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À genoux/Rêve claustral

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Alphonse Lemerre (p. 176-177).

VII

RÊVE CLAUSTRAL


 
Ce serait une salle immense, comme il sied
À celles où nul être impur n’a mis le pied ;
Où semblerait flotter l’âme des anciens mondes ;
Où, dans l’enivrement des extases profondes,
Les Poètes viendraient le soir, sous des flambeaux,
Rêver aux anciens temps plus graves et plus beaux ;
Où l’on n’entendrait pas des paroles vulgaires ;
Où seulement parfois on causerait des guerres
Anciennes, des assauts livrés, des murs détruits
Et des blessés râlant dans la brume des nuits.

Chacun écouterait ensuite dans sa tête
Mugir ces bruits, pareils à des bruits de tempête,
Chocs de glaives rompus et de chars fracassés,
Qu’après les temps encor font les combats passés.
On entendrait alors les murailles antiques
S’écroulant au seul bruit des clairons prophétiques,
Et la lutte, et la voix des prêtres au milieu
Des chocs d’armes louant et glorifiant Dieu.
Après, pour apaiser ces souvenirs trop rudes,
L’esprit évoquerait en ses graves études
Les corps immaculés des femmes d’autrefois
Et les reconnaîtrait dans l’ombre avec leurs voix
Douces et leurs seins nus et leurs têtes pensives ;
Mais surtout les beautés pures des femmes juives.
Alors aux cris de guerre effrayants et haineux,
Aux râles des mourants, succéderait en eux
Quelque chanson d’amour bien douce et bien sonore,
Qui les endormirait en attendant l’aurore.