Les Quatre Saisons (Merrill)/À une prostituée

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Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 184-186).
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À UNE PROSTITUÉE

Ô pauvre femme à la bouche sanglante
Qui chantais des chansons d’enfer
Dans la neige crépusculaire de cet hiver
Où je suivais ta promenade lente
Par les rues de la ville solitaire !

Ô pauvre femme à la marche sanglante
Que j’ai peut-être, sans le savoir, tuée,
Quoique tu fusses la prostituée
Dont la chevelure, aux temps qui ne sont plus,
A séché les pieds nus de Jésus !


Ô pauvre femme à la poitrine sanglante,
Trois fois douloureuse avec tes mains
Pleines des fleurs pâles de la nuit,
Et tes yeux morts aux lendemains,
Et tes pieds las que l’innocence fuit !

Ô pauvre femme à la vie sanglante
Dont le souvenir en moi est rouge
Comme les roses et les lampes des bouges
Où ton âme brûlait comme ton corps
Pour un peu d’amour et un peu d’or !

Ô pauvre femme tout entière sanglante
Qui m’appelles du passé de mes jours
Comme jadis de l’ombre des portes,
Es-tu toujours folle de trop d’amour,
Où es-tu morte ? où es-tu morte ?

N’es-tu plus la pauvre femme sanglante
Dont je suivais les pas en cet hiver,
Chien du désir après ta chair,
Et serais-tu, ressuscitée, la sainte
Qui chante en la céleste enceinte ?


N’es-tu plus, ô pauvre femme, sanglante
Que de la rosée des plaies de Jésus,
Comme ta sœur Madeleine-Marie
Que tu priais, lasse du tumulte de la rue,
Sous les vitraux des élises fleuries ?

Ainsi soit-il, pauvre femme sanglante,
Qu’une sœur, qui sait ta noire histoire, pleure,
Ce soir de brises légères et de fleurs,
Comme si elle voulait par un chaste marché,
Porter à Dieu le poids de tes péchés !