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Éléments d’idéologie/Première partie/Chapitre XV

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CHAPITRE XV.
Du Perfectionnement graduel de nos facultés intellectuelles.


Il est difficile, peut-être même impossible, de concevoir une sensation, une impression sensible quelconque existante en nous, sans qu’elle donne lieu à quelque jugement et à quelque desir, au moins au jugement qu’elle est agréable ou désagréable, et au desir de l’éprouver ou de l’éviter : ces perceptions paraissent faire pour ainsi dire partie de la sensation elle-même, et en naître nécessairement et presque simultanément.

Mais on peut fort bien imaginer un ordre de choses tel, que ces sensations, jugemens, ou desirs, n’imprimeraient aucune trace durable en nous, et nous laisseraient, lors de leur disparition, absolument comme nous étions avant de les avoir éprouvés. Dans ce cas, nous n’aurions aucune espèce de mémoire ; car le souvenir est l’effet d’une disposition demeurée dans nos organes après une perception, disposition en vertu de laquelle le mouvement éprouvé se renouvelle au moins en partie, lorsque quelque circonstance l’excite. La preuve en est qu’il n’y a qu’une impression déjà éprouvée qui puisse être excitée ainsi. Même lorsque nous faisons ce que nous appelons imaginer, nous ne créons rien d’absolument neuf, nous ne faisons que nous rappeler ce que nous avons déjà éprouvé, et en former de nouveaux composés. La mémoire est donc le premier résultat de cette capacité qu’ont nos organes, de recevoir une disposition permanente à l’occasion d’une impression passagère. Elle nous est bien nécessaire cette faculté de nous ressouvenir ; sans elle le passé ne serait rien pour nous, nous serions toujours comme au moment de notre première sensation, et tout progrès ultérieur serait impossible.

Mais ces progrès seraient encore bien faibles, si nous ne retirions d’autre fruit de l’exercice de nos facultés intellectuelles, que la possibilité de nous rappeler les impressions reçues, et s’il n’en résultait pas une beaucoup plus grande facilité dans les différentes opérations de ces facultés. Heureusement il n’en est pas ainsi ; et nous avons vu que tous nos mouvemens deviennent et plus faciles et plus rapides quand ils ont été souvent répétés, et qu’il en est de même de nos opérations intellectuelles. Nous avons vu que cette rapidité et cette facilité sont susceptibles d’un accroissement incalculable, et nous avons eu bien des occasions de remarquer que toute action que nous faisons pour la première fois, nous paraît d’une difficulté qui nous surprend nous-mêmes dans la suite, quand nous en avons pris l’habitude, ou, comme on devrait dire, quand nos organes ont contracté l’habitude qui résulte de la fréquente répétition de cette action. Nous en devons conclure, qu’au moins dans l’espèce humaine, quand même l’individu naîtrait avec l’entier développement de tous ses organes, il n’en serait pas moins réduit d’abord à un degré bien borné d’intelligence et de capacité ; tous ses mouvemens, tous les actes de sa pensée seraient lents et pénibles : c’est dans tous les genres que nos commencemens sont faibles. Mes jeunes amis, méfiez-vous des poètes, et des philosophes, qui, comme eux, raisonnent d’après leur imagination, et non d’après les faits ; ce sont d’aimables enchanteurs, mais de très-dangereux séducteurs. L’âge d’or, tant vanté, est le temps de la souffrance et du dénuement ; et l’état de nature est celui de la stupidité et de l’incapacité absolue[1].

Nous ne tenons de cette nature si admirable, c’est-à-dire de notre organisation, que la possibilité de nous perfectionner, et cela nous suffit ; mais en sortant de ses mains, non-seulement nous sommes dans une ignorance complète, mais encore nos moyens de connaître sont dans un engourdissement total ; nous n’en possédons, pour ainsi dire, que le germe ; il faut que l’exercice les élabore, les perfectionne, les développe. Ainsi nous sommes entièrement les ouvrages de l’art, c’est-à-dire de notre propre travail ; et nous ressemblons aussi peu aujourd’hui à l’homme de la nature, à notre manière d’être originelle, qu’un chêne ressemble à un gland, et un poulet à un œuf.

