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Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Du fer

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DU FER


On trouve rarement les métaux sous leur forme métallique dans le sein de la terre ; ils y sont ordinairement sous une forme minéralisée, c’est-à-dire altérée par le mélange intime de plusieurs matières étrangères, et la quantité des métaux purs est très petite en comparaison de celle des métaux minéralisés ; car, à l’exception de l’or, qui se trouve presque toujours dans l’état de métal, tous les autres métaux se présentent le plus souvent dans l’état de minéralisation. Le feu primitif, en liquéfiant et vitrifiant toute la masse des matières terrestres du globe, a sublimé en même temps les substances métalliques, et leur a laissé d’abord leur forme propre et particulière ; quelques-unes de ces substances métalliques ont conservé cette forme native, mais la plupart l’ont perdue par leur union avec des matières étrangères et par l’action des éléments humides. Nous verrons que la production des métaux purs et celle des métaux mélangés de matière vitreuse par le feu primitif sont contemporaines, et qu’au contraire les métaux minéralisés par les acides et travaillés par l’eau sont d’une formation postérieure.

Tous les métaux sont susceptibles d’être sublimés par l’action du feu ; l’or, qui est le plus fixe de tous, ne laisse pas de se sublimer par la chaleur[1], et il en est de même de tous les autres métaux et minéraux métalliques : ainsi, lorsque le feu primitif eut réduit en verre les matières fixes de la masse terrestre, les substances métalliques se sublimèrent et furent par conséquent exclues de la vitrification générale ; la violence du feu les tenait élevées au-dessus de la surface du globe ; elles ne tombèrent que quand cette chaleur extrême, commençant à diminuer, leur permit de rester dans un état de fusion sans être sublimées de nouveau. Les métaux qui, comme le fer et le cuivre, exigent le plus de feu pour se fondre, durent se placer les premiers sur la roche du globe encore tout ardente : l’argent et l’or, dont la fusion ne suppose qu’un moindre degré de feu, s’établirent ensuite et coulèrent dans les fentes perpendiculaires de cette roche déjà consolidée ; ils remplirent les interstices que le quartz décrépité leur offrait de toutes parts, et c’est par cette raison qu’on trouve l’or et l’argent vierge en petits filets dans la roche quartzeuse. Le plomb et l’étain, auxquels il ne faut qu’une bien moindre chaleur pour se liquéfier, coulèrent longtemps après ou se convertirent en chaux, et se placèrent de même dans les fentes perpendiculaires ; enfin tous ces métaux, souvent mêlés et réunis ensemble, y formèrent les filons primitifs des mines primordiales, qui toutes sont mélangées de plusieurs minéraux métalliques. Et le mercure, qu’une médiocre chaleur volatilise, ne put s’établir que peu de temps avant la chute des eaux et des autres matières également volatiles.

Quoique ces dépôts des différents métaux se soient formés successivement et à mesure que la violence du feu diminuait, comme ils se sont faits dans les mêmes lieux, et que les fentes perpendiculaires ont été le réceptacle commun de toutes les matières métalliques fondues ou sublimées par la chaleur intérieure du globe, toutes les mines sont mêlées de différents métaux et minéraux métalliques[2] ; en effet, il y a presque toujours plusieurs métaux dans la même mine : on trouve le fer avec le cuivre, le plomb avec l’argent, l’or avec le fer, et quelquefois tous ensemble ; car il ne faut pas croire, comme bien des gens se le figurent, qu’une mine d’or ou d’argent ne contienne que l’une ou l’autre de ces matières ; il suffit, pour qu’on lui donne cette dénomination, que la mine soit mêlée d’une assez grande quantité de l’un ou de l’autre de ces métaux pour être travaillée avec profit ; mais souvent et presque toujours le métal précieux y est en moindre quantité que les autres matières minérales ou métalliques.

Quoique les faits subsistants s’accordent parfaitement avec les causes et les effets que je suppose, on ne manquera pas de contester cette théorie de l’établissement local des mines métalliques : on dira qu’on peut se tromper en estimant par comparaison et jugeant par analogie les procédés de la nature ; que la vitrification de la terre et la sublimation des métaux par le feu primitif, n’étant pas des faits démontrés, mais de simples conjectures, les conséquences que j’en tire ne peuvent qu’être précaires et purement hypothétiques ; enfin l’on renouvellera sans doute l’objection triviale si souvent répétée contre les hypothèses, en s’écriant qu’en bonne physique il ne faut ni comparaisons ni systèmes.

Cependant il est aisé de sentir que nous ne connaissons rien que par comparaison, et que nous ne pouvons juger des choses et de leurs rapports qu’après avoir fait une ordonnance de ces mêmes rapports, c’est-à-dire un système. Or les grands procédés de la nature sont les mêmes en tout, et, lorsqu’ils nous paraissent opposés, contraires ou seulement différents, c’est faute de les avoir saisis et vus assez généralement pour les bien comparer. La plupart de ceux qui observent les effets de la nature, ne s’attachant qu’à quelques points particuliers, croient voir des variations et même des contrariétés dans ses opérations, tandis que celui qui l’embrasse par des vues plus générales reconnaît la simplicité de son plan et ne peut qu’admirer l’ordre constant et fixe de ses combinaisons, et l’uniformité de ses moyens d’exécution : grandes opérations, qui, toutes fondées sur des lois invariables, ne peuvent varier elles-mêmes ni se contrarier dans les effets ; le but du philosophe naturaliste doit donc être de s’élever assez haut pour pouvoir déduire d’un seul effet général, pris comme cause, tous les effets particuliers ; mais, pour voir la nature sous ce grand aspect, il faut l’avoir examinée, étudiée et comparée dans toutes les parties de son immense étendue ; assez de génie, beaucoup d’étude, un peu de liberté de penser, sont trois attributs sans lesquels on ne pourra que défigurer la nature, au lieu de la représenter : je l’ai souvent senti en voulant la peindre, et malheur à ceux qui ne s’en doutent pas ! leurs travaux, loin d’avancer la science, ne font qu’en retarder le progrès ; de petits faits, des objets présentés par leurs faces obliques, ou vus sous un faux jour, des choses mal entendues, des méthodes scolastiques, de grands raisonnements fondés sur une métaphysique puérile ou sur des préjugés, sont les matières sans substance des ouvrages de l’écrivain sans génie ; ce sont autant de tas de décombres qu’il faut enlever avant de pouvoir construire. Les sciences seraient donc plus avancées si moins de gens avaient écrit : mais l’amour-propre ne s’opposera-t-il pas toujours à la bonne foi ? L’ignorant se croit suffisamment instruit ; celui qui ne l’est qu’à demi se croit plus que savant, et tous s’imaginent avoir du génie, ou du moins assez d’esprit pour en critiquer les productions ; on le voit par les ouvrages de ces écrivains qui n’ont d’autre mérite que de crier contre les systèmes, parce qu’ils sont non seulement incapables d’en faire, mais peut-être même d’entendre la vraie signification de ce mot qui les épouvante ou les humilie ; cependant tout système n’est qu’une combinaison raisonnée, une ordonnance des choses ou des idées qui les représentent, et c’est le génie seul qui peut faire cette ordonnance, c’est-à-dire un système en tout genre, parce que c’est au génie seul qu’il appartient de généraliser les idées particulières, de réunir toutes les vues en un faisceau de lumière, de se faire de nouveaux aperçus, de saisir les rapports fugitifs, de rapprocher ceux qui sont éloignés, d’en former de nouvelles analogies, de s’élever enfin assez haut, et de s’étendre assez loin pour embrasser à la fois tout l’espace qu’il a rempli de sa pensée ; c’est ainsi que le génie seul peut former un ordre systématique des choses et des faits, de leurs combinaisons respectives, de la dépendance des causes et des effets ; de sorte que le tout rassemblé, réuni, puisse présenter à l’esprit un grand tableau de spéculations suivies, ou du moins un vaste spectacle dont toutes les scènes se lient et se tiennent par des idées conséquentes et des faits assortis.

Je crois donc que mes explications sur l’action du feu primitif, sur la sublimation des métaux, sur la formation des matières vitreuses, argileuses et calcaires, sont d’accord avec les procédés de la nature dans ses plus grandes opérations, et nous verrons que l’ensemble de ce système et ses autres rapports seront encore confirmés par tous les faits que nous rapporterons dans la suite, en traitant de chaque métal en particulier.

Mais, pour ne parler ici que du fer, on ne peut guère douter que ce métal n’ait commencé à s’établir le premier sur le globe, et peu de temps après la consolidation du quartz, puisqu’il a coloré les jaspes et les cristaux de feldspath, au lieu que l’or, l’argent, ni les autres métaux ne paraissent pas être entrés comme le fer dans la substance des matières vitreuses produites par le feu primitif ; et ce fait prouve que le fer, plus capable de résister à la violence du feu, s’est en effet établi le premier et dès le temps de la consolidation des verres de nature : car le fer primordial se trouve toujours intimement mêlé avec la matière vitreuse, et il a formé avec elle de très grandes masses et même des montagnes à la surface du globe, tandis que les autres métaux, dont l’établissement a été postérieur, n’ont occupé que les intervalles des fentes perpendiculaires de la roche quartzeuse dans lesquelles ils se trouvent par filons et en petits amas[3].

Aussi n’existe-t-il nulle part de grandes masses de fer pur et pareil à notre fer forgé, ni même semblable à nos fontes de fer, et à peine peut-on citer quelques exemples de petits morceaux de fonte ou régule de fer trouvés dans le sein de la terre, et formés sans doute accidentellement par le feu des volcans, comme l’on trouve aussi et plus fréquemment des morceaux d’or, d’argent et de cuivre, qu’on reconnaît évidemment avoir été fondus par ces feux souterrains[4].

La substance du fer de nature n’a donc jamais été pure, et dès le temps de la consolidation du globe, ce métal s’est mêlé avec la matière vitreuse, et s’est établi en grandes masses dans plusieurs endroits à la surface, et jusqu’à une petite profondeur dans l’intérieur de la terre. Au reste, ces grandes masses ou roches ferrugineuses ne sont pas également riches en métal : quelques-unes donnent soixante-dix ou soixante-douze pour cent de fer en fonte, tandis que d’autres n’en donnent pas quarante ; et l’on sait que cette fonte de fer, qui résulte de la fusion des mines, n’est pas encore du métal, puisque avant de devenir fer, elle perd au moins un quart de sa masse par le travail de l’affinerie ; on est donc assuré que les mines de fer en roche les plus riches ne contiennent guère qu’une moitié de fer, et que l’autre moitié de leur masse est de matière vitreuse ; on peut même le reconnaître en soumettant ces mines à l’action des acides qui en dissolvent le fer et laissent intacte la substance vitreuse.

D’ailleurs ces roches de fer, que l’on doit regarder comme les mines primordiales de ce métal dans son état de nature, sont toutes attirables à l’aimant[5], preuve évidente qu’elles ont été produites par l’action du feu, et qu’elles ne sont qu’une espèce de fonte impure de fer, mélangée d’une plus ou moins grande quantité de matière vitreuse ; nos mines de fer en grain, en ocre ou en rouille, quoique provenant originairement des détriments de ces roches primitives, mais ayant été formées postérieurement par l’intermède de l’eau, ne sont point attirables à l’aimant, à moins qu’on ne leur fasse subir une forte impression du feu à l’air libre[6]. Ainsi la propriété d’être attirable à l’aimant appartenant uniquement aux mines de fer qui ont passé par le feu, on ne peut guère se refuser à croire que ces énormes rochers de fer attirables à l’aimant n’aient en effet subi la violente action du feu dont ils portent encore l’empreinte, et qu’ils n’aient été produits dans le temps de la dernière incandescence et de la première condensation du globe.

Les masses de l’aimant ne paraissent différer des autres roches de fer qu’en ce qu’elles ont été exposées aux impressions de l’électricité de l’atmosphère, et qu’elles ont en même temps éprouvé une plus grande ou plus longue action du feu qui les a rendues magnétiques par elles-mêmes et au plus haut degré ; car on peut donner le magnétisme à tout fer ou toute matière ferrugineuse, non seulement en la tenant constamment dans la même situation, mais encore par le choc et par le frottement, c’est-à-dire par toute cause ou tout mouvement qui produit de la chaleur et du feu : on doit donc penser que les pierres d’aimant étant de la même nature que les autres roches ferrugineuses, leur grande puissance magnétique vient de ce qu’elles ont été exposées à l’air, et travaillées plus violemment ou plus longtemps par la flamme du feu primitif ; la substance de l’aimant paraît même indiquer que le fer qu’elle contient a été altéré par le feu et réduit en un état de régule très difficile à fondre, puisqu’on ne peut traiter les pierres d’aimant à nos fourneaux, ni les fondre avantageusement pour en tirer du fer, comme l’on en tire de toutes les autres pierres ferrugineuses ou mines de fer en roche, en les faisant auparavant griller et concasser[7].

Toutes les mines de fer en roche doivent donc être regardées comme des espèces de fontes de fer, produites par le feu primitif ; mais on ne doit pas compter au nombre de ces roches primordiales de fer celles qui sont mêlées de matière calcaire ; ce sont des mines secondaires, des concrétions spathiques, en masses plus ou moins distinctes ou confuses, et qui n’ont été formées que postérieurement par l’intermède de l’eau : aussi ne sont-elles point attirables à l’aimant ; elles doivent être placées au nombre des mines de seconde et peut-être de troisième formation ; de même, il ne faut pas confondre avec les mines primitives, vitreuses et attirables à l’aimant, celles qui, ayant éprouvé l’impression du feu dans les volcans, ont acquis cette propriété qu’elles n’avaient pas auparavant ; enfin il faut excepter encore les sables ferrugineux et magnétiques, tels que celui qui est mêlé dans le platine, et tous ceux qui se trouvent mélangés dans le sein de la terre, soit avec les mines de fer en grains, soit avec d’autres matières ; car ces sablons ferrugineux, attirables à l’aimant, ne proviennent que de la décomposition du mâchefer ou résidu ferrugineux des végétaux brûlés par le feu des volcans ou par d’autres incendies.

On doit donc réduire le vrai fer de nature, le fer primordial, aux grandes masses des roches ferrugineuses attirables à l’aimant, et qui ne sont mélangées que de matières vitreuses ; ces roches se trouvent en plus grande quantité dans les régions du Nord que dans les autres parties du globe ; on sait qu’en Suède, en Russie, en Sibérie, ces mines magnétiques sont très communes, et qu’on les cherche à la boussole ; on prétend aussi qu’en Laponie, la plus grande partie du terrain n’est composée que de ces masses ferrugineuses ; si ce dernier fait est aussi vrai que les premiers, il augmenterait la probabilité, déjà fondée, que la variation de l’aiguille aimantée provient de la différente distance et de la situation où l’on se trouve, relativement au gisement de ces grandes masses magnétiques : je dis la variation de l’aiguille aimantée, car je ne prétends pas que sa direction vers les pôles doive être uniquement attribuée à cette même cause ; je suis persuadé que cette direction de l’aimant est un des effets de l’électricité du globe, et que le froid des régions polaires influe plus qu’aucune autre cause sur la direction de l’aimant[8].

Quoi qu’il en soit, il me paraît certain que les grandes masses des mines de fer en roche ont été produites par le feu primitif, comme les autres grandes masses des matières vitreuses. On demandera peut-être pourquoi ce premier fer de nature produit par le feu ne se présente pas sous la forme de métal, pourquoi l’on ne trouve dans ces mines aucune masse de fer pur et pareil à celui que nous fabriquons à nos feux. J’ai prévenu cette question en prouvant que[9] le fer ne prend de la ductilité que parce qu’il a été comprimé par le marteau : c’est autant la main de l’homme que le feu qui donne au fer la forme de métal, et qui change en fer ductile la fonte aigre, en épurant cette fonte, et en l’approchant de plus près les parties métalliques qu’elle contient ; cette fonte de fer, au sortir du fourneau, reste, comme nous l’avons dit, encore mélangée de plus d’un quart de matières étrangères ; elle n’est donc, tout au plus, que d’un quart plus pure que les mines en roche les plus riches, qui par conséquent ont été mêlées, par moitié, de matières vitreuses dans la fusion opérée par le feu primitif.

On pourra insister en retournant l’objection contre ma réponse, et disant qu’on trouve quelquefois de petits morceaux de fer pur ou natif dans certains endroits, à d’assez grandes profondeurs, sous des rochers ou des couches de terre, qui ne paraissent pas avoir été remuées par la main des hommes, et que ces échantillons du travail de la nature, quoique rares, suffisent pour prouver que notre art et le secours du marteau ne sont pas des moyens uniques ni des instruments absolument nécessaires, ni par conséquent les seules causes de la ductilité et de la pureté de ce métal, puisque la nature, dénuée de ces adminicules de notre art, ne laisse pas de produire du fer assez semblable à celui de nos forges.

Pour satisfaire à cette instance, il suffira d’exposer que, par certains procédés, nous pouvons obtenir du régule de fer sans instruments ni marteaux, et par le seul effet d’un feu bien administré et soutenu longtemps au degré nécessaire pour épurer la fonte sans la brûler, en laissant ainsi remuer par le feu, successivement et lentement, les molécules métalliques, qui se réunissent alors par une espèce de départ ou séparation des matières hétérogènes dont elles étaient mélangées. Ainsi, la nature aura pu, dans certaines circonstances, produire le même effet ; mais ces circonstances ne peuvent qu’être extrêmement rares, puisque par nos propres procédés, dirigés à ce but, on ne réussit qu’à force de précautions.

Ce point, également intéressant pour l’histoire de la nature et pour celle de l’art, exige quelques discussions de détail dans lesquelles nous entrerons volontiers par la raison de leur utilité. La mine de fer jetée dans nos fourneaux, élevés de vingt à vingt-cinq pieds et remplis de charbons ardents, ne se liquéfie que quand elle est descendue à plus des trois quarts de cette hauteur ; elle tombe alors sous le vent des soufflets et achève de se fondre au-dessus du creuset qui la reçoit, et dans lequel on la tient pendant quelques heures, tant pour en accumuler la quantité que pour la laisser se purger des matières hétérogènes qui s’écoulent en forme de verre impur qu’on appelle laitier ; cette matière, plus légère que la fonte de fer, en surmonte le bain dans le creuset ; plus on tient la fonte dans cet état, en continuant le feu, plus elle se dépouille de ses impuretés ; mais, comme l’on ne peut la brasser autant qu’il le faudrait, ni même la remuer aisément dans ce creuset, elle reste nécessairement encore mêlée d’une grande quantité de ces matières hétérogènes, en sorte que les meilleures fontes de fer en contiennent plus d’un quart, et les fontes communes près d’un tiers, dont il faut les purger pour les convertir en fer[10]. Ordinairement on fait, au bout de douze heures, ouverture au creuset ; la fonte coule comme un ruisseau de feu dans un long et large sillon, où elle se consolide en un lingot ou gueuse de quinze cents à deux mille livres de poids ; on laisse ce lingot se refroidir au moule, et on l’en tire pour le conduire sur des rouleaux et le faire entrer, par l’une de ses extrémités, dans le foyer de l’affinerie, où cette extrémité, chauffée par un nouveau feu, se ramollit et se sépare du reste du lingot ; l’ouvrier perce et pétrit avec des ringards[11] cette loupe à demi liquéfiée, qui, par ce travail, s’épure et laisse couler par le fond du foyer une partie de la matière hétérogène que le feu du fourneau de fusion n’avait pu séparer ; ensuite l’on porte cette loupe ardente sous le marteau, où la force de la percussion fait sortir de sa masse encore molle le reste des substances impures qu’elle contenait ; et ces mêmes coups redoublés du marteau rapprochent et réunissent, en une masse solide et plus allongée, les parties de ce fer que l’on vient d’épurer, et qui ne prennent qu’alors la forme et la ductilité du métal.

Ce sont là les procédés ordinaires dans le travail de nos forges, et, quoiqu’ils paraissent assez simples, ils demandent de l’intelligence et supposent de l’habitude et même des attentions suivies. L’on ne doit pas traiter autrement les mines pauvres qui ne donnent que trente ou même quarante livres de fonte par quintal ; mais avec des mines riches en métal, c’est-à-dire avec celles qui donnent soixante-dix, soixante ou même cinquante-cinq pour cent, on peut obtenir du fer et même de l’acier sans faire passer ces mines par l’état d’une fonte liquide et sans les couler en lingots : au lieu des hauts fourneaux entretenus en feu sans interruption pendant plusieurs mois, il ne faut pour ces mines riches que de petits fourneaux qu’on charge et vide plusieurs fois par jour ; on leur a donné le nom de fourneaux à la catalane, ils n’ont que trois ou quatre pieds de hauteur ; ceux de Styrie en ont dix ou douze, et, quoique la construction de ces fourneaux à la catalane et de ceux de Styrie soit différente, leur effet est à peu près le même ; au lieu de gueuses ou lingots d’une fonte coulée, on obtient dans ces petits fourneaux des massets ou loupes formées par coagulation, et qui sont assez épurées pour qu’on puisse les porter sous le marteau au sortir de ces fourneaux de liquation ; ainsi, la matière de ces massets est bien plus pure que celle des gueuses, qu’il faut travailler et purifier au feu de l’affinerie avant de les mettre sur l’enclume. Ces massets contiennent souvent de l’acier, qu’on a soin d’en séparer, et le reste est du bon fer ou du fer mêlé d’acier. Voilà donc de l’acier et du fer, tous deux produits par le seul régime du feu et sans que l’ouvrier en ait pétri la matière pour la dépurer ; et de même, lorsque dans les hauts fourneaux on laisse quelques parties de fonte se recuire au feu pendant plusieurs semaines, cette fonte, d’abord mêlée d’un tiers ou d’un quart de substances étrangères, s’épure au point de devenir un vrai régule de fer qui commence à prendre de la ductilité : ainsi la nature a pu et peut encore, par le feu des volcans, produire des fontes et des régules de fer semblables à ceux que nous obtenons dans ces fourneaux de liquation sans le secours du marteau ; et c’est à cette cause qu’on doit rapporter la formation de ces morceaux de fer ou d’acier qu’on a regardés comme natifs, et qui, quoique très rares, ont suffi pour faire croire que c’était là le vrai fer de la nature, tandis que dans la réalité elle n’a formé, par son travail primitif, que des roches ferrugineuses, toutes plus impures que les fontes de notre art.

Nous donnons dans la suite les procédés par lesquels on peut obtenir des fontes, des aciers et des fers de toutes qualités ; l’on verra pourquoi les mines de fer riches peuvent être traitées différemment des mines pauvres ; pourquoi la méthode catalane, celle de Styrie et d’autres, ne peuvent être avantageusement employées à la fusion de nos mines en grains ; pourquoi, dans tous les cas, nous nous servons du marteau pour achever de consolider le fer, etc. Il nous suffit ici d’avoir démontré par les faits que le feu primitif n’a point produit de fer pur semblable à notre fer forgé ; mais que la quantité tout entière de la matière de fer s’est mêlée, dans le temps de la consolidation du globe, avec les substances vitreuses, et que c’est de ce mélange que sont composées les roches primordiales de fer et d’aimant ; qu’enfin, si l’on tire quelquefois du sein de la terre des morceaux de fer, leur formation, bien postérieure, n’est due qu’à la main de l’homme ou à la rencontre fortuite d’une mine de fer dans le gouffre du volcan.

Reprenant donc l’ordre des premiers temps, nous jugerons aisément que les roches ferrugineuses se sont consolidées presque en même temps que les rochers graniteux se sont formés, c’est-à-dire après la consolidation et la réduction en débris du quartz et des autres premiers verres : ces roches sont composées de molécules ferrugineuses intimement unies avec la matière vitreuse ; elles ont d’abord été fondues ensemble ; elles se sont ensuite consolidées par le refroidissement, sous la forme d’une pierre dure et pesante ; elles ont conservé cette forme primitive dans tous les lieux où elles n’ont pas été exposées à l’action des éléments humides ; mais les parties extérieures de ces roches ferrugineuses s’étant trouvées, dès le temps de la première chute des eaux, exposées aux impressions des éléments humides, elles se sont converties en rouille et en ocre. Cette rouille, détachée de leurs masses, aura bientôt été transportée, comme les sables vitreux, par le mouvement des eaux et déposée sur le fond de cette première mer, lequel, dans la suite, est devenu la surface de tous nos continents.

Par cette décomposition des premières roches ferrugineuses, la matière du fer s’est trouvée répandue sur toutes les parties de la surface du globe, et par conséquent cette matière est entrée avec les autres éléments de la terre dans la composition des végétaux et des animaux, dont les détriments, s’étant ensuite accumulés, ont formé la terre végétale dans laquelle la mine de fer en grain s’est produite par la réunion de ces mêmes particules ferrugineuses disséminées et contenues dans cette terre, qui, comme nous l’avons dit[12], est la vraie matrice de la plupart des minéraux figurés, et en particulier de mines de fer en grains.

La grande quantité de rouille détachée de la surface des roches primitives de fer, et transportée par les eaux, aura dû former aussi des dépôts particuliers en plusieurs endroits ; chacune de nos mines d’ocre est un de ces anciens dépôts, car l’ocre ne diffère de la rouille de fer que par le plus ou moins de terre qui s’y trouve mêlée. Et lorsque la décomposition de ces roches primordiales s’est opérée plus lentement, et qu’au lieu de se convertir en rouille grossière, la matière ferrugineuse a été atténuée et comme dissoute par une action plus lente des éléments humides, les parties les plus fines de cette matière ayant été saisies et entraînées par l’eau ont formé par stillation des concrétions ou stalactites ferrugineuses, dont la plupart sont plus riches en métal que les mines en grains et en rouille.

On peut réduire toutes les mines de fer de seconde formation à ces trois états de mines en grains, de mines en ocre ou en rouille, et de mines en concrétion ; elles ont également été produites par l’action et l’intermède de l’eau ; toutes tirent leur origine de la décomposition des roches primitives de fer, de la même manière que les grès, les argiles et les schistes proviennent de la décomposition des premières matières vitreuses.

J’ai démontré, dans l’article de la terre végétale[13], comment se sont formés les grains de la mine de fer ; nous les voyons, pour ainsi dire, se produire sous nos yeux par la réunion des particules ferrugineuses disséminées dans cette terre végétale, et ces grains de mine contiennent quelquefois une plus grande quantité de fer que les roches de fer les plus riches ; mais, comme ces grains sont presque toujours très petits, et qu’il n’est jamais possible de les trier un à un ni de les séparer en entier des terres avec lesquelles ils sont mêlés, surtout lorsqu’il s’agit de travailler en grand, ces mines en grains ne rendent ordinairement par quintal que de trente-cinq à quarante-cinq livres de fonte et souvent moins, tandis que plusieurs mines en roche donnent depuis cinquante jusqu’à soixante et au delà ; mais je me suis assuré, par quelques essais en petit, qu’on aurait au moins un aussi grand produit en ne faisant fondre que le grain net de ces mines de seconde formation ; elles peuvent être plus ou moins riches en métal, selon que chaque grain aura reçu dans sa composition une plus ou moins forte quantité de substance métallique, sans mélange de matières hétérogènes ; car de la même manière que nous voyons se former des stalactites plus ou moins pures dans toutes les matières terrestres, ces grains de mine de fer, qui sont de vraies stalactites de la terre végétale imprégnée de fer, peuvent être aussi plus ou moins purs, c’est-à-dire plus ou moins chargés de parties métalliques ; et par conséquent, ces mines peuvent être plus riches en métal que le minerai en roche, qui, ayant été formé par le feu primitif, contient toujours une quantité considérable de matière vitreuse ; je dois même ajouter que les mines en stalactites et en masses concrètes en fournissent un exemple sensible : elles sont, comme les mines en grains, formées par l’intermède de l’eau, et quoiqu’elles soient toujours mêlées de matières hétérogènes, elles donnent assez ordinairement une plus grande quantité de fer que la plupart des mines de première formation.

Ainsi, toute mine de fer, soit qu’elle ait été produite par le feu primitif ou travaillée par l’eau, est toujours mélangée d’une plus ou moins grande quantité de substances hétérogènes ; seulement on doit observer que, dans les mines produites par le feu, le fer est toujours mélangé avec une matière vitreuse, tandis que, dans celles qui ont été formées par l’intermède de l’eau, le mélange est plus souvent de matière calcaire[14] : ces dernières mines, qu’on nomme spathiques[15], à cause de ce mélange de spath ou de parties calcaires, ne sont point attirables à l’aimant, parce qu’elles n’ont pas été produites par le feu et qu’elles ont été, comme les mines en grains ou en rouille, toutes formées du détriment des premières roches ferrugineuses qui ont perdu leur magnétisme par cette décomposition ; néanmoins, lorsque ces mines secondaires, formées par l’intermède de l’eau, se trouvent mêlées de sablons ferrugineux qui ont passé par le feu, elles sont alors attirables à l’aimant, parce que ces sablons, qui ne sont pas susceptibles de rouille, ne perdent jamais cette propriété d’être attirables à l’aimant.

La fameuse montagne d’Eisenhartz, en Styrie, haute de quatre cent quatre-vingts toises, est presque toute composée de minéraux ferrugineux de différentes qualités : on en tire, de temps immémorial, tout le fer et l’acier qui se fabriquent dans cette contrée, et l’on a observé[16] que le minéral propre à faire de l’acier était différent de celui qui est propre à faire du bon fer. Le minéral le plus riche en acier, que l’on appelle phlint, est blanc, fort dur et difficile à fondre ; mais il devient rouge ou noir et moins dur en s’effleurissant dans la mine même ; celui qui est le plus propre à donner du fer doux est le plus tendre ; il est aussi plus fusible, et quelquefois environné de rouille ou d’ocre : le noyau et la masse principale de cette montagne sont sans doute de fer primordial produit par le feu primitif, duquel les autres minéraux ferrugineux ne sont que des exsudations, des concrétions, des stalactites plus ou moins mélangées de matière calcaire, de pyrites et d’autres substances dissoutes ou délayées par l’eau et qui sont entrées dans la composition de ces masses secondaires lorsqu’elles se sont formées.

De quelque qualité que soient les mines de fer en roches solides, on est obligé de les concasser et de les réduire en morceaux gros comme des noisettes avant de les jeter au fourneau ; mais, pour briser plus aisément les blocs de ce minéral ordinairement très dur, on est dans l’usage de les faire griller au feu ; on établit une couche de bois sec, sur laquelle on met ces gros morceaux de minéral que l’on couvre d’une autre couche de bois, puis un second lit de minéral, et ainsi alternativement jusqu’à cinq ou six pieds de hauteur, et après avoir allumé le feu, on le laisse consumer tout ce qui est combustible et s’éteindre de lui-même : cette première action du feu rend le minéral plus tendre ; on le concasse plus aisément, et il se trouve plus disposé à la fusion qu’il doit subir au fourneau ; toutes les roches de fer qui ne sont mélangées que de substances vitreuses exigent qu’on y joigne une certaine quantité de matière calcaire pour en faciliter la fonte ; celles au contraire qui ne contiennent que peu ou point de matière vitreuse, et qui sont mélangées de substances calcaires, demandent l’addition de quelque matière vitrescible, telle que la terre limoneuse, qui, se fondant aisément, aide à la fusion de ces mines de fer et s’empare des parties calcaires dont elles sont mélangées.

