Aller au contenu

Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome II/Première partie/Livre III/Chapitre III

La bibliothèque libre.

CHAPITRE III.

Mœurs et usages des Iolofs, des Foulas et des Mandingues. Langage. Religion.

Nous avons souvent parlé de ces peuples dans la relation des voyages sur les côtes où ils sont répandus. Nous voulons rassembler ici les observations les plus importantes des voyageurs sur les trois nations les mieux connues de cette latitude. Les Iolofs habitent le long de l’Océan, entre le fleuve de Sénégal et la Gambie. Les Foulas sont situés au nord, au sud et à l’est du Sénégal. Les Mandingues occupent les deux bords de la Gambie, et se mêlent partout aux deux autres nations.

Une des principales qualités qui se font remarquer dans les Iolofs, et qui paraît leur être commune avec tous les Nègres de la côte, c’est, comme on l’a déjà dit, le penchant au vol ; mais ils ont une adresse à voler qui leur est particulière.

Ce n’est pas sur les mains d’un voleur qu’il faut avoir les yeux ouverts, c’est sur ses pieds. Comme la plupart des Nègres marchent pieds nus, ils acquièrent autant d’adresse dans cette partie que nous en avons aux mains. Ils ramassent une épingle à terre. S’ils voient un morceau de fer, un couteau, des ciseaux, et toute autre chose, ils s’en approchent ; ils tournent le dos à la proie qu’ils ont en vue ; ils vous regardent en tenant les mains ouvertes. Pendant ce temps ils saisissent l’instrument avec le gros orteil ; et, pliant le genou, ils lèvent le pied par-derrière jusqu’à leurs pagnes, qui servent à cacher le vol ; et, le prenant avec la main, ils achèvent de le mettre en sûreté.

Ils n’ont pas plus de probité à l’égard de leurs compatriotes de l’intérieur des terres, qu’ils appellent montagnards. Lorsqu’ils les voient arriver pour le commerce, sous prétexte de servir à transporter leurs marchandises ou de leur rendre l’office d’interprètes, ils leur dérobent une partie de ce qu’ils ont apporté.

Leur avidité barbare va bien plus loin, car il s’en trouve qui vendent leurs enfans, leurs parens et leurs voisins. Pour cette perfidie on s’adresse à ceux qui ne peuvent se faire entendre des Français. Ils les conduisent au comptoir pour y porter quelque chose, et, feignant que ce sont des esclaves achetés, ils les vendent, sans que ces malheureuses victimes puissent s’en défier, jusqu’au moment qu’on les enferme ou qu’on les charge de chaînes. Un vieux Nègre, ayant résolu de vendre son fils, le conduisit au comptoir. Mais ce fils, qui se défia de ce dessein, se hâta de tirer un facteur à l’écart et de vendre lui-même son père. Lorsque ce vieillard se vit environné de marchands prêts à l’enchaîner, il s’écria qu’il était le père de celui qui l’avait vendu. Le fils protesta le contraire, et le marché demeura conclu ; mais celui-ci, retournant en triomphe, rencontra le chef du canton qui le dépouilla de ses richesses mal acquises, et vint le vendre au même marché. Tous ces crimes sont la suite d’un plus grand, celui de les acheter.

Quantité de petits Nègres des deux sexes sont enlevés tous les jours par leurs voisins, lorsqu’ils s’écartent dans les bois, sur les chemins, ou dans les plantations, pour chasser les oiseaux qui viennent manger le millet et les autres grains. Dans le temps de la famine, un grand nombre de Nègres se vendent eux-mêmes pour s’assurer du moins la vie.

Leur pauvreté est extrême. Ils ont pour tout bien quelques bestiaux. Les plus riches n’en ont pas plus de quarante ou cinquante, avec deux ou trois chevaux, et le même nombre d’esclaves. Il est très-rare qu’on leur trouve de l’or pour la valeur d’onze ou douze pistoles.

Dans quelques pays des Nègres, la couronne est héréditaire ; dans d’autres, elle est élective. À la mort d’un prince héréditaire, c’est son frère, et non son fils, qui lui succède ; mais, après la mort du frère, le fils est appelé au trône, et le laisse de même à son frère. Dans quelques pays héréditaires, c’est au premier neveu par les sœurs que tombe la succession, parce que la propagation du sang royal ne leur paraît certaine que par cette voie, tant ils comptent peu sur la fidélité des femmes.

Dans les royaumes électifs, trois ou quatre des plus grands personnages de la nation s’assemblent après la mort du roi pour lui choisir un successeur, et se réservent le pouvoir de le déposer ou de le bannir lorsqu’il manque à ses obligations. Cet usage devient la source d’une infinité de guerres civiles, parce qu’un roi déposé entreprend ordinairement de se rétablir malgré les constitutions.

Il n’y a point dans l’univers d’autorité plus absolue et plus respectée que celle de ces monarques nègres. Elle ne se soutient que par la rigueur. Les punitions pour les moindres défauts de respect ou d’obéissance sont, la mort, la confiscation des biens, et l’esclavage de toute la famille des coupables. Le peuple est moins à plaindre que les grands, parce que, dans ces occasions, il n’a que l’esclavage à redouter. Barbot raconte que, sous les plus légers prétextes, sans égard pour le rang ni pour la profession, un roi fait vendre à son gré ses sujets. L’alcade de Rufisque vendit aux Français de Gorée, par l’ordre exprès du damel, un marabout qui avait manqué à quelque devoir du pays. Ce malheureux prêtre fut plus de deux mois sur le vaisseau sans vouloir prononcer une parole. Comme la volonté des princes est une loi souveraine, ils imposent des taxes arbitraires qui réduisent tous leurs sujets à la dernière pauvreté.

Dans le royaume de Barsalli ou Boursalum, il n’y a que le roi et sa famille qui aient le droit de coucher sous des espèces d’étoffes qui servent de défense contre les mouches et les mosquites. L’infraction de cette loi est punie de l’esclavage. Un Iolof qui aurait la hardiesse de s’asseoir sans ordre sur la même natte que la famille royale, est sujet au même châtiment. L’orgueil et la tyrannie siégent donc sur des nattes comme sur la pourpre ! Mais, malgré tant de hauteur, les princes iolofs sont des mendians si peu capables de honte, que, s’ils aperçoivent à l’étranger qui les visite quelque chose qui leur plaise, comme un manteau, des bas, des souliers, une épée, un chapeau, etc., ils demandent successivement qu’on leur permette d’en faire l’essai, et se mettent par degrés en possession de toute la parure.

Les épreuves du fer chaud et de l’eau bouillante, ces anciens monumens de notre barbarie, se retrouvent dans la jurisprudence des Nègres ; et la corruption, qui déshonore si souvent la nôtre, ne leur est pas étrangère.

Deux petits rois, oncle et neveu, tous deux tributaires du damel, étant en contestation pour les droits de leur souveraineté, résolurent de remettre la décision de leur différent au sort des armes ou à la sentence du damel ; et ce prince leur ayant fait défendre les voies violentes, ils furent obligés de venir à celles de l’autorité. Le jour marqué pour leurs explications, ils se rendirent dans une grande place, qui est vis-à-vis du palais royal, tous deux accompagnés d’un nombreux cortége, qui formait deux bataillons armés de dards, de flèches, de zagaies et de couteaux à la mauresque. Ils se postèrent l’un vis-à-vis de l’autre, à trente pas de distance. Le damel parut bientôt à la tête de six cents hommes. Il montait un fort beau cheval de Barbarie, et alla se placer au milieu des deux rivaux. Quoiqu’ils parlassent tous la même langue, ils employèrent des interprètes pour s’expliquer. Le neveu, qui était fils du dernier roi, finit sa harangue en représentant que les domaines contestés devaient lui appartenir de plein droit, puisque le ciel les avait donnés à son père, et qu’il attendait par conséquent de l’équité du damel la confirmation d’un titre qui ne pouvait lui être disputé sans injustice. Après l’avoir écouté fort attentivement, le damel lui répondit d’un air majestueux : « Ce que le ciel vous a donné, je vous le donne à son exemple. » Une réponse si positive dissipa aussitôt le parti opposé. Les guiriots, avec leurs instrumens et leurs tambours, célébrèrent les louanges du vainqueur. Ils lui répétèrent mille fois que le damel lui avait rendu justice, qu’il était plus beau, plus riche, plus puissant et plus courageux que son rival. Mais, tandis qu’il n’était occupé que de son bonheur, il fut surpris de s’en voir dépouillé le jour suivant. Le damel, corrompu par des présens, révoqua la sentence qu’il avait portée, et rétablit l’oncle à la place du neveu. Ce revers de fortune fit changer d’objet aux chants des guiriots. Toutes leurs louanges furent pour celui qu’ils avaient décrié par leurs satires[1].

Les rois nègres entreprennent la guerre sur les moindres prétextes ; mais les batailles ne sont que des escarmouches. Dans tout le royaume du damel à peine se trouverait-il assez de chevaux pour former deux cents hommes de cavalerie. Ce prince n’a pas besoin de provisions de bouche quand il est en campagne : toutes les femmes lui fournissent des vivres sur son passage.

Les armes de la cavalerie sont la zagaie, sorte de javeline fort longue, et trois ou quatre dards de la forme des flèches, avec cette différence que la tête en est plus grosse, et qu’étant dentelée, elle déchire la blessure lorsqu’on la retire après le coup. Tous les cavaliers sont si chargés de grisgris, qu’ils ne peuvent faire quatre pas, s’ils sont démontés ; ils lancent assez loin leurs zagaies. Avec ces armes, ils ont un cimeterre et un couteau à la mauresque, long d’une coudée sur deux doigts de largeur. Quoique chargés de tant d’instrumens, ils ont les bras et les mains libres, de sorte qu’ils peuvent charger avec beaucoup de vigueur.

