Les Tableaux vivants/08

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Les Tableaux vivants (1870)
Éditions Blanche (p. 57-61).

VIII

UN CHAPITRE DES LIAISONS
DANGEREUSES

La comtesse Laurence était toujours fort parée, et certainement elle avait besoin de l’être. Petite, menue pour le monde, non pour ceux dont les regards savent percer les jupes et les voiles de toute sorte, et qui devinaient une croupe saillante et de robustes flancs, on lui voyait de pauvres mignonnettes épaules, des bras presque grêles et pourtant de la gorge.

Mais elle avait deux grands charmes, une peau douce, veloutée, chaude comme celle des pêches exposées au soleil, sur l’espalier, un regard toujours noyé dans une sorte d’extase étrangement lascive.

D’ailleurs son attitude ordinaire disait tout le contraire de ses yeux. Elle marchait fièrement, elle parlait avec une orgueilleuse nonchalance et traitait les gens de Turc à More. Qui jamais eût osé lever sur la comtesse Laurence un regard d’envie ? Elle était bien connue pour adorer le comte son mari et mépriser le reste des hommes.

Cependant les connaisseurs disaient : Le tout avec cette jeune Baucis serait de bien choisir son moment. C’est ce que je pensais tout le premier.

Un jour d’été il m’arriva d’aller rendre visite à Laurence. Elle était seule dans un petit salon qui s’ouvrait sur le jardin. Je la vis de loin à demi couchée sur un sofa. Elle se souleva péniblement quand on m’introduisit :

— C’est vous ? me dit-elle… Ah ! vous arrivez à point pour fermer les jalousies. Ce soleil me brûle.

Je fermai les jalousies et revins m’asseoir auprès de Laurence.

— Et Robert ? lui demandai-je.

Robert, c’était le comte, c’était son mari.

Elle eut un petit tressaillement de tout le corps et ferma les yeux.

— Robert est absent, dit-elle. Ne le saviez-vous pas ?

Je le savais bien, et c’est ce qui m’amenait. Vous les connaissez, ces vertus solides, ces épouses modèles pour qui les caresses de l’époux sont le pain quotidien. Terribles affamées quand monsieur est en voyage !

Les jouissances impromptues sont les meilleures. Le coup en robe est délicieux parce qu’il se consomme au moment juste où l’on a envie. Le désir est dans toute sa force, l’action est prompte comme la foudre. « Mon ami, nous n’avons qu’un moment… » La phrase s’achève dans un baiser. La belle vous jette les bras autour du cou, vous la renversez sur un sofa, vous la troussez et…

Les mœurs modernes, la pruderie bourgeoise et la crainte des rhumatismes qui menacent nos tempéraments affaiblis, ont ôté beaucoup de charme à cette vive et chaude affaire. De nos jours les femmes portent culotte ; quelquefois même ces culottes sont de flanelle. Est-il un homme digne de ce nom qui voulût faire l’amour dans des culottes ?

On les arrache comme on peut. Le mieux est de céder à son indignation et de les jeter au feu, si c’est en hiver. Les flammes font justice de cette ignominie.

La comtesse Laurence croyait devoir à son rang d’être culottée !… Je la déculottai prestement. Elle ne protestait pas le moins du monde. Pas un geste, pas un mot, pas un murmure, et tandis que je parcourais tous ses mystères, elle se tenait la tête renversée sur le sofa, la bouche entr’ouverte, les dents serrées.

C’est alors que j’appris à connaître sa peau douce et chaude. L’attache du genou n’était pas bien pure, mais quelles cuisses savoureuses. Ce fessier, d’une abondance étonnante pour une si petite personne, roulait sous ma main. Et la comtesse Laurence était toujours muette comme une image.

Je mets ma muette en posture, je pénètre dans son sein. Pour étroite, elle ne l’était pas. Mais jamais je ne sentis connin si bouillant. On croyait entrer dans de l’écume chaude.

— Ah ! chère, lui dis-je, assis auprès d’elle après ce premier engagement, chère, vous en mouriez d’envie !

Je croyais que, la chose étant faite, elle allait enfin desserrer les dents ; mais point. Elle me ranimait habilement avec ses mains un peu maigres, un peu longues, toujours en silence. Lorsqu’elle me vit prêt à fournir une seconde course, elle se leva, me fit signe de la suivre, me conduisit elle-même jusqu’à la porte de l’hôtel et me montra auprès de cette porte un pavillon où je me jetai, au lieu de mettre le pied dans la rue.

Un instant après elle m’y rejoignit. Nous nous trouvâmes dans une pièce meublée d’un lit. Laurence m’embrassa, toujours muette, se déshabilla, toujours impassible.

Non, ce n’était pas une statue antique, et, par exemple, elle avait deux seins aussi abondants que ses fesses, qui ne donnaient pas l’idée de deux coupes de marbre et qui flottaient un peu au-dessous de son épaule maigre.

— Ah ! fit-elle en venant me présenter ces appas trop riches, ici je ne craindrai plus de parler haut. Vous pouvez me dire vos folies.

Et plus bas elle ajouta :

— Nous pouvons même en faire…

— Prononcez, lui dis-je, choisissez entre celles qui vous plairont davantage.

— Oh ! murmura-t-elle, je n’ose le dire. J’aime assez à… être fouettée !

Charmant désir ! Je le satisfis sur l’heure. Je me mis à fouetter Laurence à grands revers de main. Sa croupe en fut bientôt toute rouge. Elle s’animait, elle se pâmait, elle écumait à ce jeu barbare. Je la vis qui se branlait elle-même avec une fureur tandis que je frappais. Sa jouissance fut rapide.

— Encore ! encore ! criait-elle. Je recommençai à la fouetter, elle recommença à se branler. Épuisée, palpitante, elle alla tomber sur le lit. Je ne tardai pas à l’y suivre ; mais, la voyant inerte, brisée, je n’espérais plus rien tirer d’elle, lorsque, se glissant sur moi, m’enveloppant de ses replis comme un serpent, elle mit mon dard entre ses seins et commença à le frotter.

Bref, elle me le faisait en tétons, la chaste comtesse !

Nous le fîmes ensuite en levrette ; nous épuisâmes toutes les postures. Enfin, il fallut nous quitter. En embrassant une dernière fois Laurence, je lui dis :

— Soyez sûre de ma discrétion, ma chère.

— Oh ! fit-elle, je compte bien m’y prendre comme il faut pour l’assurer !

Je partis. Je n’avais fait aucune attention à cette parole traîtresse. Deux jours après, le comte revenait. Le lendemain de ce retour, je reçus le billet suivant :

« Vous avez abusé d’une amitié de dix ans pour me faire le dernier outrage. Ni la vertu, ni les reproches de la comtesse ne vous ont rappelé à vous-même. La crainte des mauvais propos du monde m’empêche seule de vous en demander raison. »

Laurence en effet prenait le meilleur moyen de s’assurer de ma discrétion ; elle me faisait jeter à la porte ; elle disait sans doute que j’avais essayé de la violer !