Aller au contenu

Œuvres complètes de Bernard Palissy/Appendice/Espitre au lecteur

La bibliothèque libre.
Texte établi par Paul-Antoine CapJ.-J. Dubochet et Cie (p. 393-398).

ESPITRE AU LECTEUR.




T u ne seras point scandalisé, Amy Lecteur, si nous n’obseruons la loy de nostre Seigneur Iesus Christ, qui nous commande rendre bien pour mal, pardonner à tout le monde, mesme à ceux qui nous ont offencé, et offencent : encores que soit sans cause, raison et verité. Et nous defend prendre vengeance l’vn de l’autre, et aussi de nous iniurier l’vn l’autre, comme faict Lisset Benancio en son liure intitulé, Les Abus et tromperies que font les Apoticaires, les denigrant, outrageant à toute outrance, sans sçauoir qu’il dit, et sans considerer que ce qu’il en a escrit est faux et ne contient verité, de chose qu’il dit, ains a faict son liure par grand enuie qu’il a contre les Apoticaires, pour ce qu’ils n’en tiennent conte, et qu’ils ne luy font gaigner argent comme ils font à quelques autres, à cause que c’est quelque pauure fol opiniastre et ignorant. Vous connoistrez facilement, si vous lisez son liure, la grand affection et mal talent qu’il a contre les Apoticaires de Poitou, Aniou et Touraine. Ie m’esbays bien que iceux ne luy ont respondu : il faut bien qu’il ayent crainte de lui, ou qu’ils n’en veulent tenir conte non plus que d’vn fol, ou qu’ils soyent tels qu’il les nomme, à sçauoir ignorans et indoctes.

Il dit qu’ils sont incorrigibles, et que par charité les a voulu admonester, et faict admonester par ses amis : qui est bien au contraire, car au lieu de les admonester et corriger secretement, il les a timpanisez et scandalisez, blasmez et iniuriez par ses escritures, qui se vendent et crient publiquement par toutes les villes de France. Parquoy tu ne trouueras estrange, si ie me suis ingeré à respondre aux grandes iniures et blasmes que ce venerable Lisset a escrit contre les Apoticaires, tant pour soustenir ceux de ma qualité, que pour remonstrer que ce qu’il dit est faux, et ne contient verité (comme i’ay dit) et aussi que les abus de quoy il nous charge, ne viennent de nous, mais d’eux-mesmes, si abus y a. Ie ne pourrois endurer voir deuant mes yeux denigrer et vilipender vn si noble estat comme celui de la Pharmatie que ie n’estime moins que la Medecine et Chirurgie.

L’autre partie de la rancune et haine qu’il a conçeu contre les Apoticaires, c’est à cause qu’ils pratiquent et pansent les malades sans luy, se y sentant fort interessé, sans considerer que par charité il faut aider aux pauures qui n’ont de quoy payer le Medecin, non-seulement pour achepter une poulie pour se substanter : car il ne faut pas attendre que la plus grand part des Medecins de maintenant les aillent visiter s’ils n’en pensent estre payez, et deussent-ils mourir tout quant et quant. Parquoy ne deuons estre blasmez si à ceux nous administrons la medecine sans eux : car il en mourroit beaucoup si n’estoit ce peu d’aide et secours que nous leur baillons, dequoy de la plus grand part n’en avons iamais rien, et y perdons temps et drogues, et eux qui n’y fournissent que leur peine, n’y retourneront iamais s’ils ne sont payez. Il fait excuse disant que les Apoticaires practiquent sans eux pour gaigner dauantage, qui est au contraire, car là où le Medecin ordonne, l’Apoticaire y a plus de prouffit de la moitié, et est mieux payé et a moins de peine. Ils se peuuent bien plaindre et gruser, disant que les Apoticaires se font incontinent riches en suruendant leurs drogues, qui est bien à rebours : car de tous les estats de ce monde, c’est le plus mal payé, le plus suiet et le plus mal estimé.

Ie ne m’esbays pas si ceux qui l’exercent se meslent d’autre vacation : car la leur est tant anichilée, et tant mise au bas par les Medecins et Chirurgiens, que les pauures Apoticaires n’y trouuent nul prouffit, et semble aux malades qu’ils les doivent panser et soliciter gratis, pour leurs beaux yeux : disant (quand ils sont gueris), que m’auez vous baillé ? des herbes : et voila comme les pauures Apoticaires sont payez.

