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Études sur les glaciers/XII

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Gent & Gassman (p. 147-175).

CHAPITRE XII.

DU MOUVEMENT DES GLACIERS.


Une foule de circonstances tendent à démontrer que les glaciers se meuvent constamment dans le sens de leur pente. Je rappellerai à ce sujet ce que j’ai dit plus haut de la mobilité de la surface des glaciers en général et de la marche des moraines en particulier. On sait que les moraines atteignent leur plus grand développement dans la partie inférieure du glacier ; or, cette accumulation de blocs à l’endroit où il s’en détache le moins des parois latérales, ne se concevrait pas si l’on ne savait que les moraines viennent de plus haut. C’est en effet ce dont on peut se convaincre par l’observation directe : tel bloc dont l’on aura déterminé la position exacte vis-à-vis d’un point quelconque des parois qui encaissent le glacier, s’en trouvera plus ou moins éloigné au bout de quelques années. Tel autre bloc que vous aurez remarqué cette année au-dessus de la voûte terminale d’un glacier, gîra l’année prochaine dans la rivière ou se trouvera même refoulé au-delà.

Une autre preuve en faveur de la marche des glaciers se tire de la nature même des blocs qui constituent les moraines : ces blocs étant pour la plupart d’une roche complètement différente de celle qui forme les parois du glacier dans sa partie inférieure, il est impossible qu’ils s’en soient détachés ; il faut par conséquent qu’ils viennent d’ailleurs. Or, si l’on poursuit la moraine en amont du glacier, à l’effet de connaître son origine, l’on finira infailliblement par arriver à l’endroit où la roche qui composait les parois dans le bas, fait place à des roches de même nature que la moraine, et qui évidemment en ont fourni les matériaux. Je pourrais citer à ce sujet une foule de glauciers où les choses se passent de cette manière ; c’est ainsi que le glacier de Rosenlaui qui, à son issue, est encaissé entre des parois d’un calcaire noir, charrie une quantité de blocs de granit, provenant des crêtes voisines du Wetterhorn. Le glacier de Zmutt, dans la vallée de St-Nicolas, a sa moraine gauche composée d’un très-beau gabbro, tandis que ses berges sont serpentineuses dans toute la partie inférieure de son cours. La moraine du glacier de Zermatt, qui longe les parois serpentineuses du Riffelhorn, est complètement granitique. Il en est de même du glacier des Bois, dont les moraines sont granitiques, tandis que les rives près du glacier, de son issue, sont schisteuses[1].

Mais ce qui m’a fourni la preuve la plus incontestable de la marche descendante des glaciers, ce sont les observations que j’eus l’occasion de faire l’année dernière sur le glacier inférieur de l’Aar. Mon intention était de visiter le point de jonction des glaciers du Finsteraar et du Lauteraar, où M. Hugi avait construit une cabane en 1827, pour y passer la nuit. Nous cheminions depuis près de quatre heures sur la grande moraine médiane (voy. Pl. 14), lorsque nous découvrîmes tout-à-coup une cabane très-solidement construite. Nous ne supposions pas que ce pût être celle de M. Hugi, car nous savions qu’elle avait été construite au pied du rocher Im Abschwung, qui forme l’angle de l’arête qui sépare les deux glaciers, et nous étions encore à une très-grande distance de ce rocher. Il nous semblait aussi que les murs étaient trop bien conservés pour que nous pussions croire qu’ils eussent résisté pendant douze ans aux ouragans qui se déchaînent si fréquemment dans ces hautes régions. Cependant c’était bien réellement la cabane de M. Hugi, et voici comment nous en acquîmes la preuve. Nous découvrîmes une bouteille brisée sous un petit tas de pierres qui servait à fixer une longue perche sur un immense bloc situé à côté de la cabane (Pl. 14). Cette bouteille contenait plusieurs papiers qui nous apprirent que M. Hugi avait construit cette cabane en 1827, au pied de l’Abschwung. Un autre billet de la main de M. Hugi portait qu’en 1830 il était venu revoir sa cabane, et qu’il l’avait trouvée éloignée de quelques cents pieds de son premier emplacement ; que six ans plus tard (en 1836) il l’avait visitée une troisième fois, et qu’il l’avait trouvée à 2 200 pieds du rocher. Un troisième billet portait que plusieurs naturalistes de Bâle et de Berne avaient restauré la cabane quelques semaines auparavant, qu’ils y avaient passé la nuit avec l’intention de se rendre le lendemain par la mer de glace à Grindelwald, mais que le mauvais temps les avait empêchés de donner suite à leur projet[2]. Nous nous empressâmes de mesurer, à l’aide d’une longue corde, dont nous nous étions munis, la distance de la cabane au rocher, et nous la trouvâmes de 4 400 pieds.

Il résulte de ces faits que pendant les trois dernières années le glacier a fait autant de chemin que pendant les dix premières ; ce qui semble indiquer une marche de plus en plus rapide à mesure qu’il avance dans la vallée. Il serait fort important que l’on pût observer chaque année la marche de cette cabane, afin que si elle venait à être complètement détruite, l’on conservât du moins quelques indices de sa position. Cette année (1840) je l’ai trouvée très-délabrée et 200 pieds plus bas que l’année dernière ; mais les objets qu’elle renfermait se voient encore entre les blocs du toit qui se sont abattus. Si tout cela venait à disparaître, l’on aurait toujours, pour se guider dans la recherche de cette intéressante cabane, la présence du grand bloc de granit qui se distingue de loin par sa couleur blanchâtre[3]. La cabane dans laquelle j’ai séjourné moi-même cette année est à 2 000 pieds au-dessus de celle de M. Hugi. J’ai eu soin d’inscrire sur l’une des parois du bloc qui nous servit de toit, la distance de là à l’Abschwung, qui est de 797 mètres. J’ai en même temps taillé des points de repères sur les deux flancs de la vallée.