L’infanterie est armée d’un cimeterre, d’une javeline et d’un carquois rempli de cinquante ou soixante flèches empoisonnées, dont les blessures causent infailliblement la mort, pour peu que les remèdes soient différés. Les dents de ces flèches ne causent pas des effets moins dangereux, puisque, ne pouvant être retirées, il faut qu’elles traversent la partie dans laquelle elles sont entrées. L’arc est composé d’un roseau fort dur qui ressemble au bambou ; la corde est d’une autre sorte de bois, et est jointe à l’arc avec beaucoup d’art. Les Nègres, en général, se servent de leurs arcs avec tant d’adresse, que de cinquante pas ils sont sûrs de frapper un écu. Ils marchent sans ordre et sans discipline au milieu même du pays qu’ils attaquent. Leurs guiriots les excitent au combat par le son de leurs instrumens.

Lorsqu’ils sont à la portée de leurs armes, l’infanterie fait une décharge de ses flèches, et la cavalerie lance ses dards ; on en vient ensuite à la zagaie. Ils épargnent néanmoins leurs ennemis, dans l’espérance de faire un plus grand nombre d’esclaves ; c’est le sort de tous les prisonniers, sans distinction d’âge ni de rang. Malgré les ménagemens qu’ils observent dans la mêlée, comme ils combattent nus et qu’ils sont fort adroits, leurs guerres sont toujours fort sanglantes. D’ailleurs ils aiment mieux perdre la vie que de s’exposer au moindre reproche de lâcheté, et ce motif les anime autant que la crainte de l’esclavage.

Si le premier choc ne décide pas de la victoire, ils renouvellent souvent le combat pendant plusieurs jours. Enfin, lorsqu’ils commencent à se lasser de verser du sang, ils envoient de chaque côté les marabouts pour négocier la paix ; et, s’ils conviennent des articles, ils jurent sur l’Alcoran et par Mahomet d’être fidèles à les observer. Il n’y a jamais de composition pour les prisonniers. Ceux qui ont le malheur d’être pris demeurent les esclaves de celui qui les a touchés le premier.

Si l’on veut avoir, une idée de ces misérables brigands que les historiens appellent rois, il n’y a qu’à voir dans Le Maire et dans Moore le portrait qu’ils tracent des princes qui de leur temps régnaient en Afrique.

Le roi, qui porte le titre de brack, et qui gouverne la contrée que nous nommons Oualo, est si pauvre, dit Le Maire, qu’il manque souvent de millet pour se nourrir. Il aime les chevaux jusqu’à se priver de la nourriture pour fournir à leur entretien, comme maître Jacques dans l’Avare ; il leur donne le grain dont il devrait se nourrir, et se contente ordinairement d’une pipe de tabac et de quelques verres d’eau-de-vie ; La nécessité le force souvent de faire des incursions dans les cantons les plus faibles de son voisinage, où il enlève les bestiaux et des esclaves qu’il vend aux Français pour de l’eau-de-vie. Lorsqu’il voit baisser sa provision de cette liqueur, il enferme le reste dans une petite cantine, dont il donne la clef à quelqu’un de ses favoris, avec ordre de la porter à vingt ou trente lieues de sa demeure, pour se mettre lui-même dans la nécessite de s’en priver. S’il exerce sa tyrannie sur ses voisins, il garde encore moins de ménagement pour ses propres sujets. Son usage est d’aller de ville en ville avec toute sa cour, qui est composée d’environ deux cents Nègres, la plupart infectés de tous les vices des blancs, et de demeurer dans chaque lieu jusqu’à ce qu’il en ait mangé toutes les provisions. Ceux qui ont la hardiesse de s’en plaindre sont vendus pour l’esclavage.

Ceux des Iolofs qui bordent immédiatement la Gambie habitent les royaumes de Barsalli et du bas Yani. Le roi de Barsalli gouverne avec une autorité absolue, et sa famille est si respectée, que tous ses peuples se prosternent la face en terre lorsqu’ils paraissent devant quelque personne de son sang. Cependant il vit dans l’égalité avec sa milice. Chaque soldat a la même part au butin de la guerre, et le roi ne prend que ce qui est nécessaire à ses besoins. Cette loi, qu’il s’est imposée, ne lui permet guère de quitter les armes ; car aussitôt qu’il a consommé les fruits d’une guerre, il est obligé, pour satisfaire son avidité et celle de ses gens, de chercher quelque nouvelle proie.

En 1732, c’est-à-dire dans le temps que Moore était en Afrique, le roi de Barsalli était un prince d’une humeur si emportée, qu’au moindre ressentiment il ne faisait pas difficulté de tirer sur celui dont il se croyait offensé. Moore n’ajoute pas si c’était un coup de flèche ou d’arme à feu ; mais cette fureur était d’autant plus dangereuse, que le roi tirait fort adroitement ; quelquefois, lorsqu’il se rendait sur une chaloupe de la compagnie, à Cahone, qui était une de ses propres villes, il se faisait un amusement de tirer sur tous les canots qui passaient, et dans la journée il tuait toujours un homme ou deux. Quoiqu’il eût un grand nombre de femmes, il n’en menait jamais plus de deux avec lui. Il avait plusieurs frères ; mais il était rare qu’il leur parlât ou même qu’il les reçût dans sa compagnie. S’ils obtenaient cet honneur, ils n’étaient pas dispensés de la loi commune qui oblige tous les Nègres à se jeter de la poussière sur le front lorsqu’ils approchent de leur roi : cependant ils sont les héritiers de la couronne après lui ; mais dans le royaume de Barsalli, elle est ordinairement disputée par les enfans du roi mort, et c’est au plus fort qu’elle demeure.

On peut prendre une grande idée de leur adresse à dompter et à manéger les chevaux, si l’on en juge par ce que raconte Moore d’un des princes de Barsalli qu’il nomme Haman Sica. Il montait un cheval blanc de lait d’une grande beauté, avec la crinière longue et une des plus belles queues du monde. Les étriers de Haman étaient courts, de la largeur et de la longueur de ses pieds ; de sorte qu’il pouvait se lever facilement et s’y soutenir en courant à toute bride, tirer un fusil, lancer son dard ou sa zagaie avec autant de liberté qu’à pied. Il portait toujours à la main une lance de douze pieds de long, qu’il tenait droite et appuyée par le bas sur son étrier entre ses orteils ; mais, lorsqu’il exerçait son cheval, en lui faisant faire des courbettes, il la secouait au-dessus de sa tête, comme s’il eût été prêt à combattre. Je l’ai vu plusieurs fois, dit Moore, monté sur ce beau cheval, auquel il faisait faire des exercices surprenans ; il le faisait quelquefois avancer quarante ou cinquante pas sur les deux pieds de derrière, sans toucher la terre avec ceux de devant ; quelquefois, lui faisant courber les jambes, il le faisait passer ventre à terre sous les portes des Mandingues, qui n’ont pas plus de quatre pieds de hauteur.

On a déjà vu que les Foulas du Siratik occupent un pays fort étendu, sous le gouvernement d’un roi qui leur est propre ; mais ceux qui habitent les deux bords de la Gambie vivent dans la dépendance des Mandingues, parmi lesquels ils ont formé des établissemens par intervalles. Il y a beaucoup d’apparence que c’est la famine ou la guerre qui les a chassés de leur pays. Les voyageurs disent beaucoup plus de bien de ces Foulas de la Gambie que de tous les autres Nègres du même pays.

Quoiqu’ils aient quelques habitations fixes, la plupart mènent une vie errante, avec leurs bestiaux, qu’ils conduisent dans les cantons bas ou élevés, suivant qu’ils y sont forcés par les pluies. Lorsqu’ils rencontrent quelque bon pâturage, ils s’y établissent avec la permission du roi, et y restent tant qu’il y a de l’herbe. La vie des hommes est fort pénible. Outre le travail de leur profession, ils ont sans cesse à se défendre contre les bêtes féroces sur la terre, et contre les crocodiles sur le bord des rivières. La nuit ils rassemblent leurs bestiaux au centre de leurs tentes et de leurs cabanes ; ils allument quantité de feux, et font la garde autour du troupeau. Jobson, ayant eu occasion de traiter souvent avec eux pour des vaches et des chèvres, faisait avertir le chef d’un de ces troupeaux, qui se présentait couvert de mouches dans toutes les parties du corps, surtout aux mains et au visage. Quoiqu’elles fussent de la même espèce que celles qui tourmentent les chevaux en Europe, il en était si peu incommodé, qu’il ne prenait pas la peine de lever la main pour les chasser, tandis que Jobson, piqué jusqu’au sang, était forcé de s’en défendre avec une branche d’arbre.

Ces peuples ressemblent beaucoup aux Arabes, dont la langue s’apprend dans leurs écoles, et en général ils sont plus versés dans cette langue que les Européens dans la langue latine ; ils la parlent presque tous, quoiqu’ils aient leur propre langue qui se nomme le foula.

Ils ont des chefs qui les gouvernent avec douceur ; ils vivent en société et bâtissent des villes, sans être assujettis au prince dans les terres duquel ils s’établissent. S’ils reçoivent quelque mauvais traitement de lui ou de sa nation, ils détruisent leur ville pour aller s’établir dans quelque autre lieu. La forme de leur gouvernement se soutient sans peine, parce qu’ils sont d’un caractère doux et paisible. Ils ont des notions si parfaites de justice et de bonne foi, que celui qui les blesse est regardé avec horreur de toute la nation, et ne trouve personne qui prenne parti pour lui contre le chef. Comme on n’a pas de passion dans ce pays pour la propriété des terres, et que les Foulas d’ailleurs se mêlent peu de l’agriculture, les rois leur accordent volontiers la liberté de s’établir dans leurs états. Ils ne cultivent que les environs de leurs villes ou de leurs camps, pour en tirer leurs véritables nécessités : c’est du tabac, du coton, du maïs, du riz, du millet et d’autres sortes de grains.

