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Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 11/007

La bibliothèque libre.
Lecoffre (Œuvres complètes volume 11, 1873p. 33-36).

VII
A M. L.
Paris, 9 mars 1843

Mon cher ami, Vous devez me trouver bien coupable. Après tant de projets de travail concertés ensemble, après tant. de bons entretiens échanges, mon silence de deux mois peut vous paraître inexcusable. Il le serait en effet, si deux grands travaux, l’un pour le Correspondant[1] , l’autre pour les Annales de la Propagation de la Foi[2], n’avaient rempli toutes mes heures et vous savez que mes devoirs ne m’en laissent pas beaucoup. Je viens d’achever six semaines des plus laborieuses que j’aie passées en ma vie ; me refusant toute distraction, et prenant sur mes nuits. Vous savez combien j’ai la composition difficile, et j’ai besoin plus que jamais de ne pas laisser rouiller ma plume elle devient comme une vieille rapière qu’on ne peut plus tirer du fourreau. Vous recevrez mon article imprimé à part, avec un bout d’exorde qui en fait ce qu’il était d’abord, la première leçon et le plan général de mon cours pour cette année. J’aimerais que’vous m’en dissiez votre sentiment.

Ne croyez pas cependant, mon cher ami, que j’eusse oublié pour mes études personnelles les desseins de collaboration que nous avions formés. Il y a plus d’un mois, je vis M. Cousin, et je causai longuement avec lui de notre entreprise. Il l’approuva fort. Il trouva surtout le choix de l'Itinerarium excellent. Quant à saint Thomas, il balançait entre la traduction d’un opuscule a choisir entre trois ou quatre qu’il me désignait, ou d’un traité détaché de la Somme, qui aurait l’avantage de mieux montrer sa manière et sa méthode, pourvu néanmoins qu’on traduisit exactement, courageusement, sans mutiler. Il m’engageait à ne point trop tenir à Roger Bacon, m’offrant néanmoins de me donner, si je le voulais, un traité inédit de ce docteur. Il estime que le style de cette version devrait être cherché dans les écrits théologiques de Bossuet, dans la préface de la Perpétuité de Foi d’Arnauld, dans Malebranche, tous excellents modèles d’un langage classique, en même temps que fidèles aux traditions de l’école. Enfin, M. Cousin croit à la possibilité, à la probabilité du succès. D’un autre côté nous avons été moins heureux. Toutes les recherches pour trouver détaches les opuscules de saint Bonaventure sont demeurées inutiles. Mais n’est-ce pas une chose honteuse, déplorable, que dans une ville métropolitaine comme la vôtre, où il y a archevêché, chanoines, séminaires, les œuvres du Docteur Séraphique ne se trouvent nulle part ? Voilà l’effet de l’expulsion des moines. Si vous aviez des Cordeliers,’ soyez sûr qu’elles ne manqueraient pas dans leur bibliothèque.

Je suis chargé de vous annoncer une grande nouvelle, qui consolera sans doute votre amitié comme la mienne. X. entre mercredi prochain chez les Pères Bénédictins de Paris. Depuis longtemps, vous le savez peut-être, il entretenait ce pieux dessein. Il a recouvré sa liberté, et il ne la prend que pour aller t’immoler à Dieu dans le cloître. Il y trouvera la paix dont il a tant besoin. Je suis heureux de le voir sortir de cette vie âpre ci vulgaire pour laquelle il n’était pas fait. Cette âme excellente s’ouvrira sous l’influence de la prière, et produira quelque jour des fruits dont nous profiterons. Dès à présent, il me semble que pour nous, restés dans le monde, c’est un grand secours, que les vœux de tant d’amis engagés dans une vocation plus sainte. Beaucoup ont été bénis dans cette génération dont nous sommes. Si nous y songeons bien, elle nous paraîtra comme une troupe d’élite à la suite de laquelle il nous faut marcher, sous peine de désertion. Ne voyez-vous pas ces miniers de confrères de Saint-Vincent de Paul, qui nous entourent, nous entraînent dans leurs rangs, et qui nous forceront à la fin de faire notre salut ? Donnez-moi de vos nouvelles. Faites-moi savoir où en est la question de votre avancement. Enfin nous reverrons-nous aux fêtes de Pâques, comme vous nous permettiez de le croire ? Pardonnez si ma lettre est si courte, après avoir été si tardive. Ma leçon d’après-demain me presse. Mais dans le silence comme dans l’absence, croyez que vous êtes toujours présent à la pensée de votre ami.

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  1. Le Correspondant. De la Tradition littéraire en Italie, t.I, p.199.
  2. Annales de la Propagation de la Foi, t. XV, p.169.