Œuvres de Florian/Fables/4/Les Deux Paysans et le Nuage
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- Guillot, disait un jour Lucas
- D'une voix triste et lamentable,
- Ne vois-tu pas venir là-bas
- Ce gros nuage noir ? C'est la marque effroyable
- Du plus grand des malheurs. Pourquoi ? répond Guillot.
- — Pourquoi ? Regarde donc ; ou je ne suis qu'un sot,
- Ou ce nuage est de la grêle
- Qui va tout abîmer ; vigne, avoine, froment,
- Toute la récolte nouvelle
- Sera détruite en un moment.
- Il ne restera rien ; le village en ruine,
- Dans trois mois aura la famine,
- Puis la peste viendra, puis nous périrons tous.
- La peste ! dit Guillot : doucement, calmez-vous ;
- Je ne vois point cela, compère ;
- Et, s'il faut vous parler selon mon sentiment,
- C'est que je vois tout le contraire ;
- Car ce nuage assurément
- Ne porte point de grêle, il porte de la pluie.
- La terre est sèche dès longtemps,
- Il va bien arroser nos champs ;
- Toute notre récolte en doit être embellie.
- Nous aurons le double de foin,
- Moitié plus de froment, de raisins abondance ;
- Nous serons tous dans l'opulence,
- Et rien, hors les tonneaux, ne nous fera besoin.
- C'est bien voir que cela ! dit Lucas en colère.
- Mais chacun a ses yeux, lui répondit Guillot.
- — Oh ! puisqu'il est ainsi, je ne dirai plus mot ;
- Attendons la fin de l'affaire :
- Rira bien qui rira le dernier. — Dieu merci,
- Ce n'est pas moi qui pleure ici.
- Ils s'échauffaient tous deux ; déjà, dans leur furie,
- Ils allaient se gourmer, lorsqu'un souffle de vent
- Emporta loin de là le nuage effrayant :
- Ils n'eurent ni grêle ni pluie.