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Œuvres diverses/Théorie de M. Ferrier

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THÉORIE DE M. FERRIER
SUR L’ARGENT-MONNAIE, CAPITAL PAR EXCELLENCE[1].


(Inédit)

Je commencerai par une citation textuelle de l’auteur que je veux réfuter en ce moment.

Les capitaux, dit-il, sont aujourd’hui ce qu’ils étaient dans l’origine, des valeurs accumulées. Mais il y a cette différence essentielle que, dans le principe des sociétés, l’accumulation s’effectuait en nature sans l’intervention d’aucun produit intermédiaire, tandis que depuis l’introduction de la monnaie, c’est toujours en monnaie que l’accumulation s’est faite. À la vérité ce n’est pas pour elle-même que les producteurs la recherchent, c’est pour l’employer à des échanges, à des créations dont le résultat sera une augmentation d’agents productifs, et par suite une plus grande abondance d’objets consommables. Mais de cela seul qu’on ne recueille plus qu’en argent tout ce qui peut s’ajouter aux capitaux, il résulte que l’argent est devenu le préalable des capitaux, l’élément indispensable des capitaux, et par une conséquence nécessaire le capital par excellence.

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Cette intervention obligée de l’argent dans tout le jeu de la grande machine industrielle élève la monnaie à la première des fonctions productrices, et ne permet de l’assimiler, sous aucun rapport, aux autres produits qui, créés uniquement pour être consommés, ne rendent point, comme l’argent, de services perpétuels, et peuvent toujours très-facilement être ou suppléés ou remplacés[2]. »

L’accumulation s’effectue encore indifféremment en argent et en nature. Un propriétaire d’une brebis et d’un bélier mérinos qui les multiplie pour former un troupeau, fait une accumulation en nature, accumule chaque année le produit de son troupeau et de ses pâturages, sans qu’ils paraissent pour cela sous forme de monnaie d’argent.

Un négociant qui au bout de l’an augmente son fonds capital du crédit de son compte de profits et pertes, c’est-à-dire des avantages qui résultent pour lui de la balance des comptes courants de ses correspondants, fait une accumulation qui ne parait point en numéraire.

Mais quand même toutes les accumulations se feraient en numéraire ; qui ne voit que la forme substantielle sous laquelle se trouve momentanément cette portion de capital, n’est d’aucune importance et n’influe en aucune façon sur l’utilité de ce capital. L’essentiel est la valeur accumulée, la grandeur du capital consiste dans cette valeur, sous quelque forme substantielle qu’elle soit. Et lorsqu’on veut commencer à la rendre productive on la transforme soit en main-d’œuvre, soit en matières premières, et pourvu que la valeur y soit, on achète ces choses avec le capital dans quelque matière que réside sa valeur. Un fermier paie ses serviteurs en blé : un fabricant paie sa matière première en lettres de change, et la production s’ensuit aussi bien que si ces choses avaient été payées en argent.

Que l’on dise que les achats se font plus aisément et plus vite quand préalablement le capital a été transformé en argent, j’en conviens, et j’en dis ailleurs la raison ; mais il ne s’ensuit pas qu’à valeur égale, un capital en argent soit plus grand ou plus productif qu’un capital en nature.

L’argent ne remplit pas la première des fonctions productrices, puisqu’au contraire il doit être échangé contre des outils, des matières premières, etc., si l’on veut l’utiliser.

Ces objets sont précisément ceux qui ne peuvent être suppléés ; pour faire des bas, un métier ne peut pas être remplacé par un sac de 1000 fr., tandis que c’est précisément l’argent qui peut être remplacé ; car ne servant pas dans les échanges en raison de ses qualités physiques, mais en raison de sa valeur, un billet de banque, s’il vaut autant que 1000 fr. sert aussi bien dans les échanges qu’un sac de cette somme.

Ce qui est plus affligeant encore ; l’écrivain cité, à de fausses doctrines ajoute des imputations odieuses, li ose accuser Smith, dont chaque ligne annonce un véritable philanthrope, non moins zélé pour le bien des hommes en général que pour la vérité, de n’être autre chose qu’un fourbe et un hypocrite[3] qui a professé ce que lui-même ne pensait pas, et de l’avoir fait dans le but secret de semer dans l’Europe des principes dont il savait très-bien que l’adoption livrerait à son pays le marché de l’univers. Un homme qui a causé de grands maux à la France, et qui en a été sévèrement puni, récompensa ces odieuses inculpations en donnant à l’écrivain l’un des emplois les plus brillants de l’administration, après celui de Ministre.

Le même M. Ferrier ne s’en est pas tenu là, et, sans doute par des motifs analogues, il a, sous un autre régime, en 1821[4], accusé le même illustre écrivain d’avoir professé à Glascow des principes opposés à ceux qu’il a développés dans son traité de la Richesse des nations ; et il n’en donne d’autres preuves sinon que Smith a fait brûler tous ses manuscrits à sa mort ; démentant ainsi sans raison le témoignage unanime de ses contemporains, et celui de Dugald Stewart, son respectable éditeur, et les lettres qui nous restent de ce grand homme, et la profonde moralité de toute sa vie. La calomnie des morts illustres est une des plus lâches, comme sont toutes les attaques dirigées contre ceux qui ne peuvent se défendre.


  1. M. Ferrier, aujourd’hui pair de France, est le même écrivain que M. Blanqui a surnommé, dans sa Bibliographie de l’Économie politique, le Zoïle d’Adam Smith et le Pindare de la douane. M. Blanqui n’a pas dit assez sous le premier rapport, car le livre de l’Administration commerciale n’en pas seulement une diatribe contre Smith, mais contre tous les hommes qui ont illustré la science, depuis Quesnay jusqu’à J.-B. Say, Malthus et Ricardo. Il est peu d’ouvrages où la suffisance bureaucratique ait traité la philosophie plus cavalièrement.
    E. D.
  2. Ferrier, De l’Administration commerciale, 2e édit. p. 210.
  3. De l’Administration commerciale, p. 569-570, édit. citée.
  4. Date de la 2e édition du livre de M. Ferrier. La 1re avait paru sous l’Empire.