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À la hache/23

La bibliothèque libre.
Éditions Albert Lévesque (p. 230-232).

ÉPILOGUE


Les tombes commencent à pousser, amont l’église, à Saint-Guillaume.

Le bedeau est heureux. Très souvent, il arrose les violettes du cimetière. Ou encore, lave le marbre de trois épitaphes.

Presque chaque semaine, Lucie, la ménagère, s’approche de la clôture de pieux. Elle roule son tablier. Sa vieille voix claironne :

— Mussieu Farnand ! V’là un autre compérage. Si le parrain d’là ville est assez gentil pour faire sonner les deux cloches. C’que not’ curé sera fier. Y pourra mettre un autre cinquante sous dans sa boîte à cigares. De c’train-là, les Enfants de Marie auront leur harmonium pour la Toussaint.

— C’est ben tant mieux, Lucie.

— Oui, mais y doit ane chandelle à Mame la Mairesse, la toujours jolie femme de Philias L’Épicier… A prêche d’example… Vous savez la nouvelle ?… Elle est encore à la veille de débouler…

Une grive et un poussin se disputent un ver aux pieds de la catherinette heureuse. Le ruban cramoisi se brise soudain. Les deux gourmands scandalisés tombent sur le derrière.

Les rayons, appesantis d’or, retardent avant d’aller lutiner les framboises.

N’ayez crainte, citadins.

La race vivra.

***

Terre Laurentienne ! Il y a trois siècles, un embryon de petit peuple s’est accroché à tes flancs. Désespérément d’abord, mais devenant plus fort, au fur et à mesure qu’il sortait de tes chênes et de tes pins, le bois de ses caresses et de son dernier repos…

Il a, ce peuple, appris à ne pas avoir peur, en s’endormant à la musique de tes tonnerres.

Il a, ce peuple, compris la fécondité, en voyant le manteau de tes glorieux hivers redonner toujours au sol les plus blondes moissons.

Il a, ce peuple, réalisé ses devoirs d’expansion, en admirant le cours majestueux autant qu’immuable de ton fleuve, le Saint-Laurent, le plus beau au monde, et qui baigne de ses flots la moitié d’un hémisphère.

Ton cœur, le roc de Québec, est le sien.

Ton cerveau, la sève du Mont-Royal, est encore le sien.

Et ce soir, illuminé par un couchant pourpre dans les cieux en ébullition, je ne puis, ô ma terre, que joindre aux nuages de feu roulant là-haut le miracle français, rouge et fort comme ce crépuscule, transformant en porphyre, la surface immaculée du lac Clair.

Le soleil, heureux de retrouver un peuple neuf, en un siècle mourant, caresse toute ma province de ses rayons de fête.

Puis, unissant les monts altiers avec la race qui les ouvre, il offre le tout à son Maître, en une apothéose de force et de survivance.


FIN


Les Trois-Rivières, août-septembre 1930.