Les mines qui ont été produites par le feu primitif sont, comme nous l’avons dit, toutes attirables à l’aimant, à moins que l’eau ne les ait décomposées et réduites en rouille, en ocre, en grains ou en concrétion ; car elles perdent dès lors cette propriété magnétique ; cependant les mines primitives ne sont pas les seules qui soient attirables à l’aimant ; toutes celles de seconde formation qui auront subi l’action du feu soit dans les volcans, soit par les incendies des forêts, sont également et souvent aussi susceptibles de cette attraction ; en sorte que, si l’on s’en tenait à cette seule propriété, elle ne suffirait pas pour distinguer les mines ferrugineuses de première formation de toutes les autres qui, quoique de formation bien postérieure, sont également attirables à l’aimant ; mais il y a d’autres indices assez certains par lesquels on peut les reconnaître. Les matières ferrugineuses primitives sont toutes en très grandes masses et toujours intimement mêlées de matière vitreuse ; celles qui ont été produites postérieurement par les volcans ou par d’autres incendies ne se trouvent qu’en petits morceaux, et le plus souvent en paillettes et en sablons, et ces sablons ferrugineux et très attirables à l’aimant sont ordinairement bien plus réfractaires au feu que la roche de fer la plus dure : ces sablons ont apparemment essuyé une si forte action du feu qu’ils ont pour ainsi dire changé de nature et perdu toutes leurs propriétés métalliques, car il ne leur est resté que la seule qualité d’être attirables à l’aimant, qualité communiquée par le feu, et qui, comme l’on voit, n’est pas essentielle à toute matière ferrugineuse, puisque les mines qui ont été formées par l’intermède de l’eau en sont dépourvues ou dépouillées, et qu’elles ne reprennent ou n’acquièrent cette propriété magnétique qu’après avoir passé par le feu.

Toute la quantité, quoique immense, du fer disséminé sur le globe provient donc originairement des débris et détriments des grandes masses primitives, dans lesquelles la substance ferrugineuse est mêlée avec la matière vitreuse et s’est consolidée avec elle ; mais ce fer disséminé sur la terre se trouve dans des états très différents, suivant les impressions plus ou moins fortes qu’il a subies par l’action des autres éléments et par le mélange de différentes matières. La décomposition la plus simple du fer primordial est sa conversion en rouille : les faces des roches ferrugineuses, exposées à l’action de l’acide aérien[NdÉ 1], se sont couvertes de rouille, et cette rouille de fer, en perdant sa propriété magnétique, a néanmoins conservé ses autres qualités, et peut même se convertir en métal plus aisément que la roche dont elle tire son origine. Ce fer, réduit en rouille et transporté dans cet état par les eaux sur toute la surface du globe, s’est plus ou moins mêlé avec la terre végétale : il s’y est uni et atténué au point d’entrer avec la sève dans la composition de la substance des végétaux, et, par une suite nécessaire, dans celle des animaux ; les uns et les autres rendent ensuite ce fer à la terre par la destruction de leur corps. Lorsque cette destruction s’opère par la pourriture, les particules de fer provenant des êtres organisés n’en sont pas plus magnétiques, et ne forment toujours qu’une espèce de rouille plus fine et plus ténue que la rouille grossière dont elles ont tiré leur origine ; mais, si la destruction des corps se fait par le moyen du feu, alors toutes les molécules ferrugineuses qu’ils contenaient reprennent, par l’action de cet élément, la propriété d’être attirables à l’aimant, que l’impression des éléments humides leur avait ôtée ; et, comme il y a eu dans plusieurs lieux de la terre de grands incendies de forêts, et presque partout des feux particuliers et des feux encore plus grands dans les terrains volcanisés, on ne doit pas être surpris de trouver, à la surface et dans l’intérieur des premières couches de la terre, des particules de fer attirables à l’aimant, d’autant que les détriments de tout le fer fabriqué par la main de l’homme, toutes les poussières de fer produites par le frottement et par l’usure, conservent cette propriété tant qu’elles ne sont pas réduites en rouille. C’est par cette raison que, dans une mine dont les particules en rouille ou les grains ne sont point attirables à l’aimant, il se trouve souvent des paillettes ou sablons magnétiques qui, pour la plupart, sont noirs et quelquefois brillants comme du mica : ces sablons, quoique ferrugineux, ne sont ni susceptibles de rouille, ni dissolubles par les acides, ni fusibles au feu ; ce sont des particules d’un fer qui a été brûlé autant qu’il peut l’être et qui a perdu, par une trop longue ou trop violente action du feu, toutes ses qualités, à l’exception de la propriété d’être attiré par l’aimant, qu’il a conservée ou plutôt acquise par l’impression de cet élément.

Il se trouve donc dans le sein de la terre beaucoup de fer en rouille et une certaine quantité de fer en paillettes attirables à l’aimant. On doit rechercher le premier pour le fondre, et rejeter le second, qui est presque infusible. Il y a dans quelques endroits d’assez grands amas de ces sablons ferrugineux que des artistes peu expérimentés ont pris pour de bonnes mines de fer, et qu’ils ont fait porter à leur fourneau sans se douter que cette matière ne pouvait s’y fondre. Ce sont ces mêmes sablons ferrugineux qui se trouvent toujours mêlés avec le platine et qui font même partie de la substance de ce minéral.

Voilà donc déjà deux états sous lesquels se présente le fer disséminé sur la terre : celui d’une rouille qui n’est point attirable à l’aimant et qui se fond aisément à nos fourneaux, et celui de ces paillettes ou sablons magnétiques qu’on ne peut réduire que très difficilement en fonte ; mais, indépendamment de ces deux états, les mines de fer de seconde formation se trouvent encore sous plusieurs autres formes, dont la plus remarquable, quoique la plus commune, est en grains plus ou moins gros ; ces grains ne sont point attirables à l’aimant, à moins qu’ils ne renferment quelques atomes de ces sablons dont nous venons de parler, ce qui arrive assez souvent lorsque les grains sont gros ; les ætites ou géodes ferrugineuses doivent être mises au nombre de ces mines de fer en grains, et leur substance est quelquefois mêlée de ces paillettes attirables à l’aimant ; la nature emploie les mêmes procédés pour la formation de ces géodes ou gros grains que pour celle des plus petits ; ces derniers sont ordinairement les plus purs, mais tous, gros et petits, ont au centre une cavité vide ou remplie d’une matière qui n’est que peu ou point métallique ; et plus les grains sont gros, plus est grande proportionnellement la quantité de cette matière impure qui se trouve dans le centre. Tous sont composés de plusieurs couches superposées et presque concentriques ; et ces couches sont d’autant plus riches en métal qu’elles sont plus éloignées du centre. Lorsqu’on veut mettre au fourneau de grosses géodes, il faut en séparer cette matière impure qui est au centre, en les faisant concasser et laver. Mais on doit employer de préférence les mines en petits grains, qui sont aussi plus communes et plus riches que les mines en géodes ou en très gros grains.

Comme toutes nos mines de fer en grains ont été amenées et déposées par les eaux de la mer, et que, dans ce mouvement de transport, chaque flot n’a pu se charger que de matières d’un poids et d’un volume à peu près égal, il en résulte un effet qui, quoique naturel, a paru singulier ; c’est que, dans chacun de ces dépôts, les grains sont tous à peu près égaux en grosseur, et sont en même temps de la même pesanteur spécifique. Chaque minière de fer a donc son grain particulier : dans les unes les grains sont aussi petits que la graine de moutarde ; dans d’autres, ils sont comme de la graine de navette, et dans d’autres, ils sont gros comme des pois. Et les sables ou graviers, soit calcaires, soit vitreux, qui ont été transportés par les eaux avec ces grains de fer, sont aussi du même volume et du même poids que les grains, à très peu près, dans chaque minière. Souvent ces mines en grains sont mêlées de sables calcaires, qui, loin de nuire à la fusion, servent de castine ou fondant ; mais quelquefois aussi elles sont enduites d’une terre argileuse et grasse, si fort adhérente aux grains qu’on a grande peine à la séparer par le lavage ; et si cette terre est de l’argile pure, elle s’oppose à la fusion de la mine, qui ne peut s’opérer qu’en ajoutant une assez grande quantité de matière calcaire : ces mines mélangées de terres attachantes, qui demandent beaucoup plus de travail au lavoir et beaucoup plus de feu au fourneau, sont celles qui donnent le moins de produit relativement à la dépense. Cependant, en général, les mines en grains coûtent moins à exploiter et à fondre que la plupart des mines en roches, parce que celles-ci exigent de grands travaux pour être tirées de leur carrière, et qu’elles ont besoin d’être grillées pendant plusieurs jours avant d’être concassées et jetées au fourneau de fusion.

Nous devons ajouter à cet état du fer en grains celui du fer en stalactites ou concrétions continues, qui se sont formées soit par l’agrégation des grains, soit par la dissolution et le flux de la matière dont ils sont composés, soit par des dépôts de toute autre matière ferrugineuse, entraînée par la stillation des eaux : ces concrétions ou stalactites ferrugineuses sont quelquefois très riches en métal, et souvent aussi elles sont mêlées de substances étrangères et surtout de matières calcaires, qui facilitent leur fusion et rendent ces mines précieuses par le peu de dépense qu’elles exigent et le bon produit qu’elles donnent.

On trouve aussi des mines de fer mêlées de bitume et de charbon de terre ; mais il est rare qu’on puisse en faire usage, parce qu’elles sont presque aussi combustibles que ce charbon[17], et que souvent la matière ferrugineuse y est réduite en pyrites, et s’y trouve en trop petite quantité pour qu’on puisse l’extraire avec profit.

Enfin le fer disséminé sur la terre se trouve encore dans un état très différent des trois états précédents ; cet état est celui de pyrite, minéral ferrugineux dont le fond n’est que du fer décomposé et intimement lié avec la substance du feu fixe qui a été saisie par l’acide ; la quantité de ces pyrites ferrugineuses est peut-être aussi grande que celle des mines de fer en grains et en rouille : ainsi, lorsque les détriments du fer primordial n’ont été attaqués que par l’humidité de l’air ou l’impression de l’eau, ils se sont convertis en rouille, en ocre, ou formés en stalactites et en grains ; et, quand ces mêmes détriments ont subi une violente action du feu, soit dans les volcans, soit par d’autres incendies, ils ont été brûlés autant qu’ils pouvaient l’être, et se sont transformés en mâchefer, en sablons et paillettes attirables à l’aimant ; mais, lorsque ces mêmes détriments, au lieu d’être travaillés par les éléments humides ou par le feu, ont été saisis par l’acide chargé de la substance du feu fixe, ils ont, pour ainsi dire, perdu leur nature de fer, et ils ont pris la forme de pyrites que l’on ne doit pas compter au nombre des vraies mines de fer, quoiqu’elles contiennent une grande quantité de matière ferrugineuse, parce que le fer y étant dans un état de destruction et intimement uni ou combiné avec l’acide et le feu fixe, c’est-à-dire avec le soufre qui est le destructeur du fer, on ne peut ni séparer ce métal, ni le rétablir par les procédés ordinaires ; il se sublime et brûle au lieu de fondre, et même une assez petite quantité de pyrites, jetées dans un fourneau avec la mine de fer, suffit pour en gâter la fonte ; on doit donc éviter avec soin l’emploi des mines mêlées de parties pyriteuses, qui ne peuvent donner que de fort mauvaise fonte et du fer très cassant.

Mais ces mêmes pyrites, dont on ne peut guère tirer les parties ferrugineuses par le moyen du feu, reproduisent du fer en se décomposant par l’humidité : exposées à l’air, elles commencent par s’effleurir à la surface, et bientôt elles se réduisent en poudre ; leurs parties ferrugineuses reprennent alors la forme de rouille, et dès lors on doit compter ces pyrites décomposées au nombre des autres mines de fer ou des rouilles disséminées, dont se forment les mines en grains[18] et en concrétions. Ces concrétions se trouvent quelquefois mélangées avec de la terre limoneuse, et même avec de petits cailloux ou du sable vitreux ; et, lorsqu’elles sont mêlées de matières calcaires, elles prennent des formes semblables à celle du spath, et on les a dénommées mines spathiques : ces mines sont ordinairement très fusibles et souvent fort riches en métal[19]. Quelques-unes, comme celle de Conflans en Lorraine, sont en assez grandes masses et en gros blocs, d’un grain serré et d’une couleur tannée ; ce minéral est rempli de cristallisations de spath, de bélemnites, de cornes d’Ammon, etc., il est très riche et donne du fer de bonne qualité[20].

Il en est de même des mines de fer cristallisées, auxquelles on a donné le nom d’hématites[21], parce qu’il s’en trouve souvent qui sont d’un rouge couleur de sang : ces hématites cristallisées doivent être considérées comme des stalactites des mines de fer sous lesquelles elles se trouvent ; elles sont quelquefois étendues en lits horizontaux d’une assez grande épaisseur, sous des couches beaucoup plus épaisses de mines en rouille ou en ocre[22] ; et l’on voit évidemment que ces hématites sont produites par la stillation d’une eau chargée de molécules ferrugineuses qu’elle a détachées en passant à travers cette grande épaisseur d’ocre ou de rouille. Au reste, toutes les hématites ne sont pas rouges : il y en a de brunes et même de couleur plus foncée[23] ; mais, lorsqu’on les réduit en poudre, elles prennent toutes une couleur d’un rouge plus ou moins vif, et l’on peut les considérer en général comme l’un des derniers produits de la décomposition du fer par l’intermède de l’eau.

Les hématites, les mines spathiques et autres concrétions ferrugineuses, de quelques substances qu’elles soient mêlées, ne doivent pas être confondues avec les mines du fer primordial ; elles ne sont que de seconde ou de troisième formation : les premières roches de fer ont été produites par le feu primitif, et sont toutes intimement mélangées de matières vitreuses ; les détriments de ces premières roches ont formé les rouilles et les ocres que le mouvement des eaux a transportées sur toutes les parties du globe ; les particules plus ténues de ces rouilles ferrugineuses ont été pompées par les végétaux, et sont entrées dans leur composition et dans celle des animaux, qui les ont ensuite rendues à la terre, par la pourriture et la destruction de leur corps. Ces mêmes molécules ferrugineuses, ayant passé par le corps des êtres organisés, ont conservé une partie des éléments du feu dont elles étaient animées, pendant qu’ils étaient vivants ; et c’est de la réunion de ces molécules de fer animées de feu que se sont formées les pyrites, qui ne contiennent en effet que du fer, du feu fixe et de l’acide, et qui d’ailleurs, se présentant toujours sous une forme régulière, n’ont pu la recevoir que par l’impression des molécules organiques, encore actives dans les derniers résidus des corps organisés. Et comme les végétaux, produits et détruits dans les premiers âges de la nature, étaient en nombre immense, la quantité des pyrites, produites par leurs résidus, est de même si considérable qu’elle surpasse en quelques endroits celle des mines de fer en rouille et en grains, et les pyrites se trouvent souvent enfouies à de plus grandes profondeurs que les unes et les autres.

C’est de la décomposition successive de ces pyrites et de tous les autres détriments du fer primordial ou secondaire que se sont ensuite formées les concrétions spathiques et les mines en masses ou en grains, qui toutes sont de seconde et de troisième formation : car, indépendamment des mines en rouilles ou en grains, qui ont autrefois été transportées, lavées et déposées par les eaux de la mer, indépendamment de celles qui ont été produites par la destruction des pyrites et par celle de tout le fer dont nous faisons usage, on ne peut douter qu’il ne se forme encore tous les jours de la mine de fer en grains dans la terre végétale, et des pyrites dans toutes les terres imprégnées d’acide et que, par conséquent, les mines secondaires de fer ne puissent se reproduire plusieurs fois de la même manière qu’elles ont d’abord été produites, c’est-à-dire avec les mêmes molécules ferrugineuses, provenant originairement des détriments des roches primordiales de fer, qui se sont mêlées dans toutes les matières brutes et dans tous les corps organisés, et qui ont successivement pris toutes les formes sous lesquelles nous venons de les présenter.

Ainsi ces différentes transformations du fer n’empêchent pas que ce métal ne soit un dans la nature, comme tous les autres métaux : ses mines, à la vérité, sont plus sujettes à varier que toutes les autres mines métalliques, et, comme elles sont en même temps les plus difficiles à traiter, et que les expériences, surtout en grand, sont longues et très coûteuses, et que les procédés, ainsi que les résultats des routines ou méthodes ordinaires, sont très différents les uns des autres, bien des gens se sont persuadé que la nature, qui produit partout le même or, le même argent, le même cuivre, le même plomb, le même étain, s’était prêtée à une exception pour le fer, et qu’elle en avait formé de qualités très différentes, non seulement dans les divers pays, mais dans les mêmes lieux. Cependant cette idée n’est point du tout fondée : l’expérience m’a démontré que l’essence du fer est toujours et partout la même[24], en sorte que l’on peut, avec les plus mauvaises mines, venir à bout de faire des fers d’aussi bonne qualité qu’avec les meilleures ; il ne faut pour cela que purifier ces mines en les purgeant de la trop grande quantité de matières étrangères qui s’y trouvent ; le fer qu’on en tirera sera dès lors aussi bon qu’aucun autre.

Mais, pour arriver à ce point de perfection, il faut un traitement différent suivant la nature de la mine ; il faut l’essayer en petit et la bien connaître avant d’en faire usage en grand, et nous ne pouvons donner sur cela que des conseils généraux, qui trouveront néanmoins leur application particulière dans un très grand nombre de cas. Toute roche primordiale de fer, ou mine en roche mélangée de matière vitreuse, doit être grillée pendant plusieurs jours, et ensuite concassée en très petits morceaux avant d’être mise au fourneau ; sans cette première préparation, qui rend le minéral moins dur, on ne viendrait que très difficilement à bout de le briser, et il refuserait même d’entrer en fusion au feu du fourneau, ou n’y entrerait qu’avec beaucoup plus de temps ; il faut toujours y mêler une bonne quantité de castine ou matière calcaire. Le traitement de ces mines exige donc une plus grande dépense que celui des mines en grains, par la consommation plus grande des combustibles employés à leur réduction ; et, à moins qu’elles ne soient, comme celles de Suède, très riches en métal, ou que les combustibles ne soient à très bas prix, le produit ne suffit pas pour payer les frais du travail.

Il n’en est pas de même des mines en concrétions et en masses spathiques ou mélangées de matières calcaires ; il est rarement nécessaire de les griller[25] : on les casse aisément au sortir de leur minière, et elles se fondent avec une grande facilité et sans addition, sinon d’un peu de terre limoneuse ou d’autre matière vitrifiable lorsqu’elles se trouvent trop chargées de substance calcaire ; ces mines sont donc celles qui donnent le plus de produit relativement à la dépense.

Pour qu’on puisse se former quelque idée du gisement et de la qualité des mines primordiales ou roches de fer, nous croyons devoir rapporter ici les observations que M. Jars, de l’Académie des sciences, a faites dans ses voyages. « En Suède, dit-il, la mine de Nordmarck, à trois lieues au nord de Philipstadt, est en filons perpendiculaires, dans une montagne peu élevée au milieu d’un très large vallon ; les filons suivent la direction de la montagne qui est du nord au sud, et ils sont presque tous à très peu près parallèles ; ils ont en quelques endroits sept ou huit toises de largeur. Les montagnes de ce district, et même de toute cette province, sont de granit ; mais les filons de mine de fer se trouvent aux environs, dans une espèce de pierre bleuâtre et brunâtre : cette pierre est unie aux filons de fer, comme le quartz l’est au plomb, au cuivre, etc. Lorsque le granit s’approche du filon, il le dérange et l’oblitère ; ainsi les filons de fer ne se trouvent point dans le granit : le meilleur indice est le mica blanc et noir à grandes facettes ; on est presque toujours sûr de trouver, au-dessous, du minéral riche. Il y a aussi de la pierre calcaire aux environs des granits ; mais le fer ne s’y trouve qu’en rognons, et non pas en filons, ce qui prouve qu’il est de seconde formation dans ces pierres calcaires. Le minéral est attirable à l’aimant ; il est très dur, très compact et fort pesant, il donne plus de cinquante pour cent de bonne fonte ; ces mines sont en masses, et on les travaille comme nous exploitons nos carrières les plus dures avec de la poudre.

» Les mines de Presberg, à deux lieues à l’Orient de Philipstadt, sont de même en filons et dans des rochers assez semblables à ceux de Nordmarck ; ces filons sont quelquefois accompagnés de grenats, de schorl et d’une pierre micacée assez semblable à la craie de Briançon ; ils sont situés dans une presqu’île environnée d’un très grand lac ; ils sont parallèles et vont comme la presqu’île, du nord au sud.

» On dédaigne d’exploiter les filons qui n’ont pas au moins une toise d’épaisseur ; le minéral rend en général cinquante pour cent de fonte. Les filons sont presque perpendiculaires, et les différentes mines ont depuis douze jusqu’à quarante toises de profondeur.

» On fait griller le minéral avant de le jeter dans les hauts fourneaux, qui ont environ vingt-cinq pieds de hauteur ; on le fond à l’aide d’une castine calcaire.

» Les mines de Danemora, dans la province d’Upland, à une lieue d’Upsal, sont les meilleures de toute la Suède : le minéral est communément uni avec une matière fusible[26], en sorte qu’il se fond seul et sans addition de matière calcaire. Ces mines de Danemora sont au bord d’un grand lac ; les filons en sont presque perpendiculaires et parallèles dans une direction commune du nord-est au sud-ouest ; quoique tous les rochers soient de granit, les filons de fer sont toujours, comme ceux des mines précédentes, dans une pierre bleuâtre[27] : il y a actuellement dix mines en exploitation sur trois filons bien distincts ; la plus profonde de ces mines est exploitée jusqu’à quatre-vingts toises de profondeur ; elle est, comme toutes les autres, fort incommodée par les eaux : on les exploite comme des carrières de pierre dure, en faisant au jour de très grandes ouvertures. Le minéral est très attirable à l’aimant ; on lui donne sur tous les autres la préférence pour être converti en acier ; on y trouve quelquefois de l’asbeste : on exploite ces mines tant avec la poudre à canon qu’avec de grands feux de bois allumés, et l’on jette ce bois depuis le dessus de la grande ouverture. Après l’extraction de ces pierres de fer en quartiers plus ou moins gros, on en impose de deux pieds de hauteur sur une couche de bois de sapin de deux pieds d’épaisseur, et l’on couvre le minéral d’un pied et demi de poudre de charbon, et ensuite on met le feu au bois : le minéral, attendri par ce grillage[28], est broyé sous un marteau ou bocard, après quoi on le jette au fourneau seul et sans addition de castine. »

Dans plusieurs endroits, les mines de fer en roche sont assez magnétiques pour qu’on puisse les trouver à la boussole ; cet indice est l’un des plus certains pour distinguer les mines de première formation par le feu de celles qui n’ont ensuite été formées que par l’intermède de l’eau ; mais, de quelque manière et par quelque agent que ces mines aient été travaillées, l’élément du fer est toujours le même[29], et l’on peut, en y mettant tous les soins nécessaires, faire du bon fer avec les plus mauvaises mines : tout dépend du traitement de la mine et du régime du feu, tant au fourneau de fusion qu’à l’affinerie.

Comme l’on sait maintenant fabriquer le fer dans presque toutes les parties du monde, nous pouvons donner ici l’énumération des mines de fer qui se travaillent actuellement chez tous les peuples policés. On connaît en France celles d’Allevard en Dauphiné, qui sont en masses concrètes, et qui donnent de très bon fer et d’assez bon acier pour la fonte, que l’on appelle acier de rive : « J’ai vu, dit M. de Grignon, environ vingt filons de mines spathiques dans les montagnes d’Allevard ; il y en a qui ont six pieds et plus de largeur sur une hauteur incommensurable ; ils marchent régulièrement et sont presque tous perpendiculaires ; on donne le nom de maillat à ceux des filons dont le minerai fond aisément et donne du fer doux, et l’on appelle rive les filons dont le minerai est bien moins fusible et produit du fer dur ; c’est avec le mélange d’un tiers de maillat sur deux tiers de rives, qu’on fait fondre la mine de fer dont on fait ensuite de bon acier connu sous le nom d’acier de rive[30]. »

Les mines du Berri[31], de la Champagne, de la Bourgogne, de la Franche-Comté, du Nivernais, du Languedoc[32] et de quelques autres provinces de France, sont pour la plupart en rouille et en grains, et fournissent la plus grande partie des fers qui se consomment dans le royaume : en général, on peut dire qu’il y a en France des mines de fer de presque toutes les sortes ; celles qui sont en masses solides se trouvent non seulement en Dauphiné, mais aussi dans le Roussillon, le comté de Foix, la Bretagne et la Lorraine, et celles qui sont en grains ou en rouille se présentent en grand nombre dans presque toutes les autres provinces de ce royaume.

L’Espagne a aussi ses mines de fer dont quelques-unes sont en masses concrètes, qui se sont formées de la dissolution et du détriment des masses primitives ; d’autres qui fournissent beaucoup de vitriol ferrugineux et qui paraissent être produites par l’intermède de l’eau chargée d’acide : il y en a d’autres en ocre et en grains dans plusieurs endroits de la Catalogne, de l’Aragon, etc.[33].

En Italie, les mines de fer les plus célèbres sont celles de l’île d’Elbe ; on en a fait récemment de longues descriptions, qui néanmoins sont assez peu exactes ; ces mines sont ouvertes depuis plusieurs siècles, et fournissent du fer à toutes les provinces méridionales de l’Italie[34].

Dans la Grande-Bretagne, il se trouve beaucoup de mines de fer ; la disette de bois fait que depuis longtemps on se sert de charbon de terre pour les fondre : il faut que ce charbon soit épuré lorsqu’on veut s’en servir, surtout à l’affinerie ; sans cette préparation, il rendrait le fer très cassant. Les principales mines de fer de l’Écosse sont près de la bourgade de Carron[35] ; celles de l’Angleterre se trouvent dans le duché de Cumberland[36] et dans quelques autres provinces.

Dans le pays de Liège[37], les mines de fer sont presque toutes mêlées d’argile, et dans le comté de Namur[38], elles sont au contraire mélangées de matière calcaire. La plupart des mines d’Alsace et de Suisse[39] gisent aussi sur des pierres calcaires : toute la partie du mont Jura, qui commence aux confins du territoire de Schaffouse, et qui s’étend jusqu’au comté de Neuchâtel, offre en plusieurs endroits des indices certains de mines de fer.

Toutes les provinces d’Allemagne ont de même leurs mines de fer, soit en roche, en grains, en ocre, en rouille ou en concrétions : celles de Styrie[40] et de Carinthie[41], dont nous avons parlé, sont les plus fameuses ; mais il y en a aussi de très riches dans le Tyrol[42], la Bohême[43], la Saxe, le comté de Nassau-Siegen, le pays de Hanovre[44], etc.

M. Guettard fait mention des mines de fer de la Pologne, et il en a observé quelques-unes : elles sont pour la plupart en rouille, et se tirent presque toutes dans les marais ou dans les lieux bas ; d’autres sont, dit-il, en petits morceaux ferrugineux, et celles qui se trouvent dans les collines sont aussi à peu près de même nature[45].

Les pays du Nord sont les plus abondants en mines de fer : les voyageurs assurent que la plus grande partie des terres de la Laponie sont ferrugineuses ; on a aussi trouvé des mines de fer en Islande[46] et en Groenland[47].

En Moscovie, dans les Russies et en Sibérie, les mines de fer sont très communes et font aujourd’hui l’objet d’un commerce important, car on en transporte le fer en grande quantité dans plusieurs provinces de l’Asie et de l’Europe, et même jusque dans nos ports de France[48].

En Asie, le fer n’est pas aussi commun dans les parties méridionales que dans les contrées septentrionales : les voyageurs disent qu’il y a très peu de mines de fer au Japon, et que ce métal y est presque aussi cher que le cuivre[49] ; cependant, à la Chine, le fer est à bien plus bas prix, ce qui prouve que les mines de ce dernier métal y sont en plus grande abondance.

On en trouve dans les contrées de l’Inde, à Siam[50], à Golconde[51] et dans l’île de Ceylan[52]. L’on connaît de même les fers de Perse[53], d’Arabie[54], et surtout les aciers fameux, connus sous le nom de damas, que ces peuples savaient travailler avant même que nous eussions, en Europe, trouvé l’art de faire de bon acier.

En Afrique, les fers de Barbarie[55] et ceux de Madagascar[56] sont cités par les voyageurs ; il se trouve aussi des mines de fer dans plusieurs autres contrées de cette partie du monde, à Bambouck[57], à Congo[58] et jusque chez les Hottentots[59]. Mais tous ces peuples, à l’exception des Barbaresques, ne savent travailler le fer que très grossièrement, et il n’y a ni forges ni fourneaux considérables dans toute l’étendue de l’Afrique ; du moins, les relateurs ne font mention que des fourneaux nouvellement établis par le roi de Maroc, pour fondre des canons de cuivre et de fonte de fer.

Il y a peut-être autant de mines de fer dans le vaste continent de l’Amérique que dans les autres parties du monde, et il paraît qu’elles sont aussi plus abondantes dans les contrées du nord que dans celles du midi ; nous avons même formé, dès le siècle précédent, des établissements considérables de fourneaux et de forges dans le Canada[60], où l’on fabriquait de très bon fer : il se trouve de même des mines de fer en Virginie[61], où les Anglais ont établi depuis peu des forges ; et, comme ces mines sont très abondantes et se tirent aisément, et presqu’à la surface de la terre, dans toutes ces provinces qui sont actuellement sous leur domination, et que d’ailleurs le bois y est très commun, ils peuvent fabriquer le fer à peu de frais, et ils ne désespèrent pas, dit-on, de fournir ce fer de l’Amérique, au Portugal, à la Turquie, à l’Afrique, aux Indes orientales, et à tous les pays où s’étend leur commerce[62]. Suivant les voyageurs, on a aussi trouvé des mines de fer dans les climats plus méridionaux de ce nouveau continent, comme à Saint-Domingue[63], au Mexique[64], au Pérou[65], au Chili[66], à la Guyane[67] et au Brésil[68] ; et cependant les Mexicains et les Péruviens, qui étaient les peuples les plus policés de ce continent, ne faisaient aucun usage du fer, quoiqu’ils eussent trouvé l’art de fondre les autres métaux, ce qui ne doit pas étonner, puisque dans l’ancien continent il existait des peuples bien plus anciennement civilisés que ne pouvaient l’être les Américains, et que néanmoins il n’y a pas trois mille cinq cents ans que les Grecs ont, les premiers, trouvé les moyens de fondre la mine de fer, et de fabriquer ce métal dans l’île de Crète.

La matière du fer ne manque donc en aucun lieu du monde ; mais l’art de la travailler est si difficile qu’il n’est pas encore universellement répandu, parce qu’il ne peut être avantageusement pratiqué que chez les nations les plus policées, et où le gouvernement concourt à favoriser l’industrie : car, quoiqu’il soit physiquement très possible de faire partout du fer de la meilleure qualité, comme je m’en suis assuré par ma propre expérience, il y a tant d’obstacles physiques et moraux qui s’opposent à cette perfection de l’art que, dans l’état présent des choses, on ne peut guère l’espérer.