Quant au Medecin, il est payé contant, ou s’il n’est payé il n’y retournera plus, encores qu’il n’y fournit rien que sa peine, et l’Apoticaire fournit de sa peine beaucoup plus que le Medecin : car il faut qu’il applique tout, et dauantage fournit ses drogues, son temps, et de ses seruiteurs, et quelquefois n’a rien de tout, et perd son temps, peines et drogues : qui est fort mal parti, et consideré. Car si le peuple sçauoit que c’est que l’estat de la Pharmatie quand il est bien fait, il en feroit beaucoup plus de compte, car l’on ne sçauroit payer vn Apoticaire faisant son deuoir : i’entens quand il est sçauant et bon simplicite. Tu n’as garde trouuer de bons Medecins ny Chirurgiens si tu n’as de bons Apoticaires : car c’est l’Apoticaire qui tient tout, et s’il est beste, les deux autres estats sont bestes comme luy : car il ne peuuent rien sans luy, et par son ignorance leue l’intention du Medecin et Chirurgien. Lisset a fort bien parlé, quand il a dict que les Apoticaires vendent la vertu des plantes et drogues que Dieu nous baille gratis, sans cultiuer, ce qu’ils ne doiuent faire, et dit que c’est grandement offencé enuers Dieu. Ie luy voudrois bien prier de prendre la peine, à lui et aux autres, d’aller chercher les herbes, fleurs, racines, et semences, gommes, fruicts, et autres : et icelles conseruer et garder auec grand soin et diligence, payer louage des maisons, gages de seruiteurs, les nourrir, achepter les drogues qui viennent de pays lointains, à grandes sommes d’argent contant, et puis les bailler gratis : et ils trouueroyent combien leur faudroit d’argent, mais ils s’en garderont bien. Comment bailleront-ils leurs drogues pour rien, quand seulement ne veulent pas fournir vne simple visite sans estre payez, et vendent leurs presences et paroles ? Encore que leur visite et ordonnance sert plutôt quelquefois à faire mal que bien. Et les pauures Apoticaires faut qu’ils fournissent toutes ces belles choses à credit, et quelquefois à iamais rien auoir, et perdre leurs peines et vacations. N’est-ce pas la briganderie que escrit Lisset contre les Apoticaires ? N’est-ce pas la volerie qu’il dit qu’ils font aux malades, quand ils les pansent sans eux, vendant leurs compositions outre la raison.

Ie vous laisse à penser si pour taster le poulx d’vn malade, et ordonner vn simple Iullep ils font conscience prendre vn escu, ou deux testons, et l’Apoticaire en aura bien deux sols, ou six blancs à grand difficulté : qui est plus grand voleur l’Apoticaire ou le Medecin ? Il me souuient auoir pansé vn homme de qualité, qui estoit malade d’vne fieure double tierce, et fut malade enuiron vn mois, le Medecin ne ordonna iamais que Iulleps, et vne simple Medecine purgative, et cousta de Medecin pour ordonner ces beaux Iulleps et vne medecine, trente escus sol, et la partie que ie luy portay ne monta que à cinq liures, et si luy auois fourny du sucre et autres marchandises Latines, et quelle briganderie est-ce là ? Encores que tout ce que le Medecin auoit ordonné ne seruit de rien : car le patient se voyant ainsi affronté, luy donna congé, et n’y fit rien plus, et nature le guerit à chef de temps après : et qui ne l’eust point medeciné, il eust esté plutost gueri qu’il ne fut.

Ne trouues-tu pas vne grande ignorance et peu de iugement aux Medecins de promettre à vn patient qu’ils le gueriront en sept ou huit iours, mais cependant le tiendront vn mois ou deux ? N’est-ce pas bien prognostiqué à eux qui portent le nom et titre de Medecin ; ce qui est faux, et n’en est rien : car celuy qui est, et veut estre appellé Medecin, doit faire l’action d’vn Medecin, ce est guerir toutes maladies, promettre la vie ou prononcer la mort : mais bonne partie des Medecins de maintenant sont tant parfaits en leur estat que à grand peine oseroyent-ils asseurer la vie à vn malade d’vne simple fieure tierce, et n’oseroyent asseurer la guerir. Parquoy ie dis qu’ils ne sont pas Medecins : car le Medecin ne doit estre appellé Medecin s’il ne guerit toutes maladies. Ils me respondront que les maladies qui sont plus fortes que nature, et qui conuainquent nature, sont incurables ; voire, pour ce qu’ils ne sçauent pas les curer : car si Dieu a donné les maladies, il a donné les remedes pour les guerir, mais ils leur sont incogneus, et ne les sçauent pas. Dequoy sont-ils doncques Medecins ? Des maladies qui se gueriroyent sans eux ; encores quelquefois y font-ils plus de mal et nuisance que de bien. Leur estude est de grand valeur et efficace, mais ie ne sçay à quoy, ne qu’ils ont iamais estudié.