Peut-être parviendra-t-on quelque jour à connaître le trajet que les moraines font dans un temps donné ; mais pour arriver à des résultats généraux à ce sujet, il importerait de faire pendant de longues années des observations suivies sur un grand nombre de glaciers, en tenant compte à la fois de l’action si variée des agens atmosphériques, ainsi que de la forme, de la position et de l’inclinaison des glaciers. Or, de pareilles expériences ne sont point à la portée des particuliers ; il n’appartient qu’aux grands corps savans d’en tenter l’exécution, en établissant des stations fixes pour l’observation.

Mais si le fait de la marche des glaciers ne souffre aucun doute, il s’en faut de beaucoup que l’on soit d’accord sur la manière dont cette progression s’opère. Autrefois l’on admettait tout simplement qu’ils glissaient sur leur fond, en vertu de leur propre pesanteur, et que ce glissement était favorisé par les eaux au fond de leur lit. Cette explication paraissait d’autant plus naturelle que tous les glaciers sont plus ou moins inclinés. C’était l’opinion de Saussure, qu’il avait empruntée à Gruner, et c’est ce qui fait que, de nos jours encore, beaucoup de personnes la défendent, non pas qu’elles aient fait des observations à ce sujet, mais parce que l’on a en quelque sorte contracté l’habitude d’adopter sans examen toutes les explications et les hypothèses concernant les glaciers, qui sont contenues dans les Voyages dans les Alpes.

Il s’en faut de beaucoup que les faits que de Saussure cite comme preuve que les glaciers glissent sur leur fond, soient aussi concluans qu’ils le paraissent ; et d’abord le fait si souvent répété de ce bloc de granit poussé en avant par les glaces[4] ne prouve autre chose qu’un mouvement du glacier, mais n’explique nullement son mode de progression. On verra plus tard que cette progression s’explique très-bien par l’effet de la dilatation de la glace, que j’envisage comme la cause essentielle du mouvement des glaciers. Le second fait cité par de Saussure, savoir que les glaciers chassent devant eux les terres et les pierres accumulées devant leur glace à leur extrémité inférieure, trouve également une explication très-naturelle dans l’effet de la dilatation. Quant à l’opinion de certains auteurs[5] et notamment de Gruner, qui, pour expliquer le phénomène du mouvement, fait jouer un rôle important à de prétendues grandes masses d’eau circulant sous le glacier, elle mérite à peine d’être réfutée, et l’on ne conçoit pas qu’elle ait pu prévaloir si long-temps sur celle de Scheuchzer, dont M. Toussaint de Charpentier s’est fait plus tard le zélé défenseur, sans doute sans savoir qu’elle avait déjà été proposée par Scheuchzer plus d’un siècle avant lui. Quiconque a observé avec quelle impétuosité les glaces flottantes cheminent sur nos grands fleuves, à l’époque de la fonte des neiges, même dans la partie de leur cours où la pente de leur lit est infiniment moins roide que celle des hautes vallées dans lesquelles se meuvent les glaciers, devra reconnaître que s’il en était de nos glaciers comme Gruner le suppose, leur masse se trouverait à-peu-près dans les mêmes conditions que les glaces flottantes, et serait depuis long-temps allée grossir le nombre des îles de glace de la Mer du Nord, ou enverrait continuellement des blocs de glace à la Méditerranée, à l’Adriatique et à la Mer Noire.

Des personnes peu familiarisées avec les phénomènes si variés des glaciers, me citeront peut-être comme une preuve que les glaciers glissent sur leur fond, les chutes partielles de certains glaciers dont les conséquences ont été si désastreuses pour les vallées qui en furent le théâtre. Pour prévenir toute récrimination à ce sujet, je crois devoir entrer ici dans quelques détails sur ce fait. Le plus souvent ces chutes ne sont autre chose que des blocs ou des aiguilles de glace qui, isolées de la masse du glacier par les crevasses, se détachent de sa surface, lorsque leur poids vient à l’emporter sur leur force d’adhérence. Elles se reproduisent dans beaucoup de glaciers sous forme de lawines ou d’avalanches de glace[6] ; mais l’on n’y fait en général attention que lorsque la masse éboulée cause des dommages considérables. Il n’est personne qui n’ait entendu parler de la débâcle occasionnée dans la vallée de Bagnes par le glacier de Gétroz. Ce glacier se termine brusquement au-dessus d’une paroi abrupte du Mont-Pleureur, d’environ 500 pieds de haut. Les masses qui s’en détachaient continuellement occasionnaient autrefois, en tombant, une sorte de digue qui entravait l’écoulement des eaux de la Dranse, qui coule au pied du glacier. En 1815, les débris du glacier augmentèrent à tel point, qu’ils formèrent, pendant l’hiver de 1817 à 1818, une digue de 500′ de haut, sur 800′ de large. Les eaux s’accumulant derrière cette digue, finirent par y former un véritable lac, dont le niveau alla constamment en montant jusqu’au 16 juin 1818, où la pression de l’eau étant devenue trop forte, la digue se rompit subitement. Cette masse d’eau, tout-à-coup affranchie de sa barrière, s’écoula avec une telle impétuosité, qu’elle ravagea toute la vallée de Bagnes, jusqu’à Martigny[7]. Déjà en 1595, cette même vallée fut inondée par une chute de ce glacier. Ces chutes continueraient encore à l’heure qu’il est, si, pour prévenir de nouvelles débâcles, M. Venetz n’avait eu l’heureuse idée de couper le glacier à l’aide de courans d’eau qu’il fait arriver à sa surface, de manière à le scier transversalement et à limiter son extension.[8] Le lac de Distel, dans la vallée de Saas, est formé de la même manière par un glacier. Il a rompu plusieurs fois sa barre en inondant toute la plaine[9]