Pour en donner un exemple, supposons un homme qui, dans sa propre terre, ait des mines de fer et des charbons de terre, ou des bois en plus grande quantité que les habitants de son pays ne peuvent en consommer, il lui viendra tout naturellement dans l’esprit l’idée d’établir des forges pour consumer ces combustibles, et tirer avantage de ses mines. Cet établissement, qui exige toujours une grosse mise de fonds et qui demande autant d’économie dans la dépense que d’intelligence dans les constructions, pourrait rapporter à ce propriétaire environ dix pour cent, si la manutention en était administrée par lui-même. La peine et les soins qu’exige la conduite d’une telle entreprise, à laquelle il faut se livrer tout entier et pour longtemps, le forceront bientôt à donner à ferme ses mines, ses bois et ses forges, ce qu’il ne pourra faire qu’en cédant moitié du produit : l’intérêt de sa mise se réduit dès lors à cinq au lieu de dix pour cent ; mais le très pesant impôt dont la fonte de fer est grevée au sortir du fourneau diminue si considérablement le bénéfice, que souvent le propriétaire de forge ne tire pas trois pour cent de sa mise, à moins que des circonstances particulières et très rares ne lui permettent de fabriquer ses fers à bon marché et de les vendre cher[69]. Un autre obstacle moral tout aussi opposé, quoique indirectement, à la bonne fabrication de nos fers, c’est le peu de préférence qu’on donne aux bonnes manufactures, et le peu d’attention pour cette branche de commerce qui pourrait devenir l’une des plus importantes du royaume, et qui languit par la liberté de l’entrée des fers étrangers. Le mauvais fer se fait à bien meilleur compte que le bon, et cette différence est au moins du cinquième de son prix ; nous ne ferons donc jamais que du fer de qualité médiocre, tant que le bon et le mauvais fer seront également grevés d’impôts, et que les étrangers nous apporteront, sans un impôt proportionnel, la quantité de bons fers dont on ne peut se passer pour certains ouvrages.

D’ailleurs les architectes et autres gens chargés de régler les mémoires des ouvriers qui emploient le fer dans les bâtiments et dans la construction des vaisseaux ne font pas assez d’attention à la différente qualité des fers ; ils ont un tarif général et commun sur lequel ils règlent indistinctement le prix du fer, en sorte que les ouvriers qui l’emploient pour leur compte dédaignent le bon, et ne prennent que le plus mauvais et le moins cher : à Paris surtout, cette inattention fait que dans les bâtiments on n’emploie que de mauvais fers, ce qui en cause ou précipite la ruine. On sentira toute l’étendue de ce préjudice si l’on veut se rappeler ce que j’ai prouvé par des expériences[70] ; c’est qu’une barre de bon fer a non seulement plus de durée pour un long avenir, mais encore quatre ou cinq fois plus de force et de résistance actuelle qu’une pareille barre de mauvais fer.

Je pourrais m’étendre bien davantage sur les obstacles qui, par des règlements mal entendus, s’opposent à la perfection de l’art des forges en France ; mais, dans l’histoire naturelle du fer, nous devons nous borner à le considérer dans ses rapports physiques, en exposant non seulement les différentes formes sous lesquelles il nous est présenté par la nature, mais encore toutes les différentes manières de traiter les mines et les fontes de fer pour en obtenir du bon métal. Ce point de vue physique, aujourd’hui contrarié par les obstacles moraux dont nous venons de parler, est néanmoins la base réelle sur laquelle on doit se fonder pour la conduite des travaux de cet art, et pour changer ou modifier les règlements qui s’opposent à nos succès en ce genre.

Nous n’avons, en France, que peu de ces roches primordiales de fer, si communes dans les provinces du nord, et dans lesquelles l’élément du fer est toujours mêlé et intimement uni avec une matière vitreuse. La plupart de nos mines de fer sont en petits grains ou en rouille, et elles se trouvent ordinairement à la profondeur de quelques pieds ; elles sont souvent dilatées sur un assez grand espace de terrain, où elles ont été déposées par les anciennes alluvions des eaux avant qu’elles n’eussent abandonné la surface de nos continents : si ces mines ne sont mêlées que de sables calcaires, un seul lavage ou deux suffiront pour les en séparer, et les rendre propres à être mises au fourneau ; la portion de sable calcaire que l’eau n’aura pas emportée servira de castine, il n’en faudra point ajouter, et la fusion de la mine sera facile et prompte ; on observera seulement que, quand la mine reste trop chargée de ce sable calcaire et qu’on n’a pu l’en séparer assez en la lavant ou la criblant, il faut alors y ajouter, au fourneau, une petite quantité de terre limoneuse qui, se convertissant en verre, fait fondre en même temps cette matière calcaire superflue, et ne laisse à la mine que la quantité nécessaire à sa fusion, ce qui fait la bonne qualité de la fonte.

Si ces mines en grains se trouvent au contraire mêlées d’argile fortement attachée à leurs grains, et qu’on a peine d’en séparer par le lavage, il faut le réitérer plusieurs fois, et donner à cette mine, au fourneau, une assez grande quantité de castine ; cette matière calcaire facilitera la fusion de la mine en s’emparant de l’argile qui enveloppe le grain, et qui se fondra par ce mélange : il en sera de même si la mine se trouve mêlée de petits cailloux ; la matière calcaire accélèrera leur fusion ; seulement on doit laver, cribler et vanner ces mines, afin d’en séparer, autant qu’il est possible, les petits cailloux qui souvent y sont en trop grande quantité.

J’ai suivi l’extraction et le traitement de ces trois sortes de mines ; les deux premières étaient en nappes, c’est-à-dire dilatées dans une assez grande étendue de terrain ; la dernière, mêlée de petits cailloux, était au contraire en nids ou en sacs, dans les fentes perpendiculaires des bancs de pierre calcaire : sur une vingtaine de ces mines ensachées dans les rochers calcaires, j’ai constamment observé qu’elles n’étaient mêlées que de petits cailloux quartzeux, de calcédoines et de sables vitreux, mais point du tout de graviers ou de sable calcaire, quoique ces mines fussent environnées de tous côtés de bancs solides de pierres calcaires dont elles remplissaient les intervalles ou fentes perpendiculaires à d’assez grandes profondeurs, comme de cent, cent cinquante et jusqu’à deux cents pieds ; ces fentes, toujours plus larges vers la superficie du terrain, vont toutes en se rétrécissant à mesure qu’on descend, et se terminent par la réunion des rochers calcaires dont les bancs deviennent continus au-dessous ; ainsi, quand ce sac de mine était vidé, on pouvait examiner du haut en bas et de tous côtés les parois de la fente qui la contenait ; elles étaient de pierre purement calcaire, sans aucun mélange de mine de fer ni de petits cailloux : les bancs étaient horizontaux, et l’on voyait évidemment que la fente perpendiculaire n’était qu’une disruption de ces bancs, produite par la retraite et le dessèchement de la matière molle dont ils étaient d’abord composés ; car la suite de chaque banc se trouvait à la même hauteur de l’autre côté de la fente, et tous étaient de même parfaitement correspondants, du haut jusqu’en bas de la fente.

J’ai, de plus, observé que toutes les parois de ces fentes étaient lisses et comme usées par le frottement des eaux, en sorte qu’on ne peut guère douter qu’après l’établissement de la matière des bancs calcaires par lits horizontaux, les fentes perpendiculaires ne se soient d’abord formées par la retraite de cette matière sur elle-même en se durcissant : après quoi, ces mêmes fentes sont demeurées vides, et leur intérieur, d’abord battu par les eaux, n’a reçu que dans des temps postérieurs les mines de fer qui les remplissent.

Ces transports paraissent être les derniers ouvrages de la mer sur nos continents : elle a commencé par étendre les argiles et les sables vitreux sur la roche du globe et sur toutes les matières solides et vitrifiées par le feu primitif ; les schistes se sont formés par le dessèchement des argiles, et les grès par la réunion des sablons quartzeux ; ensuite les poudres calcaires, produites par les débris des premiers coquillages, ont formé les bancs de pierre, qui sont presque toujours posés au-dessus des schistes et des argiles, et en même temps les détriments des végétaux, descendus des parties les plus élevées du globe, ont formé les veines de charbons et de bitumes ; enfin les derniers mouvements de la mer, peu de temps avant d’abandonner la surface de nos collines, ont amené, dans les fentes perpendiculaires des bancs calcaires, ces mines de fer en grains qu’elle a lavés et sépares de la terre végétale, où ils s’étaient formés comme nous l’avons expliqué[71].

Nous observons encore que ces mines, qui se trouvent ensachées dans les rochers calcaires, sont communément en grains plus gros que celles qui sont dilatées par couches sur une grande étendue de terrain[72] ; elles n’ont de plus aucune suite, aucune autre correspondance entre elles que la direction de ces mêmes fentes, qui, dans les masses calcaires, ne suivent pas la direction générale de la colline, du moins aussi régulièrement que dans les montagnes vitreuses ; en sorte que, quand on a épuisé un de ces sacs de mine, l’on n’a souvent nul indice pour en trouver un autre : la boussole ne peut servir ici, car ces mines en grains ne font aucun effet sur l’aiguille aimantée, et la direction de la fente n’est qu’un guide incertain ; car, dans la même colline, on trouve des fentes dont la plus grande dimension horizontale s’étend dans des directions très différentes et quelquefois opposées, ce qui rend la recherche de ces mines très équivoque et leur produit si peu assuré, si contingent, qu’il serait fort imprudent d’établir un fourneau dans un lieu où l’on n’aurait que de ces mines en sacs, parce que ces sacs étant une fois épuisés, on ne serait nullement assuré d’en trouver d’autres ; les plus considérables de ceux dont j’ai fait l’extraction ne contenaient que deux ou trois mille muids de mine, quantité qui suffit à peine à la consommation du fourneau pendant huit ou dix mois. Plusieurs de ces sacs ne contenaient que quatre ou cinq cents muids, et l’on est toujours dans la crainte de n’en pas trouver d’autres après les avoir épuisés ; il faut donc s’assurer s’il n’y a pas à proximité, c’est-à-dire à deux ou trois lieues de distance du lieu où l’on veut établir un fourneau, d’autres mines en couches assez étendues pour pouvoir être moralement sûr qu’une extraction continuée pendant un siècle ne les épuisera pas : sans cette prévoyance, la matière métallique venant à manquer, tout le travail cesserait au bout d’un temps, la forge périrait faute d’aliment, et l’on serait obligé de détruire tout ce que l’on aurait édifié.

Au reste, quoique le fer se reproduise en grains sous nos yeux dans la terre végétale, c’est en trop petite quantité pour que nous puissions en faire usage ; car toutes les minières dont nous faisons l’extraction ont été amenées, lavées et déposées par les eaux de la mer lorsqu’elle couvrait encore nos continents : quelque grande que soit la consommation qu’on a faite, et qu’on fait tous les jours de ces mines, il paraît néanmoins que ces anciens dépôts ne sont pas, à beaucoup près, épuisés, et que nous en avons en France pour un grand nombre de siècles, quand même la consommation doublerait par les encouragements qu’on devrait donner à nos fabrications de fer ; ce sera plutôt la matière combustible qui manquera, si l’on ne donne pas un peu plus d’attention à l’épargne des bois en favorisant l’exploitation des mines de charbon de terre.

Presque toutes nos forges et fourneaux ne sont entretenus que par du charbon de bois[73], et, comme il faut dix-huit à vingt ans d’âge au bois pour être converti en bon charbon, on doit compter qu’avec deux cent cinquante arpents de bois bien économisés, l’on peut faire annuellement six cents ou six cent cinquante milliers de fer ; il faut donc, pour l’entretien d’un pareil établissement, qu’il y ait au moins dix-huit fois deux cent cinquante ou quatre mille cinq cents arpents à portée, c’est-à-dire à deux ou trois lieues de distance, indépendamment d’une quantité égale ou plus grande pour la consommation du pays. Dans toute autre position, l’on ne pourra faire que trois ou quatre cents milliers de fer par la rareté des bois, et toute forge qui ne produirait pas trois cents milliers de fer par an ne vaudrait pas la peine d’être établie ni maintenue : or c’est le cas d’un grand nombre de ces établissements faits dans les temps où le bois était plus commun, où on ne le tirait pas par le flottage des provinces éloignées de Paris, où, enfin, la population étant moins grande, la consommation du bois, comme de toutes les autres denrées, était moindre ; mais, maintenant que toutes ces causes et notre plus grand luxe ont concouru à la disette du bois, on sera forcé de s’attacher à la recherche de ces anciennes forêts enfouies dans le sein de la terre, et qui, sous une forme de matière minérale, ont retenu tous les principes de la combustibilité des végétaux, et peuvent les suppléer non seulement pour l’entretien des feux et des fourneaux nécessaires aux arts, mais encore pour l’usage des cheminées et des poêles de nos maisons, pourvu qu’on donne à ce charbon minéral les préparations convenables.

Les mines en rouille ou en ocre, celles en grains et les mines spathiques ou en concrétions, sont les seules qu’on puisse encore traiter avantageusement dans la plupart de nos provinces de France, où le bois n’est pas fort abondant ; car, quand même on y découvrirait des mines de fer primitif, c’est-à-dire de ces roches primordiales, telles que celles des contrées du Nord, dans lesquelles la substance ferrugineuse est intimement mêlée avec la matière vitreuse, cette découverte nous serait peu utile, attendu que le traitement de ces mines exige près du double de consommation de matière combustible, puisqu’on est obligé de les faire griller au feu pendant quinze jours ou trois semaines avant de pouvoir les concasser et les jeter au fourneau ; d’ailleurs, ces mines en roche, qui sont en masses très dures, et qu’il faut souvent tirer d’une grande profondeur, ne peuvent être exploitées qu’avec de la poudre et de grands feux qui les ramollissent et les font éclater : nous aurions donc un grand avantage sur nos concurrents étrangers si nous avions autant de matières combustibles ; car avec la même quantité nous ferions le double de ce qu’ils peuvent faire, puisque l’opération du grillage consomme presque autant de combustible que celle de la fusion ; et, comme je l’ai souvent dit, il ne tient qu’à nous d’avoir d’aussi bon fer que celui de Suède, dès qu’on ne sera pas forcé, comme on l’est aujourd’hui, de trop épargner le bois, ou que nous pourrons y suppléer par l’usage du charbon de terre épuré.

La bonne qualité du fer provient principalement du traitement de la mine avant et après sa mise au fourneau : si l’on obtient une très bonne fonte, on sera déjà bien avancé pour faire d’excellent fer. Je vais indiquer, le plus sommairement qu’il me sera possible, les moyens d’y parvenir, et par lesquels j’y suis parvenu moi-même, quoique je n’eusse sous ma main que des mines d’une très médiocre qualité.

Il faut s’attacher, dans l’extraction des mines en grains, aux endroits où elles sont les plus pures : si elles ne sont mêlées que d’un quart, ou d’un tiers de matière étrangère, on doit encore les regarder comme bonnes ; mais, si ce mélange hétérogène est de deux tiers ou de trois quarts, il ne sera guère possible de les traiter avantageusement, et l’on fera mieux de les négliger et de chercher ailleurs ; car il arrive toujours que, dans la même minière, dilatée sur une étendue de quelques lieues de terrain, il se trouve des endroits où la mine est beaucoup plus pure que dans d’autres, et de plus la portion inférieure de la minière est communément la meilleure ; au contraire, dans les minières qui sont en sacs perpendiculaires, la partie supérieure est toujours la plus pure, et on trouve la mine plus mélangée à mesure que l’on descend ; il faut donc choisir, et dans les unes et dans les autres, ce qu’elles auront de mieux, et abandonner le reste si l’on peut s’en passer.

Cette mine, extraite avec choix, sera conduite au lavoir pour en séparer toutes les matières terreuses que l’eau peut délayer, et qui entraînera aussi la plus grande partie des sables plus menus ou plus légers que les grains de la mine : seulement il faut être attentif à ne pas continuer le lavage dès qu’on s’aperçoit qu’il passe beaucoup de mine avec le sable[74], ou bien il faut recevoir ce sable mêlé de mine dans un dépôt d’où l’on puisse ensuite le tirer pour le cribler ou le vanner, afin de rendre la mine assez nette pour pouvoir la mêler avec l’autre. On doit de même cribler toute mine lavée qui reste encore chargée d’une trop grande quantité de sable ou de petits cailloux : en général, plus on épurera la mine par les lotions ou par le crible, et moins on consommera de combustible pour la fondre, et l’on sera plus que dédommagé de la dépense qu’on aura faite pour cette préparation de la mine par son produit au fourneau[75].

La mine épurée à ce point peut être confiée au fourneau avec certitude d’un bon produit en quantité et en qualité ; une livre et demie de charbon de bois suffira pour produire une livre de fonte, tandis qu’il faut une livre trois quarts et quelquefois jusqu’à deux livres de charbon lorsque la mine est restée impure : si elle n’est mêlée que de petits cailloux ou de sables vitreux, on fera bien d’y ajouter une certaine quantité de matière calcaire, comme d’un sixième ou d’un huitième par chaque charge, pour en faciliter la fusion ; si au contraire elle est trop mêlée de matière calcaire, on ajoutera une petite quantité, comme d’un quinzième ou d’un vingtième, de terre limoneuse, ce qui suffira pour en accélérer la fusion.

Il y a beaucoup de forges où l’on est dans l’usage de mêler les mines de différentes qualités avant de les jeter au fourneau ; cependant on doit observer que cette pratique ne peut être utile que dans des cas particuliers ; il ne faut jamais mélanger une mine très fusible avec une mine réfractaire, non plus qu’une mine en gros morceaux avec une mine en très petits grains, parce que l’une se fondant en moins de temps que l’autre, il arrive qu’au moment de la coulée la mine réfractaire ou celle qui est en gros morceaux n’est qu’à demi fondue, ce qui donne une mauvaise fonte dont les parties sont mal liées ; il vaut donc mieux fondre seules les mines, de quelque nature qu’elles soient, que de les mêler avec d’autres qui seraient de qualités très différentes ; mais, comme les mines en grains sont à peu près de la même nature, la plus ou moins grande fusibilité de ces mines ne vient pas de la différente qualité des grains, et ne provient que de la nature des terres et des sables qui y sont mêlés ; si ce sable est calcaire, la fonte sera facile ; s’il est vitreux ou argileux, elle sera plus difficile : on doit corriger l’une par l’autre lorsque l’on veut mélanger ces mines au fourneau ; quelques essais suffisent pour reconnaître la quantité qu’il faut ajouter de l’une pour rendre l’autre plus fusible ; en général, le mélange de la matière calcaire à la matière vitreuse les rend bien plus fusibles qu’elles ne le seraient séparément.

Dans les mines en roche ou en masse, ces essais sont plus faciles ; il ne s’agit que de trouver celles qui peuvent servir de fondant aux autres : il faut briser cette mine massive en morceaux d’autant plus petits qu’elle est plus réfractaire ; au reste, les mines de fer qui contiennent du cuivre doivent être rejetées, car elles ne donneraient que du fer très cassant.

La conduite du fourneau demande tout autant et peut-être encore plus d’attention que la préparation de la mine : après avoir laissé le fourneau s’échauffer lentement pendant trois ou quatre jours, en imposant successivement sur le charbon une petite quantité de mine (environ cent livres pesant), on met en jeu les soufflets en ne leur donnant d’abord qu’un mouvement assez lent (de quatre ou cinq foulées par minute) ; on commence alors à augmenter la quantité de la mine, et l’on en met pendant les deux premiers jours deux ou trois mesures (d’environ soixante livres chacune), sur six mesures de charbon (d’environ quarante livres pesant), à chaque charge que l’on impose au fourneau, ce qui ne se fait que quand les charbons enflammés dont il est plein ont baissé d’environ trois pieds et demi. Cette quantité de charbon qu’on impose à chaque charge étant toujours la même, on augmentera graduellement celle de la mine d’une demi-mesure le troisième jour, et d’autant chaque jour suivant, en sorte qu’au bout de huit ou neuf jours on imposera la charge complète de six mesures de mine sur six mesures de charbon ; mais il vaut mieux, dans le commencement, se tenir au-dessous de cette proportion que de se mettre au-dessus.

On doit avoir l’attention d’accélérer la vitesse des soufflets en même proportion à peu près qu’on augmente la quantité de mine, et l’on pourra porter cette vitesse jusqu’à dix coups par minute, en leur supposant trente pouces de foulée, et jusqu’à douze coups si la foulée n’est que de vingt-quatre ou vingt-cinq pouces ; le régime du feu dépend de la conduite du vent, et de tous deux dépendent la célérité du travail et la fusion plus ou moins parfaite de la mine : aussi, dans un fourneau bien construit, tout doit-il être en juste proportion ; la grandeur des soufflets, la largeur de l’orifice de leurs buses, doivent être réglées sur la capacité du fourneau ; une trop petite quantité d’air ferait languir le feu, une trop grande le rendrait trop vif et dévorant ; la fusion de la mine ne se ferait, dans le premier cas, que très lentement et imparfaitement, et dans le second, la mine n’aurait pas le temps de se liquéfier, elle brûlerait en partie au lieu de se fondre en entier.

On jugera du résultat de tous ces effets combinés par la qualité de la matte ou fonte de fer que l’on obtiendra : on peut couler toutes les neuf à dix heures ; mais on fera mieux de mettre deux ou trois heures de plus entre chaque coulée ; la mine en fusion tombe comme une pluie de feu dans le creuset, où elle se tient en bain, et se purifie d’autant plus qu’elle y séjourne plus de temps ; les scories vitrifiées des matières étrangères dont elle était mêlée surnagent le métal fondu et le défendent en même temps de la trop vive action du feu, qui ne manquerait pas d’en calciner la surface ; mais, comme la quantité de ces scories est toujours très considérable, et que leur volume boursouflé s’élèverait à trop de hauteur dans le creuset, on a soin de laisser couler et même de tirer cette matière superflue, qui n’est que du verre impur, auquel on a donné le nom de laitier, et qui ne contient aucune partie de métal lorsque la fusion de la mine se fait bien ; on peut en juger par la nature même de ce laitier, car, s’il est fort rouge, s’il coule difficilement, s’il est poisseux ou mêlé de mine mal fondue, il indiquera le mauvais travail du fourneau ; il faut que ce laitier soit coulant et d’un rouge léger en sortant du fourneau : ce rouge que le feu lui donne s’évanouit au moment qu’il se refroidit, et il prend différentes couleurs, suivant les matières étrangères qui dominaient dans le mélange de la mine.

On pourra donc, toutes les douze heures, obtenir une gueuse ou lingot d’environ deux milliers, et, si la fonte est bien liquide et d’une belle couleur de feu, sans être trop étincelante, on peut bien augurer de sa qualité ; mais on en jugera mieux en l’examinant après l’avoir couverte de poussière de charbon et l’avoir laissée refroidir au moule pendant six ou sept heures ; si le lingot est très sonore, s’il se casse aisément sous la masse, si la matière en est blanche et composée de lames brillantes et de gros grains à facettes, on prononcera sans hésiter que cette fonte est de mauvaise ou du moins de très médiocre qualité, et que, pour la convertir en bon fer, le travail ordinaire de l’affinerie ne serait pas suffisant : il faudra donc lâcher de corriger d’avance cette mauvaise qualité de la fonte par le traitement au fourneau ; pour cela, on diminuera d’un huitième, ou même d’un sixième, la quantité de mine que l’on impose à chaque charge sur la même quantité de charbon, ce qui seul suffira pour changer la qualité de la fonte ; car, alors, on obtiendra des lingots moins sonores, dont la matière, au lieu d’être blanche et à gros grains, sera grise et à petits grains serrés, et, si l’on compare la pesanteur spécifique de ces deux fontes, celle-ci pèsera plus de cinq cents livres le pied cube, tandis que la première n’en pèsera guère que quatre cent soixante-dix ou quatre cent soixante-quinze, et cette fonte grise à grains serrés donnera du bon fer au travail ordinaire de l’affinerie, où elle demandera seulement un peu plus de temps et de feu pour se liquéfier[76].

Il en coûte donc plus au fourneau et à l’affinerie, pour obtenir du bon fer, que pour en faire du mauvais, et j’estime qu’avec la même mine la différence peut aller à un quart en sus ; si la fabrication du mauvais fer coûte cent francs par millier, celle du bon fer coûtera cent vingt-cinq livres et, malheureusement, dans le commerce, on ne paye guère que dix livres de plus le bon fer, et souvent même on le néglige pour n’acheter que le mauvais ; cette différence serait encore plus grande si l’on ne regagnait pas quelque chose dans la conversion de la bonne fonte en fer ; il n’en faut qu’environ quatorze cents pesant, tandis qu’il faut au moins quinze, et souvent seize cents d’une mauvaise fonte, pour faire un millier de fer. Tout le monde pourrait donc faire de la bonne fonte et fabriquer du bon fer ; mais l’impôt dont il est grevé force la plupart de nos maîtres de forges à négliger leur art, et à ne rechercher que ce qui peut diminuer la dépense et augmenter la quantité, ce qui ne peut se faire qu’en altérant la qualité. Quelques-uns d’entre eux, pour épargner la mine, s’étaient avisés de faire broyer les crasses ou scories qui sortent du foyer de l’affinerie et qui contiennent une certaine quantité de fer intimement mêlé avec des matières vitrifiées : par cette addition, ils trouvèrent d’abord un bénéfice considérable en apparence, le fourneau rendait beaucoup plus de fonte ; mais elle était si mauvaise qu’elle perdait à l’affinerie ce qu’elle avait gagné au fourneau, et qu’après cette perte, qui compensait le bénéfice ou plutôt le réduisait à rien, il y avait encore tout à perdre sur la qualité du fer, qui participait de tous les vices de cette mauvaise fonte ; ce fer était si cendreux, si cassant, qu’il ne pouvait être admis dans le commerce.

Au reste, le produit en fer que peut donner la fonte dépend aussi beaucoup de la manière de la traiter au feu de l’affinerie : « J’ai vu, dit M. de Grignon, dans les forges du bas Limousin, faire avec la même fonte deux sortes de fer : le premier doux, d’excellente qualité et fort supérieur à celui du Berri ; on y emploie quatorze cents livres de fonte ; le second est une combinaison de fer et d’acier pour les outils aratoires, et l’on n’emploie que douze cents livres de fonte pour obtenir un millier de fer ; mais on consomme un sixième de plus de charbon que pour le premier ; cette différence ne provient que de la manière de poser la tuyère et de préserver le fer du contact immédiat du vent[77]. » Je pense qu’en effet, si l’on pouvait, en affinant la fonte, la tenir toujours hors de la ligne du vent et environnée de manière qu’elle ne fût point exposée à l’action de l’air, il s’en brûlerait beaucoup moins, et qu’avec douze cents, ou tout au plus treize cents livres de fonte, on obtiendrait un millier de fer.

La mine la plus pure, celle même dont on a trié les grains un à un, est souvent intimement mêlée de particules d’autres métaux ou demi-métaux, et particulièrement de cuivre et de zinc : ce premier métal, qui est fixe, reste dans la fonte, et le zinc, qui est volatil, se sublime ou se brûle[78].

La fonte blanche, sonore et cassante, que je réprouve pour la fabrique du bon fer, n’est guère plus propre à être moulée ; elle se boursoufle au lieu de se condenser par la retraite, et se casse au moindre choc ; mais la fonte blanchâtre, et qui commence à tirer au gris, quoique très dure et encore assez aigre, est très propre à faire des colliers d’arbres de roues, des enclumes et d’autres grosses masses qui doivent résister au frottement ou à la percussion : on en fait aussi des boulets et des bombes ; elle se moule aisément et ne prend que peu de retraite dans le moule. On peut d’ailleurs se procurer à moindres frais cette espèce de fonte au moyen de simples fourneaux à réverbères[79], sans soufflets, et dans lesquels on emploie le charbon de terre plus ou moins épuré : comme ce combustible donne une chaleur beaucoup plus forte que celle du charbon de bois, la mine se fond et coule dans ces fourneaux aussi promptement et en plus grande quantité que dans nos hauts fourneaux, et on a l’avantage de pouvoir placer ces fourneaux partout, au lieu qu’on ne peut établir que sur des courants d’eau nos grands fourneaux à soufflets ; mais cette fonte faite au charbon de terre, dans ces fourneaux de réverbère, ne donne pas du bon fer et les Anglais, tout industrieux qu’ils sont, n’ont pu jusqu’ici parvenir à fabriquer des fers de qualité même médiocre avec ces fontes, qui vraisemblablement ne s’épurent pas assez dans ces fourneaux ; et cependant j’ai vu et éprouvé moi-même qu’il était possible, quoique assez difficile, de faire du bon fer avec de la fonte fondue au charbon de terre dans nos hauts fourneaux à soufflets, parce qu’elle s’y épure davantage que dans ceux de réverbère.

Cette fonte, faite dans des fourneaux de réverbère, peut utilement être employée aux ouvrages moulés ; mais, comme elle n’est pas assez épurée, on ne doit pas s’en servir pour les canons d’artillerie : il faut au contraire la fonte la plus pure, et j’ai dit ailleurs[80] qu’avec des précautions et une bonne conduite au fourneau on pouvait épurer la fonte, au point que les pièces de canon, au lieu de crever en éclats meurtriers, ne feraient que se fendre par l’effet d’une trop forte charge, et dès lors résisteraient sans peine et sans altération à la force de la poudre aux charges ordinaires.

Cet objet, étant de grande importance, mérite une attention particulière : il faut d’abord bannir le préjugé où l’on était qu’il n’est pas possible de tenir la fonte de fer en fusion pendant plus de quinze ou vingt heures, qu’en la gardant plus longtemps elle se brûle, qu’elle peut aussi faire explosion, qu’on ne peut donner au creuset du fourneau une assez grande capacité pour contenir dix ou douze milliers de fonte, que ces trop grandes dimensions du creuset et de la cuve du fourneau en altéreraient ou même en empêcheraient le travail, etc. : toutes ces idées, quoique très peu fondées et pour la plupart fausses, ont été adoptées ; on a cru qu’il fallait deux et même trois hauts fourneaux pour pouvoir couler une pièce de trente-six et même de vingt-quatre, afin de partager en deux ou même en trois creusets la quantité de fonte nécessaire, et ne la tenir en fusion que dix-huit ou vingt heures ; mais, indépendamment des mauvais effets de cette méthode dispendieuse et mal conçue, je puis assurer que j’ai tenu pendant quarante-huit heures sept milliers de fonte en fusion dans mon fourneau sans qu’il soit arrivé le moindre inconvénient, sans qu’elle ait bouillonné plus qu’à l’ordinaire, sans qu’elle se soit brûlée, etc.[81], et que j’ai vu clairement que, si la capacité du creuset, qui s’était fort augmentée par un feu de six mois, eût été plus grande, j’aurais pu y amasser encore autant de milliers de matière en fusion, qui n’aurait rien souffert en la laissant toujours surmontée du laitier nécessaire pour la défendre de la trop grande action du feu et du contact de l’air. Cette fonte, au contraire, tenue pendant quarante-huit heures dans le creuset, n’en était que meilleure et plus épurée ; elle pesait cinq cent douze livres le pied cube, tandis que les fontes grises ordinaires qu’on travaillait alors à mes forges ne pesaient que quatre cent quatre-vingt-quinze livres, et que les fontes blanches ne pesaient que quatre cent soixante-douze livres le pied cube[82]. Il peut donc y avoir une différence de plus de trente-cinq livres par pied cube, c’est-à-dire d’un douzième environ sur la pesanteur spécifique de la fonte de fer ; et, comme sa résistance est tout au moins proportionnelle à sa densité, il s’ensuit que les pièces de canon de cette fonte dense résisteront à la charge de douze livres de poudre, tandis que celles de fonte blanche et légère éclateront par l’effort d’une charge de dix à onze livres : il en est de même de la pureté de la fonte, elle est, comme sa résistance, plus que proportionnelle à sa densité ; car, ayant comparé le produit en fer de ces fontes, j’ai vu qu’il fallait quinze cent cinquante des premières, et seulement treize cent vingt de la fonte épurée qui pesait cinq cent douze livres le pied cube pour faire un millier de fer.

