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Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Concrétions de l’argent

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CONCRÉTIONS DE L’ARGENT

L’argent étant moins inaltérable que l’or, et pouvant être attaqué par certains sels dans le sein de la terre, se présente assez souvent sous des formes minéralisées : l’argent de première formation a été fondu ou sublimé, et même cristallisé comme l’or par le feu primitif. Ces cristaux de l’or et de l’argent primordial sont également opaques, purement métalliques, et presque toujours groupés les uns sur les autres ; ceux de l’argent s’étendent en ramifications sous la forme de feuilles, ou se surmontent comme des végétations et prennent la figure d’arbrisseaux ; on les trouve incorporés dans le quartz ou interposés dans les fentes et cavités de la roche quartzeuse, et c’est des débris et des détriments de ces premières mines que sont formées toutes celles où ce métal se montre pur ou minéralisé ; il se trouve pur dans les mines de seconde formation, lorsque, ayant été divisé et détaché par le frottement des eaux, les particules métalliques entraînées par leur mouvement se déposent et se réunissent en paillettes, en filets ou en petites masses informes, toutes produites par l’agrégation de ces particules réunies par la force de leur affinité. On rencontre même de l’argent cristallisé dans quelques-unes de ces dernières mines, ce qui doit arriver toutes les fois que l’eau n’aura pas divisé les cristaux primitifs, et les aura seulement déplacés et transportés des roches primordiales formées par le feu, et les aura déposés dans les couches de terre produites par le sédiment des eaux : ainsi l’argent vierge ou pur, formé dans le feu par les mines primitives, se retrouve encore pur dans celles de dernière formation toutes les fois que, dans son transport, ce métal n’a pas été saisi par les sels de la terre qui peuvent l’altérer ; et même il arrive souvent que ces dernières mines, dont la plupart ne sont formées que du métal réduit en poudre très fine, sont d’un argent plus pur qu’il ne l’était dans ses premières mines, parce que l’eau, en le divisant et le réduisant en très petites particules, en a séparé les parties de plomb, de cuivre, ou d’autres matières hétérogènes dont il pouvait être mêlé. Les pépites et les concrétions de l’argent, dans cet état, ne sont donc que du métal pur ou presque pur, et qui n’a subi d’autre altération que celle de la division et du transport par les eaux.

Mais, lorsque ces particules d’argent pur rencontrent dans le sein de la terre les principes des sels et les vapeurs du soufre, elles s’altèrent et subissent des changements divers et très apparents : le premier de ces changements d’état, et qui tient le plus près à l’argent en état métallique, se présente dans la mine vitrée qui est de couleur grise, dans laquelle le métal a perdu sa rigidité, sa dureté, et qui peut se plier et se couper comme le plomb : dans cette mine, la substance métallique s’est altérée et amollie sans perdre sa forme extérieure, car elle offre les mêmes cristaux, aussi régulièrement figurés que ceux des mines primordiales ; et même l’on voit souvent, dans cette mine grise et tendre, des cristaux de l’argent primitif qui sont en partie durs et intacts et en partie tendres et minéralisés, et cela démontre l’origine immédiate de cette sorte de mine qui, de toutes celles de seconde formation, est la plus voisine des mines primitives. L’on ne peut donc guère douter que cette mine vitrée ne provienne le plus souvent d’un argent primitif qui aura été pénétré par des vapeurs sulfureuses ; mais elle peut aussi être produite par l’argent pur de dernière formation, lorsqu’il reçoit l’impression de ces mêmes vapeurs qui s’exhalent des feux souterrains ; et généralement, tout argent vierge de première ou de dernière formation doit subir les mêmes altérations, parce que, dans le premier comme dans le dernier état, le métal est à peu près du même degré de pureté.

Une seconde forme de minéralisation, aussi commune que la première, est la mine d’argent cornée qui ressemble par sa demi-transparence, sa mollesse et sa fusibilité, à la lune cornée[NdÉ 1], que nos chimistes obtiennent de l’argent dissous par l’acide marin ; ce qui leur a fait présumer, peut-être avec fondement, que cette mine cornée provenait d’argent natif pénétré des vapeurs de cet acide ; mais, comme cette mine cornée accompagne assez souvent l’argent primordial dans la roche quartzeuse et dans son état primitif, lequel a précédé l’action et même la formation de l’acide marin, il me semble que l’acide aérien, qui seul existait alors, a dû produire cette altération dans les premières mines, et que ce ne peut être que sur celles de dernière formation que l’acide marin a pu opérer le même effet. Quoi qu’il en soit, cette mine d’argent cornée se rapproche de la mine vitrée par plusieurs rapports, et toutes deux tirent immédiatement leur origine de l’argent pur et natif de première et de dernière formation[1].