De pareilles digues, occasionnées par des avalanches de glaces, se voient aussi en Tyrol, où, suivant M. Hoffmann, elles donnent lieu à des lacs d’une étendue considérable[10], tels que les lacs de Rofnen et de Gurglen, qui ont près de 4 000 pieds de large, et qui jusqu’ici se sont toujours écoulés sans causer de dégâts. Le lac de Passey, du côté de l’Adige, est dû à une immense digue ; son origine remonte, dit-on, à l’an 1404 ; depuis lors il n’a cessé d’exister, et jusqu’en 1773 il avait rompu six fois sa digue, en causant chaque fois d’épouvantables ravages dans la vallée de l’Adige.

Il arrive aussi quelquefois que toute la partie inférieure des glaciers se détache spontanément. Des chutes de cette nature ont eu lieu à plusieurs reprises dans les Alpes, et toujours elles ont causé de très-grands ravages, notamment lorsque le glacier était très-élevé au-dessus de la vallée ; elles sont alors d’autant plus redoutables que l’on ne possède aucun moyen de les prévenir. Parfois l’ébranlement qu’elles occasionnent dans l’air suffit pour culbuter des villages entiers. De pareils désastres ont surtout été causés par les chutes du glacier de Randa. L’histoire du Valais a gardé le souvenir de plusieurs chutes qui répandirent la désolation parmi les habitans de la vallée de Saint-Nicolas. La dernière chute de ce glacier eut lieu le 27 décembre 1819. Voici ce qu’on lit à ce sujet dans le Rapport officiel de M. l’ingénieur I. Venetz, au conseil d’état du canton du Valais[11] : « Le village de Randa est à six lieues de Viège, dans la vallée de Saint-Nicolas. Il est situé à environ 2 400 pieds de la rive droite de la rivière, sur une colline de décombres assez raide, dont le fond pierreux a été transformé en prairies par l’activité des habitans. En face de cette colline de décombres on en remarque une autre au-dessus de laquelle s’élèvent les rochers sur lesquels repose le glacier de Randa ; la plus haute cime, qui porte le nom de Weisshorn (pic blanc), est élevée d’environ 9 000 pieds au-dessus du village. La vallée a près d’une demi-lieue de large ; en cet endroit le village lui-même est à environ 250 pieds au-dessus du niveau de la rivière.

« Le 27 décembre, à 6 heures du matin, une partie du glacier de Randa se détacha de l’une des parois très-escarpées de la cime du Weisshorn, et se précipita avec un bruit semblable au tonnerre sur les masses inférieures du glacier. Au même instant le curé, le marguillier et plusieurs autres personnes aperçurent une vive lueur qui ne dura qu’un instant, pour faire de nouveau place à la plus profonde obscurité. Un coup de vent très-violent, occasionné par la pression de l’air, succéda immédiatement à cette lueur et causa au même instant les plus terribles ravages.

« L’éboulis du glacier n’atteignit pas le village ; mais le coup de vent dont je viens de parler était tellement fort, qu’il transporta des meulières à plusieurs toises de distance et déracina les plus gros mélèzes, qu’il jeta à de grandes distances ; des blocs de glace de quatre pieds cubes furent lancés par dessus le village, par conséquent à plus d’une demi-lieue ; la flèche du clocher en pierre fut enlevée ; des maisons furent renversées jusqu’à leur base, et les poutres de plusieurs bâtimens transportées dans la forêt à une demi-lieue au-dessus du village. Huit chèvres qui étaient renfermées dans une étable, furent lancées à plusieurs cents toises, et, ce qui est des plus remarquables, l’une d’elles fut retrouvée vivante. Jusqu’à un quart de lieue au-dessus du village les toits des granges situées en face du glacier ont été enlevés.

« Dans le village, neuf maisons furent complètement détruites, les treize autres sont toutes plus ou moins endommagées ; dix-huit greniers, huit étables, deux tas de blé et soixante-douze granges ont été ou complètement renversées, ou tellement disloquées, qu’elles ne peuvent plus être d’aucun usage. De douze personnes renversées, dix ont eu la vie sauve ; une a été trouvée morte dans les décombres, une autre n’a pas reparu.

