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Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 10/040

La bibliothèque libre.
Lecoffre (Œuvres complètes volume 10, 1873p. 225-227).

XL
À M. AMPÈRE.
Lyon,16 février 1837.

Monsieur,

Dans l’humble et douce vie de famille que je mène depuis six mois, je laisse souvent retourner mes pensées au temps où, quittant Lyon pour la première fois, j’arrivais, jeune homme de dix-huit ans, au milieu de la bruyante et dangereuse solitude de la capitale. Alors je me rappelle la maison tutélaire qui s’ouvrit pour abriter mon inexpérience, la famille qui voulut bien m’admettre au nombre de ses enfants ; et celui qui, au milieu de ses occupations infinies et de ses honneurs, trouva le temps et ne dédaigna point de me servir de père. Ces souvenirs me laissent toujours dans une sorte d’étonnement, et, tout ému des bontés de la Providence, je me demande avec inquiétude ce qu’elle a pu vouloir de moi en plaçant ma jeunesse sous de si rares auspices. L’affection que vous-même m’avez plus d’une fois témoignée, et particulièrement vers la fin de mon séjour à Paris, me fait croire à la prolongation pour l’avenir de cette influence que j’ai éprouvée si heureuse par le passé. Il peut se rencontrer dans les desseins providentiels une action continue de certains hommes sur les destinées d’autrui, et cette action peut être héréditaire. Entre tant de choses meilleures dont vous avez hérité, permettez-moi de compter ce patronage dont m’honorait votre père.

Dans un entretien que j’eus avec vous l’année dernière, je vous fis part des hésitations qui m’étaient communes avec tous les jeunes gens qui passent de la vie studieuse à la vie active ; de mes répugnances pour l’agitation des affaires, de mes goûts paisibles, de mes rêves d’étude, et de la nécessité morale. où j’étais toutefois de me rapprocher de mes parents, et-de me faire à Lyon une existence laborieuse. Je vous confiai en même temps l’idée qu’on m’avait suggérée et qui semblait concilier les penchants de mon esprit et les exigences de ma position. Il s’agissait d’obtenir du gouvernement l’établissement d’une chaire de droit commercial à Lyon, et ma nomination à cette chaire. Cette pensée, qui eût été téméraire si elle m’avait été personnelle, avait été conçue et adoptée par plusieurs personnes recommandables de notre ville.

Aujourd’hui les choses semblent approcher de leur accomplissement. La chambre de commerce de Lyon a formé auprès du ministre du commerce une demande doit être communiquée au ministre de l’instruction publique. En vous demandant la favorable intervention que j’aurais demandée à monsieur votre père un an plus tôt, je n’ai cru devoir rien changer à la simple expression de mes désirs, comme rien n’est changé dans celui à qui ils s’adressent. Représentant de son beau génie, vous l’êtes aussi pour moi de sa bonté et cette occasion ne sera pas la première où je vous devrai de la gratitude. Je suis, monsieur, en attendant d’avoir mérite le titre d’ami que vous m’avez donné quelquefois,

Votre serviteur tendrement dévoué.