Les Quatre Saisons (Merrill)/À une jeune fille

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Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 189-191).
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À UNE JEUNE FILLE

Vous êtes venue, ingénue, avec vos yeux doux
Parmi nous, hommes solitaires de cet hiver
Où le froid givrait au bois les feuilles du houx.

Nous avions oublié, trop vieux ou trop fiers,
La jeunesse, et son rire à peine mûr sur les lèvres,
Et sa petite peur qui ne sait quel geste faire.

Nous aimions, nous aimons, passé les fièvres,
Nos compagnes dont l’étreinte, dans la nôtre, est forte,
Comme ne l’est pas celle des amantes mièvres.


Mais vous nous avez appris, d’innocente sorte,
À vous aimer aussi, comme une petite sœur
À qui l’on vole un baiser avant d’ouvrir une porte.

Jeune fille, vous souvenez-vous de la douceur
De cet air vieillot que vous jouiez le soir,
Avant qu’on éclairât de lampes les sombres heures ?

Ah mon âme revole vers le jardin noir
Où j’écoutais, sous le lierre de la fenêtre, la voix
De la jolie amie que nous voudrions tant revoir !

Amie, votre voix et le jeu de vos doigts
Sur le clavier tremblant, et, ô amie, vos yeux
Qui chantaient à nos cœurs comme votre voix !

Depuis votre absence nous avons perdu les cieux,
Et le vent souffle rudement parmi les houx
De la forêt pleurant sous les nuages pluvieux.


Que votre souvenir, amie, ait pitié de nous !
Nous avons appris et compris votre leçon
Que nous répétons, les soirs de silence, à genoux.

Cette leçon est celle qu’au milieu des moissons
Jésus enseignait aux enfants et aux femmes
Et aux hommes assez forts pour le suivre sans soupçon.

« Aimez-vous les uns les autres ! » Et dans nos âmes
Sonnent toutes les cloches légères des Pâques fleuries,
Et des marguerites, vos fleurs, éclosent parmi les flammes.

Vous nous avez montré, sœur d’une autre patrie,
De votre geste innocent qui brise tant de chaînes,
La route de ce monde meilleur où les anges prient
Pour les pauvres hommes qui ne savent s’aimer entre eux sans haine.