« L’éboulis, composé de neige, de glace et de pierres, a envahi les prés et les champs au-dessous du village, sur une étendue d’au moins 2 400 pieds de long et 1 000 pieds de large ; sa hauteur est d’au moins 150 pieds, terme moyen ; de manière que toute la masse éboulée équivaut à un volume de 360 000 000 pieds cubes. Le dommage causé peut être évalué à environ 20 000 francs. Un fait très-curieux, c’est que plusieurs granges situées sur la rive opposée au-dessous du glacier, bien que recouvertes à-peu-près complètement, n’ont cependant point été endommagées ; elles étaient abritées contre le coup de vent. Ce qui est plus remarquable encore, c’est qu’il n’y ait eu que deux personnes tuées, quoique plusieurs familles aient été enlevées avec leurs maisons et enterrées sous des décombres de neige. Les prompts secours du curé, qui n’avait souffert aucun dommage dans sa maison, et des deux marguilliers qui avaient échappé au danger dans le clocher, ont beaucoup contribué à sauver ces malheureux.

« Ce n’est pas la première fois qu’une pareille catastrophe frappe le village de Randa. En 1636 il fut dévasté par un semblable éboulement, et 36 personnes perdirent la vie : on prétend que cette fois tout le glacier du Weisshorn se détacha. Deux autres chutes, l’une en 1736, et l’autre en 1786, furent moins désastreuses et n’envahirent pas le même endroit.

« Cette fois, ce n’est qu’une petite partie du glacier qui s’est détachée, et l’on ne comprend pas comment le reste peut encore se maintenir, étant privé de l’appui que lui offrait la partie éboulée. À l’aide d’une longue vue, on y distingue de très-grandes crevasses qui déjà, avant la chute, avaient été observées avec épouvante par plusieurs chasseurs de chamois ; la partie qui vient de s’ébouler était, m’a-t-on assuré, séparée du reste de la masse par une crevasse semblable. Il n’est donc que trop à craindre que le glacier ne se maintienne pas long-temps sur cette pente abrupte, et qu’une nouvelle chute ne vienne consommer la ruine du village de Randa. »

Pour peu que l’on veuille avoir égard aux circonstances qui déterminent ces chutes de glaciers, on se convaincra qu’au lieu de faire naître l’idée d’un glissement, elles peuvent, au contraire, servir d’argument contre cette manière de voir. En effet, tous les glaciers qui sont sujets à des chutes considérables sont généralement très-inclinés dans leur partie inférieure. Il y en a dont l’inclinaison dépasse 30 et même 40° ; celle du glacier de Randa, entre autres, m’a paru être de plus de 30°. Or, comment se fait-il que ces glaciers se maintiennent sur une pente semblable ? car il est certain que de la glace qui ne serait pas adhérente au sol devrait glisser sur une pente bien moins forte. On m’objectera peut-être que s’ils ne tombent pas, c’est parce qu’ils sont adhérens à la masse qui est derrière ; qu’ils ne tombent qu’autant qu’un accident quelconque vient à les en détacher. Mais il est à remarquer que dans ces endroits inclinés le glacier est ordinairement tellement crevassé, que l’adhérence entre la partie terminale et les masses qui sont derrière ne peut être que très-faible. D’ailleurs nous avons vu que M. Venetz observa d’immenses crevasses dans le glacier de Randa immédiatement après sa chute, ce qui lui fit craindre un nouvel éboulement qui n’a pas encore eu lieu ; d’où je conclus que si, malgré cette solution de continuité et par une pente aussi roide, l’extrémité du glacier ne s’est pas détachée depuis vingt ans, c’est parce qu’elle adhère au sol. Or, une pareille adhérence exclut de prime-abord toute idée d’un glissement ; et si malgré cela un glacier vient à s’ébouler, ce ne peut être que lorsque le poids des masses gisant sur un plan incliné l’emporte sur leur adhérence avec le fond. Mais comment se fait-il, me demandera-t-on, que tout en adhérant au sol sur lequel il repose, le glacier soit susceptible d’avancer ? C’est ce que je vais essayer de démontrer.

Nous avons vu au Chap. III, en traitant de la structure des glaciers, que leur glace n’a point la texture continue de la glace ordinaire. Dans la partie supérieure des vallées alpines, c’est en quelque sorte une masse spongieuse, imbibée sans cesse des eaux atmosphériques et de celles qui proviennent de la fonte de sa partie supérieure. Dans les régions moyennes et inférieures des vallées, cette masse spongieuse devient de plus en plus compacte ; mais, à raison de son origine et de sa structure intime, la glace se désagrège facilement, au moindre rehaussement de la température, en une masse de fragmens angulaires de différentes grandeurs, entre lesquels l’eau de la surface s’infiltre comme dans les hauts névés. Et même à des profondeurs où la glace ne se désagrège pas complètement, elle apparaît encore criblée de fissures capillaires qui s’entrecroisent dans tous les sens, et qui sont dues à la cimentation de ces mêmes fragmens. Un heureux hasard a fait remarquer à M. F. de Pourtalès, qui m’accompagnait cette année dans les glaciers, qu’en soufflant fortement contre les parois de glace, on mettait en évidence toutes les nombreuses fissures qui traversent sa masse, en même temps qu’on déplaçait par là l’eau qu’elle renferme. Nous nous sommes assurés de cette manière que la glace en apparence la plus compacte n’en est pas moins fissurée dans tous les sens. L’eau qui pénètre dans le glacier remplit ces fissures ; or plus la glace est désagrégée, plus il s’infiltre d’eau, qui pénètre à des profondeurs variables. Cette eau, dont la température est constamment voisine du point de congélation, se transforme en glace au moindre refroidissement, et tend ainsi à dilater le glacier dans tous les sens, à raison de sa propre dilatation par le gel.

