Les Quatre Saisons (Merrill)/Nuit de tempête

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Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 198-200).
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NUIT DE TEMPÊTE

Mon Âme, ô mon amie, est si triste cette nuit
Que je voudrais entendre des mots mélodieux comme la mer
Qui balance les barques dans le bon port aux quais de pierre
Où la tempête enfin s’apaise dans la pluie et la nuit.

J’ai vu trop de peuples passer dans trop de pays,
Et trop de villes s’allumer au fond du crépuscule !
Redis-moi, comme si j’étais un enfant crédule,
La chanson du petit mousse revenu au pays.


Il fait du vent sur la mer, et la maison est noire,
Et mes rêves regardent aux fenêtres comme des fantômes,
Sans reconnaître la place de l’église d’où les chanteurs de psaumes
Sont partis, sous l’aube verte, bénir les bateaux noirs.

Ma peine est ancienne, plus que la tienne, amie,
Qui pleure de me sentir pleurer si près de toi.
Elle est ancienne, ma peine, et l’ombre est pleine de voix
Qui me chantent un secret que je n’ose te dire, amie.

Il fait du vent sur la mer, et nul navire
Ne partira cette nuit, les flancs gros de prières,
Porter la charité du verbe et de la lumière
Aux habitants des îles qui attendent les navires.

Écoute ; les cloches sonnent de village en village
Le long de la côte tragique où ont pleuré les veuves !
Se peut-il que mon âme à moitié morte s’émeuve
Comme les femmes qui s’agenouillent vers la mer dans les villages ?


Ô voix des cloches qu’éparpille au loin le vent,
Vous sonnez, au fond de la maison, lointaines et étranges
Comme l’éclat des trompettes à la bouche des anges
Qui luttent, dans les nuages, contre la force des vents !

À genoux, amie ! Prions contre la tempête sur la mer
Et l’épouvante qui rôde et râle dans les coins d’ombre,
Et ma peine ancienne, et la tienne, et l’heure sombre,
Et contre la fin du monde ! — Il fait du vent sur la mer !