Les Quatre Saisons (Merrill)/À la mort

La bibliothèque libre.
Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 99-101).

À LA MORT

Dans la rue du village, cette nuit brûlée d’étoiles
Où s’étaient tus les danses, les rires et les violons,
Je t’ai vue face à face, malgré l’ombre de tes voiles,
Ô Mort qui guettais, furtive, auprès de ma maison.

Les fleurs sous la mauvaise lune étaient bleues et noires,
Et dans le puits maudit parlèrent soudain des voix.
Tu fis le geste de celle qui ne veut pas voir,
Et tu t’enfuis, sans laisser de traces, par le chemin des bois.


Fut-ce moi que tu voulus baiser à la place du cœur,
Ou celle qui m’attendait en rêvant à la maison ?
Je ne sais. Mais je n’eus pas peur. Et je fus ton vainqueur,
Ô Mort qui méditais contre nous une trahison.

*

Mais reviens à ton heure choisie. La porte sera ouverte,
Et le chien n’aboiera pas au silence de tes pas.
Une lampe luira derrière les persiennes vertes,
Et celle que j’aime, si elle le voit, ne criera pas.

Car nous te savons pitoyable, ô semeuse de pavots
Qui chuchotes, en faisant des signes, de si divins secrets.
Même si ta promesse est vaine, elle vaut
Tous les mensonges dont la Vie nous a leurrés.

Certes, nous irons jusqu’au bout de nos années
Sans emplir la maison du bruit vain de nos plaintes.
L’heure de l’œuvre finie n’est pas encore sonnée,
Et nous accomplirons notre destin sans crainte.


Mais je ne t’écarterai plus de mon seuil, ô Mort,
Malgré ta main toute froide d’avoir touché ta faulx,
Et ta bouche toujours pleine des murmures du Sort,
Et ton geste qui est si rude quand il le faut.

Reviens donc auprès du puits où ont parlé les voix,
Une nuit nouvelle où nous serons tous deux trop las,
Et quand je te verrai venir par le chemin des bois,
J’ouvrirai large ma porte au silence de tes pas.