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Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 11/020

La bibliothèque libre.
Lecoffre (Œuvres complètes volume 11, 1873p. 89-91).

XX
A M.FOISSET.
Paris, 7 août 1845.

Monsieur et cher ami,

Mes amis ont beaucoup faire cette année pour m’aider à remercier Dieu. Après tant de faveurs qui fixaient ma vocation dans ce monde, qui mettaient fin à la dispersion de ma famille, un bienfait nouveau est venu me faire connaître la plus grande joie probablement qu’on puisse éprouver ici-bas : je suis père ! Nous avions beaucoup prié, nous faisions prier encore, jamais nous n’avions plus senti le besoin d’une assistance divine Nous avons été exaucés au delà de nos espérances. Ab monsieur, que ! moment que celui où j’ai entendu le premier cri de mon enfant où j’ai vu cette petite créature, mais cette créature immortelle, que Dieu remettait entre mes mains ! qui m’apportait tant de douceurs et aussi tant d’obligations Avec quelle impatience j’ai vu venir l’heure de son baptême ! Nous lui avons donné le nom de Marie, qui était celui de ma mère, et en mémoire de la puissante patronne à l’intercession de laquelle nous attribuons cette heureuse naissance. Maintenant la mère, peu près rétablie, a la consolation d’allaiter son enfant ; c’est un plaisir bien laborieux, mais bien vif. Ainsi nous ne perdrons pas les premiers sourires de notre petit ange. Nous commencerons son éducation de bonne heure, en même temps qu’il recommencera la nôtre car je m’aperçois que le ciel nous l’envoie pour nous apprendre beaucoup et pour nous rendre meilleurs. Je ne puis voir cette douce figure, toute pleine d’innocence et, de pureté, sans y trouver l’empreinte sacrée du Créateur, moins effacée qu’en nous. Je ne puis songer à cette âme impérissable dont j’aurai à rendre compte, sans que je me sente plus pénétré de mes devoirs. Comment pourrai-je lui donner des leçons, si je ne les pratique ? Dieu pouvait-il prendre un moyen plus aimable de m’instruire, de me corriger, et de me mettre dans le chemin du ciel ?

Vous donc, monsieur et cher ami, qui exercez saintement ces grandes fonctions de père, souvenez-vous de moi devant Dieu, et demandez-lui pour votre jeune ami les lumières, les inspirations, les forces qu’il lui faut. Souvenez-vous aussi de mon enfant qui un jour vous le rendra, j’espère, et n’oubliez pas non plus sa mère qui vous est, vous le savez, bien attachée. Elle me charge de vous dire combien elle tient à un Ave Maria dans votre chapelle, _quand vous y prierez en famille. Vos confidences paternelles de l’an passé nous reviennent maintenant a la pensée, et nous soupirons déjà en songeant qu’il faudra peut-être marier un jour notre petite Marie.

Si vous trouviez le loisir de nous écrire, si brièvement que ce fût, vous feriez une œuvre excellente, et dont on vous serait bien reconnaissant. Dites-nous ce que vous pensez de la complication des affaires. religieuses. Du fond de votre retraite, vous devez mieux juger qu’on ne fait ici au milieu du bruit et du mouvement. Je vois beaucoup de divisions parmi nous, et je regrette que vous ne soyez pas ici pour y porter l’esprit d’union et de sagesse qui peut seul nous sauver.

Adieu, je termine plus tôt que je ne voulais une lettre commencée, interrompue, reprise dix fois au milieu des examens de baccalauréat qui me retiennent a la Sorbonne tout le jour. J’écris dix lignes pendant que M. Guigniaut et M. Garnier interrogent sur la philosophie, le grec et le latin, d'infortunés candidats qui n’en savent guère et je pose la plume pour les questions d’histoire, de littérature et de géographie, parcourant toute la terre et tous les temps, après quoi je reviens a vous.

Pardonnez-moi donc de ne point vous dire tout ce que j’ai dans le coeur ; vous savez assez quel tendre attachement vous a voué

Votre ami.


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