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Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Discours pour l’inauguration de la statue de l’Empereur

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DISCOURS


PRONONCÉ PAR LE PRÉSIDENT DU CORPS LÉGISLATIF


POUR L’INAUGURATION


DE LA STATUE DE L’EMPEREUR[1],


Le 24 nivose an XIII (14 janvier 1805).




La gloire obtient aujourd’hui la plus juste récompense, et le pouvoir en même temps reçoit les plus nobles instructions. Ce n’est point au grand capitaine, ce n’est point au vainqueur de tant de peuples que ce monument est érigé : le Corps législatif le consacre au restaurateur des lois. Des esclaves tremblants, des nations enchaînées ne s’humilient point aux pieds de cette statue ; mais une nation généreuse y voit avec plaisir les traits de son libérateur.

Périssent les monuments élevés par l’orgueil et la flatterie ! Mais que la reconnaissance honore toujours ceux qui sont le prix de l’héroïsme et des bienfaits. Eh ! quel bienfait plus mémorable que celui d’un Code uniforme donné à trente millions d’hommes ! Le jour où le Code civil reçut dans cette enceinte la sanction nationale, fut le premier jour qui fixa nos destinées. On n’a pu croire à la stabilité du nouveau gouvernement de la France que lorsque toutes les factions désarmées ont été contraintes d’obéir aux mêmes lois.

Les trophées guerriers, les arcs de triomphe, en conservant des souvenirs glorieux, rappellent les malheurs des peuples vaincus. Mais, dans cette solennité d’un genre nouveau, tout est consolant, tout est paisible, tout est digne du lieu qui nous rassemble.

L’image du vainqueur de l’Égypte et de l’Italie est sous vos regards : mais elle ne parait point environnée des attributs de la force et de la victoire. Le héros ne porte ici dans sa main tant de fois triomphante que le livre de la loi, qui doit commander à la force et à la victoire elle-même.

Malheur à celui qui voudrait affaiblir l’admiration et la reconnaissance que méritent les vertus militaires ! Loin de moi une telle pensée ! pourrais-je la concevoir devant cette statue, et l’anniversaire même du jour où le vainqueur de Rivoli[2] défit en quelques heures deux armées ennemies qui se croyaient sûres de l’envelopper, et décida ce grand succès par une de ces heureuses inspirations qui sont envoyées aux grands capitaines sur le champ de bataille, en présence de tous les dangers et de tous les obstacles ? Comment ne pas honorer la valeur, au milieu des guerriers qui ont vaincu sous lui, et de ses plus illustres lieutenants ? Mais j’ose le dire devant eux, et je suis sûr qu’ils ne me démentiront point, car l’intérêt de la patrie leur est plus cher que celui de leur propre renommée : les talents militaires pouvaient tout contre les ennemis du dehors, et ne pouvaient rien contre les ennemis du dedans. Invincibles sur la frontière, nos plus vaillants généraux succombaient quelquefois sous l’audace des factions qui déchiraient la France. Ce n’était point assez pour notre salut de ces légions victorieuses qui nous protégeaient contre l’Europe : il était temps qu’on vît paraître un législateur qui nous protégeât contre nous-mêmes. Ce législateur est venu, et nous avons enfin respiré sous son empire. Que d’autres vantent ses hauts faits d’armes, que toutes les voix de la renommée se fatiguent à dénombrer ses conquêtes ! Je ne veux célébrer aujourd’hui que les travaux de sa sagesse. Son plus beau triomphe dans la postérité sera d’avoir défendu contre toutes les révoltes de l’esprit humain le système social prêt à se dissoudre. Il a vaincu les fausses doctrines : elles commencent à s’éloigner devant son génie, et bientôt il achèvera leur défaite entière, en prouvant que la liberté publique n’est bien garantie que par un Monarque, premier sujet de la loi.

Dans le cahos de tant d’opinions, et sous les ruines de tout un Empire, combien il était difficile de retrouver le principe conservateur qui l’anima pendant quatorze siècles ! La première place était vacante, le plus digne a dû la remplir ; en y montant, il n’a détrôné que l’anarchie qui régnait seule dans l’absence de tous les pouvoirs légitimes.

La fête qui nous rassemble est donc, s’il m’est permis de le dire, celle de la renaissance de la société. Les lois civiles l’ont en effet raffermie sur ses fondements ; et c’est alors que le caractère national s’est hâté de reparaître. Lorsqu’un peuple, longtemps séduit par de faux guides, se rallie autour de la gloire, lorsqu’il recommence à honorer les grandes actions par des monuments durables, les sentiments du juste et du beau rentrent dans tous les cœurs, et l’ordre social est rétabli. Les statues qu’on érigé à ces hommes privilégiés qui sont faits pour conduire la foule, indiquent à tous les autres le chemin du véritable honneur. Autour de ces monuments dressés par la reconnaissance publique, on voit se manifester les affections les plus douces et les plus nobles du cœur humain. L’enthousiasme de la gloire et de la vertu se communique à toutes les âmes, élève toutes les pensées, agrandit tous les talents, et peut enfanter tous les prodiges. Tel est l’état de la société réparée.

Au contraire, quand le corps politique tombe en ruines, tout ce qui fut obscur attaque tout ce qui fut illustre. La bassesse et l’envie parcourent les places publiques en outrageant les images révérées qui les décorent. On persécute la gloire des grands hommes jusque dans le marbre et l’airain qui en reproduisent les traits. Leurs statues tombent, on ne respecte pas même leurs tombeaux. Le citoyen fidèle ose à peine dérober en secret quelques-uns de ces restes sacrés : il y cherche en pleurant l’ancienne gloire de la patrie, et leur demande pardon de tant d’ingratitude ; cependant il ne désespère jamais du salut de l’État, et, même au milieu de tous les excès, il attend le réveil de tous les sentiments généreux.

Ces sentiments se sont ranimés de toutes parts ; mais leur retour fut préparé par l’homme supérieur qui nous rendit peu à peu toutes nos anciennes habitudes. C’est lui qui, dès les premiers jours de son gouvernement, honora les cendres de Turenne, et fit placer dans son palais les bustes de tous ces héros dont il égale la renommée. Déjà les artistes, animés par sa voix, se préparent à relever sur nos places désertes les statues des plus grands hommes français. Celui qui montra tant de respect pour leur mémoire, a bien mérité que la sienne vive à jamais. Que ses leçons et ses exemples se perpétuent ; que ses successeurs, formés par des frères dignes de lui, obtiennent un jour les mêmes honneurs ! Le souvenir de cette solennité peut former une race de héros. Il nous sera toujours présent, il se confondra pour nous avec celui du jour solennel où l’Empereur ouvrit notre session. Quand son trône s’élevait à cette même place, quand sa grande âme s’exprimait tout entière dans des paroles si dignes de ses actions, rien ne manquait sans doute à notre gloire, mais il manquait quelque chose à notre bonheur. Celle dont la présence embellit toutes les fêtes, n’était point dans cette enceinte. Aujourd’hui nos yeux peuvent la contempler[3]. Les émotions de son cœur, en ce moment, répondent un nouveau charme sur elle ; et chacun de nous, en la regardant, aime encore mieux celui dont elle partage la grandeur, et dont nous venons d’inaugurer l’image.



  1. Le Corps législatif, sur la proposition de M. Marcorelle, avait voté l’érection de cette statue le 3 germinal an XII.
  2. La bataille de Rivoli a été gagnée le 25 nivose an V.
  3. L’Impératrice et la famille impériale assistaient à l’inauguration de la statue de l’Empereur.