On a objecté à cette explication le fait de la résistance que devrait opposer à la dilatation une masse aussi inerte et aussi puissante que celle du glacier, et l’on a prétendu qu’en tous cas l’effet de cette dilatation ne pourrait agir que de bas en haut, attendu que la résistance de l’air ne saurait être comparée à celle de la masse du glacier, et que de même que de l’eau enfermée dans un vase n’exerce une forte pression sur ses parois qu’autant que le vase est fermé, tandis que si le vase est ouvert la glace se dilate de préférence dans la direction de la moindre résistance, de même aussi les glaciers ne sauraient se dilater que vers le haut. En théorie, cette objection est rigoureuse, et nous verrons plus bas, en parlant des efflorescences des glaciers, (Chap. XV) qu’une pareille dilatation a réellement lieu dans les crevasses superficielles, lorsque l’eau qui s’y trouve renfermée monte à la surface par l’effet de la dilatation qui résulte du gel. Mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent dans l’intérieur des glaciers. Le réseau de fissures capillaires qui pénètre la masse du glacier est lui-même le principal obstacle à une pareille ascension des eaux contenues dans le glacier. Cette prétendue ascension de l’eau y est aussi nulle qu’elle le serait dans un réseau de petits tubes qu’on exposerait subitement à la congélation. De plus, la glace est, comme l’eau, un mauvais conducteur de la chaleur ; or, comme les variations de température se font d’abord sentir à la surface, il peut arriver que celle-ci soit gelée avant que le froid ait eu le temps de se communiquer à l’intérieur du glacier, de manière que la dilatation dans cette direction éprouverait la même résistance que latéralement. L’effet de la dilatation ne peut donc pas se reporter uniquement à l’extérieur et se perdre à la surface du glacier.

L’effet du gel tend à dilater la masse entière du glacier ; mais cette dilatation est inégale à différentes profondeurs, à raison de la quantité inégale d’eau qui s’infiltre dans les parties plus profondes et dans les parties superficielles de la glace. Les parties plus profondes, pénétrées d’une quantité moins considérable d’eau, se dilatent moins que les parties plus superficielles qui, se désagrégeant plus fortement sous l’influence des variations de la température, reçoivent ainsi une plus grande quantité d’eau dans leurs interstices. Il résulte de là que chaque couche du glacier se dilate d’autant plus qu’elle est plus superficielle, ou, en d’autres termes, que le mouvement des couches superficielles doit être plus considérable que celui des couches inférieures, parce qu’il est le résultat de la dilatation d’une plus grande masse d’eau. Mais comme le glacier est contenu des deux côtés par les flancs de la vallée, et en haut par le poids des masses supérieures, toute l’action de la dilatation se porte naturellement dans le sens de la pente, qui est le seul côté qui lui offre une libre issue et vers lequel elle doit déjà tendre en vertu de la loi de gravitation. La couche superficielle doit en outre se mouvoir d’autant plus vite, qu’indépendamment du mouvement qui lui est propre, elle se meut de toute la vitesse des couches inférieures ; si bien qu’en supposant la couche inférieure du glacier mue d’une vitesse 1, la couche moyenne d’une vitesse 2, et la couche superficielle d’une vitesse 3, la vitesse active de la couche moyenne ne sera pas seulement 2, mais 2+1 et la vitesse de la couche superficielle 3+2+1 ; c’est-à-dire qu’elle sera double de ce qu’elle serait si elle n’était point activée par la vitesse propre des couches inférieures. Il est un fait qui démontre de la manière la plus évidente cette inégalité de vitesse dans la marche des différentes couches du glacier, et qui a déjà été signalé par M. Hugi ; ce sont les cascades qui tombent dans l’intérieur des glaciers. Les parois des couloirs auxquels ces cascades donnent lieu sont d’abord verticales ; mais peu à peu la couche supérieure commence à faire saillie et surplombe l’ouverture ; la seconde couche s’avance sur la troisième et ainsi de suite, de manière que les parois des couloirs finissent par imiter la forme d’un escalier renversé. Je renvoie pour l’intelligence de ce fait à la figure que M. Hugi en a donnée dans son Voyage dans les Alpes, Pl. 3, figure supérieure.

En parlant des moraines et des crevasses, j’ai déjà fait remarquer que les bords des glaciers cheminent aussi plus rapidement que le milieu, et nous avons déduit ce fait du rejet des blocs sur les bords des glaciers et de la forme souvent arquée des crevasses, dont la convexité est dirigée vers la partie supérieure de la vallée. Cette différence de vitesse se conçoit en effet aisément lorsqu’on réfléchit à la cause du mouvement des glaciers : comme les changemens de température qui désagrègent la glace lui permettent de se pénétrer d’une quantité d’eau plus ou moins considérable, il est évident que les bords des glaciers qui sont adossés contre les parois des vallées et qui s’arrondissent ordinairement par l’effet de la réverbération doivent aussi se fissurer plus fortement que le milieu de la surface ; et comme la masse d’eau qui s’infiltre dans le glacier est toujours en raison directe du nombre des fissures capillaires, le volume d’eau qui peut pénétrer dans les parties latérales du glacier est plus considérable qu’au milieu, et doit accélérer d’autant la marche de ses bords.

