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Œuvres complètes de André Chénier, 1819/Poésies diverses/Iambe III

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IAMBE III.


Que promet l’avenir ? Quelle franchise auguste,
De mâle constance et d’honneur
Quels exemples sacrés, doux à l’ame du juste,
Pour lui quelle ombre de bonheur,
Quelle Thémis, terrible aux têtes criminelles,
Quels pleurs d’une noble pitié,
Des antiques bienfaits quels souvenirs fidèles,
Quels beaux échanges d’amitié
Font digne de regrets l’habitacle des hommes ?
La peur blême et louche est leur dieu.

Le désespoir ?—le fer. Ah ! lâches que nous sommes,
Tous, oui tous. Adieu, terre, adieu.
Vienne, vienne la mort ! Que la mort me délivre !
Ainsi donc, mon cœur abattu
Cède au poids de ses maux ? Non, non, puissé-je vivre !
Ma vie importe à la vertu.
Car l’honnête homme enfin, victime de l’outrage,
Dans les cachots, près du cercueil,
Relève plus altiers son front et son langage,
Brillans d’un généreux orgueil.
S’il est écrit aux cieux que jamais une épée
N’étincellera dans mes mains,
Dans l’encre et l’amertume une autre arme trempée
Peut encor servir les humains.
Justice, vérité, si ma bouche sincère,
Si mes pensers les plus secrets
Ne froncèrent jamais votre sourcil sévère ;
Et si les infâmes progrès,
Si la risée atroce, ou (plus atroce injure)
L’encens de hideux scélérats,
Ont pénétré vos cœurs d’une longue blessure,
Sauvez-moi. Conservez un bras
Qui lance votre foudre ; un amant qui vous venge.
Mourir sans vider mon carquois !
Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange
Ces bourreaux barbouilleurs de lois,
Ces tyrans effrontés de la France asservie,
Égorgée !… Ô mon cher trésor,
Ô ma plume ! Fiel, bile, horreur, dieux de ma vie !
Par vous seul je respire encor.

Quoi ! nul ne restera pour attendrir l’histoire
Sur tant de justes massacrés :
....................
Pour consoler leurs fils, leurs veuves et leurs mères ;
Pour que des brigands abhorrés
Frémissent aux portraits noirs de leur ressemblance ;
Pour descendre jusqu’aux enfers
Chercher le triple fouet, le fouet de la vengeance
Déjà levé sur ces pervers ;
Pour insulter leurs noms, pour chanter leur supplice !
Allons, étouffe tes clameurs :
Souffre, ô cœur gros de haine, affamé de justice.
Toi, Vertu, pleure si je meurs.