L’industrie et la frugalité des Foulas leur fait recueillir plus de blé et de coton qu’ils n’en consomment ; ils les vendent à bon marché. Ils sont très-hospitaliers, mais entre eux. Qu’un Foula tombe dans l’esclavage, tous les autres se réunissent pour racheter sa liberté. Ils ne laissent jamais un homme de leur nation dans le besoin ; ils prennent soin des vieillards, des aveugles et des boiteux. Leurs armes sont la lance, la zagaie, l’arc et les flèches, des coutelas fort courts qu’ils appellent fongs, et même le fusil, dans l’occasion. Ils se servent de tous ces instrumens avec beaucoup d’adresse. On les voit chercher ordinairement à s’établir près de quelque ville des Mandingues ; ils sont encore attachés au paganisme, et ne se font pas faute de boire de l’eau-de-vie ou d’autres liqueurs.

Leur industrie est si reconnue pour élever et nourrir des bestiaux, que les Mandingues leur abandonnent le soin de leurs troupeaux.

Ils ont pourtant leurs superstitions comme les autres Nègres. S’ils apprennent qu’on ait fait bouillir le lait de leurs vaches, ils s’obstinent à n’en plus vendre, du moins à celui qui l’aurait acheté pour en faire cet usage, parce qu’ils attribuent à l’action du feu une vertu éloignée qui peut faire mourir leurs bestiaux.

Les Mandingues seraient souvent exposés à mourir de faim, sans le secours des Foulas. Ils tirent d’eux, par des échanges, une partie de leurs provisions. On ne connaît pas non plus d’autre peuple que les Foulas qui ait l’art de faire du beurre sur la rivière de Gambie. Ils le vendent pour diverses sortes de marchandises, mais surtout pour du sel.

Leur habillement n’est pas moins particulier à leur nation que leur commerce. Ils n’emploient pas d’autres étoffes que celles de leurs propres manufactures : elles sont de coton blanc, et leurs femmes ont soin de les entretenir avec beaucoup de propreté. Il n’y en a pas moins dans l’intérieur de leurs cabanes, où l’odorat n’a rien à souffrir, non plus que les yeux. On reconnaît aussi de la régularité dans l’ordre de ces petits édifices ; il y a toujours de l’un à l’autre assez de distance pour les garantir de la communication du feu. Les rues sont fort bien ouvertes, et les passages libres ; ce qui ne se trouve guère dans les villes des Mandingues. La plupart des habitations des Foulas sont bâties sur le même modèle.

La plus nombreuse de toutes les nations qui habitent les bords, de la Gambie, et toute l’étendue même de cette côte, porte le nom de Mandingues. Ils sont vifs et enjoués, passionnés pour la danse, et pourtant querelleurs. Cette nation, distribuée dans toutes les parties du pays, vient de l’intérieur des terres et du pays de Mandinga. Ils sont les plus zélés mahométans d’entre tous les Nègres. Ils ne connaissent pas l’usage du vin ni de l’eau-de-vie. Ils sont aussi les plus instruits de toutes ces régions de l’Afrique. Le principal commerce du pays est entre leurs mains.

Dans l’économie du ménage, le soin du riz est abandonné aux femmes. Après en avoir mis à part ce qui leur paraît suffisant pour la subsistance de la famille, elles ont droit de vendre le reste et d’en garder le prix, sans que les maris aient celui de s’en mêler. Le même usage est établi pour la volaille, dont elles élèvent une grande quantité.

On voit des Mandingues qui mettent leur gloire à nourrir un grand nombre d’esclaves. Ils leur rendent la vie si douce, qu’on a peine quelquefois à les distinguer de leurs maîtres ; surtout les femmes, qui sont ornées de colliers d’ambre, de corail et d’argent, comme si l’unique soin de leur esclavage était de se parer. La plupart de ces esclaves sont nés dans les familles.

Tous les royaumes de la Gambie ont quantité de seigneurs particuliers, qui sont comme les rois des villes où ils font leur demeure. Leur principal droit est d’avoir en propriété tous les palmiers et les siboas qui croissent dans le pays ; de sorte que, sans leur permission, personne n’ose en tirer le vin ni couper la moindre branche. Ils accordent cette liberté à quelques habitans, en se réservant dans la semaine deux jours de leur travail. Les blancs même sont obligés d’obtenir d’eux une permission formelle pour couper des feuilles de siboa et de l’herbe lorsqu’ils ont à couvrir quelque maison.

On compte les richesses des Mandingues par le nombre de leurs esclaves. Pour en fournir aux Européens, leur méthode est d’envoyer une troupe de gardes autour de quelque village, avec ordre d’enlever le nombre des habitans dont ils ont besoin. On lie les mains derrière le dos à ces misérables victimes pour les conduire droit aux vaisseaux ; et lorsqu’ils y ont reçu la marque du bâtiment, ils disparaissent pour jamais. On transporte ordinairement les enfans dans des sacs, et l’on met un bâillon aux hommes et aux femmes, de peur qu’en traversant les villages, ils n’y répandent l’alarme par leurs cris. Ce n’est pas dans les lieux voisins des comptoirs qu’on exerce ces violences ; l’intérêt des princes n’est pas de les ruiner ; mais les villes intérieures du pays sont traitées sans ménagement. Il arrive quelquefois que les prisonniers s’échappent des mains de leurs gardes, et que, rassemblant les habitans par leurs cris, ils poursuivent ensemble les ministres du roi. S’ils peuvent les arrêter, leur vengeance est de les conduire à la ville royale. Le roi ne manque jamais de désavouer leur commission ; mais, pour ne rien perdre de ses espérances, et sous prétexte de justice, il vend sur-le-champ les coupables pour l’esclavage ; et si les habitans arrêtés paraissent devant le roi pour rendre témoignage contre leurs ravisseurs, ils sont aussi vendus, comme si le malheur qu’ils ont souffert devenait un droit sur leur liberté.

On rapporte un usage singulier du royaume de Baol. Lorsqu’il est question de délibérer sur quelque affaire importante, le roi fait assembler son conseil dans la plus épaisse forêt qui soit près de sa résidence. Là, on creuse dans la terre un grand trou, sur les bords duquel tous les conseillers prennent séance, et, la tête baissée vers le fond, ils écoutent ce que le roi leur propose. Les sentimens se recueillent, et les résolutions se prennent dans la même situation. Lorsque le conseil est fini, on rebouche soigneusement le trou de la même terre qu’on en a tirée, pour signifier que tous les discours qu’on y a tenus y demeurent ensevelis. La moindre indiscrétion est punie du dernier supplice ; ce qui probablement contribue, plus que la cérémonie du fossé, à rendre les secrets impénétrables

L’habillement populaire, dans cette partie de l’Afrique dont nous parlons, consiste dans un pagne qui couvre la ceinture. C’est à peu près l’habillement de toutes les nations nègres, avec quelques variations. Les plus riches y joignent une espèce de chemise de coton fort courte, et dont les manches sont très-larges.

Leur bonnet, quand ils en ont, ressemble au capuchon d’un jacobin. Le peuple marche pieds nus, mais les personnes de qualité ont des sandales de cuir, de la forme de nos semelles de souliers, attachées au gros orteil avec une courroie. Quoique leurs cheveux soient courts, ils les ornent assez agréablement de grisgris, de brins d’argent, de cuivre, de corail, etc. Ils ont aux oreilles des pendans d’étain, d’argent et de cuivre. Ceux qui descendent d’une race servile n’ont pas la liberté de porter leurs cheveux.

Les femmes et les filles sont nues de la ceinture jusqu’à la tête, à moins que le froid ne les obligé de se couvrir. Le reste du corps est couvert d’un pagne, qui est de toile ou d’étoffe, de la grandeur de nos serviettes d’Europe, et qui leur descend jusqu’aux mollets. Elles se parent la tête de corail et d’autres bagatelles éclatantes, et leurs cheveux sont rangés avec assez d’art pour fournir une espèce de coiffure d’un demi-pied de hauteur. Les plus hautes passent pour les plus belles. Ainsi nos modes de Paris sont aujourd’hui celles d’Afrique. Jusqu’à l’âge de onze ou douze ans, les garçons et les filles sont entièrement nus.

Les Nègres ne boivent ordinairement que de l’eau, quoiqu’ils usent quelquefois de vin de palmier, et d’une sorte de bière qu’ils appellent boullo, composée des grains du pays. Mais ils ont une passion si ardente pour les liqueurs fortes des Européens, qu’ils vendent jusqu’à leurs habits pour en acheter. L’exemple des hommes n’empêche pas que les femmes ne soient plus réservées, et ne les autorise pas même à toucher l’eau-de-vie de leurs lèvres, à l’exception de quelque favorites des princes que leur situation met au-dessus de l’usage.

Ils n’ont pas proprement de pain ; ils mangent leurs grains cuits au lait et à l’eau. Le plus grand usage qu’ils fassent du maïs est lorsqu’il est vert ; ils le font rôtir sur les charbons dans les épis, et l’avalent comme des pois verts. Leur riz, ils l’emploient ordinairement à faire du pilau, suivant l’usage des Turcs ; enfin ils n’avaient ni l’usage du pain ni celui de la pâtisserie ; mais , en se familiarisant avec les Européens, leurs femmes ont appris d’eux l’art d’en faire, et le pratiquent aujourd’hui avec succès.