Quelque grande que soit cette différence, je suis persuadé qu’elle pourrait l’être encore plus, et qu’avec un fourneau construit exprès pour couler du gros canon, dans lequel on ne verserait que de la mine bien préparée et à laquelle on donnerait en effet quarante huit heures de séjour dans le creuset avec un feu toujours égal, on obtiendrait de la fonte encore plus dense, plus résistante, et qu’on pourrait parvenir au point de la rendre assez métallique pour que les pièces, au lieu de crever en éclats, ne fissent que se fendre, comme les canons de bronze, par une trop forte charge.

Car la fonte n’est dans le vrai qu’une matte de fer plus ou moins mélangée de matières vitreuses ; il ne s’agirait donc que de purger cette matte de toutes parties hétérogènes, et l’on aurait du fer pur ; mais, comme cette séparation des parties hétérogènes, ne peut se faire complètement par le feu du fourneau, et qu’elle exige de plus le travail de l’homme et la percussion du marteau, tout ce que l’on peut obtenir par le régime du feu le mieux conduit, le plus longtemps soutenu, est une fonte en régule encore plus épurée que celle dont je viens de parler : il faut pour cela briser en morceaux cette première fonte et la faire refondre ; le produit de cette seconde fusion sera du régule, qui est une matière mitoyenne entre la fonte et le fer : ce régule approche de l’état de métallisation, il est un peu ductile, ou du moins il n’est ni cassant, ni aigre, ni poreux, comme la fonte ordinaire ; il est au contraire très dense, très compact, très résistant, et par conséquent très propre à faire de bons canons.

C’est aussi le parti que l’on vient de prendre pour les canons de notre marine ; on casse en morceaux les vieux canons ou les gueuses de fonte, on les refond dans des fourneaux d’aspiration à réverbère : la fonte s’épure et se convertit en régule par cette seconde fusion ; on a confié la direction de ce travail à M. Wilkinson, habile artiste anglais, qui a très bien réussi. Quelques autres artistes français ont suivi la même méthode avec succès, et je suis persuadé qu’on aura dorénavant d’excellents canons, pourvu qu’on ne s’obstine pas à les tourner ; car je ne puis être ici de l’avis de M. le vicomte de Morogues[83], dont néanmoins je respecte les lumières, et pense qu’en enlevant par le tour l’écorce du canon on lui ôte sa cuirasse, c’est-à-dire la partie la plus dure et la plus résistante de toute sa masse[84].

Cette fonte refondue ou ce régule de fer pèse plus de cinq cent trente livres le pied cube ; et, comme le fer forgé pèse cinq cent quarante-cinq ou cinq cent quarante-six livres, et que la meilleure fonte ne pèse que cinq cent douze, on voit que le régule est dans l’état intermédiaire et moyen entre la fonte et le fer : on peut donc être assuré que les canons faits avec ce régule non seulement résisteront à l’effort des charges ordinaires, mais qu’ayant en même temps un peu de ductilité, ils se fendront au lieu d’éclater à de trop fortes charges.

On doit préférer ces nouveaux fourneaux d’aspiration à nos fourneaux ordinaires, parce qu’il ne serait pas possible de refondre la fonte en gros morceaux dans ces derniers, et qu’il y a un grand avantage à se servir des premiers, que l’on peut placer où l’on veut, et sur des plans élevés où l’on a la facilité de creuser des fosses profondes, pour établir le moule du canon sans craindre l’humidité ; d’ailleurs, il est plus court et plus facile de réduire la fonte en régule par une seconde fusion que par un très long séjour dans le creuset des hauts fourneaux : ainsi l’on a très bien fait d’adopter cette méthode pour fondre les pièces d’artillerie de notre marine[85].

La fonte, épurée autant qu’elle peut l’être dans un creuset, ou refondue une seconde fois, devient donc un régule qui fait la nuance ou l’état mitoyen entre la fonte et le fer : ce régule, dans sa première fusion, coule à peu près comme la fonte ordinaire ; mais, lorsqu’il est une fois refroidi, il devient presque aussi infusible que le fer : le feu des volcans a quelquefois formé de ces régules de fer, et c’est ce que les minéralogistes ont appelé mal à propos fer natif ; car, comme nous l’avons dit, le fer de nature est toujours mêlé de matières vitreuses, et n’existe que dans les roches ferrugineuses produites par le feu primitif.

La fonte de fer tenue très longtemps dans le creuset, sans être agitée et remuée de temps en temps, forme quelquefois des boursouflures ou cavités dans son intérieur où la matière se cristallise[86]. M. de Grignon est le premier qui ait observé ces cristallisations du régule de fer, et l’on a reconnu depuis que tous les métaux et les régules des demi-métaux se cristallisaient de même à un feu bien dirigé et assez longtemps soutenu, en sorte qu’on ne peut plus douter que la cristallisation, prise généralement, ne puisse s’opérer par l’élément du feu comme par celui de l’eau.

Le fer est de tous les métaux celui dont l’état varie le plus : tous les fluides, à l’exception du mercure, l’attaquent et le rongent ; l’air sec produit à sa surface une rouille légère qui, en se durcissant, fait l’effet d’un vernis impénétrable et assez ressemblant au vernis des bronzes antiques ; l’air humide forme une rouille plus forte et plus profonde, de couleur d’ocre ; l’eau produit avec le temps, sur le fer qu’on y laisse plongé, une rouille noire et légère. Toutes les substances salines font de grandes impressions sur ce métal et le convertissent en rouille : le soufre fait fondre en un instant le fer rouge de feu et le change en pyrite ; enfin l’action du feu détruit le fer ou du moins l’altère, dès qu’il a pris sa parfaite métallisation ; un feu très véhément le vitrifie ; un feu moins violent, mais longtemps continué, le réduit en colcothar pulvérulent, et, lorsque le feu est à un moindre degré, il ne laisse pas d’attaquer à la longue la substance du fer, et en réduit la surface en lames minces et en écailles. La fonte de fer est également susceptible de destruction par les mêmes éléments ; cependant l’eau n’a pas autant d’action sur la fonte que sur le fer, et les plus mauvaises fontes, c’est-à-dire celles qui contiennent le plus de parties vitreuses, sont celles sur lesquelles l’air humide et l’eau font le moins d’impression.

Après avoir exposé les différentes qualités de la fonte de fer et les différentes altérations que la seule action du feu peut lui faire subir jusqu’à sa destruction, il faut reprendre cette fonte au point où notre art la convertit en une nouvelle matière que la nature ne nous offre nulle part sous cette forme, c’est-à-dire en fer et en acier, qui de toutes les substances métalliques sont les plus difficiles à traiter, et doivent pour ainsi dire toutes leurs qualités à la main et au travail de l’homme ; mais ce sont aussi les matières qui, comme par dédommagement, lui sont les plus utiles et plus nécessaires que tous les autres métaux, dont les plus précieux n’ont de valeur que par nos conventions, puisque les hommes qui ignorent cette valeur de convention donnent volontiers un morceau d’or pour un clou ; en effet, si l’on estime les matières par leur utilité physique, le sauvage a raison, et si nous les estimons par le travail qu’elles coûtent, nous trouverons encore qu’il n’a pas moins raison : que de difficultés à vaincre ! que de problèmes à résoudre ! combien d’arts accumulés les uns sur les autres ne faut-il pas pour faire ce clou ou cette épingle dont nous faisons si peu de cas ? D’abord, de toutes les substances métalliques, la mine de fer est la plus difficile à fondre[87] ; il s’est passé bien des siècles avant qu’on en ait trouvé les moyens : on sait que les Péruviens et les Mexicains n’avaient en ouvrages travaillés que de l’or, de l’argent, du cuivre, et point de fer ; on sait que les armes des anciens peuples de l’Asie n’étaient que de cuivre, et tous les auteurs s’accordent à donner l’importante découverte de la fusion de la mine de fer aux habitants de l’île de Crête, qui, les premiers, parvinrent aussi à forger le fer dans les cavernes du mont Ida[88], quatorze cents ans environ avant l’ère chrétienne. Il faut en effet un feu violent et en grand volume pour fondre la mine de fer et la faire couler en lingots, et il faut un second feu tout aussi violent pour ramollir cette fonte ; il faut en même temps la travailler avec des ringards de fer, avant de la porter sous le marteau pour la forger et en faire du fer, en sorte qu’on n’imagine pas trop comment ces Crétois, premiers inventeurs du fer forgé, ont pu travailler leurs fontes, puisqu’ils n’avaient pas encore d’outils de fer ; il est à croire qu’après avoir ramolli les fontes au feu, ils les ont de suite portées sous le marteau, où elles n’auront d’abord donné qu’un fer très impur dont ils auront fabriqué leurs premiers instruments ou ringards, et qu’ayant ensuite travaillé la fonte avec ces instruments, ils seront parvenus peu à peu au point de fabriquer du vrai fer ; je dis peu à peu, car, lorsque après ces difficultés vaincues on a forgé cette barre de fer, ne faut-il pas ensuite la ramollir encore au feu pour la couper sous des tranchants d’acier et la séparer en petites verges ? ce qui suppose d’autres machines, d’autres fourneaux, puis enfin un art particulier pour réduire ces verges en clous, et un plus grand art si l’on veut en faire des épingles ; que de temps, que de travaux successifs ce petit exposé ne nous offre-t-il pas ! Le cuivre qui, de tous les métaux après le fer, est le plus difficile à traiter, n’exige pas à beaucoup près autant de travaux et de machines combinées ; comme plus ductile et plus souple, il se prête à toutes les formes qu’on veut lui donner ; mais on sera toujours étonné que d’une terre métallique, dont on ne peut faire avec le feu le plus violent qu’une fonte aigre et cassante, on soit parvenu, à force d’autres feux et de machines appropriées, à tirer et réduire en fils déliés cette matière revêche, qui ne devient métal et ne prend de la ductilité que sous les efforts de nos mains.

Parcourons, sans trop nous arrêter, la suite des opérations qu’exigent ces travaux. Nous avons indiqué ceux de la fusion des mines : on coule la fonte en gros lingots ou gueuses dans un sillon de quinze à vingt pieds de longueur, sur sept ou huit pouces de profondeur, et ordinairement on les laisse se coaguler et se refroidir dans cette espèce de moule qu’on a soin d’humecter auparavant avec de l’eau ; les surfaces inférieures du lingot prennent une trempe par cette humidité, et sa surface supérieure se trempe aussi par l’impression de l’air : la matière en fusion demeure donc encore liquide dans l’intérieur du lingot, tandis que ses faces extérieures ont déjà pris de la solidité par le refroidissement ; l’effort de cette chaleur, beaucoup plus forte en dedans et au centre qu’à la circonférence du lingot, le force à se courber, surtout s’il est de fonte blanche, et cette courbure se fait dans le sens où il y a le moins de résistance, c’est-à-dire en haut, parce que la résistance est moindre qu’en bas et vers les côtés ; on peut voir, dans mes Mémoires[89], combien de temps la matière reste liquide à l’intérieur après que les surfaces se sont consolidées.

D’ordinaire, on laisse la gueuse ou lingot se refroidir au moule pendant six ou sept heures ; après quoi, on l’enlève, et on est obligé de le faire peser pour payer un droit très onéreux d’environ six livres quinze sous par millier de fonte, ce qui fait plus de dix livres par chaque millier de fer ; c’est le double du salaire de l’ouvrier, auquel on ne paye que cinq livres pour la façon d’un millier de fer ; et d’ailleurs, ce droit que l’on perçoit sur les fontes cause encore une perte réelle, et une grande gêne, par la nécessité où l’on est de laisser refroidir le lingot pour le peser, ce que l’on ne peut faire tant qu’il est rouge de feu ; au lieu qu’en le tirant du moule au moment qu’il est consolidé, et le mettant sur des rouleaux de pierre pour entrer encore rouge au feu de l’affinerie, on épargnerait tout le charbon que l’on consomme pour le réchauffer à ce point lorsqu’il est refroidi ; or un impôt, qui non seulement grève une propriété d’industrie qui devrait être libre, telle que celle d’un fourneau, mais qui gêne encore le progrès de l’art, et force en même temps à consommer plus de matière combustible qu’il ne serait nécessaire, cet impôt, dis-je, a-t-il été bien assis, et doit-il subsister sous une administration éclairée ?

Après avoir tiré du moule le lingot refroidi, on le fait entrer, par l’une de ses extrémités, dans le feu de l’affinerie où il se ramollit peu à peu, et tombe ensuite par morceaux, que le forgeron réunit et pétrit avec des ringards pour en faire une loupe de soixante à quatre-vingts livres de poids ; dans ce travail, la matière s’épure et laisse couler des scories par le fond du foyer. Enfin, lorsqu’elle est assez pétrie, assez maniée et chauffée jusqu’au blanc, on la tire du feu de l’affinerie avec de grandes tenailles, et on la jette sur le sol pour la frapper de quelques coups de masse, et en séparer, par cette première percussion, les scories qui souvent s’attachent à sa surface, et en même temps pour en rapprocher toutes les parties intérieures, et les préparer à recevoir la percussion plus forte du gros marteau, sans se détacher ni se séparer ; après quoi, on porte avec les mêmes tenailles cette loupe sous un marteau de sept à huit cents livres pesant, et qui peut frapper jusqu’à cent dix et cent vingt coups par minute, mais dont on ménage le mouvement pour cette première fois, où il ne faut que comprimer la masse de la loupe par des coups assez lents ; car, dès qu’elle a perdu son feu vif et blanc, on la reporte au foyer de l’affinerie pour lui donner une seconde chaude ; elle s’y épure encore et laisse couler de nouveau quelques scories, et lorsqu’elle est une seconde fois chauffée à blanc, on la porte de même du foyer sur l’enclume, et on donne au marteau un mouvement de plus en plus accéléré, pour étendre cette pièce de fer en une barre ou bande qu’on ne peut achever que par une troisième, quatrième et quelquefois une cinquième chaude. Cette percussion du marteau purifie la fonte en faisant sortir au dehors les matières étrangères dont elle était encore mêlée, et elle rapproche en même temps, par une forte compression, toutes les parties du métal qui, quand il est pur et bien traité, se présente en fibres nerveuses toutes dirigées dans le sens de la longueur de la barre, mais qui n’offre au contraire que de gros grains ou des lames à facettes lorsqu’il n’a pas été assez épuré, soit au fourneau de fusion, soit au foyer de l’affinerie ; et c’est par ces caractères très simples que l’on peut toujours distinguer les bons fers des mauvais en les faisant casser : ceux-ci se brisent au premier coup de masse, tandis qu’il en faut plus de cent pour casser une pareille bande de fer nerveux, et que souvent même il faut l’entamer avec un ciseau d’acier pour la rompre.

Le fer, une fois forgé, devient d’autant plus difficile à refondre qu’il est plus pur et en plus gros volume ; car on peut assez aisément faire fondre les vieilles ferrailles réduites en plaques minces ou en petits morceaux ; il en est de même de la limaille ou des écailles de fer[90] ; on peut en faire d’excellent fer, soit pour le tirer en fil d’archal, soit pour en faire des canons de fusil, ainsi qu’on le pratique depuis longtemps en Espagne. Comme c’est un des emplois du fer qui demandent le plus de précaution, et que l’on n’est pas d’accord sur la qualité des fers qu’il faut préférer pour faire de bons canons de fusil, j’ai tâché de prendre sur cela des connaissances exactes, et j’ai prié M. de Montbeillard, lieutenant-colonel d’artillerie et inspecteur des armes à Charleville et Maubeuge, de me communiquer ce que sa longue expérience lui avait appris à ce sujet : on verra, dans la note ci-dessous[91], que les canons de fusil ne doivent pas être faits, comme on pourrait l’imaginer, avec du fer qui aurait acquis toute sa perfection, mais seulement avec du fer qui puisse encore en acquérir par le feu qu’il doit subir pour prendre la forme d’un canon de fusil.

Mais revenons au fer qui vient d’être forgé, et qu’on veut préparer pour d’autres usages encore plus communs : si on le destine à être fendu dans sa longueur pour en faire des clous et autres menus ouvrages, il faut que les bandes n’aient que de cinq à huit lignes d’épaisseur sur vingt-cinq à trente de largeur ; on met ces bandes de fer dans un fourneau de réverbère qu’on chauffe au feu de bois, et lorsqu’elles ont acquis un rouge vif de feu, on les tire du fourneau et on les fait passer, les unes après les autres, sous les espatards ou cylindres pour les aplatir, et ensuite sous des taillants d’acier, pour les fendre en longues verges carrées de trois, cinq et six lignes de grosseur ; il se fait une prodigieuse consommation de ce fer en verge, et il y a plusieurs forges en France, où l’on en fait annuellement quelques centaines de milliers. On préfère, pour le feu de ce fourneau ou four de fenderie, les bois blancs et mous aux bois de chêne et autres bois durs, parce que la flamme en est plus douce, et que le bois de chêne contient de l’acide qui ne laisse pas d’altérer un peu la qualité du fer : c’est par cette raison qu’on doit, autant qu’on le peut, n’employer le charbon de chêne qu’au fourneau de fusion, et garder les charbons de bois blanc pour les affineries et pour les fourneaux de fenderie et de batterie ; car la cuisson du bois de chêne en charbon ne lui enlève pas l’acide dont il est chargé, et en général le feu du bois radoucit l’aigreur du fer, et lui donne plus de souplesse et un peu plus de ductilité qu’il n’en avait au sortir de l’affinerie dont le feu n’est entretenu que par du charbon. L’on peut faire passer à la fenderie des fers de toute qualité : ceux qui sont les plus aigres servent à faire de petits clous à lattes qui ne plient pas, et qui doivent être plutôt cassants que souples ; les verges de fer doux sont pour les clous des maréchaux, et peuvent être passées par la filière pour faire du gros fil de fer, des anses de chaudières, etc.

Si l’on destine les bandes de fer forgé à faire de la tôle, on les fait de même passer au feu de la fenderie, et, au lieu de les fendre sur leur longueur, on les coupe en travers dès qu’elles sont ramollies par le feu ; ensuite on porte ces morceaux coupés sous le martinet pour les élargir ; après quoi, on les met dans le fourneau de la batterie, qui est aussi de réverbère, mais qui est plus large et moins long que celui de la fenderie, et que l’on chauffe de même avec du bois blanc : on y laisse chauffer ces morceaux de fer, et on les en tire en les mettant les uns sur les autres pour les élargir encore en les battant à plusieurs fois sous un gros marteau, jusqu’à les réduire en feuillets d’une demi-ligne d’épaisseur ; il faut pour cela du fer doux ; j’ai fait de la très bonne tôle avec de vieilles ferrailles, néanmoins le fer ordinaire, pourvu qu’il soit nerveux, bien sué et sans pailles, donnera aussi de la bonne tôle en la faisant au feu de bois, au lieu qu’au feu de charbon ce même fer ne donnerait que de la tôle cassante.

Il faut aussi du fer doux et nerveux pour faire au martinet du fer de cinq ou six lignes, bien carré, qu’on nomme du carillon, et des verges ou tringles rondes du même diamètre : j’ai fait établir deux de ces martinets, dont l’un frappe trois cent douze coups par minute ; cette grande rapidité est doublement avantageuse, tant par l’épargne du combustible et la célérité du travail, que par la perfection qu’elle donne à ces fers.

Enfin, il faut un fer de la meilleure qualité, et qui soit en même temps très ferme et très ductile pour faire du fil de fer, et il y a quelques forges en Lorraine, en Franche-Comté, etc., où le fer est assez bon pour qu’il puisse passer successivement par toutes les filières, depuis deux lignes de diamètre jusqu’à la plus étroite, au sortir de laquelle le fil de fer est aussi fin que du crin : en général, le fer qu’on destine à la filière doit être tout de nerf et ductile dans toutes ses parties ; il doit être bien sué, sans pailles, sans soufflures et sans grains apparents. J’ai fait venir des ouvriers de la Lorraine allemande pour en faire à mes forges, afin de connaître la différence du travail et la pratique nécessaire pour forger ce fer de filerie : elle consiste principalement à purifier la loupe au feu de raffinerie deux fois au lieu d’une, à donner à la pièce une chaude ou deux de plus qu’à l’ordinaire, et à n’employer dans tout le travail qu’une petite quantité de charbon à la fois, réitérée souvent, et enfin à ne forger des barreaux que de douze ou treize lignes en carré, en les faisant suer à blanc à chaque chaude ; j’ai eu par ces procédés des fers que j’ai envoyés à différentes fileries où ils ont été tirés en fils de fer avec succès.

Il faut aussi du fer de très bonne qualité pour faire la tôle mince dont on fait le fer-blanc : nous n’avons encore en France que quatre manufactures en ce genre, dont celle de Bains en Lorraine est la plus considérable[92]. On sait que c’est en étamant la tôle, c’est-à-dire en la recouvrant d’étain, que l’on fait le fer-blanc ; il faut que l’étoffe de cette tôle soit homogène et très souple pour qu’elle puisse se plier et se rouler sans se fendre ni se gercer, quelque mince qu’elle soit : pour arriver à ce point, on commence par faire de la tôle à la manière ordinaire, et on la bat successivement sous le marteau, en mettant les feuilles en doublons les unes sur les autres jusqu’au nombre de soixante-quatre, et lorsqu’on est parvenu à rendre ces feuilles assez minces, on les coupe avec de grands ciseaux pour les séparer, les ébarber et les rendre carrées ; ensuite on plonge ces feuilles une à une dans des eaux sures ou aigres pour les décaper, c’est-à-dire pour leur enlever la petite couche noirâtre dont se couvre le fer chaque fois qu’il est soumis à l’action du feu, et qui empêcherait l’étain de s’attacher au fer ; ces eaux aigres se font au moyen d’une certaine quantité de farine de seigle et d’un peu d’alun qu’on y mêle ; elles enlèvent cette couche noire du fer, et lorsque les feuilles sont bien nettoyées, on les plonge verticalement dans un bain d’étain fondu et mêlé d’un peu de cuivre ; il faut auparavant recouvrir le bain de cet étain fondu avec une couche épaisse de suif ou de graisse pour empêcher la surface de l’étain de se réduire en chaux : cette graisse prépare aussi les surfaces du fer à bien recevoir l’étain, et on en retire la feuille presque immédiatement après l’avoir plongée pour laisser égoutter l’étain superflu ; après quoi, on la frotte avec du son sec, afin de la dégraisser, et enfin il ne reste plus qu’à dresser ces feuilles de fer étamées avec des maillets de bois, parce qu’elles se sont courbées et voilées par la chaleur de l’étain fondu.

On ne croirait pas que le fer le plus souple et le plus ductile fût en même temps celui qui se trouve le plus propre pour être converti en acier, qui, comme l’on sait, est d’autant plus cassant qu’il est plus parfait ; néanmoins, l’étoffe du fer, dont on veut faire l’acier par cémentation, doit être la même que celle du fer de filerie, et l’opération par laquelle on le convertit en acier ne fait que hacher les fibres nerveuses de ce fer et lui donner encore un plus grand degré de pureté, en même temps qu’il se pénètre et se charge de la matière du feu qui s’y fixe, je m’en suis assuré par ma propre expérience ; j’ai fait établir pour cela un grand fourneau d’aspiration et d’autres plus petits, afin de ménager la dépense de mes essais, et j’ai obtenu des aciers de bonne qualité, que quelques ouvriers de Paris ont pris pour de l’acier d’Angleterre ; mais j’ai constamment observé qu’on ne réussissait qu’autant que le fer était pur, et que, pour être assuré d’un succès constant, il fallait n’employer que des fers de la plus excellente qualité ou des fers rendus tels par un travail approprié ; car les fers ordinaires, même les meilleurs de ceux qui sont dans le commerce, ne sont pas d’une qualité assez parfaite pour être convertis par la cémentation en bon acier ; et si l’on veut ne faire que de l’acier commun, l’on n’a pas besoin de recourir à la cémentation, car, au lieu d’employer du fer forgé, on obtiendra de l’acier comme on obtient du fer avec la seule fonte, et seulement en variant les procédés du travail, et les multipliant à l’affinerie et au marteau[93].

On doit donc distinguer des aciers de deux sortes : le premier, qui se fait avec la fonte de fer ou avec le fer même, et sans cémentation ; le second, que l’on fait avec le fer, en employant un cément ; tous deux se détériorent également, et perdent leur qualité par des chaudes réitérées, et la pratique par laquelle on a cru remédier à ce défaut, en donnant à chaque morceau de fer la forme de la pièce qu’on veut convertir en acier, a elle même son inconvénient ; car celles de ces pièces, comme sabres, couteaux, rasoirs, etc., qui sont plus minces dans le tranchant que dans le dos, seront trop acier dans la partie mince et trop fer dans l’autre, et d’ailleurs les petites boursouflures qui s’élèvent à leur surface rendraient ces pièces défectueuses : il faut, de plus, que l’acier cémenté soit corroyé, sué et soudé pour avoir de la force et du corps ; en sorte que ce procédé de forger les pièces, avant de les mettre dans le cément, ne peut convenir que pour les morceaux épais, dont on ne veut convertir que la surface en acier.

Pour faire de l’acier avec la fonte de fer, il faut commencer par rendre cette fonte aussi pure qu’il est possible avant de la tirer du fourneau de fusion, et pour cela, si l’on met huit mesures de mine pour faire de la fonte ordinaire, il n’en faudra mettre que six par charge sur la même quantité de charbon, afin que la fonte en devienne meilleure : on pourra aussi la tenir plus longtemps en bain dans le creuset, c’est-à-dire quinze ou seize heures au lieu de douze, elle achèvera pendant ce temps de s’épurer ; ensuite on la coulera en petites gueuses ou lingots, et, pour la dépurer encore davantage, on fera fondre une seconde fois ce lingot dans le feu de l’affinerie ; cette seconde fusion lui donnera la qualité nécessaire pour devenir du bon acier au moyen du travail suivant.

On remettra au feu de l’affinerie cette fonte épurée pour en faire une loupe qu’on portera sous le marteau lorsqu’elle sera rougie à blanc, on la traitera comme le fer ordinaire, mais seulement sous un plus petit marteau, parce qu’il faut aussi que la loupe soit assez petite, c’est-à-dire de vingt-cinq à trente livres seulement ; on en fera un barreau carré de dix ou onze lignes au plus, et, lorsqu’il sera forgé et refroidi, on le cassera en morceaux longs d’environ un pied, que l’on remettra au feu de l’affinerie, en les arrangeant en forme de grille, les uns sur les autres : ces petits barreaux se ramolliront par l’action du feu et se souderont ensemble ; l’on en fera une nouvelle loupe que l’on travaillera comme la première, et qu’on portera de même sous le marteau pour en faire un nouveau barreau, qui sera peut-être déjà de bon acier ; et même, si la fonte a été bien épurée, on aura de l’acier assez bon dès la première fois ; mais, supposé que cette seconde fois l’on n’ait encore que du fer ou du fer mêlé d’acier, il faudra casser de nouveau le barreau en morceaux et en former encore une loupe au feu de l’affinerie, pour la porter ensuite au marteau, et obtenir enfin une barre de bon acier. On sent bien que le déchet doit être très considérable, et d’ailleurs cette méthode de faire de l’acier ne réussit pas toujours ; car il arrive assez souvent qu’en chauffant plusieurs fois ces petites barres on n’obtient pas de l’acier, mais seulement du fer nerveux : ainsi je ne conseillerais pas cette pratique, quoiqu’elle m’ait réussi, vu qu’elle doit être conduite fort délicatement et qu’elle expose à des pertes. Celle que l’on suit en Carinthie, pour faire de même de l’acier par la seule dépuration de la fonte, est plus sûre et même plus simple : on observe d’abord de faire une première fonte, la meilleure et la plus pure qu’il se peut ; cette fonte est coulée en floss, c’est-à-dire en gâteaux d’environ six pieds de long sur un pied de large, et trois à quatre pouces d’épaisseur ; cette floss est portée et présentée par le bout à un feu animé par des soufflets, qui la fait fondre une seconde fois et couler dans un creuset placé sous le foyer. Tout le fond de ce creuset est rempli de poudre de charbon bien battue ; on en garnit de même les parois, et par-dessus la fonte on jette du charbon et du laitier pour la couvrir : après six heures de séjour dans le creuset[94], la fonte étant bien épurée de son laitier, on en prend une loupe d’environ cent quarante à cent cinquante livres, que l’on porte sous le marteau pour être divisée en deux ou trois massets, qui sont ensuite chauffés et étirés en barres, qui, quoique brutes, font de bon acier, et qu’il ne faut que porter à la batterie pour y recevoir des chaudes successives et être mises sous le martinet qui leur donne la forme[95]. Il me paraît que le succès de cette opération tient essentiellement à ce que la fonte soit environnée d’une épaisseur de poudre de charbon, qui, de cette manière, produit une sorte de cémentation de la fonte et la sature de feu fixe[NdÉ 2], tout comme les bandes de fer forgé en sont saturées dans la cémentation proprement dite, dont nous allons exposer les procédés.

Cette conversion du fer en acier au moyen de la cémentation a été tentée par nombre d’artistes, et réussit assez facilement dans de petits fourneaux de chimie ; mais elle présente plusieurs difficultés lorsqu’on veut travailler en grand, et je ne sache pas que nous ayons en France d’autres fourneaux que celui de Néronville en Gâtinois, où l’on convertisse à la fois jusqu’à soixante-quinze et quatre-vingts milliers de fer en acier, et encore cet acier n’est peut-être pas aussi parfait que celui qu’on fait en Angleterre : c’est ce qui a déterminé le gouvernement à charger M. de Grignon de faire, dans mes forges et au fourneau de Néronville, des essais en grand, afin de connaître quelles sont les provinces du royaume dont les fers sont les plus propres à être convertis en acier par la voie de la cémentation : les résultats de ces expériences ont été imprimés dans le Journal de Physique du mois de septembre 1782 ; on en peut voir l’extrait dans la note ci-dessous[96] ; et voici ce que ma propre expérience m’avait fait connaître avant ces derniers essais.

J’ai fait chauffer au feu de bois, dans le fourneau de la fonderie, plusieurs bandes de mon fer de la meilleure qualité, et qui avait été travaillé comme les barreaux qu’on envoyait aux fileries pour y faire du fil de fer, et j’ai fait chauffer au même feu et en même temps d’autres bandes de fer moins épuré, et tel qu’il se vend dans mes forges pour le commerce ; j’ai fait couper à chaud toutes ces bandes en morceaux longs de deux pieds, parce que la caisse de mon premier fourneau d’essais, où je voulais les placer pour les convertir en acier, n’avait que deux pieds et demi de longueur sur dix-huit pouces de largeur et autant de hauteur. On commença par mettre sur le fond de la caisse une couche de charbon en poudre de deux pouces d’épaisseur, sur laquelle on plaça, une à une, les petites bandes de fer de deux pieds de longueur, de manière qu’elles ne se touchaient pas ; et qu’elles étaient séparées les unes des autres par un intervalle de plus d’un demi-pouce, on mit ensuite sur ces bandes une autre couche d’un pouce d’épaisseur de poudre de charbon, sur laquelle on posa de même d’autres bandes de fer, et ainsi alternativement des couches de charbon et des bandes de fer, jusqu’à ce que la caisse fût remplie, à trois pouces près, dans toute sa hauteur ; on remplit ces trois derniers pouces vides, d’abord avec deux pouces de poudre de charbon, sur laquelle on amoncela en forme de dôme autant de poudre de grès qu’il pouvait en tenir sur la caisse sans s’ébouler : cette couverture de poudre de grès sert à préserver la poudre de charbon de l’atteinte et de la communication du feu. Il faut aussi avoir soin que les bandes de fer ne touchent ni par les côtés, ni par les extrémités, aux parois de la caisse, dont elles doivent être éloignées et séparées par une épaisseur de deux pouces de poudre de charbon : on a soin de pratiquer, dans le milieu d’une des petites faces de la caisse, une ouverture où l’on passe, par le dehors, une bande de huit ou dix pouces de longueur et de même épaisseur que les autres, pour servir d’indice ou d’éprouvette ; car, en retirant cette bande de fer au bout de quelques jours de feu, on juge par son état de celui des autres bandes renfermées dans la caisse, et l’on voit, en examinant cette bande d’épreuve, à quel point est avancée la conversion du fer en acier.

