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Œuvres littéraires de Napoléon Bonaparte/Lettres de Joséphine à Napoléon

La bibliothèque libre.
Texte établi par Tancrède MartelAlbert Savine (Tome 1p. 374-376).

CLXV

L’impératrice Joséphine à L’empereur Napoléon.

Château de Navarre, le 18 avril 1810.

Sire, je reçois par mon fils l’assurance que Votre Majesté consent à mon retour à la Malmaison, et qu’Elle veut bien m’accorder les avances que je lui ai demandées pour rendre habitable le château de Navarre. Cette double faveur, Sire, dissipe en grande partie les inquiétudes et même les craintes que le long silence de Votre Majesté m’avait inspirées. J’avais peur d’être entièrement bannie de son souvenir ; je vois que je ne le suis pas. Je suis donc aujourd’hui moins malheureuse, et même aussi heureuse qu’il m’est désormais possible de l’être.

J’irai à la fin du mois à la Malmaison, puisque Votre Majesté n’y voit aucun obstacle. Mais, je dois vous le dire, Sire, je n’aurais pas sitôt profité de la liberté que Votre Majesté me laisse à cet égard, si la maison de Navarre n’exigeait pas, pour ma santé et pour celle des personnes de ma maison, des réparations qui sont urgentes. Mon projet est de demeurer à Malmaison fort peu de temps ; je m’en éloignerai bientôt pour aller aux eaux. Mais pendant que je serai à Malmaison, Votre Majesté peut être sûre que j’y vivrai comme si j’étais à mille lieues de Paris. J’ai fait un grand sacrifice, Sire, et chaque jour je sens davantage toute son étendue. Cependant, ce sacrifice sera ce qu’il doit être, il sera entier de ma part. Votre Majesté ne sera troublée, dans son bonheur, par aucune expression de mes regrets.

Je ferai sans cesse des vœux pour que Votre Majesté soit heureuse, peut-être même en ferai-je pour la revoir ; mais, que Votre Majesté en soit convaincue, je respecterai toujours sa nouvelle situation, je la respecterai en silence ; confiante dans les sentiments qu’Elle me portait autrefois, je n’en provoquerai aucune nouvelle preuve ; j’attendrai tout de sa justice et de son cœur. Je me borne à lui demander une grâce, c’est qu’Elle daigne chercher elle-même un moyen de convaincre quelquefois, et moi-même et ceux qui m’entourent, que j’ai toujours une petite place dans son souvenir, et une grande place dans son estime et dans son amitié. Ce moyen, quel qu’il soit, adoucira mes peines, sans pouvoir, ce me semble, compromettre, ce qui m’importe avant tout, le bonheur de Votre Majesté. — Joséphine.