On trouve beaucoup de variations dans les voyageurs sur la forme du mariage des Nègres ; mais il faut l’attribuer moins à l’incertitude des témoignages qu’à l’inconstance des usages mêmes, qui ne sont pas établis avec assez d’uniformité pour ne pas recevoir quantité de changement et d’altérations. Jobson, nous apprend que tout Nègre est en droit de contracter avec une fille qui est en âge d’être mariée, mais que ce n’est jamais sans la participation, et même sans le consentement des parens, entre les mains desquels il doit déposer la dot dont on est convenu. Le roi, ou le principal seigneur du canton, tire aussi quelques droits pour la ratification du traité. Alors le mari, accompagné de quelques amis de son âge, s’approche le soir, au clair de la lune, de la maison de sa femme, et cherche le moyen de l’enlever ; il y réussit toujours, malgré sa résistance et ses cris, qui n’ont rien de sérieux. Elle demeure quelque temps enfermée dans sa maison ; et, plusieurs mois après, elle ne sort jamais sans un voile, qui doit lui couvrir toute la tête, à l’exception d’un œil. Sa dot est réservée pour le cas où elle survivrait à son mari, parce que l’usage oblige les veuves qui se remarient d’acheter un homme, comme elles ont été achetées pour leur premier mariage.

Quand la jeune femme est conduite à son mari, il lui offre la main pour la recevoir dans sa maison ; mais il lui ordonne immédiatement d’aller chercher de l’eau, du bois et les autres nécessités du ménage. Elle obéit respectueusement. Le mari se met à souper ; elle ne soupe qu’après lui ; et, demeurant en silence, elle attend son ordre pour l’aller trouver au lit. C’est un usage constant chez les Nègres que les femmes ne mangent jamais avec eux. On retrouve partout l’esclavage des femmes, qui a été général dans le monde jusqu’au temps de la perfection des sociétés, et qui l’est encore dans tout l’Orient.

La dot consiste souvent en quelques veaux, qui doivent être donnés au père, et qui ne surpassent jamais le nombre de cinq. Le mari et la femme se mettent sur-le-champ au lit ; si la femme est garantie vierge, on couvre le lit d’un drap de coton blanc, et les marques sanglantes de la virginité sont exposées aux yeux de l’assemblée ; ensuite on porte le drap en procession dans toute la ville, au son des instrumens, qui font retentir les louanges de la jeune femme et ses plaisirs. Mais si la virginité ne se déclare pas par des preuves, le père est obligé, sur la demande du mari, de reprendre sa fille et de rendre les veaux. Cette disgrâce est rare, parce qu’on prend soin d’examiner la fille avant le mariage, et qu’elle n’est demandée qu’après une parfaite conviction : d’ailleurs le malheur d’une fille n’est jamais irréparable ; si elle ne peut demeurer femme de celui qui l’avait épousée, elle devient la concubine d’un autre ; et le père est toujours sûr de trouver des marchands qui la recherchent.

Barbot observe qu’en Afrique, comme en Europe, les goûts sont fort partagés sur ce qui rend une femme aimable. Les uns veulent des vierges d’autres comptent pour rien cette qualité.

Tous les voyageurs conviennent qu’un Nègre peut prendre autant de femmes qu’il est capable d’en nourrir, mais qu’il n’y en a qu’une qui jouisse des privilèges du mariage, et qui ne s’éloigne jamais du mari. Du temps de Jobson, les Anglais donnaient à ces véritables épouses le nom de handwifes, c’est-à-dire, femmes de la main, parce qu’ils les trouvaient sans cesse à côté de leurs maris. Elles sont dispensées de plusieurs travaux pénibles qui sont le partage des autres ; cependant elles ne mangent ni avec leurs maris, ni en leur présence. Jobson parle avec étonnement de la bonne intelligence qui règne entre toutes ces femmes ; elles se retirent le soir dans leurs cabanes, elles y attendent l’ordre de leur mari commun, et le matin elles vont le saluer à genoux, en mettant la main sur sa cuisse. L’épouse légitime, c’est-à-dire, celle qui a été épousée la première, a l’autorité sur toutes les autres, à moins qu’elle ne soit sans enfans.

Dans le cas d’adultère, les deux coupables sont vendus pour l’esclavage étranger, sans espérance d’être jamais rachetés. Cette punition est celle des plus grands crimes ; car les supplices capitaux sont rares parmi les Nègres. On prend soin que ces esclaves soient vendus aux Portugais, parce qu’on est sûr alors qu’ils seront transportés au delà des mers.

Malgré la rigueur de ces lois, la plupart des Nègres se trouvent honorés que les blancs de quelque distinction daignent coucher avec leurs femmes, leurs sœurs et leurs filles. Ils les offrent souvent aux principaux officiers des comptoirs. Le Maire, Jannequin, et d’autres voyageurs rendent là-dessus le même témoignage. Barbot ajoute seulement que c’est l’intérêt qui les rend si lâches, et qu’il n’y a rien de sacré qui les arrête lorsqu’ils espèrent quelque profit.

Le Maire raconte que leurs femmes ont beaucoup d’inclination pour la galanterie, qu’elles sont passionnées pour les caresses des blancs. Cependant elles ont le cœur mercenaire, et toutes leurs faveurs doivent être payées. Mais Barbot assure qu’elles se contentent d’un prix fort léger. Elles ont, dit-il, la taille belle, les yeux vifs, la couleur d’un noir fort brillant, et l’air extrêmement lascif. Cette passion, qu’elles déguisent peu pour le commerce des blancs, trouble souvent la tranquillité des mariages.

Les travaux pénibles du ménage sont le partage des femmes. Non-seulement elles préparent les alimens et les liqueurs, mais elles sont chargées de la culture des grains et du tabac, de broyer le millet, de filer et de sécher le coton, de fabriquer des étoffes, de fournir la maison d’eau et de bois, de prendre soin des bestiaux, enfin de tout ce qui appartient à l’autre sexe dans des régions mieux policées. Tandis que les hommes passent le temps dans une conversation oisive, ce sont leurs femmes qui veillent à les garantir des mouches, et qui leur servent la pipe et le tabac.

Entre les Nègres mahométans il y a des degrés de parenté qui ôtent la liberté de se marier. Un homme ne peut épouser deux sœurs. Le damel, qui avait violé cette loi, reçut en secret la censure et les reproches des marabouts.

La facilité des femmes à se délivrer de leur fruit dans l’accouchement paraîtrait incroyable, si elle n’était attestée par tous les voyageurs. Elle ne jettent pas un cri ; elles ne poussent pas même un soupir. Après le travail, elles se lavent long-temps ; l’enfant est lavé avec le même soin. On l’enveloppe dans une pagne, sans aucun lange qui le serre, dans l’opinion que cette contrainte n’est propre qu’à le rendre tortu ou difforme. Dès le douzième ou le quinzième jour de sa naissance, la mère commence à le porter sur son dos, et ne le quitte jamais, de quelque travail qu’elle soit occupée. On voit ordinairement sortir les femmes le jour même ou le lendemain de leur délivrance. Chaque jour au matin l’enfant est lavé dans l’eau froide et frotté d’huile de palmier. Jusqu’au temps où la mère commence à le porter sur le dos, on le laisse ramper nu sur la terre, sans autre attention que celle de le nourrir.

Quelques auteurs attribuent leurs nez plats et la forme de leur ventre à cette manière de les porter, qui les expose à heurter le nez contre le dos de leur mère, lorsqu’elle se lève ou qu’elle se baisse, et qui leur fait avancer le ventre pour reculer la tête. Moore reconnaît qu’ils ne naissent point avec le nez plat et les grosses lèvres ; au contraire, il assure qu’à l’exception de la couleur, leurs idées de beauté sont les mêmes qu’en France, c’est-à-dire, qu’ils aiment de grands yeux, une petite bouche, de belles lèvres, et un nez bien proportionné. On voit des Négresses aussi bien faites et d’une taille aussi fine que les plus belles femmes de l’Europe. Elles ont la peau extrêmement douce, et communément plus d’esprit que les hommes.

Leur tendresse est excessive pour leurs enfans. Elles ne leur épargnent aucun soin jusqu’à ce qu’ils soient en état de marcher seuls. Alors, sans relâcher rien de leur attention pour les nourrir et les élever, elles paraissent s’embarrasser peu de leur instruction. Ils se fortifient en croissant ; et leur constitution devient si vigoureuse, qu’ils ne connaissent guère d’autre maladie que la petite vérole. Mais, comme ils sont élevés dans une oisiveté continuelle, ils deviennent si paresseux, que, s’ils n’étaient pas pressés par la nécessité, ils ne prendraient pas la peine de cultiver leurs terres. Aussi leur travail ne surpasse-t-il guère leurs besoins. Si leur pays n’était extrêmement fertile, ils seraient exposés tous les ans à la famine, et forcés de se vendre à ceux qui leur offriraient des alimens. Ils ont de l’aversion pour toutes sortes d’exercices, excepté la danse, dont ils ne se lassent jamais.

Les jeunes filles affectent beaucoup de modestie et de réserve, surtout lorsqu’elles sont en compagnie. Mais prenez-les à part, vous les trouvez fort obligeantes et disposées à ne rien refuser pour quelques grains de corail, ou pour un mouchoir de soie. Celles qui se croient de race portugaise, et qui prétendent aussi à la qualité de chrétiennes, sont plus réservées que les Mandingues, quoiqu’elles ne se fassent pas scrupule de vivre sans la cérémonie du mariage avec un blanc qui est capable de les entretenir. Une femme, après avoir mis au monde un enfant, demeure privée pendant trois ans du commerce de son mari, du moins si son fruit vit aussi long-temps. Elle le sèvre alors, et reprend ses droits au lit conjugal. L’opinion commune est que le lait des femmes s’altère par le commerce des hommes, et que les enfans en contractent de grandes maladies. Cependant Jobson doute que de vingt femmes il y en ait une qui soit capable d’une si longue privation. Il en a vu soupçonner un grand nombre de manquer à la fidélité de leur état, par la seule raison que l’enfant qu’elles allaitaient ne jouissait pas d’une bonne santé.