Nous devons donc bien nous garder de croire que nos facultés intellectuelles aient toujours été ce qu’elles sont, et que, dans toutes les circonstances, elles eussent fait les mêmes progrès ; et il serait très-curieux de démêler, dans l’état où nous les voyons, ce qu’elles doivent au perfectionnement de notre individu et à celui de l’espèce humaine en général : tâchons d’y parvenir. Nous ne saurions jamais nous considérer sous trop d’aspects différens ; c’est le moyen de nous mieux connaître.

La seule manière de savoir parfaitement à quoi s’en tenir sur ce point, serait de pouvoir observer des hommes qui n’auraient jamais eu de communication avec aucun de leurs semblables : car les questions de fait ne sont pleinement résolues que par l’expérience ; mais celle-ci n’est pas en notre pouvoir. L’homme ne naît ni ne vit isolé ; il ne peut subsister de cette manière, et ne saurait passer son premier âge sans secours étrangers : ainsi toujours il a été influencé par l’état de société ; toujours il a participé plus ou moins au degré de perfection où était l’espèce humaine au moment de sa naissance. Nous avons, à la vérité, quelques exemples d’enfans et de jeunes gens des deux sexes qui ont été rencontrés dans des forêts où ils paraissent avoir existé plus ou moins de temps seuls. Un savant naturaliste, dans un petit ouvrage qu’il a publié à l’occasion du dernier de ces enfans trouvés[2], en cite jusqu’à onze, sur lesquels il nous donne des renseignemens précieux. Mais, d’une part, ces individus, quelque étrangers qu’ils nous paraissent à toute société et à tout langage, ont nécessairement vécu avec des hommes, au moins dans leur premier âge ; et sous ce rapport, si nous les prenions pour terme de comparaison, ils nous donneraient une trop haute idée du degré de perfectionnement auquel peut atteindre un homme absolument et totalement livré à lui-même. D’une autre part, on a remarqué avec beaucoup de sagacité[3], que presque tous ces enfans ainsi séquestrés de la société devaient ou s’être perdus par stupidité, ou avoir été l’objet de violences qui avaient pu altérer leur raison, ou avoir été abandonnés et égarés exprès par leurs familles, parce que les vices de leur organisation physique et morale faisaient desirer d’en être débarrassé ; il a même été prouvé positivement que plusieurs d’entr’eux étaient dans l’un de ces cas : ainsi, sous cet aspect, ils pourraient nous faire tomber dans une erreur contraire à la première, en nous portant à trop restreindre ce développement de l’homme isolé. D’ailleurs aucun d’eux jusqu’à présent n’a été observé avec les précautions nécessaires et les détails suffisans, l’idéologie étant de toutes les parties de la physique animale, celle qui exige les observations les plus scrupuleuses et les plus circonstanciées. Nous ne pouvons donc tirer aucune conclusion bien certaine de ces expériences.

Mais si nous n’avons aucun moyen direct de savoir jusqu’à quel point de développement arriverait notre intelligence, par ses propres forces, nous en avons un bien facile de reconnaître le terme qu’il lui serait certainement impossible de dépasser, et même d’atteindre ; nous n’avons qu’à jeter les yeux sur les hommes qui composent les sociétés les moins avancées en civilisation. Car enfin les plus bruts d’entre les sauvages doivent beaucoup à leurs semblables ; ils en ont reçu beaucoup d’idées, de connaissances, de traditions, un langage surtout : et nous verrons bientôt combien un langage, quelque imparfait qu’il soit, est utile et même nécessaire pour combiner ses idées. Or, quiconque réfléchira un moment sur l’énorme différence qu’il y a entre apprendre et inventer, sur-tout pour un être qui ne sait encore rien, pas même se servir de son esprit, sentira tout de suite qu’à dispositions égales, l’homme qui n’aurait de ressources qu’en lui-même, resterait encore bien loin en arrière du faible degré de perfectionnement du sauvage le plus stupide[4]. Cette simple réflexion suffit pour nous faire sentir de quel triste état le genre humain est parti, et nous pouvons juger combien il a fallu de temps et de peines pour l’amener à celui où nous le voyons, puisque nous avons continuellement sous les yeux des exemples de l’extrême difficulté avec laquelle on découvre la vérité qui paraît la plus simple, et de celle avec laquelle la masse des hommes reçoit des améliorations, qui semblent non-seulement très-aisées, mais même pour ainsi dire inévitables.

