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À l’ombre d’Angkor/VI

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Ta Phrom. — Sculptures de pilastre, pied-droit et Tévada
Ta Phrom. — Sculptures de pilastre, pied-droit et Tévada

XXVIII[modifier]

Le silence ; des arbres gris et des pierres vertes, des échappées de lumière au delà de voûtes sombres ; les traînées polychromes des pluies sur des murailles encore debout ; un arbre monstrueux, dont le tronc longe une galerie, se redresse, la fait éclater et s’élance se mêler à la voûte végétale ; dans un trou noir une petite feuille miroite comme un clignotement d’œil ; des dalles sont accumulées avec des profils de vagues qui déferlent ; un grand cadavre de fromager penche et s’appuie sur une tour, des lianes pendent ; de-ci, de-là on voit des fleurs rares ; une file de fourmis rouges interminable ; cris de chauves-souris que l’on effraie et qui vous effleurent de leurs ailes molles ; socles bouleversés, tronçons d’idoles, fleurs de pierre tombées, corolles blanches et grasses des safrans, arbrisseaux, ronces, fougères, palmes ; fuite rousse d’un écureuil, chute d’une branche, éclat de soleil sur un linteau, écroulement des voûtes sur lequel on marche, colonnes déplacées, tronçons informes, pilastre semblant sculpté de la veille ; de l’austérité, de la grandeur somptueuse ou bien des coins intimes, des cours gaies pleines de soleil que laisse passer un trouée de feuillage ; au delà le trou béant, obscur, impressionnant d’une galerie ; l’assaut immobile des ronces, la ligature des blocs par des racines ou leur renversement ; de la pierre rouge et trouée comme de l’éponge, des grès bleus, roses, gris clair ; des troncs morts aux tons de rouille, de l’eau qui croupit, de la mousse grasse, des lits de feuilles mortes ; un bel insecte immobile, tel un bijou ; encore des colonnes, des murailles, des légendes sculptées ; toujours des tours intactes ou renversées, hautes ou minuscules, nues ou verdoyantes, des pans de voûte en équilibre, des cellules ; partout des arbustes, des frondaisons, des berceaux, des guirlandes, des ficus immenses aux racines étalées comme des pieuvres ; là, un reste d’inscription, ici, la mortaise d’une porte ; des dieux calmes, terribles, des symboles, des sourires de femmes ; pas de mort : de l’immobilité ; pas de tristesse : du recueillement ; vent rare, lumière mouvante, fraîcheur lourde, parfums indéfinissables : voilà à l’Est d’Angkor Thom le temple de Ta Phrom, l’un des plus grands du Cambodge, l’un des plus bouleversés.



Ta Phrom. — Une cour
Ta Phrom. — Une cour