Tous ces faits, qui s’expliquent si bien mutuellement, seraient autant d’énigmes si les glaciers se mouvaient simplement par l’effet d’un glissement sur leur fond, car si cette supposition était fondée, la partie moyenne des glaciers devrait avoir un mouvement plus rapide que les bords, par la raison que le fond des vallées est toujours plus excavé.

Escher de la Linth, pour soutenir la théorie du glissement, allégua, à tort, que la masse des glaciers s’é croule continuellement sur elle-même par suite des cavernes qui se forment à la face inférieure. La pression latérale qu’occasionneraient ces écroulemens, jointe à la tendance qu’auraient les masses adjacentes à combler les vides formés par ces écroulemens, serait, selon lui, la cause qui détermine le mouvement des glaciers. Cette assertion est évidemment erronée ; car s’il en était ainsi, comment expliquer la régularité que l’on observe encore dans la disposition de leur masse, après un cours souvent très-long, et à la suite de mouvemens aussi violens et aussi perturbateurs que le seraient des éboulemens et des affaissemens continuels ?

L’explication que je donne ici du mouvement des glaciers n’est pas nouvelle ; et nous avons vu plus haut (page 4) que déjà Scheuchzer l’a proposée dans son Itinera alpina. La manière dont M. T. de Charpentier l’a développée ne me paraît pas entièrement admissible[12] ; selon lui la congélation de l’eau, contenue dans les crevasses[13], joue le plus grand rôle dans la dilatation des glaciers, ce qui est évidemment erroné ; car la formation d’une croûte de glace, même de plusieurs pouces d’épaisseur, à la surface d’une large crevasse pleine d’eau et ouverte par le haut, ne peut pas exercer une influence notable sur des parois aussi épaisses que celles qui cernent ordinairement les crevasses ; ce n’est qu’en tenant compte de l’infiltration d’une grande masse d’eau, dans le réseau profond des fissures capillaires qui pénètrent plus ou moins distinctement toute la masse du glacier que l’on parvient à concevoir ses mouvemens réguliers et progressifs. M. Biselx[14], Prieur du St-Bernard, publia peu de temps après M. Toussaint de Charpentier, un mémoire sur les glaciers, dans lequel se trouvent consignées de nombreuses observations sur le mouvement des glaciers, qu’il attribue, comme M. de Charpentier, à la dilatation de l’eau imbibée dans les fissures et les crevasses. Gilbert, dans les Annales duquel parurent les mémoires des deux auteurs, attribue, sans doute pour de bonnes raisons, cette théorie à M. Biselx. Ces mémoires excitèrent dans le temps des débats très-animés. Escher de la Linth[15] surtout les combattit avec beaucoup d’ardeur, en faisant valoir une foule d’argumens spécieux en faveur de la théorie du glissement. Mais malgré l’autorité de son nom, ses idées ne devaient pas prévaloir sur l’évidence des faits signalés par MM. Biselx et de Charpentier, antérieurement par Scheuchzer.

Ce que M. Godeffroy dit du mouvement cyclique des glaciers, qui s’enrouleraient pour ainsi dire continuellement sur eux-mêmes, de manière à reployer leurs bords sur le centre, est complètement imaginaire ; je ne connais aucun fait qui puisse même faire supposer une pareille rotation, tandis qu’il est notoire que les blocs qui gisent sur le glacier sont rejetés avec le temps sur les bords. Il en est de même de l’impulsion puissante que l’on a prétendu que la partie inférieure des glaciers recevait des masses de glace et de neige qui s’accumulent dans les régions supérieures. Il est incontestable que ces masses exercent une pression sur celles qui sont situées plus bas, et nous avons, vu plus haut que cette pression est l’une des causes qui déterminent la direction du mouvement des glaciers dans le sens de leur pente ; mais cette influence est cependant plus négative que positive. Si l’on pouvait attribuer le mouvement des glaciers à une pareille pression à tergo, ils devraient présenter tous un talus naturel ; car rien n’empêcherait ces masses, pressées d’en haut sur d’assez fortes pentes, de s’égaliser dans leur chute ; les glaciers qui se réunissent après avoir parcouru des distances inégales, devraient continuellement se disloquer à raison de l’inégalité de pression qu’ils subiraient ; ceux qui se rattachent aux plus hautes sommités devraient des cendre plus bas ; enfin les glaciers peu inclinés ou presque horizontaux dont la surface excède celle des masses qui y affluent, devraient rester stationnaires, et celles-ci devraient avancer de plus en plus sur le glacier plat. Mais tout cela ne se remarque nulle part, ce qui prouve bien qu’il n’y a que l’explication du mouvement des glaciers, par leur dilatation, qui soit admissible. Cette dilatation est facile à observer, et ses effets sont très-notables.