Aussitôt qu’un Nègre a rendu le dernier soupir, sa famille donne avis de sa mort au voisinage par des cris aigus et des lamentations qui attirent beaucoup de monde autour de sa cabane. Les cris des assistans se joignent à ceux de la famille. Mais pour les funérailles chaque canton a ses propres usages.

En général, ils y apportent tous beaucoup de formalités et de cérémonie. Un marabout lave le corps du défunt, et le couvre des meilleurs habits qu’il ait portés pendant sa vie. Les parens et les voisins viennent faire successivement leurs lamentations, et proposer au mort, plusieurs questions ridicules. L’un lui demande s’il n’était pas content de vivre avec eux et quel tort on lui a jamais fait ; s’il n’était pas assez riche, s’il n’avait pas d’assez belles femmes, etc. Ne recevant point de réponse, ils se retirent l’un après l’autre, après la même cérémonie. D’un autre côté, les guiriots chantent les louanges du mort.

L’usage général est de faire un folgar pour toute l’assemblée. On tue quelques veaux ; on vend des esclaves pour acheter de l’eau-de-vie. Après la fête, on ôte le toit de la cabane où le mort doit être enterré ; c’est celle qui lui servait de demeure ; on renouvelle les cris et les plaintes. Quatre personnes soutenant une pièce d’étoffe carrée qui cache le corps à la vue des assistans, le marabout lui prononce quelques mots dans l’oreille ; après quoi il est couvert de terre, et l’on replace le toit, ou le dôme de la maison, auquel on attache un morceau d’étoffe de la couleur que les parens aiment le plus. Nous avons déjà vu que le folgar était le bal des Nègres. Ainsi ces peuples pleurent leurs morts en donnant le bal et en buvant l’eau-de-vie. C’est qu’ils aiment l’eau-de-vie et la danse, et que chez les peuples barbares vous verrez toujours les usages conformes aux penchans.

À la mort d’un roi ou d’un grand, on fixe un temps pour les cris ; c’est ordinairement un mois ou quinze jours après le décès. Ces cris ne sont pas plus une preuve de là douleur des peuples que les oraisons funèbres parmi nous ne sont une preuve du mérite des grands.

Tous les habitans de cette partie de l’Afrique sont passionnés pour la musique et la danse. Ils ont inventé plusieurs sortes d’intrumens qui répondent à ceux de l’Europe, mais qui sont fort éloignés de la même perfection. Ils ont des trompettes, des tambours, des flûtes et des flageolets.

Leurs tambours sont des troncs d’arbres creusés, et couverts, du côté de l’ouverture, d’une peau de chèvre ou de brebis assez bien tendue. Quelquefois ils ne se servent que de leurs doigts pour battre ; mais plus souvent ils emploient deux bâtons à tête ronde et de grosseur inégale, et d’un bois fort dur et fort pesant, tel que le courbaril ou l’ébène. La longueur et le diamètre des tambours sont aussi différens, pour mettre de la variété dans les tons. On en voit de cinq pieds de long, et de vingt ou trente pouces de diamètre ; mais en général le son en est mort, et moins propre à réjouir les oreilles ou à réveiller le courage qu’à causer de la tristesse et de la langueur. Cependant c’est le seul instrument favori, et comme l’âme de toutes les fêtes.

Dans la plupart des villes, les Nègres ont un grand instrument qui a quelque ressemblance avec leur tambour, et qu’ils nomment tong-tong. On ne le fait entendre qu’à l’approche de l’ennemi, ou dans les occasions extraordinaires, pour répandre l’alarme dans les habitations voisines. Le bruit du tong-tong se communique jusqu’à six ou sept milles.

Les flûtes et les flageolets des Nègres ne sont que des roseaux percés ; ils s’en servent comme les sauvages de l’Amérique, c’est-à-dire fort mal, et toujours sur les mêmes tons : ils n’en tireraient pas d’autres de nos flûtes d’Europe.

Mais leur principal instrument est celui qu’ils nomment balafo, et que Jobson nomme ballard. Il est élevé d’un pied au-dessus de la terre et creux par-dessous. Du côté supérieur, il a sept petites clefs de bois rangées comme celles d’un orgue, auxquelles sont attachés autant de cordes et de fils d’archal de la grosseur d’un tuyau de plume et de la longueur d’un pied, qui fait toute la largeur de l’instrument. À l’autre extrémité sont deux gourdes suspendues comme deux bouteilles, qui reçoivent et redoublent le son. Le musicien est assis par terre vis-à-vis le milieu du balafo, et frappe les clefs avec deux bâtons d’un pied de longueur, au bout desquels est attachée une balle ronde, couverte d’étoffe, pour empêcher que le son n’ait trop d’éclat. Au long des bras, il a quelques anneaux de fer, d’où pendent quantité d’autres anneaux qui en soutiennent de plus petits, et d’autres pièces du même métal. Le mouvement que cette chaîne reçoit de l’exercice du bras, produit une espèce de son musical qui se joint à celui de l’instrument, et qui forme un retentissement commun dans les gourdes. Le bruit en doit être fort grand, puisque Jobson l’entendait quelquefois d’un bon mille d’Angleterre.

Le balafo, suivant cette description, doit être le même instrument que Le Maire fait consister dans une rangée de cordes de différentes grandeurs, étendues, dit-il, comme celles de l’épinette. Il jugea qu’entre des mains capables de le toucher, il serait fort harmonieux. Moore raconte qu’ayant été reçu à Nakkaouay, sur la Gambie, au son d’un balafo, il lui trouva dans l’éloignement beaucoup de ressemblance avec l’orgue ; mais la description qu’il en donne paraît un peu différente. Il était composé, dit-il, d’environ vingt tuyaux d’un bois fort dur et fort poli, dont la longueur et la grosseur allaient en diminuant. Ils étaient joints ensemble avec de petites courroies d’un cuir fort mince, cordonnées autour de plusieurs petites verges de bois. Sous les tuyaux étaient attachées douze ou quinze calebasses de grosseur inégale, qui produisaient le même effet que le ventre d’un clavecin. Les Nègres, ajoute Moore, frappent sur cet instrument avec deux baguettes, couvertes d’une peau fort mince de l’arbre qui se nomme siboa, ou d’un cuir léger, pour adoucir le son.

Ceux qui font profession de jouer du balafo sont des Nègres d’un caractère singulier, et qui paraissent également faits pour la poésie et pour la musique. On les comparerait volontiers aux anciens Bardes des îles Britanniques. Tous les voyageurs Français qui ont décrit le pays des Iolofs et des Foulas les ont nommés guiriots. Jobson leur donne le nom de djeddis, qu’il rend en anglais par fiddlers ou ménétriers. Peut-être celui de guiriot est-il en usage parmi les Iolofs , et celui de djeddis parmi les Mandingues.

Barbot dit que, dans la langue des Nègres du Sénégal, guiriot signifie bouffon, et que le caractère de ceux qui sont distingués par ce nom répond assez à cette idée. Les rois et les seigneurs du pays en ont toujours près d’eux un certain nombre pour leur propre amusement et pour celui des étrangers qui paraissent à leur cour. Jobson observe que tous les princes et les Nègres de quelque distinction sur la Gambie ne rendaient jamais de visite aux Anglais sans être accompagnés de leur djeddis ou de leur musique. Il les compare aux joueurs de harpe gallois. Leur usage est de s’asseoir à terre comme eux, un peu éloignés de la compagnie. Ils accompagnent leurs instrumens de diverses chansons, dont le sujet ordinaire est l’antiquité, la noblesse et les exploits de leur prince. Ils en composent aussi sur les événemens ; et l’espoir des moindres présens leur faisait faire souvent des impromptus à l’honneur des Anglais.

Les guiriots ont seuls le glorieux privilège de porter l’olamba, tambour royal, d’une grandeur extraordinaire dans toutes ses dimensions, et marchent à la guerre devant le roi avec cet instrument, comme autrefois Tyrtée devant les Spartiates. Dans tous les temps on a employé la louange à exciter la valeur.

Les Nègres sont si sensibles aux louanges des guiriots, qu’ils les paient fort libéralement. Barbot leur a vu pousser la reconnaissance jusqu’à se dépouiller de leurs habits pour les donner à ces flatteurs ; mais un guiriot qui n’obtiendrait rien de ceux qu’il a loués ne manquerait pas de changer ses louanges en satires, et d’aller publier dans les villages tout ce qu’il peut inventer d’ignominieux pour ceux qui ont trompé ses espérances ; ce qui passe pour le dernier affront parmi les Nègres. On regarde comme un honneur extraordinaire d’être loué par le guiriot du roi. C’est le poëte lauréat du pays. On ne croit pas le récompenser trop en lui donnant deux ou trois veaux, et quelquefois la moitié de ce qu’on possède. Il paraît que chez les Nègres on doit ambitionner beaucoup l’état de guiriot.

Les chansons et les discours ordinaires des guiriots consistent à répéter cent fois : Il est grand homme, il est grand seigneur, il est riche, il est puissant, il est généreux, il a donne du sangara, nom qu’ils donnent a l’eau-de-vie ; et d’autres lieux communs de la même nature, avec des grimaces et des cris insupportables. Entre plusieurs expressions de cette sorte, qu’un musicien nègre adressait à quelques Français, il leur dit qu’ils étaient les esclaves de la tête du roi ; et ce compliment fut regardé dans le pays comme un trait merveilleux. Quand la vanité est grossière, le goût n’est pas fort délicat ; et ces guiriots, sans être bien fins, ont pu s’apercevoir que, pour la plupart des hommes, il valait mieux répéter la louange que la varier.