Observez encore que cette incapacité de l’homme dans son état primitif, ou, si l’on veut, dans l’état de nature, ne consiste pas seulement dans le peu d’étendue de ses connaissances, mais principalement dans la lenteur et la difficulté de ses opérations intellectuelles, au moins de toutes celles qui ne lui sont pas habituelles. Il n’en fait qu’un petit nombre, toujours les mêmes, celles qui sont nécessitées par ses besoins indispensables. Ces besoins renaissant sans cesse, les combinaisons d’idées qui s’y rapportent sont continuellement répétées ; elles deviennent bientôt très-faciles et très-rapides : n’étant mêlées à aucune autre, elles s’opèrent sans perturbation : elles sont de plus très-motivées et très-justes, parce qu’elles ne sont point fondées sur des ouï-dire ni sur des idées incomplètes, mais sur l’expérience même de l’individu ; elles sont inventées et non apprises : mais toutes les autres restent dans un engourdissement total, et par conséquent d’une difficulté extrême.

Tel est l’état de l’homme primitif ; tel est aussi le spectacle que nous offrent les animaux. Privés presqu’absolument de moyens commodes de communication intellectuelle avec leurs semblables, réduits à leurs propres combinaisons, que des inventions ingénieuses ne facilitent pas comme les nôtres, ils atteignent plus ou moins vite, mais toujours assez promptement, le degré de développement de leur intelligence, sans lequel ils ne pourraient subsister ; mais ils ne le passent presque plus. Leur instinct est également remarquable par sa promptitude à se former, sa rectitude, sa sûreté, et par son peu d’étendue et son immutabilité. Ils nous surprennent continuellement et presque en même temps par leur finesse et par leur stupidité. L’esprit des sauvages, proportion gardée, nous cause les mêmes impressions, et a à peu près les mêmes qualités. Ils nous donnent souvent lieu d’admirer que des hommes si peu éclairés fassent des combinaisons si fines, et que, les faisant, ils soient tout-à-fait incapables d’en faire d’autres qui nous paraissent moins difficiles. Dans les sociétés civilisées, la classe qui a les communications les moins étendues et les moins variées offre des phénomènes analogues. Les paysans des campagnes écartées, ceux des montagnes, sont remarquables par la rectitude d’un petit nombre de combinaisons, l’ignorance absolue d’une foule d’autres, et leur incapacité à en faire de nouvelles. Enfin, dans tous les degrés d’instruction et de perfectionnement, il est d’observation que plus un homme est isolé et ne doit ses connaissances qu’à lui-même, plus ses idées sont profondes et justes, mais moins elles embrassent avec succès des objets divers, et plus il est incapable de les modifier et de les étendre. Partout les mêmes causes produisent les mêmes effets ; et la cause générale du perfectionnement de l’homme et de l’accroissement de sa capacité, est cette propriété qu’ont ses organes de recevoir une disposition permanente à l’occasion d’une impression passagère, et de devenir capables de faire très-promptement et très-facilement ce qu’ils avaient d’abord exécuté avec beaucoup de peine.

Nous ne pouvons comprendre le commencement de rien, pas plus celui du genre humain que celui du monde ou de toute autre chose. Peut-être l’homme est-il une combinaison des élémens qui le composent qui a passé par des transformations lentes et nombreuses avant d’arriver à l’organisation que nous lui voyons : c’est ce que nous ne pouvons savoir. Mais ce dont nous sommes sûrs, c’est que le premier homme, quand il serait né adulte et aussi bien organisé que nous, n’en aurait pas moins été d’abord dans une ignorance absolue, puisque nous ne connaissons rien que par nos sensations ; et ayant toutes ses facultés dans un état de rigidité que l’exercice seul aura fait disparaître plus ou moins promptement, puisque nous éprouvons que tout ce que nous faisons pour la première fois nous ne l’exécutons qu’avec peine.

