distingue par là des hordes de feuilletonistes qui, du fond de leur fauteuil, découvrent la Patagonie ou le Sahara. Autour des invraisemblables aventures qu’enfanta son imagination, il y a, surtout dans ses romans africains, un élément d’observation et d’exactitude personnelles, une atmosphère de réalité. John Buchan, dans Prester John par exemple, a renouvelé de nos jours l’impression créée par les premières œuvres de Rider Haggard : King Solomon’s Mines (1881), Maiwa’s Revenge (1888), She (1887).

Conan Doyle, docteur en médecine de l’université d’Édimbourg, n’était pas sans culture scientifique. Son Sherlock Holmes a fait le tour du monde. Le roman policier n’est pas un genre très relevé. Mais Conan Doyle a fourni les modèles du genre. Il est, à sa façon, chef d’école. Aucun écrivain anglais n’a peut-être été plus abondamment traduit depuis une vingtaine d’années, plus copieusement imité, pillé. Et voilà de quoi, sans doute, rappeler à l’humilité les auteurs et les critiques qui mettent la valeur littéraire et artistique d’un récit au-dessus de l’invention, de la composition, du mouvement. Conan Doyle et ses pareils n’ont d’autre qualité que de savoir agencer des faits, créer un mystère et le dissiper. Mais ils ont cette qualité. Et elle leur suffit à captiver, à capturer des millions d’esprits qui ne sont pas tous incultes. Conan Doyle a été parfois comparé à Edgar Poe à cause de sa puissance macabre. Mais Poe était un poète, un créateur. Conan Doyle lui ressemble comme un bon librettiste à un grand musicien. Il y a plus de distance entre Doyle et Poe qu’entre Gaboriau et Doyle.

Henry Seton Merriman ; F. T. Bullen, qui fut quatorze ans marin à bord d’un baleinier ; John Masefield, poète de grand talent, qui commença par de puissants récits maritimes ; Neil Munro, qui continua l’œuvre écossaise de Stevenson, méritent aussi d’être mentionnés parmi les romanciers d’aventures de la fin du XIXme siècle. Aucun d’eux n’a rien produit de comparable à l’œuvre de Cunninghame Graham, voyageur, orateur, politicien socialiste, membre du Parlement, et excellent écrivain par surcroît. Peu d’hommes ont plus complètement, plus amoureusement exploré l’univers, héritage commun de tous les hommes. Aucun n’a plus obstinément cherché le contact avec les races encore frustes, et plus souvent rencontré, plus heureusement traduit, ce qu’elles gardent encore d’original, d’irréductible à la civilisation. Espagne, Maroc, Mexique, Pampas, il a interprété ces terres de la violence latine et arabe, sans intention et sans système littéraire, sans autre souci que celui de la vérité ; son langage est nerveux, incisif, rapide, plein de saveur, fertile en raccourcis, et il est probable que sa renommée ne fera que grandir.

Le naturaliste W. H. Hudson est un spécialiste de l’Amérique du Sud. Ses nouvelles et quelques-uns de ses romans lui assurent une place dans l’histoire littéraire. Green Mansions est l’odyssée d’un Vénézuélien sur le Haut Orénoque. La beauté des descriptions et la noblesse de l’allégorie en font, à mon avis, une des meilleures productions du genre.

Hall Caine (aujourd’hui Sir Hall Caine), avec sa vulgaire crudité, ne manque pas d’habileté dramatique. Sa liaison avec Rossetti l’avait déjà fait connaître, quand deux méchants feuilletons : The Shadow of a Crime (1885) et A Son of Hagar {1887), lui assurèrent une incroyable popularité. Il a écrit des romans sur l’île de Man, où la rhétorique, la prétention littéraire, n’ont d’égales que l’invraisemblance. Aucun romancier contemporain de l’Angleterre, sauf peut-être Marie Corelli, n’a contribué davantage à fortifier le mauvais goût, en y sacrifiant.

Le plus spirituel et le plus amusant des raconteurs mondains, Anthony Hope (aujourd’hui Sir Anthony Hope Hawkins), participa pour ses débuts à la détérioration du roman d’aventures. The Prisoner of Zenda (1894) et Rupert of Hentzau (1898) obtinrent un succès tel, et tellement hors de proportion avec leur valeur, que tout écrivain moins intelligent en aurait été gâté. Anthony Hope revint heureusement aux comédies mondaines où il excelle, par exemple : Dolly Dialogues. Il a, dans Quisante, puis dans Mrs. Maxon Protests, donné sa mesure comme romancier de mœurs.

