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Élégies, Marie et romances/L’Arbrisseau

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L’ARBRISSEAU.




À MONSIEUR ALIBERT[1].


La tristesse est rêveuse… et je rêve souvent !
La nature m’y porte, on lui cède sans peine :
Je rêve au bruit si doux de l’eau qui se promène,
Au murmure du saule agité par le vent.
J’écoute !… un souvenir répond à ma tristesse :
Un autre souvenir s’éveille dans mon cœur :
Chaque objet me pénètre, et répand sa couleur
Sur le sentiment qui m’oppresse.
Ainsi le nuage s’enfuit,
Pressé par un autre nuage :

Ainsi le flot fuit le rivage,
Cédant au flot qui le poursuit.
J’ai vu languir, au fond de la vallée,
Un Arbrisseau flétri par le malheur ;
L’Aurore se levait sans éclairer sa fleur ;
Et pour lui la nature était sombre et voilée ;
Ses printemps ignorés s’écoulaient dans la nuit.
L’Amour, jamais d’une fraîche guirlande
À ses rameaux n’avait laissé l’offrande :
Il fait froid aux lieux qu’Amour fuit !
L’ombre humide éteignait sa force languissante,
Son front pour s’élever faisait un vain effort :
Un éternel hiver, une eau triste et dormante
Jusque dans sa racine allait porter la mort.
« Hélas ! faut-il mourir sans connaître la vie !
» Disait-il, courbant ses rameaux.
» Je n’atteindrai jamais de ces arbres si beaux
» La couronne verte et fleurie !
» Ils dominent au loin sur les champs d’alentour :
» On dit que le soleil dore leur beau feuillage ;
» Tandis que moi, sous leur épais ombrage,
» Je devine à peine le jour !

» Quelle triste influence
» A préparé ma chute auprès de ma naissance ?
» Bientôt, hélas ! je ne dois plus gémir !
» Déjà ma feuille a cessé de frémir !…
» Je meurs ! je meurs ! » Ce douloureux murmure
Toucha le Dieu protecteur du vallon :
C’était le temps où le noir aquilon
Laisse en fuyant respirer la nature.
« Non ! dit le Dieu : Qu’un souffle de chaleur
» Pénètre au sein de ta tige glacée :
» Ta vie heureuse est enfin commencée ;
» Relève-toi ! j’ai ranimé ta fleur.
» Je te consacre aux nymphes des bocages ;
» À mes lauriers tes rameaux vont s’unir ;
» Et j’irai, sous ton ombre, à l’abri des orages,
» Chercher un souvenir. »
L’Arbrisseau, faible encor, tressaillit d’espérance ;
Dans le pressentiment il goûta l’existence :
Comme l’aveugle-né, saisi d’un doux transport,
Voit fuir sa longue nuit, image de la mort,
Quand une main divine entr’ouvre sa paupière,
Et conduit à son ame un rayon de lumière ;

L’air qu’il respire alors est un bienfait nouveau ;
Il est plus pur !… il vient d’un ciel si beau !
L’Arbrisseau, couronné de fleurs et de verdure,
Offre au Dieu du vallon sa première parure ;
Elle obtient une place au pied de ses autels :
Les plus simples parfums plaisent aux Immortels.


Mme. Desbordes.
  1. Docteur-médecin.