Nous somme sûrs encore que s’il eût vécu isolé, il serait resté bien au-dessous du degré de capacité du sauvage le plus brut, puisqu’il n’aurait eu l’usage d’aucune langue, et qu’il n’aurait pu profiter de l’expérience, de l’exemple, des connaissances, ni des secours d’aucun être semblable à lui.

Nous voyons avec une égale certitude que, même en supposant les premiers hommes vivant ensemble, comme ils n’ont pu manquer de le faire, leurs premiers progrès ont dû nécessairement être très-lents, non-seulement parce que, dominés par leurs premiers besoins, ils n’ont pu avoir le temps de réfléchir, non-seulement parce que tous leurs moyens de recherches étaient informes et défectueux, mais encore parce que toutes nos opérations intellectuelles se tenant et s’enchaînant les unes les autres, il est d’expérience constante que moins on en a fait, et moins on est apte à en faire de nouvelles ; et qu’au contraire, arrivé à un certain degré d’avancement, on est à portée d’une multitude indéfinie de combinaisons ; ensorte que notre disposition à nous perfectionner croît dans une proportion bien plus rapide que notre perfectionnement.

Enfin, il est vrai que si les premiers pas de l’intelligence humaine sont lents et pénibles, du moins ils sont sûrs, tandis que bientôt après elle est continuellement en danger de s’égarer ; 1° parce que quand ses opérations sont devenues faciles et rapides, un grand nombre d’entr’elles demeurent inaperçues, et nous avons vu ce qui en résulte ; 2° parce que les signes par lesquels nous représentons nos idées, et par le moyen desquels nous les combinons, malgré leur prodigieuse utilité, sont souvent une cause d’erreur, comme nous le verrons bientôt ; 3° parce que, quand la multitude des combinaisons qui s’opèrent en nous et des mouvemens internes qu’elles nécessitent, est devenue vraiment innombrable, il est bien difficile que ces combinaisons ne se nuisent pas tout en s’entr’aidant, et qu’il ne s’établisse pas entr’elles des liaisons vicieuses. Je suis convaincu même que cette dernière circonstance est une des causes qui fait qu’en général c’est chez les nations les plus éclairées, dans l’âge où l’on combine le plus d’idées, et dans la classe des hommes qui ont le plus exercé leur esprit, que l’on trouve les exemples les plus fréquens de démence ; et que l’on observe que les hommes les plus sujets à ce malheur sont ceux qui se livrent le plus avidement aux impressions qu’ils reçoivent, tandis que ceux dont l’occupation habituelle est de se rendre un compte soigneux de leurs pensées en sont presque entièrement exempts[5].

Je n’irai pas plus loin en ce moment. Après avoir montré quel est l’état primitif de l’intelligence humaine, et en quoi consiste son perfectionnement actuel, je n’examinerai point jusqu’où il peut s’étendre à l’avenir. Je renverrai cette discussion à la fin de la partie logique de cet ouvrage, parce que, pour faire voir que notre faculté de penser est perfectible indéfiniment, il faut avoir montré comment elle parvient à découvrir sûrement la vérité, et que sa marche est la même dans tous les genres de recherches. Je m’aperçois même, jeunes gens, que vous n’avez pas pu bien comprendre ce que je viens de vous dire des signes par lesquels nous représentons nos idées, et sentir parfaitement les motifs de l’importance que j’ai attachée à leurs avantages et à leurs inconvéniens, parce que je ne vous en ai pas encore entretenu. Mais les réflexions que nous venons de faire sur les progrès de nos facultés suivaient si naturellement de ce que nous avions dit de la fréquente répétition de leurs opérations, que je n’ai pas dû les en séparer. Actuellement je reviens aux signes de nos idées ; et quand je vous aurai expliqué leur origine, leur usage et leurs propriétés, je crois que nous aurons envisagé sous toutes ses faces la manière dont se forment nos idées, et que la première partie de notre cours sera terminée.