Le roman romanesque était en train de mourir de son succès ; il sombrait dans l’exagération, l’invraisemblance, la vulgarité, quand Maurice Hewlett lui redonna pour quelque temps un certain lustre.

Humaniste et historien, plein d’allusions littéraires, nourri des classiques anciens et modernes, maître d’un style qui serait parfait s’il n’était prémédité, pénétré de tous les mythes et de toutes les légendes que les livres ont conservées ; riche de tout ce que peut apprendre une bibliothèque et enseigner l’étude, Maurice Hewlett apportait au roman une culture dont aucun de ses contemporains n’avait eu, semble-t-il, le privilège. Ses premières œuvres et quelques-unes de ses dernières sont de poétiques ou dramatiques adaptations de la légende ou de l’histoire dans l’Europe du moyen âge : The Forest Lovers (1898), Little Novels of Italy (1899), Richard Yea and Nay (1900), Brazenhead the Great (1911), The Song of Renny (1911), The New Canterbury Tales (1901), The Queen’s Quair (1904). Un écho de Tennyson s’y fait entendre. Tout y est pur, noble, parfois un peu mièvre, un peu sucré. La prose en est ornée comme une chapelle italienne ; elle a des reflets de vitraux et d’argenterie, une odeur d’encens et de confiture. Mais quel sens de l’histoire, quel archaïsme de bon aloi dans ces reconstructions ! Quelle touchante et vivante évocation de Marie Stuart, par exemple, dans The Queen’s Quair !

The Fool Errant (1905), The Stooping Lady (1907) et Mrs. Lancelot (1912), marquent un nouveau développement. Ce sont des romans d’amour dans le style précieux, maniéré, qu’affectait la passion à la fin du XVIIIme et au commencement du XIXme siècle. On se demande, en lisant The Stooping Lady, si M. Hewlett imite ou parodie Meredith. On ne se demande rien en lisant Mrs. Lancelot. Tout y est sincère et vrai. Bendisk (1913) est un Byron mal déguisé, médiocrement présenté.

Là cessent les rapports entre M. Maurice Hewlett et le roman d’aventures. À vrai dire, ils ne faisaient que se relâcher depuis les environs de 1904. Ses récits du XVIIIme et du XIXme siècle sont déjà des études de caractère. À partir de Open Country {1909), il se voue plus spécialement à l’étude de mœurs, au roman de la vie moderne. Senhouse, truand de lettres et gentilhomme vagabond, est un digne cousin du Louis Ferrand de Galsworthy, du Faragot de M. Locke. Même dans les hôtels élégants, dans les châteaux d’Angleterre et d’Écosse, M. Hewlett trouve moyen de ressusciter les mythes classiques. A Little Iliad fait revivre Hélène et Hector, Priam et Ménélas, sous des traits contemporains, dans un cadre du XXme siècle. Love and Lucy transpose la légende d’Éros dans un ménage de « solicitor ». Jeux d’esprit ? Pas cela seulement. Car la vérité éternelle du mythe subsiste dans le décor moderne, et l’évocation de la légende s’allie à une fidélité de l’observation, à une puissance d’analyse, qui suffisent au succès. Le style plus sobre que dans les premières œuvres, et nourri de la plus exquise substance littéraire, est un régal de lettrés…

Les derniers développements de M. Hewlett n’appartiennent plus au roman romanesque. Les événements y tiennent moins de place que les idées, l’analyse, parfois la satire. On y sent d’autres influences. C’est vers 1904 que Maurice Hewlett avait abandonné la légende, l’histoire, la fiction d’aventures. Il lui avait apporté un grand privilège, celui de finir en beauté.

§ iii

Les Précurseurs du Roman contemporain

Henry James, John Galsworthy, Maurice Hewlett, tous ceux qui ont influé sur le développement du roman contemporain, sont ou étaient nourris de civilisation française. W. J. Locke en est pénétré jusqu’aux moelles. Pendant dix ans il a écrit obscurément de petits mélodrames où le héros, généreux, se charge des péchés d’un autre, et vit ensuite une existence de chemineau, de vagabond, de bohème philosophe, souvent arsouille. La truculence de M. Richepin, la fantaisie intellectuelle de M. Anatole France, le souvenir de Verlaine, inspiraient ces créations. Elles n’en seraient pas moins oubliées si W. J. Locke n’avait pas eu le don de l’ironie souriante, et un style délicieux.