Le fond et les quatre côtés de la caisse doivent être de grès pur ou de très bonnes briques bien jointes et bien lutées avec de l’argile : cette caisse porte sur une voûte de briques, sous laquelle s’étend la flamme d’un feu qu’on entretient continuellement sur un tisar à l’ouverture de cette voûte, le long de laquelle on pratique des tuyaux aspiratoires de six pouces en six pouces, pour attirer la flamme et la faire circuler également tout autour de la caisse, au-dessus de laquelle doit être une autre voûte où la flamme, après avoir circulé, est enfin emportée rapidement par d’autres tuyaux d’aspiration aboutissant à une grande et haute cheminée. Après avoir réussi à ces premiers essais, j’ai fait construire un grand fourneau de même forme, et qui a quatorze pieds de longueur sur neuf de largeur et huit de hauteur, avec deux tisars en fonte de fer sur lesquels on met le bois, qui doit être bien sec, pour ne donner que de la flamme sans fumée ; la voûte inférieure communique à l’entour de la caisse par vingt-quatre tuyaux aspiratoires, et la voûte supérieure communique à la grande cheminée par cinq autres tuyaux : cette cheminée est élevée de trente pieds au-dessus du fourneau et elle porte sur de grosses gueuses de fonte. Cette construction démontre assez que c’est un grand fourneau d’aspiration où l’air, puissamment attiré par le feu, anime la flamme et la fait circuler avec la plus grande rapidité ; on entretient ce feu sans interruption pendant cinq ou six jours, et dès le quatrième on tire l’éprouvette pour s’assurer de l’effet qu’il a produit sur les bandes de fer qui sont dans la caisse de cémentation : on reconnaîtra, tant aux petites boursouflures qu’a la cassure de cette bande d’épreuve, si le fer est près ou loin d’être transformé en acier, et d’après cette connaissance l’on fera cesser ou continuer le feu ; et, lorsqu’on jugera que la conversion est achevée, on laissera refroidir le fourneau ; après quoi, on fera une ouverture vis-à-vis le dessus de la caisse, et on en tirera les bandes de fer qu’on y avait mises, et qui dès lors seront converties en acier.

En comparant ces bandes les unes avec les autres, j’ai remarqué : 1o que celles qui étaient de bon fer épuré avaient perdu toute apparence de nerf, et présentaient à leur cassure un grain très fin d’acier, tandis que les bandes de fer commun conservaient encore de leur étoffe de fer, ou ne présentaient qu’un acier à gros grains ; 2o qu’il y avait à l’extérieur beaucoup plus et de plus grandes boursouflures sur les bandes de fer commun que sur celles de bon fer ; 3o que les bandes voisines des parois de la caisse n’étaient pas si bien converties en acier que les bandes situées au milieu de la caisse, et que de même les extrémités de toutes les bandes étaient de moins bon acier que les parties du milieu.

Le fer, dans cet état, au sortir de la caisse de cémentation, s’appelle de l’acier boursouflé ; il faut ensuite le chauffer très doucement, et ne lui donner qu’un rouge couleur de cerise pour le porter sous le martinet et l’étendre en petits barreaux ; car, pour peu qu’on le chauffe un peu trop, il s’éparpille et l’on ne peut le forger : il y a aussi des précautions à prendre pour le tremper ; mais j’excéderais les bornes que je me suis prescrites dans mes ouvrages sur l’histoire naturelle, si j’entrais dans de plus grands détails sur les différents arts du travail du fer ; peut-être même trouvera-t-on que je me suis déjà trop étendu sur l’objet du fer en particulier : je me bornerai donc aux inductions que l’on peut tirer de ce qui vient d’être dit.

Il me semble qu’on pourrait juger de la bonne ou mauvaise qualité du fer par l’effet de la cémentation ; on sait que le fer le plus pur est aussi le plus dense, et que le bon acier l’est encore plus que le meilleur fer ; ainsi l’acier doit être regardé comme du fer encore plus pur que le meilleur fer : l’un et l’autre ne sont que le même métal dans deux états différents, et l’acier est pour ainsi dire un fer plus métallique que le simple fer ; il est certainement plus pesant, plus magnétique, d’une couleur plus foncée, d’un grain beaucoup plus fin et plus serré, et il devient à la trempe bien plus dur que le fer trempé ; il prend aussi le poli le plus vif et le plus beau : cependant, malgré toutes ces différences, on peut ramener l’acier à son premier état de fer par des céments d’une qualité contraire à celle des céments dont on s’est servi pour le convertir en acier, c’est-à-dire en se servant de matières absorbantes, telles que les substances calcaires, au lieu de matières inflammables, telle que la poudre de charbon dont on s’est servi pour le cémenter.

Mais, dans cette conversion du fer en acier, quels sont les éléments qui causent ce changement et quelles sont les substances qui peuvent le subir ? indépendamment des matières vitreuses, qui sans doute restent dans le fer en petite quantité, ne contient-il pas aussi des particules de zinc et d’autres matières hétérogènes[97] ? Le feu doit détruire ces molécules de zinc, ainsi que celles des matières vitreuses pendant la cémentation, et par conséquent, elle doit achever de purifier le fer ; mais il y a quelque chose de plus, car, si le fer, dans cette opération qui change sa qualité, ne faisait que perdre sans rien acquérir, s’il se délivrait en effet de toutes ses impuretés, sans remplacement, sans acquisition d’autre matière, il deviendrait nécessairement plus léger ; or, je me suis assuré que ces bandes de fer, devenues acier par la cémentation, loin d’être plus légères, sont spécifiquement plus pesantes et que, par conséquent, elles acquièrent plus de matière qu’elles n’en perdent ; dès lors, quelle peut donc être cette matière, si ce n’est la substance même du feu[NdÉ 3] qui se fixe dans l’intérieur du fer, et qui contribue, encore plus que la bonne qualité ou la pureté du fer, à l’essence de l’acier ?

La trempe produit dans le fer et l’acier des changements qui n’ont pas encore été assez observés, et, quoiqu’on puisse ôter à tous deux l’impression de la trempe en les recuisant au feu, et les rendre à peu près tels qu’ils étaient avant d’avoir été trempés, il est pourtant vrai qu’en les trempant et les chauffant plusieurs fois de suite, on altère leur qualité. La trempe à l’eau froide rend le fer cassant ; l’action du froid pénètre à l’intérieur, rompt et hache le nerf, et le convertit en grains ; j’ai vu, dans mes forges, que les ouvriers accoutumés à tremper dans l’eau la partie de la barre qu’ils viennent de forger afin de la refroidir promptement, ayant dans un temps de forte gelée suivi leur habitude, et trempé toutes leurs barres dans l’eau presque glacée, elles se trouvèrent cassantes au point d’être rebutées des marchands : la moitié de la barre qui n’avait pas été trempée était de bon fer nerveux, tandis que l’autre moitié, qui avait été trempée à la glace, n’avait plus de nerf, et ne présentait qu’un mauvais grain. Cette expérience est très certaine, et ne fut que trop répétée chez moi ; car il y eut plus de deux cents barres dont la seconde moitié était la seule bonne, et l’on fut obligé de casser toutes ces barres par le milieu, et de reforger toutes les parties qui avaient été trempées, afin de leur rendre le nerf qu’elles avaient perdu.

À l’égard des effets de la trempe sur l’acier, personne ne les a mieux observés que M. Perret ; et voici les faits, ou plutôt les effets essentiels que cet habile architecte a reconnus[98]. « La trempe change la forme des pièces minces d’acier, elle les voile et les courbe en différents sens ; elle y produit des cassures et des gerçures ; ces derniers effets sont très communs, et néanmoins très préjudiciables : ces défauts proviennent de ce que l’acier n’est pas forgé avec assez de régularité, ce qui fait que, passant rapidement du chaud au froid, toutes les parties ne reçoivent pas avec égalité l’impression du froid. Il en est de même si l’acier n’est pas bien pur ou contient quelques corps étrangers ; ils produiront nécessairement des cassures… Le bon acier ne casse à la première trempe que quand il est trop écroui par le marteau ; celui qu’on n’écrouit point du tout, et qu’on ne forge que chaud, ne casse point à la première trempe, et l’on doit remarquer que l’acier prend du gonflement à chaque fois qu’on le chauffe… Plus on donne de trempe à l’acier, et plus il s’y forme de cassures ; car la matière de l’acier ne cesse de travailler à chaque trempe. L’acier fondu d’Angleterre se gerce de plusieurs cassures, et celui de Styrie non seulement se casse, mais se crible par des trempes réitérées… Pour prévenir l’effet des cassures, il faut chauffer couleur de cerise la pièce d’acier, et la tremper dans du suif en l’y laissant jusqu’à ce qu’elle ait perdu son rouge ; on peut, au lieu de suif, employer toute autre graisse ; elle produira le même effet, et préservera l’acier des cassures que la trempe à l’eau ne manque pas de produire. On donnera si l’on veut ensuite une trempe à l’ordinaire à la pièce d’acier, ou l’on s’en tiendra à la seule trempe du suif : l’artiste doit tâcher de conduire son travail de manière qu’il ne soit obligé de tremper qu’une fois ; car chaque trempe altère de plus en plus la matière de l’acier : au reste, la trempe au suif ne durcit pas l’acier, et par conséquent ne suffit pas pour les instruments tranchants qui doivent être très durs ; ainsi il faudra les tremper à l’eau après les avoir trempés au suif. On a observé que la trempe à l’huile végétale donne plus de dureté que la trempe au suif ou à toute autre graisse animale, et c’est sans doute parce que l’huile contient plus d’eau que la graisse. »

L’écrouissement que l’on donne aux métaux les rend plus durs, et occasionne en particulier les cassures qui se font dans le fer et l’acier ; la trempe augmente ces cassures, et ne manque jamais d’en produire dans les parties qui ont été les plus récrouies, et qui sont, par conséquent, devenues les plus dures : l’or, l’argent, le cuivre, battus à froid, s’écrouissent et deviennent plus durs et plus élastiques sous les coups réitérés du marteau ; il n’en est pas de même de l’étain et du plomb qui, quoique battus fortement et longtemps, ne prennent point de dureté ni d’élasticité ; on peut même faire fondre l’étain en le faisant frapper sous un martinet prompt, et on rend le plomb si mou et si chaud qu’il paraît aussi prêt à se fondre. Mais je ne crois pas, avec M. Perret, qu’il existe une matière particulière que la percussion fait entrer dans le fer, l’or, l’argent et le cuivre, et que l’étain ni le plomb ne peuvent recevoir : ne suffit-il pas que la substance de ces premiers métaux soit par elle-même plus dure que celle du plomb et de l’étain pour qu’elle le devienne encore plus par le rapprochement de ses parties ? La percussion du marteau ne peut produire que ce rapprochement, et, lorsque les parties intégrantes d’un métal sont elles-mêmes assez dures pour ne se point écraser, mais seulement se rapprocher par la percussion, le métal écroui deviendra plus dur et même élastique, tandis que les métaux, comme le plomb et l’étain dont la substance est molle jusque dans ses plus petits atomes, ne prendront ni dureté ni ressort, parce que les parties intégrantes, étant écrasées par la percussion, n’en seront que plus molles, ou plutôt ne changeront pas de nature ni de propriété, puisqu’elles s’étendront au lieu de se resserrer et de se rapprocher. Le marteau ne fait donc que comprimer le métal en détruisant les pores ou interstices qui étaient entre ses parties intégrantes, et c’est par cette raison qu’en remettant le métal écroui dans le feu dont le premier effet est de dilater toute substance, les interstices se rétablissent entre les parties du métal, et l’effet de l’écrouissement ne subsiste plus.

Mais, pour en revenir à la trempe, il est certain qu’elle fait un effet prodigieux sur le fer et l’acier. La trempe dans l’eau très froide rend, comme nous venons de le dire, le meilleur fer tout à fait cassant ; et, quoique cet effet soit beaucoup moins sensible lorsque l’eau est à la température ordinaire, il est cependant très vrai qu’elle influe sur la qualité du fer, et qu’on doit empêcher le forgeron de tremper sa pièce encore rouge de feu pour la refroidir, et même il ne faut pas qu’il jette une grande quantité d’eau dessus en la forgeant, tant qu’elle est dans l’état d’incandescence : il en est de même de l’acier, et l’on fera bien de ne le tremper qu’une seule fois dans l’eau à la température ordinaire.

Dans certaines contrées où le travail du fer est encore inconnu, les Nègres, quoique les moins ingénieux de tous les hommes, ont néanmoins imaginé de tremper le bois dans l’huile ou dans des graisses dont ils le laissent s’imbiber ; ensuite ils l’enveloppent avec de grandes feuilles, comme celles de bananier, et mettent sous de la cendre chaude les instruments de bois qu’ils veulent rendre tranchants ; la chaleur fait ouvrir les pores du bois qui s’imbibe encore plus de cette graisse, et, lorsqu’il est refroidi, il paraît lisse, sec, luisant, et il est devenu si dur qu’il tranche et perce comme une arme de fer : des zagaies de bois dur et trempé de cette façon, lancées contre des arbres à la distance de quarante pieds, y entrent de trois ou quatre pouces, et pourraient traverser le corps d’un homme ; leurs haches de bois, trempées de même, tranchent tous les autres bois[99]. On sait d’ailleurs qu’on fait durcir le bois en le passant au feu, qui lui enlève l’humidité qui cause en partie sa mollesse ; ainsi, dans cette trempe à la graisse ou à l’huile sous la cendre chaude, on ne fait que substituer aux parties aqueuses du bois une substance qui lui est plus analogue et qui en rapproche les fibres de plus près.

L’acier trempé très dur, c’est-à-dire à l’eau froide, est en même temps très cassant : on ne s’en sert que pour certains ouvrages, et en particulier pour faire des outils qu’on appelle brunissoirs, qui, étant d’un acier plus dur que tous les autres aciers, servent à lui donner le dernier poli[100].

Au reste, on ne peut donner le poli vif, brillant et noir qu’à l’espèce d’acier qu’on appelle acier fondu, et que nous tirons d’Angleterre ; nos artistes ne connaissent pas les moyens de faire cet excellent acier ; ce n’est pas qu’en général il ne soit assez facile de fondre l’acier ; j’en ai fait couler à mes fourneaux d’aspiration plus de vingt livres en fusion très parfaite, mais la difficulté consiste à traiter et à forger cet acier fondu, cela demande les plus grandes précautions, car ordinairement il s’éparpille en étincelles au seul contact de l’air, et se réduit en poudre sous le marteau.

Dans les fileries, on fait des filières qui doivent être de la plus grande dureté, avec une sorte d’acier qu’on appelle acier sauvage ; on le fait fondre, et au moment qu’il se coagule, on le frappe légèrement avec un marteau à main, et à mesure qu’il prend du corps, on le chauffe et on le forge en augmentant graduellement la force et la vitesse de la percussion, et on l’achève en le forgeant au martinet. On prétend que c’est par ce procédé que les Anglais forgent leur acier fondu, et on assure que les Asiatiques travaillent de même leur acier en pain qui est aussi d’excellente qualité. La fragilité de cet acier fondu est presque égale à celle du verre, c’est pourquoi il n’est bon que pour certains outils, tels que les rasoirs, les lancettes, etc., qui doivent être très tranchants et prendre le plus de dureté et le plus beau poli ; mais il ne peut servir aux ouvrages qui, comme les lames d’épées, doivent avoir du ressort ; et c’est par cette raison que dans le Levant[101], comme en Europe, les lames de sabre et d’épée se font avec un acier mélangé d’un peu d’étoffe de fer qui lui donne de la souplesse et de l’élasticité.

Les Orientaux ont mieux que nous le petit art de damasquiner l’acier[102] ; cela ne se fait pas en y introduisant de l’or ou de l’argent, comme on le croit vulgairement, mais par le seul effet d’une percussion souvent réitérée. M. Gau a fait sur cela plusieurs expériences dont il a eu la bonté de me communiquer le résultat[103] : cet habile artiste, qui a porté notre manufacture des armes blanches à un grand point de perfection, s’est convaincu avec moi que ce n’est que par le travail du marteau et par la réunion de différents aciers mêlés d’un peu d’étoffe de fer que l’on vient à bout de damasquiner les lames de sabres, et de leur donner en même temps le tranchant, l’élasticité et la ténacité nécessaires ; il a reconnu comme moi que ni l’or ni l’argent ne peuvent produire cet effet.

Il me resterait encore beaucoup de choses à dire sur le travail et sur l’emploi du fer : je me suis contenté d’en indiquer les principaux objets ; chacun demanderait un traité particulier, et l’on pourrait compter plus de cent arts ou métiers tous relatifs au travail de ce métal, en le prenant depuis ses mines jusqu’à sa conversion en acier et sa fabrication en canons de fusils, lames d’épées, ressorts de montre, etc. Je n’ai pu donner ici que la filiation de ces arts, en suivant les rapports naturels qui les font dépendre les uns des autres : le reste appartient moins à l’histoire de la nature qu’à celle des progrès de notre industrie.

Mais nous ne devons pas oublier de faire mention des principales propriétés du fer et de l’acier, relativement à celles des autres métaux : le fer, quoique très dur, n’est pas fort dense ; c’est, après l’étain, le plus léger de tous. Le fer commun, pesé dans l’eau, ne perd guère qu’un huitième de son poids, et ne pèse que cinq cent quarante-cinq ou cinq cent quarante-six livres le pied cube[104] : l’acier pèse cinq cent quarante-huit à cinq cent quarante-neuf livres, et il est toujours spécifiquement un peu plus pesant que le meilleur fer ; je dis le meilleur fer, car en général ce métal est sujet à varier pour la densité, ainsi que pour la ténacité, la dureté, l’élasticité, et il paraît n’avoir aucune propriété absolue que celle d’être attirable à l’aimant ; encore cette qualité magnétique est-elle beaucoup plus grande dans l’acier et dans certains fers que dans d’autres ; elle augmente aussi dans certaines circonstances et diminue dans d’autres ; et cependant cette propriété d’être attirable à l’aimant paraît appartenir au fer, à l’exclusion de toute autre matière, car nous ne connaissons dans la nature aucun métal, aucune autre substance pure qui ait cette qualité magnétique et qui puisse même l’acquérir par notre art ; rien au contraire ne peut la faire perdre au fer tant qu’il existe dans son état de métal. Et non seulement il est toujours attirable par l’aimant, mais il peut lui-même devenir aimant, et lorsqu’il est une fois aimanté, il attire l’autre fer avec autant de force que l’aimant même[105].

De tous les métaux, après l’or, le fer est celui dont la ténacité est la plus grande : selon Musschenbroeck, un fil de fer d’un dixième de pouce de diamètre peut soutenir un poids de quatre cent cinquante livres sans se rompre ; mais j’ai reconnu par ma propre expérience qu’il y a une énorme différence entre la ténacité du bon et du mauvais fer[106], et quoiqu’on choisisse le meilleur pour le passer à la filière, on trouvera encore des différences dans la ténacité des différents fils de fer de même grosseur, et l’on observera généralement que plus le fil de fer sera fin, plus la ténacité sera grande à proportion.

Nous avons vu qu’il faut un feu très violent pour fondre le fer forgé, et qu’en même temps qu’il se fond, il se brûle et se calcine en partie, et d’autant plus que la chaleur est plus forte : en le fondant au foyer d’un miroir ardent, on le voit bouillonner, brûler, jeter une flamme assez sensible et se changer en mâchefer ; cette scorie conserve la qualité magnétique du fer, après avoir perdu toutes les autres propriétés de ce métal.

Tous les acides minéraux et végétaux agissent plus ou moins sur le fer et l’acier ; l’air, qui dans son état ordinaire est toujours chargé d’humidité, les réduit en rouille ; l’air sec ne les attaque pas de même et ne fait qu’en ternir la surface ; l’eau la ternit davantage et la noircit à la longue : elle en divise et sépare les parties constituantes, et l’on peut avec de l’eau pure réduire ce métal en une poudre très fine[107], laquelle néanmoins est encore du fer dans son état de métal, car elle est attirable à l’aimant et se dissout comme le fer dans tous les acides : ainsi, ni l’eau, ni l’air seuls n’ôtent au fer sa qualité magnétique, il faut le concours de ces deux éléments, ou plutôt l’action de l’acide pour le réduire en rouille, qui n’est plus attirable à l’aimant.

L’acide nitreux dévore le fer autant qu’il le dissout : il le saisit d’abord avec la plus grande violence ; et, lors même que cet acide en est pleinement saturé, son activité ne se ralentit pas, il dissout le nouveau fer qu’on lui présente en laissant précipiter le premier.

L’acide vitriolique, même affaibli, dissout aussi le fer avec effervescence et chaleur, et les vapeurs qui s’élèvent de cette dissolution sont très inflammables. En la faisant évaporer et la laissant refroidir, on obtient des cristaux vitrioliques verts, qui sont connus sous le nom de couperose[108].

L’acide marin dissout très bien le fer, et l’eau régale encore mieux : ces acides nitreux et marins, soit séparément, soit conjointement, forment avec le fer des sels qui, quoique métalliques, sont déliquescents ; mais, dans quelque acide que le fer soit dissous, on peut toujours l’en séparer par le moyen des alcalis ou des terres calcaires ; on peut aussi le précipiter par le zinc, etc.

Le soufre qui fait fondre le fer rouge en un instant est plutôt le destructeur que le dissolvant de ce métal, il en change la nature et le réduit en pyrite : la force d’affinité entre le soufre et le fer est si grande qu’ils agissent violemment l’un sur l’autre, même sans le secours du feu, car dans cet état de pyrite ils produisent eux-mêmes de la chaleur et du feu, à l’aide seulement d’un peu d’humidité.

De quelque manière que le fer soit dissous ou décomposé, il paraît que ses précipités et ses chaux en safran, en ocre, en rouille, etc., sont tous colorés de jaune, de rougeâtre ou de brun ; aussi emploie-t-on ces chaux de fer pour la peinture à l’huile et pour les émaux.

Enfin le fer peut s’allier avec tous les autres métaux, à l’exception du plomb et du mercure ; suivant M. Geller, les affinités du fer sont dans l’ordre suivant : l’or, l’argent, le cuivre ; et, suivant M. Geoffroy : le régule d’antimoine, l’argent, le cuivre et le plomb ; mais ce dernier chimiste devait exclure le plomb et ne pas oublier l’or, avec lequel le fer a plus d’affinité qu’avec aucun autre métal. Nous verrons même que ces deux métaux, le fer et l’or, se trouvent quelquefois si intimement unis par des accidents de nature, que notre art ne peut les séparer l’un de l’autre[109].


Notes de Buffon
  1. Voyez les preuves, volume II de cette édition, p. 479, note a.
  2. Les métaux et demi-métaux n’ont pas chacun leur mine particulière, et leurs minerais ne sont pas des corps homogènes : au contraire, presque toutes les substances métalliques sont souvent confondues ensemble, et l’on présume même que quelques-unes, telles que le zinc et le platine, résultent du mélange des autres.

    L’argent, le plomb, le cuivre, l’arsenic et le cobalt se trouvent assez souvent confondus dans le même filon de mine, en des quantités presque égales. Mémoires de Physique, par M. de Grignon, in-4o, p. 272.

  3. Pline dit, avec raison, que, de toutes les substances métalliques, le fer est celle qui se trouve en plus grandes masses, et qu’on a vu des montagnes qui en étaient entièrement formées : « Metallorum omnium vena ferri largissima est : Cantabriæ maritimâ parte quam Oceanus alluit, mons præruptè altus, incredibile dictu, totus ex eâ materie est. » Lib. xxxiv, cap. xv.
  4. Les mines d’argent de Huantafaya et celles de cuivre mélangées d’or de Coquimbo sont situées dans des contrées où il ne pleut jamais et où il fait chaud, tandis que toutes les autres mines riches du Pérou sont situées dans les Cordillères, du côté où il pleut abondamment, et qui est recouvert de neige, et où il fait un froid excessif dans quelques saisons de l’année ; mais ces mines de Huantafaya et de Coquimbo doivent être regardées comme des mines accidentelles qu’on pourrait appeler mines de fondition, parce que ces métaux ont été mis en fonte par un feu de volcan, et qu’ils ont été déposés en fusion dans les fentes des rochers ou dans le sable. Les monceaux de mine de Huantafaya que j’ai acquis, monsieur, pour le Cabinet, et que je vous remettrai, laissent apercevoir les mêmes accidents que l’on observe dans les ateliers où on fond en grand le métal pour les monnaies. Il y a entre autres un gros morceau de cette mine d’argent de Huantafaya qui présente une cristallisation de soufre, ce qui prouve qu’il a été formé par le feu d’un volcan. (Extrait d’une lettre de M. Dombey, correspondant du Cabinet d’Histoire naturelle, à M. de Buffon, datée de Lima, le 2 novembre 1781.)
  5. Comme toutes les mines de Suède sont très attirables à l’aimant, on se sert de la boussole pour les trouver : cette méthode est fort en usage, et elle est assez sûre, quoique les mines de fer soient souvent enfouies à plusieurs toises de profondeur (voyez les Voyages métallurgiques de M. Jars, t. Ier). Mais elle serait inutile pour la recherche de la plupart de nos mines de fer en grain, dont la formation est due à l’action de l’eau, et qui ne sont point attirables à l’aimant avant d’avoir subi l’action du feu.
  6. Les mines de fer en grain ne sont en général point attirables à l’aimant ; il faut, pour qu’elles le deviennent, les faire griller à un feu assez vif et à l’air libre ; j’en ai fait l’expérience sur la mine de Villers près Montbard, qui se trouve en sacs, entre des rochers calcaires, et qui est en grains assez gros ; ayant fait griller une once de cette mine à feu ouvert, et l’ayant fait broyer et réduire en poudre, l’aimant en a tiré six gros et demi ; mais, ayant fait mettre une pareille quantité de cette mine dans un creuset couvert et bien bouché, qu’on a fait rougir à blanc, et ayant ensuite écrasé cette mine ainsi grillée au moyen d’un marteau, l’aimant n’en a tiré aucune partie de fer, tandis que dans un autre creuset mis au feu en même temps, et qui n’était pas bouché, cette même mine, réduite ensuite en poudre par le marteau, s’est trouvée aussi attirable par l’aimant que la première. Cette expérience m’a démontré que le feu seul ou le feu fixe ne suffit pas pour rendre la mine de fer attirable à l’aimant, et qu’il est nécessaire que le feu soit libre et animé par l’air pour produire cet effet.
  7. On trouve quelquefois de l’aimant blanc qui ne paraît pas avoir passé par le feu, parce que toutes les matières ferrugineuses se colorent au feu en rouge brun ou en noir ; mais cet aimant blanc n’est peut-être que le produit de la décomposition d’un aimant primitif, reformé par l’intermède de l’eau. Voyez ci-après l’article de l’Aimant.
  8. Voyez ci-après l’article de l’Aimant.
  9. Tome II, quatrième Mémoire sur la ténacité du fer.
  10. Dans cet épurement même de la fonte, pour la convertir en fer par le travail de raffinerie et par la percussion du marteau, il se perd quelques portions de fer que les matières hétérogènes entraînent avec elles, et on en retrouve une partie dans les scories de l’affinerie.
  11. On appelle ringards des barreaux de fer pointus par l’une de leurs extrémités.
  12. Voyez l’article de la Terre végétale, t. II, p. 616.
  13. Ibid., p. id. et suiv.
  14. « Les mines de fer de Rougei en Bretagne sont en masses de rocher, de trois quarts de lieue d’étendue, sur quinze à dix-huit pieds d’épaisseur, disposées en bancs horizontaux ; elles sont de seconde formation, et sont en même temps mêlées de matières silicées. » Je ne cite cet exemple que pour faire voir que les mines de seconde formation se trouvent quelquefois mêlées de matières vitreuses ; mais, dans ce cas, ces matières vitreuses sont elles-mêmes de seconde formation : ce fait m’a été fourni par M. de Grignon, qui a observé ces mines en Bretagne. — Les fameuses mines de fer de Hattemberg, en Carinthe, sont dans une montagne qui est composée de pierres calcaires grisâtres, disposées par couches, et qui se divisent en feuillets lorsqu’elles sont longtemps exposées à l’air. Le minerai y est rarement en filons réguliers, et il se trouve presque toujours en grandes masses. Voyages minéralogiques de M. Jaskevisch ; Journal de Physique, décembre 1782.
  15. Il y a de ces mines spathiques attirables à l’aimant dans le Dauphiné et dans les Pyrénées.
  16. Voyages métallurgiques, par M. Jars, t. Ier, p. 29 et 30.
  17. M. Cronstedt, dans les Mémoires de l’Académie de Suède, année 1751, t. XII, p. 230, a donné la description détaillée d’une de ces mines de fer combustible.
  18. Quelques minéralogistes ont même prétendu que toutes les mines de fer en grains et en concrétions doivent leur origine à la décomposition des pyrites. « Toutes les mines de Champagne, dit M. de Grignon, sont produites par la décomposition des pyrites martiales… Celles de Poisson, de Noncourt et de Montreuil sont les plus abondantes, les plus riches et les meilleures de la province ; on les appelle, quoique improprement, mines en roche, parce qu’on les tire en assez grand volume, et qu’elles se trouvent dans les fentes des rochers calcaires… Elles sont formées par le dépôt de la destruction des pyrites, et elles ont dans leur structure une infinité de formes différentes, par feuillets, par cases, carrées et oblongues, et ces mines en masses sont encore mêlées avec d’autres mines en petits grains, semblables à toutes les autres mines en grains de ce canton, sur plus de vingt lieues d’étendue depuis Saint-Dizier, en remontant vers les sources de la Marne, de la Blaise et de l’Aube. » Mémoires de Physique, etc., p. 22 et 25. — Je dois observer que cette opinion serait trop exclusive : la destruction des pyrites martiales n’est pas la seule cause de la production des mines en concrétions ou en grains, puisque tous les détriments des matières ferrugineuses doivent les produire également, et que d’ailleurs la décomposition et la dissémination universelle de la matière ferrugineuse par l’eau ont précédé nécessairement la formation des pyrites, qui ne sont en effet produites que dans les lieux où la matière ferrugineuse, l’acide et le feu fixe des détriments des végétaux et des animaux se sont trouvés réunis. Aussi M. de Grignon modifie-t-il son opinion dans sa préface, p. 7 : « Je prouve, dit-il, par des observations locales, que toutes les mines de fer de Champagne sont le produit de la décomposition des pyrites, qui sont abondantes dans cette province, ou du ralliement des particules de fer disséminées dans les corps détruits qui en contiennent, ou du fer même décomposé ; que ces mines ont été le jouet des eaux dont elles ont suivi l’impulsion, et qui les ont accumulées ou étendues entre des couches de terre de diverses qualités, ou les ont ensachées entre des fentes de rochers. »
  19. La mine spathique, connue en Dauphiné sous le nom de maillat, donne plus de cinquante pour cent, et celle de Champagne, que M. de Grignon appelle mine tuberculeuse, isabelle, spathique, donne soixante-cinq pour cent Voyez Mémoires de Physique, p. 29.
  20. Idem, ibidem, p. 378.
  21. L’hématite peut être regardée comme une chaux de fer, mais toujours cristallisée ; cette cristallisation est en aiguilles ou en rayons, souvent divergents, et qui paraissent tendre du centre à la circonférence. On distingue trois sortes de mines de fer en hématites : l’une cristallisée et striée comme le cinabre, une autre grenue et compacte, une troisième en masse homogène et lisse ; c’est de cette dernière, qu’on appelle sanguine, que se servent les dessinateurs ; celle qu’on nomme brouillamini n’est qu’un bol ferrugineux, durci par le dessèchement à l’air. (Note communiquée par M. de Grignon.)
  22. Je crois qu’on doit rapporter à ces couches d’hématites en grandes masses la mine de fer qui se tire à Rouez, dans le Maine, et de laquelle M. de Burbure m’a envoyé la description suivante : « Cette mine, située à cinq quarts de lieues de Sillé-le-Guillaume, est très riche ; elle est dans une terre ocreuse qui a plus de trente pieds d’épaisseur ; il part de la partie inférieure de cette mine plusieurs filons qui, en s’enfonçant, vont aboutir à de gros blocs isolés de mines de fer ; ces blocs se rencontrent à vingt ou vingt-six pieds de profondeur, et sont composés de particules ferrugineuses qui paraissent être sans mélange ; ils ont aussi des ramifications qui, en se prolongeant, vont se joindre à d’autres masses de mines de fer, moins pures que ces premiers blocs, parce qu’elles renferment dans l’intérieur de petites pierres qui y sont incorporées et intimement unies ; néanmoins les forgerons leur trouvent une sorte de mérite qui les font préférer aux autres masses ferrugineuses plus homogènes, car, si elles renferment moins de fer, elles ont l’avantage de se fondre plus aisément, à cause des pierres qu’elles renferment, et qui en facilitent la fusion. » Note communiquée par M. de Burbure, lieutenant de la maréchaussée à Sillé-le-Guillaume. — C’est à cette même sorte de mine que l’on peut rapporter celles auxquelles on donne le nom de mines tapées, qui sont des mines de concrétions en masses et couches, et qui gisent souvent sous les mines en ocre ou en rouille, et qui, quoique en grands morceaux, sont ordinairement plus riches en métal ; la plupart sont spathiques ou mélangées de matières calcaires. (Note communiquée par M. de Grignon.)
  23. Entre les pierres ferrugineuses noires de ce canton, je ne vis, dit M. Bowles, aucune hématite rouge ; et ce qu’il y a de singulier, c’est qu’à une demie lieue de là on en trouve beaucoup de rouges et point de noires… On voit dans les mines de fer de la Biscaye des hématites qui sont enchâssées dans les creux des veines, et qui sont singulières par leurs différentes formes et grosseurs : on en trouve qui sont grosses comme la tête d’un homme… D’autres sont plates comme des rognons de bœuf… Il y en a qui sont jaunes et rouges en dedans… Ces hématites sont très pesantes et contiennent beaucoup de fer, mais souvent c’est un fer aigre et intraitable. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 69 et 334.
  24. Voyez ce que j’ai dit à ce sujet dans la Partie expérimentale, t. II, quatrième Mémoire et suivants.
  25. Il y a cependant, dans les Pyrénées et dans le Dauphiné, des mines spathiques où la matière calcaire est si intimement unie et en si grande quantité avec la substance ferrugineuse, qu’il est nécessaire de les griller, afin de réduire en chaux cette matière calcaire, que l’on en sépare ensuite par le lavage ; mais ces sortes de mines ne font qu’une légère exception à ce qui vient d’être dit.
  26. J’observerai que, si cette mine est de première formation, la matière dont le minéral est mélangé et qui lui est intimement unie ne doit pas être calcaire, mais que ce pourrait être du feldspath ou du schorl, qui non seulement sont très fusibles par eux-mêmes, mais qui communiquent de la fusibilité aux substances dans lesquelles ils se trouvent incorporés.
  27. M. Jars ne dit pas si cette pierre bleue est vitreuse ou calcaire ; sa couleur bleue provient certainement du fer qui fait partie de sa substance, et je présume que sa fusibilité peut provenir du feldspath et du schorl qui s’y trouvent mêlés, et qu’elle ne contient point de substance calcaire à laquelle on pourrait attribuer sa fusibilité. Ma présomption est fondée sur ce que cette mine descend jusqu’à quatre-vingts toises dans un terrain qui n’est environné que de granit, et où M. Jars ne dit pas avoir observé des bancs de pierre calcaire ; il me paraît donc que cette mine de Danemora est de première formation, comme celles de Presberg et de Nordmarck, et que, quoiqu’elle soit plus fusible, elle ne contient que de la matière vitreuse, comme toutes les autres mines de fer primitives.
  28. « Le but du rôtissage des mines est moins pour dissiper les parties volatiles, quoiqu’il remplisse cet objet lorsque le minéral en contient, que de rompre le gluten, et de désunir les parties terreuses d’avec les métalliques… De dur et compact, il devient, après le rôtissage, tendre, friable et attirable par l’aimant, supposé qu’il ne le fût pas auparavant : l’air avec le temps peut produire le même effet que le rôtissage, mais il ne rend pas le minerai attirable par l’aimant… Si le rôtissage est trop fort, le minerai produit moins de métal… En Norvège et en Suède, où les minerais sont attirables par l’aimant, et par conséquent plus métallisés naturellement que ceux que nous avons en France, on les rôtit toujours préalablement à la fonte qui se fait dans les hauts fourneaux…

