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« Le Drame de Jules Soury »

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« LE DRAME DE JULES SOURY »

En tête de son numéro du 1er février courant, la Revue UNIVERSELLE — qui tient la tête de la pensée française contemporaine — publie un article de M. Camille Vettard, intitulé Le Drame de Jules Soury. C’était, en effet, un personnage extraordinaire que le savant physiologiste, admirateur du dogme catholique et de l’Eglise romaine, dépouillé de toute foi, et qui porta dans la lutte contre la mystification de l’innocence de Dreyfus, un esprit résolu, pénétrant, inébranlable. Avec cela il croyait à la science et il écrivit, sur les fonctions du cerveau, un gros ouvrage en deux volumes, conforme aux visions baroques de l’époque (1900) et dont il ne subsiste exactement rien. Chose d’autant plus émouvante que le bon Brissaud, le père du rôle du « faisceau pyramidal » et autres fariboles aujourd’hui anéanties, était un maniaque du « bordereau » et chapitrait, à ce sujet, ses clients. Un soir, le général Mercier, vers les minuit, entendit sonner à sa porte. C’est de ce grand homme que je tiens ce récit. Il alla ouvrir et vit un petit bonhomme, assez râblé, avec un front énorme, qui avait sous le bras deux forts volumes qu’il lui tendit. Le visiteur, respectueusement, salua et sortit. C’était Jules Soury chargé de son ouvrage sur les fonctions, totalement ignorées, alors comme aujourd’hui, du cerveau humain.

Il m’apporta, dans les mêmes conditions, à une heure moins tardive, le même ouvrage. Ma femme et moi le vîmes entrer, son chapeau à la main, car il ne voulait se débarrasser d’aucun pardessus entre les mains de la plus modeste servante. Reçu par nous dans notre petit salon, il commença un discours interminable sur les rapports de la science et de la raison, où il y avait beaucoup de bon, et pas mal de grisaille. Cela fait, et comme nous commencions à nous endormir, il salua cérémonieusement et s’en fut. Son bouquin, compact et savant, était d'un primarisme supérieur, et, comment dire, étoilé. Jules Soury avait tout lu, tout compris, tout absorbé, mais il en était demeuré au quantitatif, comme un cartésien transplanté, comme un cartésien de serre. Il nous avait tenus ainsi de dix heures et demie à deux heures du matin. Nous étions, il faut le dire, habitués à ces exercices par notre cher ami, le colonel Marchand, qui, lui, avait cette marotte : le vote familial. M. Vettard, qui a connu intimement Soury et lui garde une vive tendresse intellectuelle, cite ces noirs propos de ses « méditations » :

Il ne reste donc qu’un refuge à la raison de l’homme ainsi frappé de stupeur devant l’inconnaissable et convaincu que là est la limite de toute pensée, c’est-à-dire de toute représentation mentale : le renoncement et la résignation sans espoir. Ce désespoir beaucoup l’ont connu, quelques-uns l’ont violemment senti. Je parle du petit nombre de ceux qui ont su se passer d’espérances, qui ont doucement écarté les livres saints des religions, non sans s’incliner avec tendresse devant les symboles divins qui, du fond des sanctuaires, éclairent vaquement, rassurent et consolent le troupeau effaré des âmes tristes et dolentes que la mort pousse dans l’abîme.

C’est pourtant là, dans les profondeurs de l’abîme, qu’est le salut pour l’homme ; c’est là qu’il se repose enfin, dans l’inconscience, et non dans le sommeil dont parle Hamlet, des rêves cruels de l’existence. S’il est incompréhensible que l’univers ait une origine et une fin, au moins la conscience individuelle, sans avoir plus de raison d’être, commence et finit, et la mort elle-même est la seule revanche assurée que nous puissions saisir contre l’horrible destin qui, au cours de l’évolution d’une planète, fait apparaître, pour les détruire, ces milliers de faunes et de flores dont la production n’a certes pas eu plus de raison que la destruction.

Cette lutte pour la vie, inutile carnage qui de cette Terre fait un charnier, ne nous semblerait pas seulement, si c’était œuvre humaine, d’une hideuse cruauté : elle nous paraîtrait bête, au sens où la Mort, dans la Tentation de saint Antoine, parle de la « bêtise du soleil ». Pris dans sa masse et dans son éternité, l’univers est certainement moins intelligent que le dernier des protozoaires. C’est qu’il ne souffre pas. Toute vie psychique, toute vie de l’esprit et de l’âme, a grandi dans la souffrance : elle n’est délivrée de la douleur que par la mort.

Ces pensées sont extrêmement voisines de celles de Schopenhauer, dont M. Thomas Mann vient de nous donner (éditions Corréa) une remarquable traduction. Elles oscillent, « comme un pendule, de l’ennui à la douleur ». Mais il y a l’amour, sous toutes ses formes et comme dit Termier, la joie de connaître. Cela fait déjà un petit ensemble fort présentable.

Léon DAUDET.
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