Pour pouvoir apprécier rigoureusement la dilatation du glacier, j’avais démarqué, cette année, avec des bâtons, plusieurs triangles rectangles, dans le voisinage de notre cabane, à une hauteur absolue d’environ 7 500 pieds, c’est-à-dire beaucoup au-dessus du niveau où la température moyenne est à zéro. J’avais choisi un emplacement qui me permit de placer la base de l’un des triangles sur le bras le plus compacte du Finsterhaarhorn, qui est très-crevassé dans cet endroit, et l’autre sur un bras qui découle de la Strahleck et qui est moins ferme et plus égal à sa surface. Lorsque je mesurai, au bout de deux jours, les côtés de mes triangles, je trouvai l’hypoténuse du triangle qui s’étendait sur le glacier de la Strahleck allongée. Quelque favorable que ce résultat soit à la théorie du mouvement des glaciers que je viens d’exposer (puisque le glacier le moins compacte paraît avoir cédé davantage à l’influence de la dilatation), je préfère ne pas donner ici les chiffres de cette observation, parce que les différences observées dans un aussi court espace de temps pourraient rentrer dans les limites des erreurs possibles dans les mesures, et je me borne à en faire mention pour signaler aux observateurs l’importance qu’il y aurait à multiplier des mesures de ce genre, me réservant de les répéter moi-même l’année prochaine.

En combattant l’opinion assez généralement répandue que les glaciers glissent sur leur fond, j’ai eu surtout en vue la partie supérieure du glacier qui repose sur un fond dont la température moyenne est au-dessous de zéro. Il va sans dire que les phénomènes qui se passent à la surface inférieure doivent être plus ou moins modifiés par la température propre du sol, dans tous les glaciers qui descendent dans des régions où la température moyenne du sol est au-dessus de zéro. Ici les rapports de la masse du glacier avec le fond changent ; la chaleur de la terre contribue à dégager le glacier de sa liaison avec la roche solide, et il se manifeste des effets de glissement plus ou moins considérables. Mais comme ces effets ne se produisent qu’à l’extrémité inférieure et nullement dans la partie supérieure du glacier, il est évident que le mouvement général du glacier ne saurait être dû à ce glissement. On ne saurait admettre non plus que la partie inférieure, lorsqu’elle glisse, entraîne avec elle la partie supérieure du glacier, puisque celle-ci est encore trop peu consistante pour se comporter comme une masse continue et également tenace dans toutes ses parties.

Lorsqu’on étudie ces diverses relations des glaciers avec leur fond, il importe donc de tenir compte avant tout du niveau absolu, ou, ce qui revient au même, de la température moyenne du sol sur lequel leur extrémité inférieure repose. Le fait que j’ai rapporté plus haut, de la chute du glacier de Randa et de la persistance d’une partie de son extrémité inférieure malgré ses immenses crevasses, n’est donc nullement en contradiction avec les considérations que je viens de développer ; car, à la hauteur à laquelle ce glacier se termine, la température du sol doit être sensiblement au-dessous de zéro, et sa masse par conséquent congelée sur son fond, et si une partie a pu s’en détacher et se précipiter dans la vallée, c’est, comme je l’ai déjà dit, par la raison que son poids l’a emporté sur la force de son adhérence avec le fond.

Si l’on possédait des observations exactes sur les proportions entre la quantité d’eau qui coule à la surface du glacier et celle qui sort de dessous son extrémité inférieure, je crois que l’on pourrait en tirer un grand parti en faveur de la théorie du mouvement des glaciers par la dilatation de l’eau qui pénètre dans leur masse. Il m’a paru en effet que le volume de tous les filets d’eau qui sillonnent la surface du glacier et qui pénètrent dans son intérieur, excède de beaucoup celui de l’eau qui s’écoule a son extrémité. Voici ce que j’ai observé à cet égard : les grands courans d’eau courent rarement très-long-temps à la surface du glacier, ils se précipitent généralement à travers sa masse et s’écoulent sur son fond, où ils contribuent, avec les courans d’air qui les accompagnent, à produire sur les parois de leurs couloirs des effets semblables à ceux des agens atmosphériques et de l’infiltration des eaux à leur surface ; c’est-à-dire que par là les parties les plus profondes des glaciers sont soumises à une dilatation continuelle, quoique moins considérable qu’à la surface, à raison de la plus grande compacité de la glace et de l’influence moins puissante des agens qui l’affectent. Les plus petits filets d’eau qui s’infiltrent dans le glacier paraissent au contraire se perdre bientôt dans sa masse, sans pénétrer à de grandes profondeurs. Il résulterait de là que la masse d’eau qui se forme à la surface des glaciers ne parviendrait qu’en partie jusqu’au fond, et que le reste s’arrêterait dans l’intérieur pour s’y transformer en glace sous l’influence réfrigérante des parois qui les retiennent. Il est évident dès-lors que si l’on pouvait déterminer la différence des volumes de l’eau qui se forme à la surface des glaciers et de celle qui s’écoule à leur extrémité, on aurait la mesure exacte de la quantité d’eau qui tend continuellement à dilater les glaciers, et par cela même on aurait aussi la mesure de cette dilatation. Il me paraît difficile d’arriver à cet égard à des résultats rigoureux ; mais une simple approximation, en comparant le volume des filets d’eau superficiels d’une certaine puissance à la masse d’eau qui s’écoule par le torrent inférieur, donnerait sans doute déjà des résultats importans, surtout lorsqu’on aurait pu s’assurer que le lit du glacier sur lequel on opère ne reçoit pas de sources.

Le mouvement des glaciers, tel que nous venons de l’expliquer, suppose des alternances fréquentes de chaud et de froid. Dans la région des glaciers, ces alternances ne se produisent que pendant les mois chauds de l’été ; il en résulte par conséquent que le mouvement des glaciers ne peut s’opérer que pendant cette saison, et que l’hiver est pour les glaciers l’époque du repos. Nous verrons, plus bas, en traitant de la température des glaciers (Chap. XV), que la plupart des rivières qui sortent des glaciers tarissent pendant l’hiver, et que celles qui continuent à couler proviennent probablement de sources.


