Éléments d’idéologie/Première partie/Avertissement

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AVERTISSEMENT
De l’Édition de 1804.

Cette nouvelle édition est une simple réimpression de la première, qui était épuisée. Cependant j’y ai ajouté des notes et des éclaircissemens qui pourront peut-être ne pas frapper le commun des lecteurs, mais qui j’espère, paraîtront importans à ceux qui approfondissent le sujet. Du reste l’ensemble de l’ouvrage est demeuré le même, car je n’aurais pu en changer que la forme ou le fond.

Or, pour le fond des idées, j’avoue sincèrement que je crois être arrivé à la vérité, et qu’il ne me reste aucun louche ni aucun embarras dans l’esprit sur les questions que j’ai traitées. Mes réflexions postérieures, mes travaux subséquens, et les conséquences que j’ai tirées des premières données, ont également confirmé mes opinions ; et c’est avec une sécurité entière que je me crois assuré de la solidité des principes que j’ai établis après beaucoup d’hésitations et d’incertitudes.

À l’égard de la manière dont je les ai exposés, elle ne me satisfait pas aussi pleinement. Le ton de conversation naïve et presque triviale que j’ai pris dans une partie de cet ouvrage, ne m’a pas paru sans utilité alors, vu le moment où j’écrivais, et parce qu’il s’agissait d’une science dont on s’était fait beaucoup de fausses idées, et dont on n’avait point encore de traité complet. J’ai cru cet excès de simplicité propre à faire sentir à tous momens, combien le sujet que je traitais est différent de ces méditations abstruses et vaines qui effraient et égarent en même temps l’imagination, et à faire voir combien sont simples les procédés qui peuvent nous conduire à une véritable connaissance de nos opérations intellectuelles. D’ailleurs cette manière me semblait trèscommode pour éviter de m’ériger en maître dans une matière que je ne faisais qu’étudier la plume à la main. En effet, mon but était bien moins de créer un corps de doctrine que de tracer la marche de mes recherches et d’en présenter les résultats. Néanmoins ce ton familier, s’il a plu à quelques personnes, n’a pas été approuvé généralement ; et je ne crois plus qu’il ait d’avantages, aujourd’hui que les têtes sont plus meublées de ce genre de connaissances, que beaucoup de personnes les ont approfondies et systématisées, et qu’il ne s’agit plus que de rallier un grand nombre d’opinions toutes formées, et dans le vrai peu divergentes entr’elles.

Que l’on ne soit point étonné de m’entendre dire que les circonstances sont changées pendant un délai si court. Dans ce temps-ci tout va extrêmement vite et plus vite que nous ne pouvons le croire ; et l’existence d’une section d’analyse dans l’Institut national, et d’une chaire de grammaire générale dans les écoles publiques, malgré qu’elle ait très-peu duré, a donné aux esprits une impulsion prodigieuse, et qui ne s’arrêtera point.

Je crois donc que je devrais dès aujourd’hui changer le ton général de cet écrit, vu sur-tout qu’il est actuellement suivi d’une seconde partie qui lui donne plus de consistance, et dans laquelle j’ai pris une marche plus ferme et plus rapide. Mais cette amélioration exigeait de moi un assez grand travail. Or, je pense que le vrai moment de m’y livrer sera quand j’aurai terminé la troisième partie, de l’achèvement de laquelle je veux m’occuper avant tout. Alors seulement l’ouvrage sera complet. Je pourrai d’un coup-d’œil en embrasser l’ensemble, juger de l’effet général, et rétablir l’harmonie entre les diverses sections. Jusque-là je continuerai à demander de l’indulgence pour les défauts de détail, que je n’ai pu faire disparaître, m’estimant très-heureux si on n’a que de ceux-là à me reprocher.

Néanmoins, en attendant mieux, j’ai cru utile de supprimer la longue récapitulation qui terminait cette Idéologie dans la première édition, et de la remplacer par un Extrait raisonné servant de Table analytique, pareil à celui que j’ai mis à la fin de la Grammaire. Je le crois bien plus propre à montrer l’enchaînement des idées, et à en faire sentir le faible si elles étaient mal fondées ou mal suivies. Or, c’est-là mon principal objet, car on ne peut desirer d’être approuvé qu’autant que l’on a raison. Réussir autrement, c’est être nuisible au lieu d’être utile ; et assurément ce n’est pas la peine de travailler pour arriver à un tel succès.