    » Si l’on prend les mêmes espèces de minerai de fer, que l’on en fasse rôtir la moitié, et qu’on les fonde séparément… on obtiendra des fontes dont la différence sera sensible ; la fonte qui proviendra du minerai rôti sera plus pure que l’autre, le feu du grillage ayant commencé à désunir les parties terreuses d’avec les métalliques, et à dissiper l’acide sulfureux s’il y en avait, ainsi que les parties volatiles. » Voyages métallurgiques, par M. Jars, t. Ier, p. 8 et 12.

  29. Le fer est un : ce qui en a fait douter, c’est la variété presque infinie qui se trouve dans les fers, telle qu’avec la même mine et dans la même forge on a souvent de bon et de mauvais fer ; mais ce n’est pas que l’élément du fer ne soit le même, et ces différences viennent d’abord des matières hétérogènes qu’on est obligé de fondre avec la mine, et ensuite du différent travail des ouvriers à l’affinerie. On fait, en Suède, le meilleur fer du monde avec les plus mauvaises mines, c’est-à-dire avec les mines les plus aigres et les plus réfractaires ; mais au moyen du grillage, avant de les jeter au fourneau, et ensuite en tenant plus longtemps la fonte en fusion, et enfin par l’emploi du charbon doux à l’affinerie, on donne au fer un grand degré de perfection. Nous pouvons rendre bons tous nos mauvais fers en les forgeant une seconde fois et repliant la barre sur elle-même ; le marteau en fera sortir une matière vitrifiée, il y aura du déchet pour le volume et le poids, mais la qualité du fer en sera bien meilleure. Nous pouvons de même purifier nos fontes d’abord en les laissant plus longtemps au fourneau, et mieux encore en les faisant fondre une seconde fois.

    Pour avoir du bon fer avec toute espèce de mines, en masse de pierre ou roche, il faut nécessairement les faire griller d’abord en les réduisant en très petits morceaux avant de les jeter au fourneau : cette préparation par le grillage n’est pas nécessaire pour les mines en grains, qu’il suffira de bien laver pour en séparer, autant qu’il est possible, les terres et les sables. Mémoires de Physique, de M. Grignon, p. 39.

  30. Note communiquée par M. le chevalier de Grignon, le 21 septembre 1778.
  31. Dans le Berri, le fer est si commun que je ne crois pas qu’on puisse assigner aucun endroit dont on n’en puisse tirer : aussi travaille-t-on beaucoup ce métal, et fait-il l’objet d’un commerce important. On ne le cherche pas bien profondément dans les entrailles de la terre, et il n’est pas distribué par filons comme les autres métaux ; il est répandu sur la surface, ou tout au plus à quelques pieds de profondeur… On creuse jusqu’à quatre ou cinq pieds, et on en tire une terre jaune mêlée de cailloux et de petites boules rougeâtres, grosses comme des pois : c’est la mine de fer ; la meilleure est celle qui est la plus ronde, pesante, rouge et brillante en dedans, et non pas noire. On débarrasse cette mine de la terre jaune (qui est une espèce d’ocre), en la mettant dans des corbeilles que l’on promène dans les mares ; l’eau délaie et emporte la terre, et ne laisse que la mine et les cailloux : par une autre opération, mais fort grossière, on sépare les cailloux d’avec la mine, en sorte qu’il en reste toujours une quantité considérable. Cette mine en grains donne un fer très doux, mais fournit peu ; on la mêle avec une autre qu’on tire en gros quartiers, dans des carrières au village de Sans, près Sancerre ; on casse celle-ci en petits morceaux d’un pouce cubique, etc. Observations d’histoire naturelle, par M. le Monnier : Paris, 1739, p. 117.
  32. On trouve dans le vallon de Trépalon (diocèse d’Alais) une quantité de mines de fer à l’opposite de celles de charbon ; elles sont d’une bonne qualité… Leurs veines, après avoir traversé le Gardon, un peu au-dessus de la Blaquière, se trouvent recouvertes d’un banc d’ocre naturelle qui est très belle, et dont on pourrait tirer parti. Les veines de fer traversent celles du charbon, qu’elles interceptent un peu au-dessus du Mas-des-Bois, après quoi, celles de charbon reprennent leurs cours et se divisent en deux branches vers la Blaquière. Histoire naturelle du Languedoc, par M. de Gensane, t. Ier, p. 216. — À un petit quart de lieue des mines de charbon (qui se trouvent entre Bize et le Pont-de-Cabessac, au diocèse de Narbonne), au lieu appelé Saint-Aulaire, sur le chemin de Montaulieu, on trouve de très bonnes mines de fer ; elles sont en général en grenailles rondes, semblables à de la dragée de plomb ; et ces grenailles sont fort pesantes, et donnent ordinairement du fer de la première qualité : cette espèce de minéral est très abondante… Nous avons trouvé également de très bonnes mines de fer au pied de la montagne du Tauch (même diocèse), et à Segure, auprès du ruisseau, une mine d’argent mêlée de mine de fer… La montagne de Bergueiroles, dans la paroisse de Saint-Paul-de-la-Coste, au diocèse d’Alais… est pénétrée de toutes parts par de grosses veines presque horizontales de mine de fer cristallisée, blanche et noire : ces veines, qui sont les unes au-dessus des autres, sont séparées par de fortes couches de pierre à chaux, en sorte que le minéral n’a pas la moindre communication avec les roches vitrifiables, et se trouve à plus de deux cents toises au-dessus de la base de la montagne, qui, comme presque toutes les montagnes calcaires, porte sur un fond schisteux… Je puis dire la même chose des riches mines de fer des Corbières, telles que celles de Cascatel, d’Aveja, de Villerouge et autres… J’ai trouvé dans les landes de Cérisy, au diocèse de Bayeux, quantité de coquillages bivalves, dont toute la substance de la coquille et du poisson est changée en véritable mine de fer. J’ai aussi trouvé dans les Corbières, au diocèse de Narbonne, des morceaux de bois entièrement changés en mine de fer. Histoire naturelle du Languedoc, par M. de Gensane, t. II, p. 13, 14, 175, 176 et 183.
  33. Entre Alcocer et Orellena, il y a une mine de fer dans une espèce de grès, où j’ai vu l’ocre la plus belle et la plus fine qu’il y ait au monde. On traverse une rude montagne pour arriver à Nabalvillar, où il y a des pierres hématites, et une espèce de terre noire qui reluit en la frottant dans les mains ; c’est un minéral mort de fer réfractaire, dont on ne peut jamais rien tirer… En sortant d’Albaracin par l’est, on trouve, à la distance de quelques milles, une mine de fer en terre calcaire, entourée d’un grès rougeâtre, et aussitôt après on trouve une autre mine noire de fer, où le métal est comme de gros grains de raisin. D’Albaracin nous fûmes à Moline d’Aragon, en traversant les montagnes, où il y a deux mines de fer ; l’une est dans la partie calcaire de la montagne, et donne du fer si doux qu’on peut le travailler à froid… La seconde mine est à une lieue de la première… Elle donne un fer aigre ; elle est dans une roche de quartz, et est plus abondante que la première… Cette mine, qui donne quarante pour cent de métal, est un peu dure à fondre. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 56, 107 et 274. — La mine de Saromostro provient de la dissolution et du dépôt du fer par l’eau… C’est un composé de lames ou petites écailles très minces, appliquées les unes sur les autres… Il est si sûr que cette mine se forme journellement, qu’on ne doit pas être étonné de ce qu’on y a trouvé des fragments de pics, de pioches, etc., dans des endroits que l’on a creusés il y a plusieurs siècles, et qui se sont ensuite remplis de minéral… Le minéral forme un lit interrompu, qui varie dans son épaisseur depuis trois pieds jusqu’à dix : la couverture est une roche calcaire de deux à six pieds d’épaisseur… Aux environs de Bilbao (en Biscaye), on découvre le fer en quelques endroits sur la terre ; et à un quart de lieue de la ville est une montagne remplie d’une mine de fer qui contient du vitriol : c’est une vaste colline ou un monceau énorme de mine de fer, qui charrie et attire un acide vitriolique, lequel, pénétrant dans la roche ferrugineuse, dissout le métal, et fait paraître à la superficie des plaques de vitriol vertes, bleues et blanches. Vis-à-vis de cette montagne, de l’autre côté de la rivière, il y en a une autre semblable qui produit une grande quantité de vitriol, qui est de toute couleur, jaune clair, etc…

    À peu de distance de ce grand rocher ferrugineux, un ingénieur fit couper un morceau de la montagne pour aplanir la nouvelle promenade de la ville ; et, comme il la fit couper d’aplomb et de cinquante à quatre-vingts pieds de hauteur, on découvrit la mine de fer, qui est en véritables veines, qui plongent tantôt directement, tantôt obliquement, et représentent grossièrement les racines d’un arbre. Il y a des veines qui ont un pouce de diamètre, et d’autres qui sont plus grosses que le bras, variant à l’infini, selon le plus ou moins de résistance que la terre oppose au charriage de l’eau, car on ne peut douter que ce ne soit son ouvrage. Idem, p. 326, 331 et suiv.

  34. Dans l’île d’Elbe, deux montagnes méritent principalement l’attention des minéralogistes, savoir le mont Calamita et celui de Rio, où sont les célèbres mines de fer… À la distance d’environ deux milles de l’endroit où se trouve la pierre d’aimant, dans ce mont Calamita, le terrain commence à être ferrugineux et parsemé de pierres hématites noirâtres ou rougeâtres, et de pierres ferrugineuses, micacées et écailleuses : on y trouve, surtout du côté de la mer, plusieurs morceaux d’aimant détachés des grandes masses de la montagne, et d’autres qui y sont enfoncés, et il semble que la montagne n’est elle-même qu’un amas de blocs ferrugineux et de morceaux d’aimant, car toute la superficie est couverte de ces morceaux écroulés.

    On exploite la mine de Rio en plein air, comme une carrière de marbre… Toute la superficie de la montagne est couverte d’une terre ferrugineuse rougeâtre et noirâtre, mêlée de quantité de petites écailles luisantes de minéral de fer… L’intérieur de la montagne, suivant ce qu’on découvre dans les excavations, présente un amas irrégulier de diverses matières : 1o des masses de minéral de différentes qualités… La première, que les ouvriers appellent ferrata, et l’autre luciola. La ferrata a presque la couleur et le brillant du fer, même de l’acier lustré, et est très dure, très pesante : c’est l’hématite couleur de fer de Cronstedt ; la luciola, qui est un minéral écailleux de fer micacé, est moins dure, moins pesante et moins riche que la ferrata… Ces mines ne courent point par filons, elles sont en masses solitaires plus ou moins grosses, et quelquefois voisines les unes des autres ; elles n’ont point de directions constantes, et l’on en trouve du haut en bas de la montagne, et jusqu’au niveau de la mer… Le bon minéral de fer est le plus souvent accompagné d’une terre argileuse de différentes couleurs, qui paraît être de la même nature que le schiste argileux qui abonde dans cette montagne.

    On trouve aussi dans la même montagne des pyrites, mais en médiocre quantité… et quelques monceaux d’aimant… Cette mine de Rio est très abondante, et fournit du fer à Naples, au duché de Toscane, à la république de Gênes, à la Corse, à la Romagne, etc… Et l’on voit par un passage d’Aristote que les Grecs, de son temps, tiraient déjà du fer de cette île ; elle a été célébrée par Virgile, Strabon et d’autres anciens, à cause de l’abondance de son fer…

    Le fer que produit cette mine de Rio est d’une très bonne qualité ; il égale en bonté celui de Suède… On réduit la mine en fusion, sans addition d’aucun fondant…

    La montagne de Rio n’est point disposée par couches horizontales, il semble que les matières ferrugineuses, ocreuses et argileuses y aient été jetées confusément. Observations sur les mines de fer de l’île d’Elbe ; Journal de Physique, mois de décembre 1778, p. 416 et suiv. — Les montagnes de l’île d’Elbe, dit M. Ferber, sont de granit : il y en a du violet qui est très beau, parce que le spath dur (feldspath) qu’il renferme est violet et à grands cubes, larges ou épais, oblongs et polygones…

    La mine de fer n’est pas en veines ou filons, et cependant il y a une montagne entière, qui n’est formée que de mine de fer environnée de granit… La montagne ferrugineuse de l’île d’Elbe consiste pour la plupart en une mine compacte ; c’est ou de l’hématite couleur de fer, ou de la mine de fer attirable par l’aimant sans être grillée. Il y a aussi du vrai aimant très bon et très fort : ces mines se cristallisent dans toutes les cavités en forme de crête de coq, en polygones et autres stalactites de différentes formes… On trouve aussi dans ces mines de la pyrite cristallisée, ou des marcassites polygones et cubiques, un peu de pyrite cuivreuse, de l’amiante blanc, de la crème de loup (spuma lupi) en longues aiguilles concentriques. Dans les fentes, qui souvent sont très longues et larges, et qu’on peut appeler des filons, il y a beaucoup de bol blanc, rouge et couleur de foie : une partie de cette terre bolaire est quelquefois endurcie jusqu’à la consistance d’un vrai jaspe. Lettres sur la minéralogie, p. 440 et suiv.M. le baron de Dietrich ajoute qu’il ne paraît pas qu’on ait tiré du fer dans aucun autre endroit de l’île d’Elbe que dans cette montagne ; la mine de fer n’est qu’à une portée de fusil de la mer : « tous les rochers, dit-il, que l’on voit sur le rivage sont ferrugineux ; cent cinquante ouvriers y travaillent constamment ; on se sert de poudre à canon pour l’exploiter ; on assure qu’on trouvait toujours la même quantité de mine jusqu’à six ou sept milles de distance… Toutes les mines de fer de l’île d’Elbe, qui ont un aspect métallique, cristallisées ou micacées, sont attirables à l’aimant ; celles, au contraire, qui sont simplement ocreuses ou sous la forme de chaux, ne le sont point sans avoir été grillées… » — La pierre d’aimant ne se trouve pas dans la mine de fer de Rio ; c’est sur la montagne la plus haute de l’île d’Elbe, située à cinq milles de Capoliori, qu’il faut chercher cette pierre… Environ à deux milles de la place où on la trouve, la terre est couverte de grands morceaux de pierres ferrugineuses, qui ressemblent à une mine de fer en roche, et paraissent avoir subi l’action du feu… « J’étais, dit M. de Dietrich, muni de limaille de fer et d’une boussole ; à une certaine distance de l’endroit où je trouvai la véritable pierre d’aimant, l’aiguille se porta entièrement au midi, parce que la pierre d’aimant était en effet au midi de mon chemin et sur les bords escarpés de la mer… La pierre d’aimant rougie au feu et ensuite refroidie perd sa vertu magnétique. » Note sur la Minéralogie de Ferber, p. 440.

  35. À Carron, en Écosse, on use de cinq espèces de mines de fer, qui ne rendent pas plus de trente pour cent de fer en gueuse ; les unes sont en pierres, d’autres en grains, et d’autres en hématites ou tête vitrée : on joint à ces mines, avant de les jeter au fourneau, un sixième de minerai plus riche, que l’on fait venir du duché de Cumberland, qui est aussi une espèce d’hématite ou tête vitrée… L’ironstone ou pierre de fer, qui se trouve auprès de Carron en Écosse, se tire d’une terre molle et argileuse ; elle se trouve en morceaux près de la superficie de la terre, et est très pauvre ; mais la bonne mine de fer est en rognons dans une espèce d’argile, et se trouve en couches presque horizontales, et cette mine en rognons surmonte un lit de schiste sous lequel se trouve une veine de charbon : la nature de ce minerai de fer est d’un gris noir et d’un grain serré. Voyages métallurgiques de M. Jars, p. 270.
  36. Les mines qu’on trouve aux environs de la forge de Cliftonfurnace, dans le duché de Cumberland, sont à peu près semblables à celles que l’on tire aux environs de Carron en Écosse, mais elles sont en général plus riches en fer ; quelques-unes sont en pierres roulées, et on les nomme pierres de fer. Idem, p. 235. — On trouve des ironstone ou pierres de fer en plusieurs endroits, et même dans le voisinage des mines de charbon près de Lichtfield et de Dudley, et dans la province de Lancastre ; et quelquefois ces pierres de fer forment des couches qui s’enfoncent à une assez grande profondeur. Du charbon de terre, par M. Morand, p. 1202.
  37. Selon M. Krenger, les mines de fer du pays de Liège sont toutes argileuses, et au contraire celles du comté de Namur sont toutes calcaires ; il en est de même des mines d’Alsace. Journal de Physique, mois de septembre 1775, p. 227.
  38. Les mines du comté de Namur sont des ocres plus ou moins dures, et dont quelques-unes sont d’un assez beau rouge… Ces minerais produisent en général un fer cassant à froid, et par conséquent très bon pour la fabrication des clous… On ne grille point le minerai. Voyez les Voyages métallurgiques de M. Jars, t. Ier, p. 310.
  39. Selon M. Guettard, le fer est très commun en Suisse : le mont Jura offre de toutes parts des indices de mines de fer en grains, qui se trouvent aussi très communément dans plusieurs autres cantons de la Suisse ; il y en a de fort abondantes dans le comté de Sargans, qui donnent au fourneau de bon acier. Voyez les Mémoires de l’Académie des sciences, année 1752, p. 343 et 344.
  40. La mine de fer de Styrie, qui est écailleuse, et que les Allemands appellent stahlstein ou pierre d’acier, donne en effet de l’acier par la fonte et peut aussi donner de très bon fer. M. le baron de Dietrich dit qu’on trouve des mines écailleuses, toutes semblables à celles de Styrie, dans le pays de Nassau-Siegen, dans la Saxe, le Tyrol, etc., et que partout on en fait de très bon fer ou de l’excellent acier ; et il ajoute que la mine d’Allevard, en Dauphiné, est de la même nature, et que l’on fait dans le pays de Bergame et de Brescia de très bon acier d’une mine à peu près pareille. Lettres sur la Minéralogie, par M. Ferber, note, p. 37 et 38.
  41. Depuis douze cents ans, on exploite dans deux hautes montagnes de la Carinthie, à deux lieues de Frisach, soixante mines de fer… Il y a des minerais bruns et d’autres rougeâtres… et comme ils ne se fondent pas tous au fourneau avec la même facilité, on les fait griller séparément avant de les mélanger pour la fonte. Voyages métallurgiques, par M. Jars, t. Ier, p. 53 et 54.
  42. Dans le Tyrol, à Kleinboden, la plus grande partie du minerai est à petites facettes, et ressemble au phlintz de Styrie. Il y en a une autre espèce aussi à petites facettes, mais très blanc ; et une autre à très grandes facettes, qui est la vraie mine de fer spathique : il y a de pareil minerai dans le Voigtland et dans le Dauphiné. Idem, p. 64.
  43. À trois quarts de lieues de Platen, en Bohême, on exploite deux filons perpendiculaires de mine de fer, larges chacun de deux à trois toises, et l’on y trouve un pied d’épaisseur en minerai tout pur, de l’espèce qu’on nomme hématite ou tête vitrée ; on sait que l’hématite présente une infinité de rayons qui tendent tous au même centre. Les filons sont renfermés dans un grès, ou plutôt ils ont pour toit et pour mur une pierre de grès à gros grains. Cette mine de fer avait, en 1757, cinquante-neuf toises de profondeur ; à mesure que l’on a approfondi, le filon est devenu meilleur : elle fournit du minerai à treize forges, tant en Saxe qu’en Bohême. Pour fondre ce minerai, on y joint de la pierre à chaux : l’hématite ou tête vitrée donne du fer très doux et d’une fusion très facile lorsqu’on la mêle avec une plus grande quantité d’une mine jaune d’ocre, qu’on trouve presque à la surface de la terre. Idem, p. 70 et suiv.
  44. Il y a près de Kœnigs-Hutte, au pays de Hanovre, des mines de fer qui rendent jusqu’à soixante et quatre-vingts livres de fonte par cent, et d’autres qui n’en rendent que quinze ou vingt : on les mêle ensemble au fourneau, où elles rendent en commun trente ou quarante pour cent… Il y a aussi d’autres minerais de fer qui sont plus durs et plus réfractaires, en sorte qu’on est obligé de les faire griller avant de les mêler avec les autres minerais pour les jeter au fourneau… Les mines de fer des environs de Blanckenbourg sont disposées par couches, et sont en masses à douze ou quinze toises de profondeur sur des roches de marbre. Idem, ibidem.
  45. En Pologne, il y a des mines de fer qui se tirent dans les marais : M. Guettard dit qu’elles sont d’un jaune d’ocre pâle, ou un peu brun, avec des veines plus foncées ou noirâtres… Le fer qu’elles donnent est cassant, et semblable à celui que fournit en Normandie la mine appelée cosse, à laquelle elles ressemblent beaucoup. Une autre mine de fer de Pologne est noirâtre avec des cavités entièrement vides ; on la prendrait, au premier coup d’œil, pour une pierre de volcans… De quelque nature que soient ces mines en Pologne, celles du moins que j’ai vues, elles se trouvent dans des marais ou dans des endroits qui ont toutes les marques d’avoir été autrefois marécageux. Rzaczynski dit qu’en général la Polésie polonaise a encore plus de mines de fer que la Volhinie, qu’elles se tirent aussi des marécages… et qu’elles sont jaunâtres ou couleur de rouille de fer…

    Les marais de Cracovie, dit encore M. Guettard, renferment des mines de fer qu’on n’exploite point ; les morceaux de minéral y sont isolés, ils ont un pied au plus de longueur sur quelques pouces d’épaisseur : dans quelques endroits cependant, ces morceaux peuvent avoir trois ou quatre pieds dans la première dimension, sur un peu plus d’épaisseur que les autres ; ils sont placés à deux ou trois pieds de profondeur au-dessous d’une terre qui tient de la nature de la tourbe, et l’on trouve en fouillant plus bas du pareil minéral de fer sous d’autres couches de terre… Comme les précédentes mines de marais, celles-ci sont poreuses, légères, terreuses, noirâtres, avec des taches jaunâtres ; on découvre de temps en temps dans ces fouilles, et dans les autres qu’on peut faire dans les marais, de la terre bleue appelée fleur de fer… Il y a des mines très abondantes, mais qui ne sont pas de marais, dans le palatinat de Sandomir, auprès de Suchedniow et de Samsonow… Ces mines sont brunes, composées de plusieurs lames, et recouvertes d’une terre jaune couleur d’ocre. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1762, p. 246, 304 et 305.