  1. Ces faits démontrent suffisamment que la manière dont M. Godeffroy explique la formation des moraines, en admettant qu’elles sont simplement un ancien terrain détritique tertiaire relevé par le glacier, est non-seulement complètement imaginaire, mais encore qu’elle ne répond en aucune façon aux phénomènes que l’on observe à différentes hauteurs dans le lit de tous les glaciers. Si les choses se passaient comme M. Godeffroy le suppose, l’on ne comprendrait pas pourquoi les glaciers ont encore des moraines de nos jours et pourquoi les hautes vallées ne sont pas depuis long-temps complètement débarrassées de tous leurs dépôts meubles ; et cependant la supposition de l’existence, sous le glacier, d’un terrain détritique tertiaire, dont M. Godeffroy ne signale ni les caractères, ni l’origine, et qui paraît n’être là que pour former les moraines, lorsque le glacier vient à le sillonner, est la cheville-ouvrière de toute sa théorie, comme il l’appelle, la pensée-mère de tout son ouvrage, autour de laquelle sont venues se ranger et se grouper toutes les autres ! Godeffroy, Notice sur les glaciers, p. 87.
  2. Nous y trouvâmes en outre des cartes de visites de plusieurs de nos amis de Neuchâtel qui avaient été sur les lieux quelques temps auparavant.
  3. Il y avait dans l’intérieur de la cabane une épaisse litière d’herbes sèches et autour de la cabane un tas de souches de genévriers et plusieurs perches éparses ; le gros bloc de granit sur lequel est dressée la perche qui sert de signal en est à quelques pas. J’eus soin de consigner ces observations dans le livre des voyageurs à l’hospice du Grimsel, afin de faciliter l’étude de ces curieux phénomènes à ceux qui voudront s’en occuper.
  4. « Au mois de juillet 1761, je passais avec mon guide (Pierre Simon) sous un glacier très-élevé, qui est au couchant de celui des Pèlerins ; j’observais un bloc de granit, de forme à-peu-près cubique, et de plus de 40 pieds en tout sens, assis sur des débris au pied du glacier, et déposé dans cet endroit par ce même glacier : hâtons-nous, me dit Pierre Simon, parce que les glaces qui s’appuient contre ce rocher, pourraient bien le pousser et le faire rouler sur nous. À peine l’avions-nous dépassé, qu’il commença à s’ébranler ; il glissa d’abord assez lentement sur les débris qui lui servaient de base ; puis il s’abattit sur sa face antérieure, puis sur une autre ; peu à peu il se mit à rouler, et la pente devenant plus rapide, il commença à faire des bonds, d’abord petits et bientôt immenses : on voyait à chaque bond jaillir des éclats et du bloc même et des rochers sur lesquels il tombait ; ces éclats roulaient après lui sur la pente de la montagne ; et il se forma ainsi un torrent de rochers grands et petits, qui allèrent fracasser la tête d’une forêt dans laquelle ils s’arrêtèrent après avoir fait en peu de momens un chemin de près d’une demi-lieue, avec un bruit et un ravage étonnans. » ― De Saussure, Voyages dans les Alpes. Tom. I, p. 384 et 538.
  5. Il va sans dire que je ne puis m’arrêtera examiner et à réfuter tous ces on-dit, qui sont rapportés par certains auteurs sur la foi de guides plus ou moins intéressés à insister sur le merveilleux et qui ne craignent pas de faire faire des bonds de dix à vingt pieds aux plus grands glaciers.
  6. Pendant l’été on voit à-peu-près tous les jours de ces chutes de glace à la mer de glace de Chamounix, à la Jungfrau, au glacier inférieur de Grindelwald et aux Wetterhœrner ; la partie inférieure du glacier de Schwarzwald est même composée en partie de pareilles avalanches de glace (voy. plus haut p. 144).
  7. Meismer, Naturwissench. Anzeiger, 1818, No 12.
  8. Meissner. Naturwissensch. Anzeiger, 1823, N. 11.
  9. Venetz, dans les Denkschriften der allg. schweizerischen Gesellschaft, Vol. 1, 2e part., p. 19.
  10. F. Hoffmann, Physikalische Geographie, p. 200.
  11. Ce rapport est reproduit dans le Naturwiss. Anzeiger de Meissner, 1820, No 8.
  12. Gilbert’s Annalen der Physik, vol. 63.
  13. Il ne faut pas confondre les crevasses avec les fissures capillaires qui sont bien aussi des crevasses, mais qui, à raison de leur petitesse, se comportent d’une manière toute différente dans le glacier.
  14. Ueber den Schnee, die Lauwinen und die Gletscher in den Alpen, von Peter Biselx, Prior des Hospiz auf dem St-Berhards-berge, in Gilbert’s Aunalen der Physik, vol. 64, p. 183.
  15. Gegenbemerkungen ueber die von H. T. v. Charpentier aufgestellte Erklärung des Vorwärtsgehens der Gletscher, von Escher, Linth-Präsident, in Gilbert’s Annalen der Physik, vol. 69, p. 113, avec des notes de Gilbert.