Les Quatre Saisons (Merrill)/Vers la ville inconnue

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Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 153-155).
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VERS LA VILLE INCONNUE

Nous avons perdu la route et la trace des hommes
Parmi les méandres du ténébreux vallon,
Et oublié le nom de la ville d’où nous sommes
Sans savoir celui de la ville où nous allons.

Nous n’entendons plus la voix de la rivière
Qui murmurait à notre passage des promesses de baptême,
Ni les frissons de feuilles et d’ailes qu’éveillait l’air
Parmi les peupliers d’où tout l’automne s’essaime.


Fermons donc les yeux et donnons-nous la main
Comme des enfants qui ne veulent pas avoir peur,
Et marchons malgré tout vers l’aube de demain
En chantant ce que les aïeux nous dirent du bonheur.

Quoique aveugles, nous ne craindrons pas l’embûche des venelles,
La souillure de la boue ni la traîtrise des roses,
Car les anges nous guideront de la musique de leurs ailes
Légère comme le souffle d’une légende mi-éclose.

Et quand nous rouvrirons les yeux et délacerons nos mains,
Ce sera pour le réveil dans un pays de fontaines
Où nous boirons l’oubli d’hier et l’espoir de demain,
En y mirant nos corps que nous reconnaîtrons à peine.

Car nos yeux seront pleins de la charité des astres,
Et nos lèvres à jamais pures des mauvais baisers,
Et nos mains innocentes des anciens désastres,
Et nos pieds ignorants des périlleux sentiers.


Et sur la colline de fleurs dont les oiseaux sont en fête,
La Ville de marbre que l’aurore dore de ses flammes
Retentira du tonnerre léger de ses trompettes
Pour accueillir, sauvées du passé, nos âmes.

Ô sœur fidèle, perdons la route et la trace des hommes
Qui ne veulent pas sortir du ténébreux vallon
En oubliant le nom de la ville d’où nous sommes
Nous apprendrons celui de la ville où nous allons.