  46. Les Irlandais font des ustensiles de ménage avec du fer, dont ils recueillent sans peine la mine en différents endroits. Hist. générale des Voyages, t. XVIII, p. 36.
  47. Idem, t. XIX, p. 30.
  48. Dans la province de Dwime, en Moscovie, on trouve plusieurs mines de fer. (Voyages historiques de l’Europe, t. VII, p. 26)… Et à vingt-six lieues de Moscou, auprès de Tula, il y a d’autres mines fort abondantes. Voyages d’Oléarius ; Paris, 1656, t. Ier, p.… Les Tartares qui habitent les bords des rivières de Kondoma et de Mrasa savent fondre la mine de fer dans de petits fourneaux creusés en terre et surmontés d’un chapiteau ; ils pilent la mine et apportent alternativement dans le fourneau du minerai pilé et du charbon ; ils se servent de deux soufflets, et ne font que deux ou trois livres de fonte à la fois. Gmelin, Hist. générale des Voyages, t. XVIII, p. 153 et 154. — En Sibérie, à quinze werstes de la ville de Tomsk, il y a une montagne composée entièrement de mine de fer ; on en fait griller le minerai avant de le jeter au fourneau : il se trouve aussi chez les Barsajakes des mines qui donnent de très bon fer. Idem, p. 160 et 161. — Dans les terres voisines du Lena, il se trouve des mines de fer mêlées avec des terres ferrugineuses jaunes ou rouges, et l’on en tire de très bon fer. Idem, p. 284 et 285. — On trouve chez les Ostiaques, à quelque distance des bords du Jenisei, du minerai de fer fort pesant et fort riche, rouge en dehors et brun en dedans. Idem, p. 361. — M. l’abbé Chappe a compté cinquante-deux mines de fer aux environs d’Ékatérinbourg, en Sibérie : ces mines sont, dit-il, mêlées avec des terres vitrifiables ou argileuses, et jamais avec des matières calcaires ; pas une de ces mines n’est disposée en filons ; elles sont toutes par dépôts, dispersées sans ordre, du moins en apparence. On trouve presque toujours ces mines dans les montagnes basses et sur les bords des ruisseaux ; elles sont à trois pieds sous terre, elles ont vingt-quatre à trente pieds de profondeur… On fait griller toutes ces mines à l’air libre avant de les mettre au fourneau, et on en fait de très bon fer. Gmelin, Hist. générale des Voyages, t. XIX, p. 472. — M. Pallas a trouvé en Russie, aux environs de la rivière de Geni, une masse de fer du poids de cent cinquante-deux livres, qu’il a envoyée à l’académie de Pétersbourg. Cette masse a la forme d’une éponge, et est percée de trous ronds remplis de petits corps polis de couleur d’ambre : ce fer se plie aisément sans le secours du feu ; un feu médiocre suffit pour le travailler. On peut en faire toutes sortes de petits outils ; mais, lorsqu’on l’expose à l’action d’un grand feu, il perd sa souplesse, se granule et se casse, au lieu de plier. Cette masse ferrugineuse a été trouvée sous la croupe d’une montagne couverte de bois, peu éloignée du mont Rénur, près duquel est une mine d’aimant. Journal historique et politique, 30 octobre 1773, article Pétersbourg.
  49. On ne trouve du fer au Japon que dans quelques provinces, mais on l’y trouve en grande abondance, et cependant on l’y vend presque aussi cher que le cuivre. Histoire générale des Voyages, t. X, p. 655.
  50. À Siam, près de la ville de Campeng-Pei, il y a une montagne au sommet de laquelle on trouve une mine de fer dont on tire même de l’acier par la fonte ; cependant en général on connaît peu de mines de fer dans ce pays, et les Siamois ne sont pas habiles à le travailler ; car ils n’ont pas d’épingles, d’aiguilles, de clous, de ciseaux ni de ferrures : chacun se fait des épingles de bambou, comme nos ancêtres en faisaient d’épines. Histoire générale des Voyages, t. IX, p. 307 et 308. — Le village de Beausonin, au royaume de Siam, est composé de dix ou douze maisons, et est environné de mines de fer ; il y a une forge où chaque habitant est obligé de fondre cent vingt-cinq livres de fer pour le roi : toute la forge consistait en deux ou trois fourneaux que l’on remplit de charbon et de mine alternativement ; le charbon venant à se consumer peu à peu, la mine se trouve au fond en une espèce de boulet. Les soufflets dont on se sert sont deux cylindres de bois creusés, dont le diamètre peut être de sept à huit pouces. Chaque cylindre a son piston avec de petites cordes, et un homme seul le fait agir. Second voyage au royaume de Siam ; Paris, 1689, p. 242 et 243.
  51. À Golconde, on fabrique beaucoup de fer et d’acier qui se transportent en divers endroits des Indes. Histoire générale des Voyages, t. IX, p. 517.
  52. Le fer est commun dans l’île de Ceylan, et les habitants savent même en faire de l’acier. Idem, t. VIII, p. 549.
  53. On fait à Kom, en Perse, de très bonnes lames d’épées et de sabres : l’acier dont ces lames sont faites vient de Niris, proche Ispahan, où il y a plusieurs mines de ce métal. Voyages de Jean Struys ; Rouen, 1719, t. Ier, p. 272. — Les principales mines de Perse sont dans l’Hyrcanie, la Médie septentrionale, au pays des Parthes et dans la Bactriane ; mais le fer qu’on en tire n’est pas si doux que celui qu’on fait en Angleterre. Voyages de Chardin ; Amsterdam, 1711, t. II, p. 23.
  54. Les Grecs ont dit mal à propos que l’Arabie heureuse n’avait point de fer, puisque aujourd’hui même on y exploite encore des mines dans le district de Saad… Mais ce fer de Saad est moins bon que celui qu’on apporte d’Europe, et leur revient plus cher, vu l’ignorance des Arabes et le manque de bois. Description de l’Arabie, par M. Niebuhr, p. 123.
  55. Le plomb et le fer sont les seuls métaux qu’on ait découverts jusqu’ici en Barbarie. Le fer est fort bon, mais il n’est pas en grande quantité ; ce sont les Kabyles des districts montagneux de Bon-Jeirah qui le tirent de la terre et qui le forgent ; ils l’apportent ensuite en petites barres aux marchés de Bon-Jeirah et d’Alger. La mine est assez abondante dans les montagnes de Dwée et de Zikkar ; la dernière est la plus riche et fort pesante, et l’on y trouve quelquefois du cinabre. Voyages de Shaw, t. Ier, p. 306. — Il y a aussi du fer dans le royaume de Maroc, dans les montagnes de Gesula. L’Afrique de Marmol, t. II, p. 76. — Et les habitants de Beni-Besseri, au pied du mont Atlas, en font leur principal commerce. Idem, t. III, p. 27.
  56. On trouve du fer à Madagascar, et les habitants de quelques parties montagneuses de cette île sont assez industrieux pour le fabriquer en barres ; les mines sont très fusibles, et produisent un fer très doux. Relation de Madagascar, par François Gauche ; Paris, 1651, p. 68 et 69.
  57. On trouve du fer non seulement à Bambouck, dans le royaume de Galam, de Kayne et de Dramuret, où il est en abondance, mais encore dans tous les autres pays en descendant le Sénégal, surtout à Joël et Donghel, dans les États du Siratik, où il est si commun que les Nègres en font des pots et des marmites. Histoire générale des Voyages, t. II, p. 644.
  58. On trouve beaucoup de fer, ainsi que plusieurs autres métaux, dans le royaume de Congo. Recueil des Voyages de la Compagnie des Indes ; Amsterdam, 1702, t. IV, p. 321.
  59. Les mines de fer sont fort communes dans le pays des Hottentots, et les habitants savent même les convertir en fer par la fonte. Histoire générale des Voyages, t. V, p. 172 ; Voyages de Kolbe. — Au cap de Bonne-Espérance, il y a des indices certains de mines de fer. Description du cap de Bonne-Espérance, par Kolbe ; Amsterdam, 1741, part. ii, p. 174.
  60. Au Canada, la ville des Trois-Rivières a dans son voisinage des mines d’excellent fer. Histoire générale des Voyages, t. XIV, p. 700. — Les mines de fer sont en Canada plus abondantes et plus communes que dans la plupart des provinces de l’Europe ; celles des Trois-Rivières surtout surpassent celles d’Espagne par la quantité de fer qu’elles donnent. Histoire philosophique et politique ; Amsterdam, 1772, t. II, p. 65. — « Les mines des Trois-Rivières, dit M. Guettard, donnent d’excellent fer ; cependant il ne faut pas croire que tout le fer du Canada soit d’une égale qualité ; il y en a de très doux et de très malléable, et d’autre qui est aigre et fort aisé à casser : cette différence peut venir ou de la manière de le faire, ou de celle qui se trouve entre les mines… Suivant M. Gautier, toutes les terres du Canada contiennent des mines de fer ; il y en a dans un endroit appelé la Mine au Racourci, et au cap Martin ; ces mines sont mêlées avec un peu de cuivre ou d’autre métal… Les morceaux de celle du cap Martin pèsent autant que le fer, à volume égal ; le fer y a paru presque tout pur, à en juger par la couleur… Lorsqu’on prend un morceau de cette mine, et que, sans l’avoir purifié ni fait passer par le feu, on le présente à l’aiguille aimantée, il la fait varier et produit sur elle presque les mêmes effets et les mêmes mouvements qu’une lame de couteau ordinaire… Quand on pulvérise cette mine, et qu’on verse dessus un peu d’esprit de vitriol, il fermente très peu ou presque point ; mais quand on la jette dans un mélange d’esprit de nitre et de sel marin, ce qui fait une eau régale, il paraît que ce qui est de couleur de cuivre s’y dissout. Ces expériences donnent lieu de penser que le fer est presque partout pur dans cette mine du cap Martin ; celle du Racourci est plus mélangée. » Voyez les Mémoires de l’Académie des sciences de Paris, année 1752, p. 207 et suiv.
  61. Il y a des mines de fer à Falling-Croak, sur la rivière James, dans la Virginie. Histoire générale des Voyages, t. XIV, p. 474. — Et même tous les lieux élevés de cette presqu’île sont remplis de mines de fer. Idem, p. 492.
  62. Histoire philosophique et politique des établissements des Européens dans les deux Indes ; Amsterdam, 1772, t. VI, p. 556.
  63. L’île de Saint-Domingue a des mines de fer. Histoire générale des Voyages, t. XII, p. 218.
  64. Le canton de Mertitlan, au Mexique, renferme une quantité de mines de fer. Idem, p. 648.
  65. On trouve aussi au Pérou, dans le territoire de Cuença, plusieurs morceaux de mines de fer attirables à l’aimant. Idem, t. XIII, p. 598.
  66. Il y a aussi des mines de fer au Chili. Idem, p. 412.
  67. La Guyane française est abondante en mines de fer. Idem, t. XIV, p. 377.
  68. Au Brésil, à trente lieues de Saint-Paul au sud, on rencontre les montagnes de Bera-Suéaba, abondantes en mines de fer. Idem, p. 225.
  69. J’ai établi dans ma terre de Buffon un haut fourneau avec deux forges ; l’une a deux feux et deux marteaux, et l’autre a un feu et un marteau : j’y ai joint une fonderie, une double batterie, deux martinets, deux bocards, etc. ; toutes ces constructions, faites sur mon propre terrain et à mes frais, m’ont coûté plus de trois cent mille livres ; je les ai faites avec attention et économie ; j’ai ensuite conduit pendant douze ans toute la manutention de ces usines, je n’ai jamais pu tirer les intérêts de ma mise au denier vingt ; et après douze ans d’expérience, j’ai donné à ferme toutes ces usines pour six mille cinq cents livres. Ainsi je n’ai pas deux et demi pour cent de mes fonds, tandis que l’impôt en produit à très peu près autant et sans mise de fonds à la caisse du domaine : je ne cite ces faits que pour mettre en garde contre des spéculations illusoires les gens qui pensent à faire de semblables établissements, et pour faire voir en même temps que le gouvernement, qui en tire le profit le plus net, leur doit protection.
  70. Voyez la Partie expérimentale, Mémoire sur la ténacité du fer.
  71. Voyez, ci-devant, l’article qui a pour titre : De la Terre végétale.
  72. Ce n’est qu’en quelques endroits que l’on trouve de ces mines dilatées en gros grains sur une grande étendue de terrain. M. de Grignon en a reconnu quelques-unes de telles en Franche-Comté.
  73. Les charbons de chêne, charme, hêtre et autres bois durs, sont meilleurs pour le fourneau de fusion ; et ceux du tremble, bouleau et autres bois mous sont préférables pour l’affinerie ; mais il faut laisser reposer pendant quelques mois les charbons de bois durs. Le charbon de chêne, employé à l’affinerie, rend le fer cassant ; mais, au fourneau de fusion, c’est de tous les charbons celui qui porte le plus de mine, ensuite c’est le charbon de hêtre, celui de sapin et celui de châtaignier, qui de tous en porte le moins, et doit être réservé, avec les bois blancs, pour l’affinerie. On doit tenir sèchement et à couvert tous les charbons ; ceux de bois blancs surtout s’altèrent à l’air et à la pluie dans très peu de temps ; le charbon des jeunes chênes, depuis dix-huit jusqu’à trente ans d’âge, est celui qui brûle avec le plus d’ardeur.
  74. Ce serait entrer dans un trop grand détail que de donner ici les proportions et les formes des différents lavoirs qu’on a imaginés pour nettoyer les mines de fer en grains, et les purger des matières étrangères, qui quelquefois sont tellement unies aux grains qu’on a grande peine à les en détacher. Le lavoir foncé de fer et percé de petits trous, inventé par M. Robert, sera très utile pour les mines ainsi mêlées de terre grasse et attachante ; mais pour toutes les autres mines qui ne sont mélangées que de sable calcaire ou de petits cailloux vitreux, les lavoirs les plus simples suffisent et même doivent être préférés.
  75. Les cribles cylindriques, longs de quatre à cinq pieds sur dix-huit ou vingt pouces de diamètre, montés en fil de fer sur un axe à rayons, sont les plus expéditifs et les meilleurs : j’en ai fait construire plusieurs, et je m’en suis servi avec avantage ; un enfant de dix ans suffit pour tourner ce crible dans lequel le minerai coule par une trémie ; le sablon le plus fin tombe au-dessous de la tête du crible, les grains de mine tombent dans le milieu, et les plus gros sables et petits cailloux vont au delà par l’effet de la force centrifuge. C’est de tous les moyens le plus sûr pour rendre la mine aussi nette qu’il est possible.
  76. La fonte blanche, dit M. de Grignon, est la plus mauvaise, elle est blanche lorsqu’on surcharge le fourneau de trop de mine relativement au charbon ; elle peut aussi devenir telle par la négligence du fondeur, lorsqu’il n’a pas attention de travailler son ouvrage pour faire descendre doucement les charges, et qu’il les laisse former une voûte au-dessus de la tuyère, et toutes les fois que la fusion n’est pas exacte, et que la mine est précipitée dans le bain sans être assez séparée, et enfin lorsque, par quelque cause que ce soit, la chaleur se trouve diminuée dans le fourneau. La fonte blanche est sonore, dure et fragile ; elle est très fusible au feu, mais elle donne un fer cassant, dur et rouverain.

    La fonte qu’on appelle truitée est parsemée de taches grises ; elle est moins mauvaise que la fonte purement blanche : cette fonte truitée est très propre à faire de gros ouvrages, comme des enclumes ; elle se travaille aisément et donne de meilleur fer que les fontes blanches.

    Une fonte grise devient blanche, dure et cassante lorsqu’on la coule dans un moule humide et à une petite épaisseur : la partie la plus mince est plus blanche que le reste ; celle qui suit est truitée, et il n’y a que les endroits les plus épais dont la fonte soit grise.

    La fonte grise donne le meilleur fer : il y en a de deux espèces, l’une d’un gris cendré et l’autre d’un gris beaucoup plus foncé tirant sur le brun noir ; la première est la meilleure, elle sort du fourneau aussi fluide que de l’eau : cette fonte grise, dans son état de perfection, donne une cristallisation régulière en la laissant refroidir lentement pendant plusieurs jours ; elle fait une retraite très considérable sur elle-même ; sa cristallisation est en forme pyramidale et se termine en une pointe très aiguë ; elle se forme principalement dans les petites cavités de la fonte.

    La fonte grise est moins sonore que la blanche, parce qu’elle est plus douce et que ses parties sont plus souples.

    La fonte brune ou noirâtre est telle, parce qu’on a donné trop peu de mine relativement au charbon, et que la chaleur du fourneau était trop grande ; elle est moins pesante et plus poreuse que l’autre fonte, et plus douce à la lime ; elle s’égrène plus facilement, mais se casse plus difficilement ; elle est très dure à fondre, mais elle donne un bon fer nerveux ; ses cristaux sont de la même forme que ceux de la fonte grise, mais seulement plus courts. Cette fonte brune ou noire ne réussit pas pour mouler des pièces minces, parce qu’elle ne prend pas bien les impressions ; mais elle est très bonne pour de grosses pièces de résistance, comme tourillons, colliers d’arbres, etc. Il se forme beaucoup d’écailles minces et de limailles sur cette fonte noire, poreuse et soufflée : cette limaille est assez semblable à du mica noir ou au sablon ferrugineux qui se trouve dans quelques mines, et qui ressemble aussi au sablon ferrugineux de la platine ; ces petites lames sont autant de parcelles atténuées du régule de fer. Mémoires de Physique, par M. de Grignon, p. 60 et suiv.

  77. Lettre de M. le chevalier de Grignon à M. le comte de Buffon, datée de Paris, le 29 juillet 1782.
  78. Il s’élève beaucoup de vapeurs qui s’étendent à une grande hauteur au-dessus du gueulard d’un fourneau où l’on fond la mine de fer ; cette vapeur prend feu au bord de la surface de cette ouverture ; les bords se revêtent d’une poussière blanche ou jaune, qui est une matière métallique décomposée et sublimée : outre cela, il se forme sur les parois dans l’intérieur du fourneau, à commencer aux deux tiers environ de sa hauteur depuis la cuve, une matière brune dont la couche est légère, mais fort adhérente aux briques du fourneau ; cette matière sublimée est ferrugineuse. Il y a souvent dans le brun des taches blanches et jaunâtres, et l’on y trouve dans quelques cavités de belles cristallisations en filets déliés… Cette substance est la cadmie des fourneaux ; on en retire du zinc, ainsi ce demi-métal paraît être contenu dans la mine de fer ; il reste même du zinc dans la fonte de fer après la fusion, quoique la plus grande partie de ce demi-métal, qui ne peut souffrir une violente action du feu sans se brûler et se volatiliser, soit réduite en tutie vers l’ouverture du fourneau, où elle forme une suie métallique qui s’attache aux parois du fourneau, et cette suie de zinc et ce fer est le pompholix ; non seulement toutes les mines de fer de Champagne, mais encore celles des autres provinces de France, contiennent du zinc. Mémoires de Physique, par M. de Grignon, p. 275 et suiv.M. Granger dit que toutes les mines de fer brunes, opaques ou ocracées, contiennent de la chaux de zinc, et qu’il y a un passage comme insensible de ces mines à la pierre calaminaire, et réciproquement de la pierre calaminaire à ces mines de fer. On voit tous ces degrés dans le pays de Liège et dans le duché de Limbourg : « Nous croyons, ajoute-t-il, que cette dose de zinc, contenu dans les mines de fer, est-ce qui leur donne la facilité de produire des fers de tant de qualités différentes, et qu’elle est peut-être plus considérable qu’on ne pense. » Journal de Physique, mois de septembre 1775, p. 225 et suiv.
  79. C’est la pratique commune en plusieurs provinces de la Grande-Bretagne, où l’on fond et coule de cette manière les plus belles fontes moulées et des masses de plusieurs milliers en gros cylindres et autres formes. Nous pourrions de même faire usage de ces fourneaux dans les lieux où le charbon de terre est à portée. M. le marquis de Luchet m’a écrit qu’il avait fait essai de cette méthode dans les provinces du comté de Nassau. « J’ai mis, dit-il, dans un fourneau construit selon la méthode anglaise cinq quintaux de mine de fer, et au bout de huit heures la mine était fondue. » (Lettre de M. le marquis de Luchet à M. le comte de Buffon, datée de Ferney, le 4 mars 1775.) — Je suis convaincu de la vérité de ce fait, que M. de Luchet opposait à un fait également vrai, et que j’ai rapporté. (Voyez dans le IIe volume, l’introduction à l’histoire des minéraux.) C’est que la mine de fer ne se fond point dans nos fourneaux de réverbère, même les plus puissants, tels que ceux de nos verreries et glaceries ; la différence vient de ce qu’on la chauffe avec du bois, dont la chaleur n’est pas à beaucoup près aussi forte que celle du charbon de terre.
  80. Voyez la partie expérimentale, t. II, Mémoire sur les moyens de perfectionner les canons de fonte de fer.
  81. Ayant fait part de mes observations à M. le vicomte de Morogues, et lui ayant demandé le résultat des expériences faites à la fonderie de Ruelle en Angoumois, voici l’extrait des réponses qu’il eut la bonté de me faire :

    « On a fondu à Ruelle des canons de vingt-quatre à un seul fourneau ; le creuset devait contenir sept mille cinq cents ou huit mille de matière ; la fusion de la fonte ne peut pas être égale dans deux fourneaux différents, et c’est ce qui doit déterminer à ne couler qu’à un seul fourneau.

    » On emploie environ quarante-huit heures pour la fusion de sept mille cinq cents ou huit mille de matière pour un canon de vingt-quatre, et l’on emploie vingt-trois à vingt-quatre heures pour la fusion de trois mille cinq cents pour un canon de huit ; ainsi, la fonte du gros canon ayant été le double du temps dans le creuset, il est évident qu’elle a dû se purifier davantage.

    » Il n’est pas à craindre que la fonte se brûle lorsqu’elle est une fois en bain dans le creuset. À la vérité, lorsqu’il y a trop de charbon, et par conséquent trop de feu et trop peu de mine dans le fourneau, elle se brûle en partie, au lieu de fondre en entier ; la fonte qui en résulte est brune, poreuse et bourrue, et n’a pas la consistance ni la dureté d’une bonne fonte : seulement il faut avoir attention que la fonte dans le bain soit toujours couverte d’une certaine quantité de laitier. Cette fonte bourrue, dont nous venons de parler, est douce et se fore aisément ; mais comme elle a peu de densité, et par conséquent de résistance, elle n’est pas bonne pour les canons.

    » La fonte grise à petits grains doit être préférée à la fonte trop brune, qui est trop tendre, et à la fonte blanche à gros grains, qui est trop dure et trop impure.

    » Il faut laisser le canon refroidir lentement dans son moule, pour éviter la sorte de trempe qui ne peut que donner de l’aigreur à la matière du canon : bien des gens croient néanmoins que cette surface extérieure, qui est la plus dure, donne beaucoup de force au canon.

    » Il n’y a pas longtemps que l’on tourne les pièces de canon ; et qu’on les coule pleines pour les forer ensuite ; l’avantage, en les coulant pleines, est d’éviter les chambres qui se forment dans tous les canons coulés à noyaux. L’avantage de les tourner consiste en ce qu’elles seront parfaitement centrées et d’une épaisseur égale dans toutes les parties correspondantes : le seul inconvénient du tour est que les pièces sont plus sujettes à la rouille que celles dont on n’a pas entamé la surface.

    » La plus grande difficulté est d’empêcher le canon de s’arquer dans le moule ; or, le tour remédie à ce défaut et à tous ceux qui proviennent des petites imperfections du moule.

    » La première couche qui se durcit dans la fonte d’un canon est la plus extérieure ; l’humidité et la fraîcheur du moule lui donnent une trempe qui pénètre à une ligne ou une ligne et demie dans les pièces de gros calibre, et davantage dans ceux de petit calibre, parce que leur surface est proportionnellement plus grande relativement à leur masse : or, cette enveloppe trempée est plus cassante, quoique, plus dure que le reste de la matière, elle ne lui est pas aussi intimement unie, et semble faire un cercle concentrique assez distinct du reste de la pièce ; elle ne doit donc pas augmenter la résistance de la pièce. Mais si l’on craint encore de diminuer la résistance du canon, en enlevant l’écorce par le tour, il n’y aura qu’à compenser cette diminution, en donnant deux ou trois lignes de plus d’épaisseur au canon.

    » On a observé que la matière est meilleure dans la culasse des pièces que dans les volées, et cette matière de la culasse est celle qui a coulé la première et qui est sortie du fond du creuset, et qui par conséquent a été tenue le plus longtemps en fusion ; au contraire, la masselotte du canon, qui est la matière qui coule la dernière, est d’une mauvaise qualité et remplie de scories.

    » On doit observer que, si l’on veut fondre du canon de vingt-quatre à un seul fourneau, il serait mieux de commencer par ne donner au creuset que les dimensions nécessaires pour couler du dix-huit, et laisser agrandir le creuset par l’action du feu ; avant de couler du vingt-quatre, et par la même raison on fera l’ouvrage pour couler du vingt-quatre, qu’on laissera ensuite agrandir pour couler du trente-six. » (Mémoire envoyé par M. le vicomte de Morogues à M. de Buffon ; Versailles, le 1er février 1769).

  82. J’ai fait ces épreuves à une très bonne et grande balance hydrostatique, sur des morceaux cubiques de fonte de quatre pouces, c’est-à-dire de soixante-quatre pouces cubes, tous également tirés du milieu des gueuses, et ensuite ajustés par la lime à ces dimensions. M. Brisson, dans sa Table des pesanteurs spécifiques, donne cinq cent quatre livres sept onces six gros de poids à un pied cube de fonte ; cinq cent quarante-cinq livres deux onces quatre gros au fer forgé, et cinq cent quarante-sept livres quatre onces à l’acier.
  83. Voyez la note précédente.
  84. Voici ce que m’a écrit à ce sujet M. de la Belouze, conseiller au parlement de Paris, qui a fait des expériences et des travaux très utiles dans ses forges du Nivernais : « Vous regardez, monsieur, comme fait certain que la fonte la plus dense est la meilleure pour faire des canons ; j’ai hésité longtemps sur cette vérité, et j’avais pensé d’abord que la fonte première, comme étant plus légère et conséquemment plus élastique, cédant plus facilement à l’impulsion de la pondre, devrait être moins sujette à casser que la fonte seconde, c’est-à-dire la fonte refondue, qui est beaucoup plus pesante.

    » Je n’ai décidé le sieur Frerot à les faire de fonte refondue que parce qu’en Angleterre on ne les fait que de cette façon ; cependant, en France, on ne les fond que de fonte première… La fonte refondue est beaucoup plus pesante, car elle pèse cinq cent vingt à cinq cent trente livres, au lieu que l’autre ne pèse que cinq cents livres le pied cube…

    » Vous avez grande raison, monsieur, de dire qu’il ne faut pas tourner les canons… La partie extérieure des canons, c’est-à-dire l’enveloppe, est toujours la plus dure, et ne se fond jamais au fourneau de réverbère, et, sans le ringard, on retirerait presque les pièces figurées comme elles étaient lorsqu’on les a mises au fourneau. Cette enveloppe se convertit presque toute en fer à l’affinerie, car, avec onze cent cinquante livres de fonte, on fait un millier de très bon fer,… tandis qu’il faut quatorze cents ou quinze cents livres de notre fonte première pour avoir un millier de fer…

    » Vous désireriez, monsieur, qu’on pût couler les canons avec la fonte d’un seul fourneau ; mais le poids en est trop considérable, et je ne crois pas que le sieur Wilkinson les coule à Indret avec le jet d’un seul fourneau, surtout pour les canons de vingt-quatre. Le sieur Frerot ne coule que des canons de dix-huit avec le jet de deux fourneaux de pareille grandeur et dans la même exposition ; il coule avec un seul fourneau les canons de douze, mais il a toujours un fourneau près de la fonte, duquel il peut se servir pour achever le canon, et le surplus de la fonte du second fourneau s’emploie à couler de petits canons ; on ne fait pour cela que détourner le jet lorsque le plus gros canon est coulé. » (Extrait d’une lettre de M. de la Belouze à M. de Buffon, datée de Paris, le 31 juillet 1781.)

  85. La fonderie royale que le ministre de la marine vient de faire établir près de Nantes, en Bretagne, démontre la supériorité de cette méthode sur toutes celles qui étaient en usage auparavant, et qui étaient sujettes aux inconvénients dont nous venons de faire mention.
  86. M. de Grignon rejette avec raison l’opinion de M. Romé Delisle, qui, dans sa Cristallographie, prétend « que l’eau, tenue dans son état de fluidité et aidée du secours de l’air, est le principal et peut-être l’unique instrument de la nature dans la formation des cristaux métalliques ; qu’on ne peut attribuer la génération des cristaux métalliques à des fusions violentes qui s’opèrent dans le sein de la terre, au moyen des feux souterrains que l’on y suppose ; qu’inutilement on tenterait d’imiter ces cristaux dans nos laboratoires par le secours du feu ou par la voie sèche, plutôt que par la voie humide ; qu’il ne faut pas confondre les figures ébauchées par l’art avec les vraies formes cristallines, qui sont le produit d’une opération lente de la nature par l’intermède de l’eau. » Cristallographie, p. 321 et 322. — M. de Grignon oppose à cela des faits évidents : il a trouvé un morceau de fer niché dans une masse de fonte et de laitier, qui est restée en fusion pendant plusieurs jours, et dont le refroidissement a été prolongé pendant plus de quinze dans son fourneau… On voyait dans ce morceau deux cristaux cubiques de régule de fer, et la partie du milieu était formée d’une multitude de petits cristaux de fonte de fer, que l’on peut regarder comme les éléments des plus grands : ces petits cristaux étaient tous absolument semblables et fort réguliers dans toutes leurs parties… ils ne différaient entre eux que par le volume…

    Cet exemple fait voir, comme le dit M. de Grignon, que l’on peut parvenir à la génération des cristaux métalliques en employant des moyens convenables, c’est-à-dire un feu véhément, et un refroidissement très lent et sans trouble ; cela est non seulement vrai pour le fer, mais pour tous les autres métaux, que l’on peut également faire cristalliser au feu de nos fourneaux, comme les derniers travaux de nos chimistes, et les régules cristallisés qu’ils ont obtenus de la plupart des métaux et demi-métaux l’ont évidemment prouvé. Ainsi, l’opinion de M. Delisle était bien mal fondée : tout dissolvant qui rend la matière fluide la dispose à la cristallisation, et elle s’opère dans les matières fondues par le feu comme dans celles qui sont liquéfiées par l’eau.

    « Ces deux éléments, dit très bien M. de Grignon, donnent à peu près les mêmes produits par des procédés différents, avec des substances qui peuvent se modifier également par ces deux agents ; mais l’eau qui peut dissoudre et cristalliser les sels, charrier et faciliter la condensation d’un métal minéralisé ou en état de décomposition, élever la charpente des corps organisés, ne peut concourir à donner à aucun métal, en son état de métalléité parfaite, une forme régulière, c’est-à-dire le cristalliser… C’est au feu, l’agent le plus actif, le plus puissant de la nature, que sont réservées ces importantes opérations ; le feu achève en des instants très courts le résultat de ces opérations, au lieu que l’eau y emploie une longue suite de siècles. » Mémoires de Physique, p. 476 et suiv. — J’ai fait moi-même un essai sur la cristallisation de la fonte de fer, que je crois devoir rapporter ici. Cet essai a été fait dans un très grand creuset de molybdène, sur une masse d’environ deux cent cinquante livres de fonte : on avait pratiqué vers le bas de ce creuset un trou de huit à neuf lignes de diamètre, que l’on avait ensuite bouché avec de la terre de coupelle ; ce creuset fut placé sur une grille et entouré au bas de charbons ardents, tandis que la partie supérieure était défendue de la chaleur par une table circulaire de briques ; on remplit ensuite le creuset de fonte liquide, et quand la surface supérieure de cette fonte, qui était exposée à l’air, eut pris de la consistance, on ouvrit promptement le bas du creuset ; il coula d’un seul jet plus de moitié de la fonte encore rouge, et qui laissa une grande cavité dans l’intérieur de toute la masse ; cette cavité se trouva hérissée de très petits cristaux, dans lesquels on distinguait à la loupe des faces disposées en octaèdres, mais la plupart étaient comme des trémies creuses, puisque, avec une barbe de plume, elles se détachaient et tombaient en petits feuillets, comme les mines de fer micacées, ce qui néanmoins est éloigné des belles cristallisations de M. de Grignon, et annonce que, dans cette opération, le refroidissement fut encore trop prompt, car il est bon de le répéter, ce n’est que par un refroidissement très lent que la fonte en fusion peut prendre une forme cristallisée.

  87. Il y a quelques mines de cuivre pyriteuses qui sont encore plus longues à traiter que la mine de fer ; il faut neuf ou dix grillages préparatoires à ces mines de cuivre pyriteuses avant de les réduire en mattes, et faire subir à cette matte l’action successive de trois, quatre et cinq feux avant d’obtenir du cuivre noir ; enfin, il faut encore fondre et purifier ce cuivre noir avant qu’il ne devienne cuivre rouge, et tel qu’on puisse le verser dans le commerce. Ainsi, certaines mines de cuivre exigent encore plus de travail que les mines de fer pour être réduites en métal ; mais ensuite le cuivre se prête bien plus aisément que le fer à toutes les formes qu’on veut lui donner.
  88. Hésiode cité par Pline, lib. vii, cap. lvi. — Strabon, lib. x. — Diodore de Sicile, lib. xv, cap. v. — Clément d’Alexandrie, lib. i, p. 307. — Eusèbe, Préparation évangélique. — Enfin, dans les Marbres d’Oxford, l’invention du fer est rapportée à l’année 1432 avant l’ère chrétienne.
  89. Voyez le Mémoire sur la fusion des Mines de fer, t. II.
  90. On met dans le foyer de l’affinerie un lit de charbon et de ferraille alternativement, et, lorsque le creuset de l’affinerie est plein, on le recouvre d’une forte quantité de charbons : on met le feu au charbon et l’on donne une grande vitesse aux soufflets ; on remet du nouveau charbon à mesure qu’il s’affaisse ; on y mêle d’autres ferrailles, et l’on continue ainsi jusqu’à ce que le creuset contienne une loupe d’environ quatre-vingts livres. Il n’est pas nécessaire de remuer et travailler cette loupe aussi souvent que celle qui provient de la gueuse ; mais il faut jeter des scories dans le creuset et entretenir un bain pour empêcher le fer de brûler ; il faut aussi modérer la vivacité de la flamme en jetant de l’eau dessus, ce qui concentre la chaleur dans le foyer ; la loupe étant formée, on arrête le vent et on la tire du creuset : elle est d’un rouge blanc très vif ; on la porte sous le marteau pour en faire d’abord un bloc de quelques pouces de longueur, après quoi on la remet au feu, et on fait une barre par une seconde ou troisième chaude. Le déchet, tant au feu qu’au marteau, est d’un quart environ.