  1. Il y a pourtant une cause à ce préjugé universel du bonheur de l’âge d’or et de la perfection de l’état de nature, comme il y en a à toutes les erreurs et à toutes les maladies de l’esprit humain, et la voici. Pour tout vieillard, le plus beau temps dont il se souvienne est celui de sa jeunesse ; c’est-là pour lui le temps par excellence, celui des beaux jours et du bonheur ; il le vante sans cesse. Élevé dans le respect de son père, qui faisait de même, il croit facilement que le temps de la jeunesse de ce père était encore supérieur, et que celui de la jeunesse du monde était au-dessus de tout. La masse des hommes, en général mécontente de son sort, croit volontiers à cette supériorité des temps antérieurs, qui lui est continuellement attestée par des gens qui les ont vus. D’ailleurs, elle remarque qu’ordinairement les hommes un peu âgés sont les plus sages ; elle se persuade aisément que les temps où ils sont nés et où ils se sont formés étaient les plus réellement éclairés, et elle s’accoutume ainsi à la folle opinion que tout va dégénérant, sans s’apercevoir qu’il y a là un véritable renversement d’idées ; car si les hommes les plus âgés sont en général les plus éclairés, c’est grâce aux bienfaits de l’expérience, et la même raison fait que ce sont les temps les plus récens où il y a le plus de lumière, puisque ce sont les siècles les plus anciens qui sont vraiment l’enfance du monde. C’est ainsi qu’une idée fausse s’accrédite d’âge en âge, et qu’elle devient la source d’une infinité d’autres dont l’observation attentive de nos facultés doit nous préserver.
  2. Voyez la Notice historique sur le Sauvage de l’Aveyron et sur quelques autres individus qu’on a trouvés dans les forêts à différentes époques ; par P.-J. Bonnaterre, professeur d’histoire naturelle à l’école centrale du département de l’Aveyron. À Paris, chez la veuve Pankouke, an 8.
  3. M. Roussel, physiologiste philosophe, auteur du Système physique et moral de la Femme.
  4. C’est avec bien de la raison que de l’adjetif idio, qui signifie propre, particulier, comme dans les mots idiopathique, idio-électrique, on a fait le mot idiot pour désigner un homme d’une intelligence très bornée ; car tel serait bien effectivement l’état de celui qui n’aurait que des idées qui lui seraient propres, c’est-à-dire qui n’en aurait reçu aucune de ses semblables. Tel serait l’état d’un sourd et muet de naissance à qui on n’aurait absolument jamais rien fait comprendre par des gestes. Encore aurait-il vu les actions des autres hommes, qui au moins l’auraient fortement excité à penser.
  5. Cette réflexion m’est suggérée par la lecture du Traité de l’Aliénation mentale, qu’a publié M. Pinel : on ne saurait trop en recommander la lecture. En expliquant comment les fous déraisonnent, il apprend aux sages comment ils pensent ; il prouve que l’art de guérir les hommes en démence n’est autre chose que celui de manier les passions et de diriger les opinions des hommes ordinaires ; il consiste à former leurs habitudes. Ce sont les physiologistes philosophes, comme M. Pinel, qui avanceront l’idéologie. Mais il n’a pas seulement la gloire d’avoir fait un livre utile, il a encore celle d’en avoir recueilli les matériaux par une longue suite de bonnes actions.

    Au reste, j’ai vu avec satisfaction que les phénomènes qu’il décrit dans une grande perfection, confirment la manière dont j’ai envisagé la pensée, et se trouvent mieux expliqués sous le rapport idéologique, par notre façon de considérer nos facultés intellectuelles, que par celles en usage jusqu’à présent.

    Tous les hommes commencent par l’idiotisme enfantin, finissent par la démence sénile, et ont dans l’intervalle plus ou moins de manie délirante, suivant le degré de perturbation de leurs opérations intellectuelles les plus profondément habituelles.

    Le traitement moral que M. Pinel emploie pour guérir les esprits égarés, est, avec raison, précisément l’inverse des procédés que l’art oratoire emploie pour ébranler l’imagination et entraîner l’assentiment des hommes.