The Morals of Marcas Ordeyne (1905) et The Beloved Vagabond (1907) lui apportèrent une célébrité subite, irrésistible, universelle.

Sir Marcus, intellectuel, bénédictin littéraire, recueille dans les rues de Londres la petite Carlotta, épave d’un harem d’Alexandrette. Ce petit animal humain bouleverse tout doucement ses idées, sa maison et son existence. Les charmants personnages épisodiques de Pasquale et de Judith servent de repoussoir.

Berzélius Nibidad Paragot, « le vagabond bien aimé », est une des trouvailles de la fiction contemporaine. Sale, érudit, errant, râpé, plein de vin et de science, de génie et de sagesse, sympathique et humain, il peut tomber dans les pires aventures, succomber aux plus basses tentations, sans être vulgaire ni déplaisant. L’histoire de son amour impossible pour une femme de la société anglaise ne mérite pas d’être retenue. La mémoire de ses pérégrinations avec Asticot et Blanquette de Veau peut s’effacer. Mais sa physionomie à lui reste dans le souvenir à côté de celle de Falstaff. Paragot, souvent imité, jamais égalé, est une acquisition contemporaine.

Depuis lors, W. J. Locke est revenu à des amusements sans conséquence. Simon the Jester (1910) conte les amours d’une dompteuse et d’un malade. The Joyous Adventure of Aristide Pujot (1912) ressuscite le roman picaresque. The Glory of Clementina Wing (1911) contient un caractère pathétique, sincère, vraisemblable, celui de la grande artiste désillusionnée et mal fichue qui roule à la bohème.

Robert Hichens est un écrivain plus consciencieux et plus profond. Pourquoi n’a-t-il pas donné tout ce qu’il promettait ? Il semble qu’il se soit perdu par excès d’analyse, dans un vain effort pour atteindre l’inaccessible, qu’expliquent peut-être son éducation de musicien et ses essais d’occultisme.

En 1894, il publia The Green Carnation, satire aiguisée du mouvement esthétique et symboliste, qui le rendit célèbre. An Imaginative Man (1895) contient une curieuse étude pathologique et met à nu les mensonges de la fausse civilisation. Felix (1902) dépeint un jeune Anglais, féru de littérature, qui a découvert le tailleur de Balzac, devient notoire, perd ses illusions et sert de prétexte à un mordant tableau de l’existence littéraire à Londres. Qui devinerait dans ces ironiques productions le futur auteur de A Spirit in Prison ? Flames, en 1897, avait révélé la tendance secrète de son esprit. C’est une histoire d’occultisme, curieuse, originale, morbide. Mais rien ne faisait prévoir la soudaine éclosion de son talent qui se produisit en 1904, après une période de recueillement et de travail. Pour lui, comme pour bien d’autres romanciers contemporains, ces années entre 1903 et 1906 sont une date capitale.

En 1904 il publia The Garden of Allah, en 1906 The Call of the Blood, en 1908 A Spirit in Prison. Ces trois livres contiennent le meilleur de son œuvre.

Robert Hichens quitte ici l’Angleterre et va chercher en Afrique, en Sicile, une atmosphère plus simple, plus proche de la nature, où la passion se montre à nu.

The Garden of Allah, c’est le désert aux alentours de Biskra ; l’amour d’une jeune Anglaise pour un ex-moine russe ; la mystérieuse attirance qu’exerce le catholicisme sur les âmes lasses. The Call of the Blood montre un Anglais à moitié Sicilien, Delarey, que l’éveil héréditaire des passions conduit à trahir sa femme et à périr de mort violente.

Le Sahara, la Sicile, voilà non seulement les principaux thèmes, mais presque les héros de ces deux livres puissants, qui firent alors sensation.

A Spirit in Prison fait suite à The Call of the Blood et contient l’analyse inexorable mais interminable des effets que produit le mensonge moral, même en faveur de la meilleure des causes, sur celui qui s’y livre et ceux qui en profitent.

Depuis lors, Robert Hichens n’a plus rien écrit qui rappelle ces trois œuvres. C’est une destinée analogue à celle de E. M. Forster.