Ie croy qu’ils ont le plus estudié à faire la mine : car à cela ils sont plus sçauans qu’en perfection de medecine ; et à bon droit se doiuent plutost appeller freres mineus que Medecins : car c’est la plus grande perfection qu’ils ayent. S’ils auoyent perfection en autres, concernant la medecine, ils le montreroyent, mais il faut doncques qu’ils confessent que la medecine est imparfaite, et n’y a nulle perfection, Dieu en a tiré l’eschelle à luy : parquoy tout est à l’aventure. Ils appellent les maladies incurables pour ce qu’ils ne les sçauent pas guerir. Ils veulent estre appellez Medecins, et ne font nul acte de medecin.

Mettez entre leurs mains vn hydropic, vn asmatic, un epiletic, vn apopletic, vn etic, une peste, s’ils les gueriront, ouy de beaux. Ie ne sçay à quoy ils ont estudié : s’ils auoyent seulement appliqué leur estude à guerir l’vne de ces maladies (qu’ils disent quasi incurables), ils deuroyent estre appellez Medecins de cette maladie : mais ils n’en sçauroyent guerir vne. I’ay veu guerir de la peste, i’ay veu guerir d’hidropics, d’asmatics, elles ne sont pas doncques incurables, sinon à ceux qui ne les sçauent curer, mais ils ne se soussient de les guerir aucunement : c’est tout vn, mais que les testons viennent, viue ou meure le patient s’il veut.

Et ne trouues-tu pas abuser grandement, de prendre l’argent d’vn pauure patient, lui promettant lui oster sa maladie, et tu n’en as point de certaineté ? Et si toy même en estois frappé, tu ne t’en sçaurois guerir.

Ie cognois beaucoup de Medecins qui sont frappez et affligez de certaines maladies, desquelles ils ne se peuuent guerir, les vns de gouttes artetiques, les autres de gouttes migraines : les autres de colliques venteuses, les autres de nephresie, les autres de frenesie, et tant d’autres, et ne s’en sçauent guerir, et sont contrains endurer et garder leurs maladies par force, et ne laissent pas d’en panser les autres. Regarde quelle perfection est en leur estat : et se ingerent blasmer les autres, comme la Pharmatie qui est vn art parfait, et le leur est imparfait : car tu peux cognoistre que tout ce qu’ils font est à l’auenture, sans perfection : voyant qu’ils ne se peuuent guerir eux-mesmes des maladies dequoy ils sont frappez. Si ie voulois escrire les grands et enormes abus et tromperies que i’ay veu faire aux Medecins, il y auroit grand volume, et n’escrirois que choses veritables : et quelquefois si les Apoticaires n’estoyent plus sages et prudens que les Medecins à mitiger leurs ordonnances, ils en mettroyent beaucoup à la renuerse : car ils ne sçauent pas la moitié de la force et acrimonie des medicamens qu’ils ordonnent. Il dit que les Apoticaires sophistiquent leurs drogues et medicamens, et en a fort bien escrit à son honneur, et en sera fort bien estimé entre gens doctes et sçauans, qui cognoistront par ces escritures que ce qu’il dit est fort veritable, et est bien possible de faire ce qu’il en dit.

Il n’y a si petit apprenty en la Pharmatie qui ne iuge qu’il n’est qu’vne beste, et ne vit oncques medicamens. Parquoy il est à présumer qu’il dit ainsi verité des autres choses, et qu’il n’est qu’vn menteur, et que foy ne doit estre adioustée en ses dits. Car il a fait son liure par grand haine et malueillance qu’il a contre les Apoticaires, pour ce qu’ils ne l’appellent pas en leurs practiques, et ne luy font gaigner argent, dequoy il est enragé : puis dit par son excuse qu’il a fait son liure par charité. Tu me diras : qui t’a meu luy respondre, voyant qu’il ne te blasme, ny ceux de ta patrie ? Ie te dis que ie ignore qu’il soit du pays d’Aniou, Poitou ou Touraine : mais ie doute plutost que ce soit quelque Medecin de Lyon ou des enuirons, qui auroit changé son nom, et ce seroit nommé ainsi, et donner la charge aux Apoticaires de ce pays, pour blasmer ceux de ma patrie, et ainsi pour crainte que ceux de Lyon ne luy fissent response : car ie ne cogneus iamais Medecin qui eust nom Lisset ; c’est vn nom qui est sot et rare, et croy que le maistre est sot et rare comme son nom, si maistre y a ; et aussi que ie me suis fort scandalisé lisant vn liure si satyrique et iniurieux contre les Apoticaires, ne contenant verité : lequel liure se vend publiquement dans Lyon, et si plutost fust venu en ma notice, plutost luy eusse respondu.

Icy ne sont blasmez les doctes et sçauans, et afin de n’estre prolixe, ie prieray à Dieu tres-affectueusement qu’il nous donne la grace de si bien exercer nos estats et vacations en quoy luy a pleu nous appeller, que ce soit à sa louange et gloire, afin que n’ayons iuste occasion nous blasmer et iniurier les vns les autres, au grand preiudice et moquerie des facultez.