Les guiriots acquièrent ainsi des richesses, qui les distinguent beaucoup du commun des Nègres. Leurs femmes sont souvent mieux parées en verroteries de toutes sortes que les reines et les princesses ; mais la plupart poussent à l’excès le dérèglement des mœurs. Ce qu’il y a de plus étonnant, c’est qu’avec tant de passion pour la musique et tant de libéralitè à la payer, les Nègres méprisent les guinots jusqu’à leur refuser les honneurs communs de la sépulture. Au lieu de les enterrer, ils mettent leurs corps dans le trou de quelque arbre creux où ils ne sont pas long-temps à pourir. Ils donnent pour raison de cette conduite que les guiriots vivent dans un commerce familier avec le diable, que les Nègres nomment Horey. Il est assez singulier que l’on retrouve chez les barbares du Sénégal la même inconséquence qui porte quelques nations de l’Europe à flétrir les talens du théâtre qui font le charme des sociétés cultivées, et à croire quelque chose de diabolique à ceux qui ont l’art d’amuser les autres. Au reste, il paraît que tous les peuples de cette partie de l’Afrique sont dans les mêmes principes sur la profession des guiriots ; car ils se croiraient déshonorés d’avoir touché quelque instrument.

La danse n’est pas moins chère aux Nègres que la musique. Dans quelque lieu que le balafo se fasse entendre, on est sûr de trouver un grand concours de peuple qui s’assemble pour danser nuit et jour, jusqu’à ce que le musicien soit épuisé de fatigue. Les femmes ne se lassent point de cet exercice : elles ont les pieds légers et les genoux fort souples ; elles penchent la tête d’un air gracieux : leurs mouvemens sont vifs et leurs attitudes agréables. Elles dansent ordinairement seules, et les assistans leur applaudissent en battant les mains par intervalles, comme pour soutenir la mesure. Les hommes dansent l’épée à la main, en la secouant et la faisant briller en l’air, avec d’autres galanteries dans le goût de leur nation.

Mais, sans le secours du balafo, les femmes qui ont l’humeur généralement vive et gaie prennent plaisir à danser le soir, surtout aux changemens de lune : elles dansent en rond en battant les mains, et chantent tout ce qui leur vient dans l’esprit, sans sortir de leur première place, à l’exception de celles qui sont au milieu du cercle. Les plus jeunes, qui se saisissent ordinairement de cette place, tiennent, en dansant, une main sur la tête et l’autre sur le côté, et jettent le corps en avant en battant du pied contre terre : leurs postures sont fort lascives, surtout lorsqu’un jeune homme danse avec elles. Dans ces bals fréquens, une calebasse ou un chaudron leur sert d’instrument de musique, car elles aiment beaucoup le bruit.

La lutte est un autre de leurs exercices. Les combattans s’approchent et s’efforcent de se renverser l’un l’autre avec des gestes et des postures fort ridicules. Dans ces occasions, il y en a toujours un qui fait l’office de guiriot, et qui bat un tambour ou un chaudron pour animer les athlètes, tandis que les autres applaudissent à l’adresse et au courage.

Les exercices utiles des Nègres sont la pêche et la chasse. La plupart de ceux qui habitent les bords des rivières font leur unique occupation de la pêche, et forment leurs enfans à la même profession. Ils ont des pirogues ou de petites barques composées d’un tronc d’arbre qu’ils ont l’art de creuser, et dont les plus grandes contiennent dix ou douze hommes. Leur longueur est ordinairement de trente pieds, sur deux pieds et demi de largeur : elles vont à rames et à voiles. Il n’est pas rare qu’un coup de vent les renverse ; mais les Nègres sont si bons nageurs, qu’ils s’en alarment peu. Ils redressent aussitôt leur pirogue avec leurs épaules, sans paraître plus embarrassés que s’il n’était rien arrivé. Une flèche n’est pas plus prompte que ces petites barques. Il n’y a pas de chaloupe de l’Europe qui puisse aller aussi vite.

Lorsque les Nègres vont à la pêche, ils sont ordinairement deux dans une pirogue, et ne craignent pas de s’écarter jusqu’à six milles en mer : ils n’emploient guère que la ligne. Mais, pour le gros poisson, ils se servent d’un dard de fer au bout d’un bâton de la longueur d’une demi-pique ; et, le tenant attaché avec une corde, ils n’ont pas de peine à le retirer après l’avoir lancé.

Ils font sécher le petit poisson entier, et mettent le grand en pièces ; mais, comme ils ne le salent jamais, il se corrompt ordinairement avant d’être sec : c’est alors qu’ils le trouvent meilleur et plus délicat. Les pêcheurs vendent ce poisson dans l’intérieur des terres, et pourraient en tirer un profit considérable, s’ils avaient moins de paresse à le transporter. Mais, les habitans et les pêcheurs redoutant également le travail, il demeure quelquefois sur le rivage jusqu’à ce qu’il soit entièrement corrompu.

Le nombre des pêcheurs est fort grand à Rufisque, et dans d’autres lieux sur les côtes voisines du Sénégal. Ils se mettent ordinairement trois dans une almadie ou une pirogue avec deux petits mâts, qui ont chacun deux voiles ; et si le temps n’est pas orageux, ils se hasardent quelquefois quatre ou cinq lieues en mer. L’heure de leur départ est toujours le matin avec le vent de terre. S’ils ont fini leur pêche, ils reviennent à midi avec le vent de mer. Lorsque le vent leur manque, ils se servent d’une sorte de pelle pointue, avec laquelle ils rament si vite, que la meilleure pinasse aurait peine à les suivre.

Avec la ligne, ils ont des filets de leur propre invention, composés, comme leurs lignes, d’un fil de coton. D’autres pêchent pendant la nuit, en tenant d’une main une longue pièce d’un bois combustible qui leur donne assez de clarté ; et de l’autre un dard, dont ils ne manquent guère le poisson, lorsqu’il s’approche de la lumière. S’ils en trouvent de fort gros, ils les attachent avec une ligne à l’arrière de leur pirogue, et les amènent ainsi jusqu’au rivage.

Les Nègres de la Gambie, du Sénégal et du cap Vert, sont excellens tireurs, quoique la plupart n’aient pas d’autres armes que leurs dards et leurs flèches, qui leur servent à tuer des cerfs, des lièvres, des pintades, des perdrix et d’autres sortes d’animaux. Ceux qui habitent plus loin dans les terres ont beaucoup moins d’habileté pour cet exercice, et n’y prennent pas tant de plaisir. Un facteur français de l’île Saint-Louis au Sénégal eut un jour la curiosité d’aller avec eux à la chasse de l’éléphant. Ils en trouvèrent un qui fut percé de plus de deux cents coups de balles ou de flèches. Il ne laissa pas de s’échapper, mais le jour suivant, il fut trouvé mort à cent pas du même lieu où il avait été tiré. Les Nègres du Sénégal se joignent pour la chasse au nombre de soixante, armés chacun de six petites flèches et d’une grande. Lorsqu’ils ont découvert la trace d’un éléphant, ils s’arrêtent pour l’attendre ; et le bruit qu’il fait en brisant les branches le fait bientôt reconnaître. Alors ils se mettent à le suivre, en lui décochant continuellement leurs flèches, jusqu’à ce que la perte de son sang leur fasse juger qu’il est fort affaibli. Ils s’en aperçoivent aussi à la faiblesse de ses efforts contre les obstacles qu’il trouve à sa fuite. Quelquefois l’animal s’échappe malgré toutes ses blessures ; mais c’est ordinairement pour mourir quelques jours après dans le lieu où ses forces l’abandonnent. C’est à ces accidens qu’il faut attribuer la rencontre qu’on fait souvent, dans les forêts, de plusieurs dents d’éléphant. La chair est dévorée par d’autres bêtes ; les os tombent en pouriture, et les dents sont les dernières parties qui résistent. Cependant comme elles ne peuvent être long-temps exposées aux injures de l’air sans s’altérer beaucoup, elles perdent quelque chose de leur prix.

Après l’idée qu’on a dû prendre de l’indolence naturelle des Nègres, on ne s’attendra pas à leur trouver beaucoup d’ardeur et d’habileté pour les arts. Ils n’ont pas d’autres ouvriers que ceux qui sont absolument nécessaires au soutien de la vie, tels que des forgerons, des tisserands, des potiers de terre. Le métier de forgeron, qu’ils appellent ferraro, est le principal, parce qu’il est le plus indispensable. Ils ont chez eux des mines de fer ; mais elles sont éloignées des côtes ; de sorte que ceux qui habitent près de la mer achètent généralement ce métal des Européens.

