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Épitres (Horace, Leconte de Lisle)/I/20

La bibliothèque libre.
1er siècle av. J.-C.
Traduction Leconte de Lisle, 1873
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Épitre XX. — À SON LIVRE.


Livre, tu sembles regarder Vertumnus et Janus, afin de paraître poli par la pierre ponce des Sosius. Tu hais les clefs et les cachets chers à la pudeur ; tu gémis d’être connu de peu de monde et tu aspires au public, toi qui n’as pas été fait pour cela.

Va donc où tu brûles d’aller. Une fois parti, plus de retour : — « Qu’ai-je fait, malheureux ? Qu’ai-je voulu ? » diras-tu, dès que quelqu’un te déchirera ; et tu sais comme l’amateur rassasié, qui s’ennuie, te referme vite. Si je n’augure pas à faux, dans ma colère pour ta faute, tu seras cher à Roma, tant que la jeunesse ne t’aura pas abandonné ; mais, dès que tu commenceras à être souillé par les mains du vulgaire, tu seras mangé en silence par les mites inertes, ou tu fuiras à Utica, ou tu seras envoyé, lié, à Ilerda. Alors ton conseiller non écouté rira, comme celui qui jeta de colère dans un précipice son âne désobéissant. Qui travaillerait en effet à sauver quelqu’un malgré lui ? Ceci t’est réservé aussi : dans ta vieillesse bégayante, tu tomberas aux mains du magister qui, dans le fond des faubourgs, enseigne aux enfants les éléments de la langue.

Quand le tiède soleil ouvrira beaucoup d’oreilles autour de toi, dis-leur que, né d’un père affranchi. et n’ayant qu’un petit bien, j’ai étendu de grandes ailes hors de mon nid, et ajoute autant à mes vertus que tu ôteras à ma naissance. Dis que j’ai plu aux premiers de la Ville, dans la guerre et dans la paix, petit de corps, blanchi avant l’âge, ami du soleil, prompt à m’irriter et cependant facile à apaiser. Si quelqu’un, par hasard, te demande mon âge, qu’il sache que je comptais quatre fois onze décembres, l’année où Lollius eut Lépidus pour collègue.