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Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 11/047

La bibliothèque libre.
Lecoffre (Œuvres complètes volume 11, 1873p. 267-269).

XLVII
À M. DUFIEUX.
Paris, 6 décembre 1849.

Mon cher ami,

Voici bien longtemps que je veux et ne puis vous écrire. Je suis écrasé d’examens de Baccalauréat, de Science, de Doctorat. Il est déjà bien long de passer des journées à questionner et à recevoir des réponses. Mais il l’est encore plus de recevoir les candidats, leurs pères et mères qui viennent demander des conseils et de la bienveillance ; les fils qu’on m’amène pour qu’ils s’accoutument à ma figure, et ceux qui reviennent ensuite pour savoir les causes de leur échec et les moyens de les réparer, sans compter les parents qui se fâchent, qui défendent pied à pied chaque contre-sens de la version, qui jettent les hauts cris contre l’injustice et la dureté des examinateurs. Quand je reste des mois sans vous répondre, ne croyez donc pas que je vous oublie.

Vous me consoleriez un peu en m’apprenant bientôt la conclusion de l’arrangement dont vous m’avez fait confidence. Qui sait si Dieu ne veut pas vous faire rentrer de force dans une vocation qu’il vous avait donnée ? Il est vrai que le journalisme a bien ses épines. Ne croyez pas ceux qui vous disent que j’y rentre, trop heureux de ce que le temps présent n’a rien d’assez pressant pour me faire quitter mes barbares et mes Pères de l’Église. La vérité est seulement, que Mgr l’archevêque prête son patronage à un nouveau journal, le Moniteur religieux, que M. l’abbé Gerbet dirigera et pour lequel on me demande de loin en loin quelques articles. Du reste je regrette de ne pouvoir faire plus pour cette œuvre, si utile quand elle ne servirait qu’à décharger la responsabilité que font tomber sur eux l’Univers et l’Ami de la Religion. Mon cher ami, à l’exception de l’archevêque et d’une poignée d’hommes autour de lui, on ne voit plus que gens qui rêvent l’alliance du trône et de l’autel ; personne ne se souvient de l’effroyable irréligion où ces belles doctrines nous avaient menés, et il n’y a voltairien affligé de quelques mille livres de rente qui ne veuille envoyer tout le monde à la messe à la condition de n’y mettre pas les pieds. Cependant je vois se ralentir ce beau mouvement de retour et de conversion qui avait fait la joie de ma jeunesse, et l’espoir de mon âge mûr, et je me demande si, quand nos cheveux auront blanchi, nous pourrons encore les courber devant les autels sans entendre autour de nous ces huées qui, il y a vingt ans, poursuivaient les fidèles jusque dans l’église. Veillons et prions.