Les forgerons n’ont pas d’ateliers qui méritent le nom de boutiques ni de forges ; ils portent avec eux leurs ustensiles, et se mettent sous le premier arbre pour y travailler. Ils n’ont pas d’autres instrumens qu’une petite enclume, une peau de bouc qui leur sert de soufflet, quelques marteaux, une paire de tenailles et deux ou trois limes. Leur indolence paraît jusqu’au milieu du travail ; car ils sont assis, ils fument, ils s’entretiennent avec le premier venu. Comme leur enclume n’a que le pied en terre ou dans le sable, sans aucun soutien pour la fixer, quelques coups la renversent, et le temps se perd à la redresser ; ordinairement ils sont trois au travail d’une même forge. L’unique occupation de l’un est de souffler continuellement. Leurs soufflets sont composés d’une peau de bouc coupée en deux, ou de deux peaux jointes ensemble, avec un passage à l’extrémité pour le tuyau. Ils n’emploient le plus souvent que du bois faute de charbon. Le Nègre dont l’emploi est de souffler se tient assis derrière les soufflets, et les presse alternativement des coudes et des genoux. Les deux autres sont assis de leur côté avec l’enclume au milieu d’eux, et frappent aussi négligemment sur le métal que s’ils appréhendaient de le blesser. Ils ne laissent pas de forger d’assez jolis ouvrages en or et en argent. Ils font des couteaux, des haches, des crocs, des pelles, des scies, des poignées de sabres, de petites plaques pour l’ornement de leurs fourreaux et de leurs étuis, et quantité d’autres petits ouvrages de fer auxquels ils donnent une aussi bonne trempe que les Européens. Ainsi l’on ne peut douter qu’ils ne pussent acquérir plus d’habileté, s’ils avaient moins de paresse avec un peu plus d’instruction. Ils forgent encore l’espèce de pelle ou de bêche avec laquelle ils cultivent la terre. Le fer de l’Europe leur sert à fabriquer de courtes épées, et les têtes de leurs zagaies et de leurs dards. Ils en forment aussi la pointe barbelue de leurs flèches empoisonnées. L’ouvrage est assez propre dans la plupart de ces armes ; mais la plus grande utilité qu’ils tirent du fer est pour l’agriculture. Ils en composent une sorte de pelle avec laquelle ils grattent la terre plutôt qu’ils ne l’ouvrent. Jobson employa un de ces forgerons nègres pour briser une barre de fer en plusieurs parties de longueur convenable pour le commerce. Le Nègre apporta toute sa boutique sur la rive : elle consistait dans une paire de soufflets et une petite enclume, qu’il enfonça dans la terre sous un arbre fort touffu. Il fit un trou pour y placer ses soufflets, en faisant passer les tuyaux dans un autre trou voisin qui était destiné à contenir le charbon. Un petit Nègre ne cessait de souffler. Le fer fut coupé suivant les ordres de Jobson ; mais il avertit qu’il ne faut pas perdre le forgeron de vue, si l’on ne veut pas qu’il dérobe une partie de la matière.

Après le forgeron, leur principal artisan est le sepatero, qui fait les grisgris, c’est-à-dire de petites boîtes ou de petits étuis ou les Nègres renferment certains caractères écrits sur du papier par les marabouts. Ces étuis sont de cuir en différentes formes, et passeraient dans tous les pays du monde pour un ouvrage curieux. Les mêmes ouvriers font des selles et des brides. Celles-ci, suivant le même auteur, sont aussi bien taillées que les brides d’Angleterre ; d’où l’on doit conclure qu’ils ont l’art de préparer le cuir : mais ils ne l’exercent que sur les peaux de boucs et de daims, qu’ils savent teindre aussi de différentes couleurs. Ils n’ont jamais pu parvenir à préparer les grandes peaux. Les plus ingénieux et les plus entendus s’imaginent, en maniant le drap d’Angleterre, qu’il est composé de leur cuir, mais qu’on se garde soigneusement de le travailler en leur présence, de peur qu’ils n’apprennent les secrets de l’Europe. Ils disent la même chose du papier et de quantité d’autres marchandises qu’ils croient faites de leurs dents d’éléphant. Moore assure qu’outre les selles, les brides et les étuis pour les grisgris, ils font des fourreaux d’épées, des sandales, des boucliers, des carquois avec beaucoup de propreté ; que leurs selles sont couvertes de beau maroquin rouge relevé de plaques d’argent, qu’elles ont des étriers fort courts, et qu’elles sont sans croupière.

Le troisième métier, suivant Jobson, consiste à préparer la terre pour faire les murs des édifices, et des vases de différentes sortes à l’usage de la cuisine. Pour tous les autres besoins, ils emploient des calebasses, excepté néanmoins pour leurs pipes, qui sont aussi de terre et d’une forme assez agréable. Ils y apportent d’autant plus de soin, que c’est un instrument d’usage continuel, sans lequel on ne voit guère paraître aucun Nègre de l’un ou de l’autre sexe. La partie de terre, qui est la tête, peut contenir une demi-once de tabac. La longueur du col est de deux doigts : On y insère un roseau qui a quelquefois plus d’une aune de long, et qui est le canal de la fumée.

Jobson ne donne que ces trois métiers aux Nègres ; mais Labat y joint les tisserans, et les regarde comme les premiers artisans du pays. Il met dans cette profession les femmes et les filles, qui filent le coton, qui le travaillent avec beaucoup d’adresse, qui le teignent en bleu ou en noir, ou qui lui laissent sa blancheur naturelle. Leur art se borne à ces trois couleurs. Elles ne peuvent donner à leurs pièces plus de cinq ou six pouces de largeur. La longueur est depuis deux aunes jusqu’à quatre ; mais elles savent les coudre ensemble pour les rendre aussi longues et aussi larges qu’on le désire.

Moore ne s’accorde pas ici tout-à-fait avec Labat. Les Iolofs, suivant ce voyageur anglais, font les plus belles étoffes du pays. Leurs pièces sont généralement longues de vingt-sept aunes, et n’ont jamais plus de neuf pouces de largeur. Ils les coupent de la longueur qui convient à leurs besoins, et, pour les élargir, ils savent les coudre ensemble avec beaucoup de propreté. Les femmes n’emploient que la main pour nettoyer le coton qui sort de sa cosse. Elles le filent avec le rouet et la quenouille. Leur manière de le travailler est si simple, qu’elles ne connaissent pas d’autre instrument que la navette. Elles font des garnitures entières, c’est-à-dire tout ce qui est nécessaire à l’habillement d’un homme ou d’une femme ; par exemple, une pièce d’environ trois aunes de long sur une aune et demie de largeur pour couvrir les épaules et le corps, et une autre pièce à peu près de la même grandeur, qui sert depuis la ceinture jusqu’en bas. Ainsi deux pièces forment tout l’habillement d’un Nègre, et peuvent servir également aux hommes et aux femmes, parce que la différence ne consiste que dans la manière de les porter. Moore vit deux de ces pièces si bien travaillées et d’une si belle teinture, qu’elles furent évaluées trente livres sterling. Les couleurs sont le bleu et le jaune : pour la première, les Iolofs emploient l’indigo, et pour l’autre, différentes écorces d’arbres. Moore ne leur a jamais vu de couleur rouge.

À l’égard des objets usuels qui n’entrent pas dans le commerce, Jobson dit que les Nègres n’ont pas d’autres ouvriers que leurs propres mains. Les nattes sont entre eux d’un usage général. Elles sont l’ouvrage des femmes. C’est sur leurs nattes que les Nègres passent la moitié de leur vie, qu’ils boivent, qu’ils mangent, qu’ils se reposent et qu’ils dorment. Au marché de Mansegar, Jobson remarque qu’au lieu d’argent, dont les Nègres sont mal pourvus, c’étaient des nattes qui passaient pour la monnaie courante. Ainsi, pour s’informer du prix d’une chose, on demandait combien elle valait de nattes. Le Maire raconte que les Nègres tiennent des marchés, mais que les objets qu’ils y étalent sont de très-petite valeur, et qu’ils viennent quelquefois de six à sept lieues pour apporter un peu de coton, quelques légumes, tels que des pois et de la vesce, des plats de bois et des nattes. Un jour il vit une femme qui était venue de six lieues avec une seule barre de fer d’un demi pied de long.

La plupart de leurs villes sont rondes dans leur forme, et leurs maisons sont composées d’une sorte de terre rougeâtre qui s’endurcit beaucoup par l’usage. Le pays est rempli de cette terre, qui ferait d’excellentes briques, si elle était bien travaillée. On voit des cabanes entièrement bâties de roseaux, comme toutes les autres en sont couvertes. Leur forme est généralement ronde, parce qu’ils la croient plus capable de résister aux orages et aux pluies. Toutes les villes ou villages sont environnés d’une ou deux haies de roseaux, de la hauteur de six pieds, pour servir de rempart contre les bêtes féroces : ce qui n’empêche pas que les habitans ne soient quelquefois obligés d’allumer des feux et de battre leurs tambours en poussant de grands cris pour chasser des ennemis si dangereux : réponse péremptoire à celui qui prétendait tout à l’heure que les bêtes n’attaquaient point l’homme.

Les Mandingues ont l’usage de bâtir leurs maisons l’une contre l’autre, ce qui devient l’occasion d’une infinité d’incendies. Si vous leur demandez pourquoi ils n’y mettent pas plus de distance, ils répondent que c’était la méthode de leurs ancêtres, qui étaient plus sages qu’eux. Il n’y a point de réponse plus commune, en fait d’administration, que cette réponse des Mandingues.

Les huttes des Nègres se nomment kombets. Un kombet est distribué en plusieurs parties, dont l’une sert de cuisine, l’autre de salle à manger, une autre de chambre de lit, avec des ouvertures pour la communication. Les maisons des seigneurs, suivant Le Maire, ont quelquefois quarante ou cinquante de ces pavillons. Celle des rois n’en a pas moins de cent, mais couverts de paille comme les plus pauvres. Le commun des Nègres en a deux ou trois. L’enclos des personnes de qualité est une palissade ou d’épines ou de roseaux, soutenue de distance en distance par des piliers. Leurs kombets communiquent de l’un à l’autre par des routes qui s’entrelacent en forme de labyrinthe. Dans l’intérieur de l’enclos il se trouve ordinairement de fort beaux arbres, mais sans ordre et dispersés comme au hasard, à moins que la maison, comme celles de plusieurs princes, n’ait été bâtie exprès dans le voisinage de quelques petits bois, dont une partie se trouve renfermée dans l’enclos.

Le palais du damel, ou du roi de Cayor, est distingué par sa magnificence. Avant la première porte de l’enclos, on trouve une grande et belle place pour exercer ses chevaux, quoiqu’il n’en ait pas plus de dix ou douze. Au long de l’enclos, les seigneurs ont des huttes, qui composent comme l’avant-garde de celle du roi. Une longue allée de baobabs conduit de la première place au palais. Des deux côtés de cette avenue sont les logemens des officiers et des principaux domestiques du roi, entourés chacun d’une palissade, ce qui forme beaucoup de détours avant qu’on arrive à son appartement ; mais le respect seul empêche les sujets d’en approcher. Toutes ses femmes ont aussi des kombets particuliers, où elles ont cinq ou six esclaves pour les servir. Il voit celle chez qui son caprice le porte, sans autre règle que celle de ses désirs. Les autres n’en témoignent jamais de jalousie ; cependant il y en a toujours une qui est traitée en favorite ; et lorsqu’il en est fatigué, il l’envoie dans quelque village, en lui assignant les fonds nécessaires pour son entretien. Sa place est aussitôt occupée. De trente femmes que ce prince entretient, il en avait envoyé successivement la moitié dans ces demeures étrangères.