C’est à cette mine cornée que l’on a rapporté la matière molle, légère, blanche ou grise que M. Schreiber a trouvée aux mines de Sainte-Marie, dont parle M. Monnet[2], et qui était fort riche en argent ; mais cette matière ne contient point de soufre comme la mine d’argent cornée, et cette différence suffit pour qu’on doive les distinguer l’une de l’autre.

La troisième et la plus belle minéralisation de l’argent est la mine en cristaux transparents et d’un rouge de rubis : ces beaux cristaux ont quelquefois plusieurs lignes de longueur, et tous ne sont pas également transparents ; il y en a même qui sont presque opaques et d’un rouge obscur ; ils sont ordinairement groupés les uns sur les autres, souvent ils sont mêlés de cristaux gris, qui sont entièrement opaques.

De la décomposition de cette mine et des deux précédentes se forment d’autres mines, dont l’une des plus remarquables est la mine d’argent noire. M. Lehmann a observé que cette mine d’argent noire paraissait devoir sa formation à la décomposition de mines d’argent plus riches, telles que la mine d’argent rouge ou la mine d’argent vitrée : il ajoute « que cette mine noire est assez commune au Hartz, en Hongrie, en Saxe, etc., et qu’à Freyberg on la trouvait jointe à de la mine d’argent rouge et à de la mine d’argent vitrée[3] » ; et nous pouvons ajouter qu’elle est très commune au Pérou et au Mexique, où les Espagnols lui donnent le nom de negrillo. Cette mine noire est de dernière formation, puisqu’elle provient de la décomposition des autres : aussi se trouve-t-elle encore souvent accompagnée d’argent en filets, qui n’est formé lui-même que de l’agrégation de petites particules détachées des mines primitives de ce métal par le mouvement et la stillation des eaux.

Au reste, les concrétions les plus communes de l’argent sont celles où ce métal, réduit en poudre, se trouve interposé et comme incorporé dans différentes terres et pierres calcaires ou vitreuses. Ces concrétions se présentent souvent en masses très considérables et plus ou moins pesantes dans le rapport de la quantité de l’argent en poudre qu’elles contiennent, et quelquefois cette quantité fait plus de moitié de leur masse ; elles sont formées par l’intermède de l’eau qui a charrié et déposé ces particules d’argent avec des terres calcaires ou vitreuses qui, s’étant ensuite resserrées, consolidées et durcies par le desséchement, ont formé ces concrétions aussi riches que faciles à réduire en métal.

Et au sujet de la réduction de l’argent minéralisé en métal pur, nous croyons devoir ajouter à ce que nous en avons dit[4] l’extrait d’une lettre de M. Polony, médecin du roi au cap Français, qui, pendant un assez long séjour au Mexique, a suivi les opérations de ce travail. Ce savant observateur y rend compte des procédés actuellement en usage au Mexique : « On réduit, dit-il, en poudre impalpable le minerai d’argent dont on forme une pâte liquide en l’humectant successivement jusqu’à ce que toute la masse soit de la même consistance ; on y ajoute alors une certaine composition appelée magistral, et on repasse toute la pâte au moulin afin d’y incorporer uniformément ce magistral qui doit opérer la déminéralisation ; on fait ensuite avec cette pâte différentes pyramides d’environ dix-huit à vingt quintaux chacune ; on les laisse fermenter trois jours sans y toucher ; au bout de ce temps, un homme enfonce la main dans la pâte et juge par le degré de chaleur si la déminéralisation s’est opérée ; s’il juge le contraire, on étend la pâte, on l’humecte de nouveau, on y ajoute du magistral et on la réduit encore en pyramides qu’on laisse de nouveau fermenter pendant trois jours ; après cela, on étend la pâte sur des glacis à rebords ; on y jette une pluie de mercure qu’on y incorpore intimement en pétrissant la pâte, on la remet en tas, et trois ou quatre jours après, à l’aide de différentes lotions, on ramasse le mercure qui se trouve chargé de tout l’argent qui s’est déminéralisé pendant l’opération[5]. »

M. Polony se propose de publier la composition de ce magistral, qui n’est pas encore bien connue. Cependant je soupçonne que ce composé n’est que du sel marin auquel on ajoute quelquefois de la chaux ou de la terre calcaire, comme nous l’avons dit à l’article de l’Argent et, dans ce cas, le procédé décrit par M. Polony, et qui est actuellement en usage au Mexique, ne diffère de celui qu’on emploie depuis longtemps au Pérou que pour le temps où l’on fait tomber le mercure sur le minerai d’argent.


Notes de Buffon
  1. Voyez ce que j’ai dit de ces deux mines d’argent vitrée et cornée, dans le troisième volume, article de l’Argent..
  2. Mémoires des Savants étrangers, t. IX, p. 717 et suiv.
  3. Article des Mines, traduction française, p. 118.
  4. Voyez, dans le troisième volume, l’article Argent.
  5. Extrait d’une lettre de M. Polony à M. de Buffon, datée du cap Saint-Domingue, le 20 octobre 1785.
Notes de l’éditeur
  1. Chlorure d’argent.