    Il y a quelque choix à faire dans les vieilles ferrailles ; les clous à latte ne sont pas bons à être refondus ; toutes les ferrailles plates ou torses sont bonnes ; les fers qui résultent des ferrailles refondues sont très ductiles et très bons ; on en fait des canons de fusil ; tout l’art consiste à bien souder ce fer, en lui donnant le juste degré de feu nécessaire. Les écailles qui se lèvent et se séparent de ce fer sont elles-mêmes du bon fer, qu’on peut encore refondre et souder ensemble et avec l’autre fer ; il faut seulement les mêler avec une égale quantité de ferrailles plus solides, pour les empêcher de s’éparpiller dans le feu. La limaille de fer humectée prend corps et devient en peu de jours une masse dure qu’on brise en morceaux gros comme des noix, et, en les mêlant avec d’autres vieilles ferrailles, elles donnent de très bon fer.

    Qu’on prenne une barre de fer large de deux à trois pouces, épaisse de deux à trois lignes, qu’on la chauffe au rouge, et qu’avec la panne du marteau on y pratique, dans sa longueur, une cannelure ou cavité, qu’on la plie sur elle-même pour la doubler ou corroyer, l’on remplira ensuite la cannelure des écailles ou paillettes en question ; on lui donnera une chaude douce d’abord en rabattant les bords, pour empêcher qu’elles ne s’échappent, et on battra la barre comme on le pratique pour corroyer le fer, avant de la chauffer à blanc ; on la chauffera ensuite blanche et fondante, et la pièce soudera à merveille ; on la cassera à froid, et l’on n’y verra rien qui annonce que la soudure n’ait pas été complète et parfaite, et que toutes les parties de fer ne se soient pas pénétrées réciproquement, sans laisser aucun espace vide. J’ai fait cette expérience aisée à répéter, qui doit rassurer sur les pailles, soit qu’elles soient plates ou qu’elles aient la forme d’aiguille, puisqu’elles ne sont autre chose que du fer, comme la barre avec laquelle on les incorpore et où elles ne forment plus qu’un même corps avec elle.

    J’ai fait nettoyer avec soin le creuset d’une grosse forge, et l’ayant rempli de charbon de bois, et donné l’eau aux soufflets, j’ai, lorsque le feu a été vif, fait jeter par-dessus de ces paillettes ou exfoliations : après avoir successivement rechargé de charbon et de pailles de fer pendant une heure et demie, j’ai fait découvrir l’ouvrage. J’ai observé que ces pailles, qui sont aussi déliées que du talc, trempées par l’air, très légères et très cassantes, n’étant pas assez solides pour se fixer et s’unir ensemble, devaient être entièrement détruites pour la plupart ; les autres formaient de petites masses éparpillées, qui n’ont pu se joindre et former une seule loupe, comme le font les ferrailles qui ont du corps et de la consistance. J’ai fait jeter dans l’eau froide une de ces petites masses, prise dans le creuset, et l’ayant mise au feu d’une petite forge au charbon de terre, et battue à petits coups lorsqu’elle a été couleur de cerise, toutes les parties s’en sont réunies. Je l’ai fait chauffer encore au même degré, et battre de même, après quoi on l’a chauffée blanc et étirée ; on l’a cassée lorsqu’elle a été refroidie, et il s’est trouvé un fer parfait et tout de nerf.

    Si l’on veut réunir ces pailles dans le creuset et en former une seule loupe, il faut les mêler avec un sixième ou plus de ferrailles, qui, tombant les premières, serviront de base sur laquelle elles se fixeront au lieu de s’éparpiller, et feront corps avec elles. Sans cette précaution, l’extrême légèreté de ces écailles ne leur permettant pas d’opposer à l’agitation violente de l’intérieur du creuset une résistance suffisante, une partie sera entièrement détruite, et le reste se dispersera et ne pourra se réunir qu’en petites masses, comme cela est arrivé ; mais il résulte toujours de ces deux expériences que ces écailles, pailles ou lames, comme on voudra les appeler, sont de fer, et qu’elles ne peuvent en aucune manière et dans aucun cas empêcher la soudure de deux parties de fer qu’on veut réunir. (Note communiquée par M. de Montbeillard, lieutenant-colonel d’artillerie, au mois de mai 1770.)

  91. Le fer qui passe pour le plus excellent, c’est-à-dire d’une belle couleur blanche tirant sur le gris, entièrement composé de nerfs ou de couches horizontales, sans mélange de grains, est de tous les fers celui qui convient le moins : observons d’abord qu’on chauffe la barre à blanc pour en faire la maquette, qui est chauffée à son tour pour faire la lame à canon ; cette lame est ensuite roulée dans sa longueur, et chauffée blanche à chaque pouce et demi deux ou trois fois, et souvent plus, pour souder le canon ; que peut-il résulter de toutes ces chaudes ainsi multipliées sur chaque point, et qui sont indispensables ? Nous avons supposé le fer parfait et tout de nerf : s’il est parfait, il n’a plus rien à gagner, et l’action d’un feu aussi violent ne peut que lui fait perdre de sa qualité, qu’il ne reprend jamais en entier, malgré le recuit qu’on lui donne. Je conçois donc que le feu, dirigé par le vent des soufflets, coupe les nerfs en travers, qui deviennent des grains d’une espèce d’autant plus mauvaise que le fer a été chauffé blanc plus souvent, et par conséquent plus desséché : j’ai fait quelques expériences qui confirment bien cette opinion. Ayant fait tirer plusieurs lames à canon du carré provenu de la loupe à l’affinerie et les ayant cassées à froid, je les trouvai toutes de nerf et de la plus belle couleur ; je fis faire un morceau de barre à la suite du même lopin, duquel je fis faire des lames à canon, qui, cassées à froid, se trouvèrent mi-parties de nerf et de grains : ayant fait tirer une barre du reste du carré, je le pliai à un bout et la corroyai, et en ayant fait faire des maquettes et ensuite des lames, elles ne présentèrent plus que des grains à leur fracture et d’une qualité médiocre…

    Étant aux forges de Mouzon, je fis faire une maquette et une lame au bout d’une barre de fer, presque toutes d’un bon grain avec très peu de nerf ; l’extrémité de la lame cassée à froid a paru mêlée de beaucoup de nerf, et le canon qui en a été fabriqué a plié comme de la baleine ; on ne l’a cassé qu’à l’aide du ciselet et avec la plus grande difficulté : la fracture était toute de nerf.

    Ayant vu un canon qui cassa comme du verre, en le frappant sur une enclume, et qui montrait en totalité de très gros et vilains grains, sans aucune partie de nerf, on m’a présenté la barre avec laquelle la maquette et la lame qui avaient produit ce canon avaient été faites, laquelle était entièrement de très beau nerf ; on a tiré une maquette au bout de cette barre, sans la plier et corroyer, laquelle s’est trouvée de nerf avec un peu de grain ; ayant plié et corroyé le reste de cette barre dont on fit une maquette, elle a montré moins de nerf et plus de grains que celle qui n’avait pas été corroyée : suivons cette opération ; la barre était toute de nerf ; la maquette, tirée au bout sans la doubler, avait déjà un peu de grains ; celle tirée de la même barre pliée et corroyée, avait encore plus de grains, et enfin un canon, provenant de cette barre pliée et corroyée, était tout de grains larges et brillants comme le mauvais fer, et elle a cassé comme du verre. Néanmoins je ne prétends pas conclure de ce que je viens d’avancer, qu’on doive préférer pour la fabrication des canons de fusil le fer aigre et cassant, je suis bien loin de le penser ; mais je crois pouvoir assurer, d’après un usage journalier et constant, que le fer le plus propre à cette fabrication est celui qui présente, en le cassant à froid, le tiers ou la moitié du nerf, et les deux autres tiers ou la moitié de grains d’une bonne espèce, petits, sans ressembler à ceux de l’acier, et blancs en tirant sur le gris ; la partie nerveuse se détruit ou s’altère aux différents feux successifs que le fer essuie sur chaque point, et la partie de grains devient nerveuse en s’étendant sous le marteau, et remplace l’autre.

    Les axes de fer, qui supportent nos meules de grès, pesant sept à huit milliers, étant faits de différentes mises rapportées et soudées les unes après les autres, on a grand soin de mélanger, pour les fabriquer, des fers de grains et de nerf ; si l’on n’employait que celui de nerf, il n’y a point d’axe qui ne cassât.

    Le canon de fusil qui résulte du fer, ainsi mi-partie de grains et de nerf, est excellent et résistera à de très vives épreuves… Si l’on a des ouvrages à faire avec du fer préparé en échantillon, de manière que quelques chaudes douces suffisent pour fabriquer la pièce, le fer de nerf doit être préféré à tous les autres, parce qu’on ne risque pas de l’altérer par des chaudes vives et répétées, qui sont nécessaires pour souder. (Suite de la note communiquée par M. de Montbeillard, lieutenant-colonel d’artillerie.)

  92. Il s’en était élevé une à Morambert en Franche-Comté, qui n’a pu se soutenir, parce que les fermiers généraux n’ont voulu se relâcher sur aucun des droits auxquels cette manufacture était assujettie, comme étant établie dans une province réputée étrangère.
  93. Pour obtenir de l’acier avec la fonte de fer, on met dans le foyer beaucoup de petits charbons et du poussier que l’on humecte, afin qu’il soit plus adhérent, et des scories légères et fluides… On presse davantage la fusion… Le bain est toujours couvert de scories, et on ne les fait point écouler… De cette manière, la matière du fer reposant sur du charbon en a le contact immédiat par-dessous… La force et la violence du feu achève de séparer les parties terreuses, qui, rencontrant les scories, font corps avec elles et s’y accrochent ; mais le déchet est plus grand, car on n’obtient en acier que la moitié de la fonte, tandis qu’en fer on en obtient les deux tiers.

    À mesure que l’acier est purgé de ses parties terreuses, il résiste davantage au feu et se durcit ; lorsqu’il a acquis une consistance suffisante à pouvoir être coupé et à supporter les coups de marteau, l’opération est finie, on le retire ; mais le fer et l’acier que l’on retire ainsi de ces deux opérations sont rarement purs et assez bons pour tous les usages du commerce… Car l’acier que l’on retire du fer de fonte peut être uni à quelques portions de fer qui le rende inégal, de sorte qu’il n’aura pas la même dureté dans toutes les parties… Cependant on n’en fait pas d’autre en Allemagne, et c’est pourquoi l’on préfère les limes d’Angleterre, qui sont d’acier de fonte… Pour faire l’acier cémenté, il ne faut employer que du fer de bonne qualité, et tout fer qui est difficile à souder, qui se gerce ou qui est pailleux, doit être rejeté. Voyages métallurgiques de M. Jars, p. 24 et suiv… Le même M. Jars, après avoir donné ailleurs la méthode dont on se sert en Suède pour tirer de l’acier par la fonte, ajoute que les Anglais tirent de Danemora le fer qu’ils convertissent en acier par cémentation, qu’ils le payent quinze livres par cent de plus que les autres fers, que ce fer de Danemora est marqué O O, et que les Suédois ne sont pas encore parvenus à faire d’aussi bon acier cémenté que les Anglais. Idem, p. 28 et suiv.

  94. Six pour la première loupe, et seulement cinq ou quatre pour les suivantes, le creuset étant plus embrasé.
  95. Voyez les Voyages métallurgiques de M. Jars, t. Ier, p. 61 et suiv., où ces procédés de la conversion de la fonte en acier, en Styrie et en Carinthie, sont détaillés très au long.
  96. En 1780, M. de Grignon fut chargé par le gouvernement de faire des expériences en grand pour déterminer quelles sont les provinces du royaume qui produisent les fers les plus propres à être convertis en acier par la cémentation. M. le comte de Buffon offrit ses forges et le grand fourneau qu’il avait fait construire pour les mêmes opérations, et on y fit arriver des fers du comté de Foix, du Roussillon, du Dauphiné, de l’Alsace, de la Franche-Comté, des Trois-Évêchés, de Champagne, du Berri, de Suède, de Russie et d’Espagne.

    Tous ces fers furent réduits au même échantillon, et placés dans la caisse de cémentation ; leur poids total était de quatre mille sept cent deux livres, et on les enveloppa de vingt-quatre pieds cubes de poudre de cémentation : on mit ensuite le feu au fourneau, et on le soutint pendant cent cinquante-sept heures consécutives, dont trente-sept heures de petit feu, vingt-quatre de feu médiocre, et quatre-vingt-seize heures d’un feu si actif, qu’il fondit les briques du revêtissement du fourneau, du diaphragme, des arceaux, et de la voûte supérieure où sont les tuyaux aspiratoires…

    Lorsque le fourneau fut refroidi, et que le fer fut retiré de la caisse, on en constata le poids, qui se trouva augmenté de soixante et une livres, mais une partie de cette augmentation de poids provient de quelques parcelles de matières du cément, qui restent attachées à la surface des barres. M. de Grignon, pour constater précisément l’accroissement du poids acquis par la cémentation, soumit, dans une expérience subséquente, cinq cents livres de fer en barres, bien décapé, et il fit écurer de même les barres au sortir de la cémentation, pour enlever la matière charbonneuse qui s’y était attachée, et il se trouva six livres et demie d’excédent, qui ne peut être attribué qu’au principe qui convertit le fer en acier, principe qui augmente non seulement le poids du fer, mais encore le volume de dix lignes et demie par cent pouces de longueur des barres, indépendamment du soulèvement de l’étoffe du fer qui forme les ampoules, que M. de Grignon, attribue à l’air, et même à l’eau interposée dans le fer ; et s’il était possible d’estimer le poids de cet air et de l’eau que la violente chaleur fait sortir du fer, le poids additionnel du principe qui se combine au fer, dans sa conversion en acier, se trouverait encore plus considérable.

    Le fourneau de Buffon, quoique très solidement construit, s’étant trouvé détruit par la violence du feu, M. de Grignon prit le parti d’aller à la manufacture de Néronville faire une autre suite d’expériences, qui lui donna les mêmes résultats qu’il avait obtenus à Buffon.

    Les différentes qualités des fers soumis à la cémentation ont éprouvé des modifications différentes et dépendantes de leur caractère particulier.

    Le premier effet que l’on aperçoit est cette multitude d’ampoules qui s’élèvent sur les surfaces : cette quantité est d’autant plus grande que l’étoffe du fer est plus désunie par des pailles, des gerçures et des fentes.

    Les fers les mieux étoffés, dont la pâte est pleine et homogène, sont moins sujets aux ampoules : ceux qui n’ont que l’apparence d’une belle fabrication, c’est-à-dire qui sont bien unis, bien sués au dehors, mais dont l’affinage primitif n’a pas bien lié la pâte, sont sujets à produire une très grande quantité de bulles.

    Les fers cémentés ne sont pas les seuls qui soient sujets aux ampoules ; les tôles et les fers noirs, préparés pour l’étamage, sont souvent défectueux pour les mêmes causes.

    La couleur bleue, plus ou moins forte, dont se couvrent les surfaces des barres de fer soumises à la cémentation, est l’effet d’une légère décomposition superficielle ; plus cette couleur est intense, plus on a lieu de soupçonner l’acier de vivacité, c’est-à-dire de supersaturation : ce défaut s’annonce aussi par un son aigu que rend l’acier poule lorsqu’on le trappe ; le son grave au contraire annonce dans l’acier des parties ferreuses, et le bon acier se connaît par un son soutenu, ondulant et timbré.

    Le fer cémenté, en passant à l’état d’acier, devient sonore, et devient aussi très fragile, puisque l’acier poule ou boursouflé est plus fragile que l’acier corroyé et trempé, sans que le premier ait été refroidi par un passage subit du chaud au froid : le fer peut donc être rendu fragile par deux causes diamétralement opposées, qui sont le feu et l’eau ; car le fer ne devient acier que par une supersaturation du feu fixe, qui, en s’incorporant avec les molécules du fer, en coupe et rompt la fibre, et la convertit en grains plus ou moins fins ; et c’est ce feu fixe, introduit dans le fer cémenté, qui en augmente le poids et le volume.

    M. de Grignon observe que tous les défauts dont le fer est taché, et qui proviennent de la fabrication même ou du caractère des mines, ne sont point détruits par la cémentation ; qu’au contraire ils ne deviennent que plus apparents ; que c’est pour cette raison que, si l’on veut obtenir du bon acier par la cémentation, il faut nécessairement choisir les meilleurs fers, les plus parfaits, tant par leur essence que par leur fabrication, puisque la cémentation ne purifie pas le fer, et ne lui enlève pas les corps hétérogènes dont il peut être allié ou par amalgame ou par interposition : l’acier, selon lui, n’est point un fer plus pur, mais seulement un fer supersaturé de feu fixe, et il y a autant d’aciers défectueux que de mauvais fers.

    M. de Grignon observe les degrés de perfection des différents fers convertis en acier dans l’ordre suivant :

    Les fers d’Alsace sont ceux de France qui produisent les aciers les plus fins pour la pâte ; mais ces aciers ne sont pas si nets que ceux des fers de roche de Champagne, qui sont mieux fabriqués que ceux d’Alsace : quoique les fers de Berri soient en général plus doux que ceux de Champagne et de Bourgogne, ils ont donné les aciers les moins nets, parce que leur étoffe n’est pas bien liée ; et il a remarqué qu’en général les fers les plus doux à la lime, tels que ceux de Berri et de Suède, donnent des aciers beaucoup plus vifs que les fers fermes à la lime et au marteau, et que les derniers exigent une cémentation plus continuée et plus active. Il a reconnu que les fers de Sibérie donnaient un acier très difficile à traiter, et défectueux pour la désunion de son étoffe ; que ceux d’Espagne donnent un acier propre à des ouvrages qui exigent un beau poli ; et il conclut qu’on peut faire de très bon acier fin avec les fers de France, en soignant leur fabrication : il désigne en même temps les provinces qui fournissent les fers qui sont les plus susceptibles de meilleur acier dans l’ordre suivant : Alsace, Champagne, Dauphiné, Limousin, Roussillon, comté de Foix, Franche-Comté, Lorraine, Berri et Bourgogne.

    Il serait fort à désirer que le gouvernement donnât des encouragements pour élever des manufactures d’acier dans ces différentes provinces, non seulement pour l’acier par la cémentation, mais aussi pour la fabrication des aciers naturels, qui sont à meilleur compte que les premiers, et d’un plus grand usage dans les arts, surtout dans les arts de première nécessité.

  97. Le zinc contenu dans les mines de fer ne se montre pas seulement dans la cadmie qui se sublime dans l’intérieur du foyer supérieur du fourneau de fonderie, mais encore la chapelle, la poitrine, les marâtres et le gueulard du fourneau sont enduits d’une poudre sous diverses couleurs, qui n’est que de la tutie ou du pompholix ; tout le zinc ne se sépare pas du minéral dans la fusion ; il en reste encore une partie considérable, combinée avec le fer dans la fonte, ce que j’ai prouvé en démontrant le zinc contenu dans les grappes qui se subliment et s’attachent à la mérade des affineries… J’en ai aussi reconnu dans les travaux que j’ai visités en Champagne, Bourgogne, Franche-Comté, Alsace, Lorraine et Luxembourg, et j’ai appris depuis que l’on en trouve dans plusieurs autres provinces ; d’où l’on peut inférer que le zinc est un demi-métal ami du fer, et qu’il entre peut-être dans sa composition. Mémoires de Physique, par M. de Grignon, p. 18 et 19 de la préface.
  98. Mémoire sur les effets des cassures que la trempe occasionne à l’acier, par M. Perret, correspondant de l’Académie de Béziers.
  99. Note communiquée en 1774 par M. de Renne, ancien capitaine de vaisseau de la Compagnie des Indes.
  100. On sait que c’est avec de la potée ou chaux d’étain délayée dans de l’esprit-de-vin que l’on polit l’acier, mais les Anglais emploient un autre procédé pour lui donner le poli noir et brillant dont ils font un secret. M. Perret dont nous venons de parler, paraît avoir découvert ce secret ; du moins, il est venu à bout de polir l’acier à peu près aussi bien qu’on le polit en Angleterre ; il faut pour cela broyer la potée sur une plaque de fonte de fer bien unie et polie ; on se sert d’un brunissoir de bois de noyer sur lequel on colle un morceau de peau de buffle qu’on a précédemment lissé avec la pierre ponce, et qu’on imprègne de potée délayée à l’eau-de-vie. Ce polissoir doit être monté sur une roue de cinq à six pieds de diamètre pour donner un mouvement plus vif. La matière que M. Perret a trouvée la meilleure pour polir parfaitement l’acier est l’acier lui-même fondu avec du soufre, et ensuite réduit en poudre. M. de Grignon assure que le colcothar retiré du vitriol après la distillation de l’eau-forte est la matière qui donne le plus beau poli noir à l’acier ; il faut laver ce colcothar encore chaud plusieurs fois et le réduire au dernier degré de finesse par la décantation ; il faut aussi qu’il soit entièrement dépouillé de ses parties salines qui formeraient des taches bleuâtres sur le poli ; il paraît que M. Langlois est de nos artistes celui qui a le mieux réussi à donner ce beau poli noir à l’acier.
  101. Les mines d’acier de Perse produisent beaucoup, car l’acier n’y vaut que sept sous la livre… Cet acier est fin, ayant le grain fort menu et délié, qualité qui naturellement et sans artifice le rend dur comme le diamant ; mais d’autre côté il est cassant comme du verre. Et comme les artisans persans ne lui savent pas bien donner la trempe, il n’y a pas moyen d’en faire des ressorts ni des ouvrages déliés et délicats : il prend pourtant une fort bonne trempe dans l’eau froide, ce qu’on fait en l’enveloppant d’un linge mouillé au lieu de le jeter dans une auge d’eau, après quoi on le fait chauffer sans le rougir tout à fait. Cet acier ne se peut point non plus allier avec le fer, et si on lui donne le feu trop chaud, il se brûle et devient comme de l’écume de charbon ; on le mêle avec l’acier des Indes, qui est plus doux et qui est beaucoup plus estimé. Les Persans appellent l’une et l’autre sorte d’acier poulard, janherder et acier ondé, pour le distinguer d’avec l’acier d’Europe. C’est de cet acier-là qu’ils font leurs belles lames damasquinées ; ils les fondent en pain rond comme le creux de la main et en petits bâtons carrés. Voyages de Chardin en Perse, etc. ; Amsterdam, 1711, t. II, p. 23.
  102. Les Persans savent parfaitement bien damasquiner avec le vitriol les ouvrages d’acier, comme sabres, couteaux, etc. ;… mais la nature de l’acier dont ils se servent y contribue beaucoup. Cet acier s’apporte de Golconde, et c’est le seul qui se puisse bien damasquiner ; aussi est-il différent du nôtre, car, quand on le met au feu pour lui donner la trempe, il ne lui faut donner qu’une petite rougeur, comme couleur de cerise, et, au lieu de le tremper dans l’eau comme nous faisons, on ne fait que l’envelopper dans un linge mouillé, parce que, si on lui donnait la même chaleur qu’aux nôtres, il deviendrait si dur que dès qu’on le voudrait manier, il se casserait comme du verre. On met cet acier en pain gros comme nos pains d’un sou, et pour savoir s’il est bon et s’il n’y a point de fraude, on le coupe en deux, chaque morceau suffisant pour faire un sabre, car il s’en trouve qui n’a pas été bien préparé et qu’on ne saurait damasquiner. Un de ces pains d’acier, qui n’aura coûté à Golconde que la valeur de neuf ou dix sous, vaut quatre ou cinq abassis en Perse ; et plus on le porte loin, plus il devient cher, car en Turquie on vend le pain jusqu’à trois piastres, et il en vient à Constantinople, à Smyrne, à Alep et à Damas, où anciennement on le transportait. Le plus grand négoce des Indes se rendait au Caire par la mer Rouge ; mais aujourd’hui, autant le roi de Golconde apporte de difficulté à laisser sortir de l’acier de son pays, autant le roi de Perse tâche d’empêcher qu’on n’enlève de celui qui est entré dans son royaume. Je fais toutes ces remarques pour désabuser bien des gens qui croient que les sabres et couteaux qui nous viennent de Turquie se font d’acier de Damas, ce qui est une erreur, parce que, comme je l’ai dit, il n’y a point d’acier au monde que celui de Golconde qu’on puisse damasquiner sans que l’acier s’altère comme le nôtre. Voyages de Tavernier ; Rouen, 1713, t. II, p. 330 et 331.
  103. « Monsieur, de retour à Klingensthal, j’ai fait, comme j’ai eu l’honneur de vous le promettre à Montbard, plusieurs épreuves sur l’acier, pour en fabriquer des lames de sabres et de couteaux de chasse de même étoffe et de même qualité que celles de Turquie, connues sous le nom de damas : les résultats de ces différentes épreuves ont toujours été les mêmes, et je profite de la permission que vous m’avez donnée de vous en rendre compte.

    » Après avoir fait travailler et préparer une certaine quantité d’acier propre à en faire du damas, j’en ai destiné un tiers à recevoir le double de l’argent que j’y emploie ordinairement ; dans le second tiers, j’y ai mis la dose ordinaire, et point d’argent du tout dans le dernier tiers.

    » J’ai eu l’honneur de vous dire, monsieur, de quelle façon je fais ce mélange de l’argent avec de l’acier ; j’ai augmenté de précaution pour mieux enfermer l’argent, et, comme j’ai commencé mes épreuves par les petites barres ou plaques qui en tenaient le double, en donnant à celles du dessus et du dessous le double d’épaisseur des autres, je les ai fait chauffer au blanc bouillant, et ce n’a été qu’avec une peine infinie que l’ouvrier est venu à bout de les souder ensemble : elles paraissaient à l’intérieur l’être parfaitement, et on ne voyait point sur l’enclume qu’il en fût sorti de l’argent. La réunion de ces plaques m’a donné un lingot de neuf pouces de long sur un pouce d’épaisseur et autant de largeur.

    » J’ai ensuite fait remettre au feu ce lingot pour en former une lame de couteau de chasse ; c’est dans cette opération, en aplatissant et en allongeant ce lingot, que les défauts de soudure qui étaient dans l’intérieur se sont découverts, et quelque soin que l’ouvrier y ait donné, il n’a pu forger cette lame sans beaucoup de pailles.

    » J’ai fait recommencer cette opération par quatre fois différentes, et toutes les lames ont été pailleuses sans qu’on ait pu y remédier, ce qui me persuade qu’il y est entré beaucoup d’argent.

    » Les barres dans lesquelles je n’ai mis que la dose ordinaire d’argent, et dont les plaques du dessus et du dessous n’avaient pas plus d’épaisseur que les autres, ont toutes bien soudé et ont donné des lames sans paille ; il s’est trouvé sur l’enclume beaucoup d’argent fondu qui s’y était attaché.

    » À l’égard des barres forgées sans argent, elles ont été soudées sans aucune difficulté comme de l’acier ordinaire, et elles ont donné de très belles lames. Pour connaître si ces lames sans argent avaient les mêmes qualités pour le tranchant et la solidité que celles fabriquées avec de l’argent, j’ai essayé le tranchant de toutes forces sur des nœuds de bois de chêne, qu’elles ont coupés sans s’ébrécher ; j’en ai ensuite mis une à plat entre deux barres de fer sur mon escalier, comme vous l’avez vu faire sur le vôtre, et ce n’a été qu’après l’avoir tourmentée dans tous les sens que je suis parvenu à la déchirer. J’ai donc trouvé à ces lames le même tranchant et la même ténacité. Il semblerait d’après ces épreuves :

    » 1o Que, s’il reste de l’argent dans l’acier, il est impossible de le souder dans les endroits où il se trouve ;

    » 2o Que, lorsqu’on réussit à souder parfaitement des barres où il y a de l’argent, il faut que cet argent, qui est en fusion lorsque l’acier est rouge blanc, s’en soit échappé aux premiers coups de marteau, soit par les jointures des barres posées les unes sur les autres, soit par les pores alors ouverts de l’acier ; lorsque les plaques sont plus épaisses, l’argent fondu se répand en partie sur l’enclume, et il est impossible de souder les endroits où il en reste ;

    » 3o L’argent ne communique aucune vertu à l’acier, soit pour le tranchant, soit pour la solidité ; et l’opinion du public, qui avait décidé mes recherches, et qui attribue au mélange de l’acier et de l’argent la bonté des lames de Damas en Turquie, est sans fondement, puisque, en décomposant un morceau vous-même, monsieur, vous n’y avez pas trouvé plus d’argent que dans la lame de même étoffe faite ici, dans laquelle il en était cependant entré ;

    » 4o Le tranchant étonnant de ces lames et leur solidité ne proviennent, ainsi que les dessins qu’elles présentent, que du mélange des différents aciers qu’on y emploie, et de la façon qu’on les travaille ensemble.

    » Pour que vous puissiez, monsieur, en juger par vous-même, et rectifier mes idées à ce sujet, j’envoie à mon dépôt de l’arsenal de Paris, pour vous être remises à leur arrivée :

    » 1o Une des lames forgées avec les lingots où il y avait le double d’argent, dans laquelle je crois qu’il y en a encore, parce qu’elle n’a pu être bien soudée, et que vous voudrez bien faire décomposer après avoir fait éprouver son tranchant et sa solidité ;

    » 2o Une lame forgée d’un lingot où j’avais mis moitié d’argent, bien soudée, et sur laquelle j’ai fait graver vos armoiries ;

    » 3o Une lame fabriquée d’une barre d’acier travaillée pour damas, dans laquelle il n’est point entré d’argent ; vous voudrez bien faire mettre cette lame aux plus fortes épreuves, tant pour le tranchant sur du bois qu’en essayant sa résistance en la forçant entre deux barres de fer. » (Lettre de M. Gaü, entrepreneur général de la manufacture des armes blanches, à M. le comte de Buffon, datée de Klingensthal, le 29 avril 1775.)

  104. On a écrit et répété partout que le pied cube de fer pèse cinq cent quatre-vingts livres (Voyez le Dictionnaire de Chimie, article Fer) ; mais cette estimation est de beaucoup trop forte. M. Brisson s’est assuré, par des épreuves à la balance hydrostatique, que le fer forgé, non écroui comme écroui, ne pèse également que cinq cent quarante-cinq livres deux ou trois onces le pied cube, et que le pied cube d’acier pèse cinq cent quarante-huit livres : on s’était donc trompé de trente-cinq livres, en estimant cinq cent quatre-vingts livres le poids d’un pied cube de fer. (Voyez la Table des pesanteurs spécifiques de M. Brisson.)
  105. Voyez, dans le IVe volume, l’article de l’Aimant.
  106. Voyez le Mémoire sur la ténacité du fer, dans le IIe volume.
  107. Prenez de la limaille de fer nette et brillante ; mettez-la dans un vase ; versez assez d’eau dessus pour la couvrir d’un pouce ou deux ; faites-la remuer avec une spatule de fer jusqu’à ce qu’elle soit réduite en poudre si fine qu’elle reste suspendue à la surface de l’eau : cette poudre est encore du vrai fer très attirable à l’aimant.
  108. Voyez ci-devant l’article du Vitriol.
  109. Voyez l’article de la Platine, dans le IIe volume.
Notes de l’éditeur
  1. Nous savons que Buffon appelle acide aérien l’acide carbonique. Il commet donc ici une erreur en attribuant la formation de la rouille à l’action de « l’acide aérien » sur la rouille ; c’est l’oxygène qui en détermine la production en se combinant avec le fer.
  2. L’acier est un carbure de fer contenant du silicium et du phosphore.
  3. Il n’y a pas de « substance du feu », la substance que Buffon nomme ici de la sorte est le carbone.