Rien n’est si pauvre que l’ameublement des Nègres, C’est un coffre pour renfermer leurs habits, une natte élevée sur quelques pieux pour leur servir de lit, une ou deux jattes qui contiennent de l’eau, quelques calebasses, deux ou trois mortiers de bois pour broyer le maïs et le riz, un panier pour l’y renfermer, et quelques plats de bois pour servir le couscous aux heures du repas. Les Nègres de distinction ne sont jamais sans une estrade ou une sorte de banc élevé de deux ou trois pieds, et couvert de belles nattes, sur lesquelles ils sont assis pendant le jour. Les palais des rois et des princes sont un peu mieux meublés, parce qu’il y en a peu qui n’emploient à cet usage une partie des marchandises qu’ils achètent des Européens.

Jobson rapporte que l’agriculture est l’office de tous les Nègres, sans exception de rang et de condition. Les rois et les chefs des villes en sont seuls exempts. Ils se mettent l’un à la suite de l’autre pour former les sillons ; de sorte que chacun levant à peu près la même quantité de terre, le travail n’est pénible pour personne. Ces sillons sont faits avec autant d’ordre et de propreté qu’en Europe. Ils y jettent la semence et les remplissent aussitôt de la même terre ; leur industrie ne s’étend pas plus loin, à l’exception du riz, qu’ils sèment d’abord dans de petites pièces de terres basses et marécageuses, et qu’ils prennent la peine de transplanter : aussi croît-il en abondance.

Ils observent des saisons pour semer leurs grains, surtout pour planter le tabac, dont chaque famille cultive sa provision autour de ses cabanes. Ils n’apportent pas moins de soin à la culture du coton, et la plupart des villages en ont des champs entiers.

Comme ils n’ont pas de pluie depuis le mois de septembre jusqu’à la fin de mai, la terre est si dure dans cet intervalle, qu’ils ne peuvent la cultiver. Les pluies commencent vers la fin de mai, et continuent dans le mois de juin avec une grande violence, un tonnerre et des éclairs épouvantables ; et la terre ne pouvant manquer d’être assez amollie, c’est la saison du labourage. Le plus mauvais temps, c’est-à-dire l’extrême violence des eaux, se fait ordinairement sentir depuis le milieu de juin jusqu’à la fin de septembre ; c’est alors que les rivières s’élèvent de trente pieds perpendiculaires ; mais jusqu’à la fin d’octobre les pluies et les eaux diminuent par degrés comme elles ont commencé.

Pour semer le millet, le Nègres mettent un genou à terre, font de petits trous comme on en fait en Europe pour planter des pois, y jettent trois ou quatre grains, et bouchent chaque trou de la même terre. D’autres ouvrent des sillons en ligne droite, y jettent leur millet et les couvrent de même ; mais la première de ces deux méthodes est la plus commune, parce que plus le grain est enfoncé dans la terre, plus il est en sûreté contre les oiseaux, dont le nombre est incroyable.

Le temps où les Nègres sèment est pour eux une saison de fêtes pendant laquelle ils se traitent les uns les autres. Leurs terres sont si fertiles, que la moisson du millet se fait dès le mois de septembre ; et c’est encore l’occasion d’une infinité de réjouissances.

Les rois étant maîtres absolus de toutes les terres, chaque famille est obligée de s’adresser à eux ou à leurs alcades pour se faire assigner la portion dont elle doit tirer sa subsistance. Les Nègres sont si paresseux, qu’ils ne cultivent point assez de terre pour leur usage, et que, leur moisson ne suffisant pas à leurs besoins, ils vivent d’une racine noire qu’ils font sécher jusqu’à ce qu’elle ait perdu son goût naturel, et des pistaches de terre. Si leur moisson manque, ils ne peuvent éviter la plus affreuse famine, et les Européens en ont vu souvent des exemples.

Ils se laissèrent séduire une fois par les promesses d’un de leurs marabouts, de la tribu des Arabes, qui, sous le voile de la religion, s’était rendu maître d’un grand pays entre les états du siratik et les Sérères. Cet imposteur trouva le moyen de leur persuader qu’il était inspiré du ciel pour les venger de la tyrannie de leurs princes. Il leur promit des forces miraculeuses pour les soutenir dans leur révolte ; et, ce qui fit sur eux encore plus d’impression, il leur garantit que leurs terres produiraient chaque année une moisson abondante, sans qu’ils prissent la peine de les cultiver. La paresse des Nègres ne résista point à des offres si flatteuses. Ils se rangèrent sous les étendards du marabout ; et les sujets du damel, qui furent les plus ardens, parvinrent à détrôner leur souverain. Ils attendirent pendant deux ans les miraculeuses moissons du marabout ; mais la famine devint si terrible, que, faute d’alimens, ils furent contraints de se manger les uns les autres, ou de se livrer volontairement à l’esclavage pour éviter la mort. Une si triste expérience leur ayant fait ouvrir les yeux sur leur folie, ils chassèrent l’usurpateur, et remirent le damel en possession de sa couronne.

Nous avons déjà parlé de leurs armes : ils y ont moins de confiance qu’à leurs grisgris, avec lesquels, malgré l’expérience journalière, ils s’obstinent à se croire invulnérables et supérieurs à leurs ennemis. Les Européens sont les seuls qu’ils désespèrent de vaincre, parce qu’ils ont éprouvé qu’aucun grisgris n’est à l’épreuve des armes a feu, auxquels ils adonnent le nom imitatif de pouffs.

On n’est point encore parvenu à se faire de justes idées du langage des Nègres. Les principales langues sont celles des Iolofs, des Foulas et des Mandingues. La langue la plus commune sur la Gambie est le mandingue ; avec cette clef, on peut voyager sans embarras depuis l’embouchure de la rivière jusqu’au pays des Dionkos, ou des marchands auxquels on donne ce nom, parce qu’on achète d’eux un très-grand nombre d’esclaves ; ce pays est à six semaines de route de Jamesfort, principal comptoir des Anglais sur la Gambie.

Outre la langue commune, les Mandingues ont un jargon mystérieux entièrement ignoré des femmes, et dont les hommes ne font usage qu’à l’occasion du moumbo dioumbo, dont nous parlerons plus bas. Le créole portugais, qui est une corruption de la langue portugaise, est devenu le langage ordinaire du commerce entre les Européens de la Gambie et les Nègres. Peut-être ne serait-il pas entendu à Lisbonne ; mais les Anglais l’apprennent plus facilement que la langue des Nègres, et leurs interprètes n’en emploient pas d’autres. Les Foulas et plupart des mahométans qui habitent la rivière parlent fort bien l’arabe, quoiqu’ils soient Mandingues. Chaque royaume ou chaque nation a d’ailleurs sa langue particulière.

Les compilateurs des voyages ont placé ici des tables d’un certain nombre de mots des langues nègres. Il semble qu’une esquisse de ces jargons barbares, dans lesquels on ne peut pas même reconnaître les premiers rapports que le langage humain a dû présenter entre les objets et les sons, ne doive pas être fort intéressante pour nous ; cependant la curiosité s’étend sur tous les détails de ces peuplades lointaines, ébauches imparfaites de la nature, et qui donnent aux nations policées le plaisir de sentir toute leur supériorité. Le lecteur retrouvera donc ici les mêmes tables que dans l’Histoire générale des Voyages.



TABLE PREMIÈRE.

VOCABULAIRE IOLOF ET FOULA.



Français.
Iolof.
Foula.
Aiguille, Poursa, Messelaël.
Ananas, Ananas, Annanas.
S’arrêter, Guékiffi, Deradan.
S’asseoir, Songoane, Ghiod.
Aveugle, Bomena, Gomdo.
Autruche, Nedau.
Se baigner, Mougro-sangou.
Un bal, Folgar.
La barbe, Sekiem, Onhare.
Barre de fer, Barra-win, Barra.
Barril, Pippa.
Beaucoup, Barena, Huri.
Blé ou maïs, Dougoub, Makkari.
Une boîte, Ovachande.
Un veau ou un bœuf, Nague.
Boire, Mangrinam, Hiarde.
Bois, Matte, Leggal.
Boiteux, Sogha, Bossara.
Borgne, Patte.
La bouche, Gueminin, Hendouko.
Les boyaux, Vuete, Chabiburde.
Une branche, Kala, Baberou.
Branle, Tidoap, Lesso.
Les bras, Smallou, Ghiomgé.
Une brebis, Sedre.
Un canon, Bamborta, Fetel.
Un canot, Lana.
Français.
Iolof.
Foula.
Capitaine, Capitane, Loamdo.
Carquois, Smakalla.
Chair, Yap, Tehan.
Chanter, Ovayel, Yemdi.
Un chat, Guenape, Oulonde.
Un chaudron, Kranghiare, Barma.
Une chemise, Bougtovap, Dolanke.
Un cheval, Farfs, Pouskiou.
Cheveux, Kogavar, Soukenko.
Chèvre, Bay, Behova.
Un chien, Kraf, Rahovanden.
Chier, Mangredouli, Boude.
Le ciel, Assaman, Hialla.
Une clef, Donovachande, Bidho.
Un clou, Dinguetite, Pauomgal.
Un cochon de lait, Droai, Babaladi.
Un coffre, