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Œuvres de Saint-Amant/Le Barberot, caprice

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LE BARBEROT

caprice[1]


J’ay mis aujourd’hui ma vie
Entre les mains d’un Anglois,
Et j’ai cru plus de cent fois
Qu’elle alloit m’estre ravie.
Un barberot maladroit,
Me charcutant par l’endroit
Où s’entonne le breuvage,
Vers l’onde au morne rivage
M’a presque envoyé tout droit.

Jamais horrible fantosme
Ne me donna tant d’effroy ;
Jamais aucun tant que moy
Ne s’en dut plaindre à saint Cosme.
Ce tiercelet d’assassin,
Propre comme un marcassin
Qui parmy l’ordure grongne,
A fait, pour laver ma trongne,
D’un pot de chambre un bassin

Sans estaler en bel ordre
Bons peignes, ni bons ciseaux,

Mon roy des vilains museaux
À l’ouvrage a voulu mordre.
Un vieux haillon de mouchoir,
Fidèle amy du tranchoir,
Et tout tacheté de sausses,
Dans la fente de mes chausses
La lessive a laissé choir.

La puante savonnette
Dont le ladre m’a servy
Me honnissoit à l’envy
De l’eau qui n’estait point nette.
Ses doigts, qui m’ont fagotté,
Surpassoyent en aspreté
Ceux d’un meneur de charrue,
Et mainte noire verrue
En relevoit la beauté.

Quiconque a veu la peinture
D’un singe qui raze un chat
Peut avecques du crachat
Nous peindre en cette posture.
Mes petits yeux, estonnez.
Par des regars contournez
Lorgnoyent mon tondeur de laine,
Et le musc de son haleine
Me faisoit tordre le nez.

D’une jambette esbrechée,
Comme d’un vil Jean-Flactin,
Ce faux et sale mastin
M’a la gorge de-hachée.
En ce moment, j’avois beau
Jurer sur un escabeau
Dont l’assiette estait desjointe,
Il poussoit tousjours sa pointe,
Et rioit de mon tout beau.

Mais s’a bien esté le pire
Quand ce Précontat d’enfer
A fait approcher le fer
Des trous par où je respire :
Mes moustaches au poil vieux
Le disent à tous les feux
D’une façon misérable,
Et leur orgueil vénérable
Ne menace plus les cieux.

Las ! elles s’en vont en poudre
Dès que j’y porte les doigts.
Et sentent comme autrefois
Phlegre sentit sous la foudre ;
Les bigottes[2] des mutins.
Aux fiers membres gigantins,
Qui grillerent dessus l’herbe,
En leur dessein trop superbe
Eurent les mesmes destins.

Quand je voy mon pauvre garbe[3]
Si matement accoustré,
Je voudrois estre chastré,
Et donne au diantre la barbe ;
Je dis que nature a tort
Se m’avoir chargé si fort
De cette bourre inutile,
Et clabaude en pietre stile
Des humains et de leur sort.

Courage ! il faut que j’imite
Neuf-Germain[4] par le menton,
Laissant croistre ce coton

Comme feroit un hermite ;
Il faut que doresnavant
Il m’ombrage le devant
Et me vienne jusqu’aux cuisses,
Afin que parmy les Suisses
On me revere en beuvant.

Ha ! qu’il vaudrait bien mieux estre
Avec eux le verre au poin
Que de prendre ycy le soin
Et du ministre et du prestre !
Qu’il vaudroit bien mieux, sans dez,
Crier masse en possedez,
Au moins avecques des hommes,
Que d’estre comme nous sommes
Parmy des oysons bridez !

Je pers tout en Angleterre,
Poil, nippes et liberté ;
J’y pers et temps et santé,
Qui vaut tout l’or de la terre ;
J’y perdy mon cœur, que prit
Un bel œil dont il s’eprit,
Sans espoir d’aucun remede ;
Et je croy, si Dieu ne m’ayde,
Qu’enfin j’y perdray l’esprit.

Brave prince dont la gloire
Vole par tout l’univers,
Voy de mes malheurs divers
L’estrange et falote histoire :
Je n’ay pas un quart d’escu,

La tristesse m’a vaincu,
Je ne fay plus rien que geindre,
Et, pour m’achever de peindre,
Un froncle me vient au cu.



  1. Cette pièce et les deux sonnets précédents furent faits en Angleterre, l’an 1643, lorsque Monseigneur le comte de Harcourt y était en ambassade extraordinaire. (S.-A.)
  2. Moustaches.
  3. Visage.
  4. « Neuf-Germain, pauvre hère de poète, depuis long-temps porte une grande barbasse. » Un jour, je ne sais quel filou lui arracha la barbe tout d’une pièce. Un savetier la ramassa avec soin et la porta chez M. de Rambouillet, ou Neuf-Germain la trouva, « bien surpris de voir que sa barbe avoit fait plus grande diligence que lui. » (Tallemant des Réaux, hist. n°120.)