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Épitres (Horace, Leconte de Lisle)/I/11

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1er siècle av. J.-C.
Traduction Leconte de Lisle, 1873
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Épitre XI. — À BULLATIUS.


Que te semble de Chios. Bullatius, de la fameuse Lesbos, de l’élégante Samos, de la royale Sardis de Crœsus, de Smyrna et de Colophon ? Valent-elles mieux ou moins que leur réputation ? Tout cela n’est-il pas inférieur au Champ-de-Mars et au Tibéris ? Une des villes Attaliques t’a-t-elle plu ? Préfères-tu Lébédus, en haine de la mer et des voyages ?

Tu sais ce qu’est Lébédus ? un bourg plus désert que Gabiæ et que Fidénæ. Cependant, je voudrais vivre là, oublieux des miens, oublié d’eux, et contemplant du rivage la lointaine fureur de Neptunus.

Mais celui qui vient de Capua à Roma, couvert de pluie et de boue, ne voudrait pas vivre dans l’auberge où il s’arrête. Celui qui, ayant eu froid, se réjouit des fourneaux et du bain, ne croit pas que ce soit là la meilleure des existences. Si l’Auster furieux t’a fait rouler en haute mer, tu ne vendras pas pour cela ta nef après avoir passé la mer Ægæenne. Rhodos et la belle Mityléné, puisque tu es sain et sauf, ne te serviront pas plus qu’un manteau au solstice d’été, une blouse par les vents neigeux, le Tibéris dans l’hiver, et du feu en Sextilis.

Pendant que cela t’est permis et que la Fortune te fait bon visage, c’est à Roma qu’il faut vanter Samos, Chios et Rhodos. Reçois d’une main reconnaissante l’heure heureuse que t’accordent les Dieux et ne remets pas le moment du bonheur ; et, de cette façon, en quelque lieu que tu sois, tu pourras dire que tu as vécu à ton gré. Car, si c’est la raison et la sagesse qui dissipent les soucis, et non les lieux qui dominent la vaste mer, en traversant celle-ci, on change de ciel, non d’esprit ; et nous nous épuisons en une oisiveté laborieuse, montant pour vivre heureux sur des nefs et des quadriges. Ce que tu cherches est ici, à Ulubræ, si l’égalité d’âme ne te fait pas défaut.