Après The Longest Journey (1907) et Howard’s End (1910) on pouvait considérer ce dernier comme un des romanciers les plus riches d’idées et de talent. Toute la première partie de Howard’s End, surtout les conversations des « misses » Schlegel, est pleine de sève intellectuelle et sentimentale. On y respire une sorte de fraîcheur savante qui est proprement unique dans la littérature anglaise. La seconde partie paraît moins heureuse et verse au mélodrame. Mais il y avait dans ce livre une promesse formelle, qui n’a pas encore été tenue. M. Forster n’a d’ailleurs guère dépassé la quarantaine.

Un immense public, assez cultivé pour ne pas goûter les histoires sentimentales des feuilletonistes, mais trop occupé ou trop superficiel pour chercher dans la lecture autre chose qu’un divertissement sans fatigue, fait vivre une foule de romanciers, et absorbe chaque année des tonnes de littérature. C’est à ces lecteurs et à ces auteurs que pense l’étranger quand il constate le goût déplorablement facile du public et la puérilité des œuvres dont il se nourrit. On oublie que, d’après un calcul approximatif, dix-sept millions d’Anglais sur quarante lisent au moins un volume de fiction par mois. Si nos écrivains avaient le même nombre de clients, est-on sûr qu’ils seraient moins puérils, moins prolixes ? On oublie aussi qu’à côté de ce public et de ses fournisseurs habituels il se trouve un autre public et d’autres auteurs, qui n’ont pas moins d’idées ni peut-être de talent que les nôtres, une vue tout aussi large, et peut-être plus exacte, des relations humaines. C’est par ignorance que nous confondons et mettons sur le même plan tous les romans anglais. Nous attribuons à tous, les caractères du plus grand nombre, sans nous souvenir que le petit nombre des romans anglais égaux aux meilleurs des nôtres, quoique différents, dépasse à lui seul notre production totale.

Parmi les bons amuseurs du grand public cultivé, sentimental, traditionnel, M. E. F. Benson s’est fait un nom par la création du type de Dodo, joli moulin à paroles, parente des héroïnes de Gyp, cousine de « Babs » et de « Dolly ». David Blaize est une histoire d’écoliers anglais qui mériterait d’être mieux connue. Il ne faut pas confondre l’auteur avec ses frères : R. H. Benson, mort en 1914, et le poète A. C. Benson, ni avec ce romancier plus sérieux, mais non plus humain, le chanoine catholique E. F. Benson. Jacobs, peintre des marins, Jérôme K. Jérôme, et F. Anstey manient avec art l’humour de Punch. Le David Penstephen de Richard Pryce et The Triumph of Tim de H. A. Vachell ont, avec raison, été publiés en France, et donnent une idée juste du réel talent que leurs auteurs ont déployé dans une foule de volumes. Stanley Weyman, qui n’écrivait plus depuis dix années, vient de renouveler les tours de force qu’il exécute sur les confins de l’histoire et de la littérature. Sir Gilbert Parker exploite avec un succès et un bonheur remarquables l’histoire du Canada. Il y a plus que du talent dans When Valmond came to Pontiac (1895).

Frankfort Moore a, depuis trente ans, répandu sur les deux mondes ses romans adroits de société. C’est un grand connaisseur et un bon peintre de la vie littéraire anglaise au dix-huitième siècle. The Jessamy Bride met en scène Goldsmith et Johnson, Burke et Garrick. A Nest of Linnets (1901) conte avec art l’histoire de Sheridan et d’Elizabeth Linley.

G. S. Street, qui est un des meilleurs essayistes contemporains, a, dans The Trials of the Bantocks, renouvelé, modernisé, le Book of Snobs de Thackeray. Il n’est pas inférieur à son modèle.

M. Hilaire Belloc n’est pas seulement un excellent satiriste, et M. G. K. Chesterton le plus spirituel, le plus paradoxal des journalistes et à la fois le plus naïf des croyants. L’un et l’autre ont écrit des romans. La force concise de la satire politique dans Mr. Clutterbuck’s Election et A Change in the Cabinet a fait comparer Hilaire Belloc à un Swift moderne. G. K. Chesterton prêche un joyeux optimisme, un catholicisme régénérateur dans The Ball and the Cross (1910). Manalive (1912) est plus près de la vie réelle, tout en reflétant plus exactement la véritable manière du brillant journaliste.