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Œuvres littéraires de Napoléon Bonaparte/Lettres de Famille/10

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Texte établi par Tancrède MartelAlbert Savine (Tome 1p. 229-231).

X

À SON ONCLE L’ABBÉ FESCH[1].

Serve, près Saint-Vallier en Dauphiné, le 8 février 1791.

J’ai trouvé partout les paysans très fermes sur leurs étriers, surtout en Dauphiné. Ils sont tous disposés à périr pour le maintien de la Constitution.

J’ai vu à Valence un peuple résolu, des soldats patriotes et des officiers aristocrates. Il y a des exceptions cependant, puisque le président du club est un capitaine nommé du Corbeau. C’est un capitaine du régiment de Forez en garnison à Valence.

Tous les curés du Dauphiné ont prêté le serment civique ; l’on se moque du cri des évêques.

Ce qu’on appelle la bonne société est aux trois quarts aristocrate, c’est-à-dire, qu’ils se couvrent du masque des partisans de la Constitution anglaise.

Les femmes sont presque partout royalistes. Ce n’est pas étonnant ; la liberté est une femme plus jolie qu’elles, qui les éclipse.

Je suis dans la cabane d’un pauvre d’où je me plais à t’écrire, après m’être longtemps entretenu avec ces bonnes gens… Il est quatre heures du soir, le temps est frais, quoique doux ; je me suis amusé à marcher. La neige ne tombe pas, mais elle n’est pas loin.

Il est vrai que Peretti a menacé Mirabeau d’un coup de couteau. Cela n’a pas fait honneur à la nation. Il faudrait que la société patriotique fît présent d’un habillement complet corse à Mirabeau, c’est-à-dire, d’une barrette, veste, culotte et caleçon, cartouchière, stylet, pistolet et fusil ; cela ferait un bon effet.

Dimanche prochain, le département de la Drôme nommera son évêque ; il est probable que ce sera un curé de Valence.

Je n’entends rien de nouveau, ainsi il faut que tout soit tranquille.

La Société patriotique de Valence a envoyé une députation pour tâcher de concilier Avignon avec Carpentras. Cette députation se joindra aux députations des sociétés de l’Escot, d’Orange, de Montélimar, etc[2].

  1. Publiée par M. de Coston.
  2. Lettre curieuse à plus d’un titre. On voit que le jeune Bonaparte professait un républicanisme ardent.