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À l’heure des mains jointes (1906)/Sous la Rafale

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À l’Heure des Mains jointesAlphonse Lemerre (p. 69-70).


SOUS LA RAFALE



De la nuit chaotique un cri d’horreur s’exhale.
Venez, nous errerons tous trois sous la rafale…

Les gouffres lanceront vers nous leurs noirs appels.
Nous passerons, ô mes compagnons éternels !

L’éclair nous épouvante et la nuit nous désole…
Ô vieux Lear, comme toi je suis errante et folle,

Et ceux de ma famille et ceux de mes amis
M’ont repoussée avec des outrages vomis.


Comme toi, Dante, épris d’une douleur hautaine,
Je suis une exilée au cœur gonflé de haine.

En dépit du tonnerre et du froid et du vent,
Nul n’a voulu m’ouvrir les portes du couvent…

Mon père, le roi fou, mon frère, le poète,
Voyez mes yeux et ma chevelure défaite.

Des gens du peuple, en nous apercevant tous trois,
Se signeront avec d’inconscients effrois.

Malgré mes mains sans sceptre et mon front sans couronne,
Je te ressemble, ô Lear que le monde abandonne !

Malgré la pauvreté de mon obscur destin
Et de mes vers, je te ressemble, ô Florentin !

Écoutez le tonnerre aux éclats de cymbale…
Nous errerons jusqu’à l’aube sous la rafale.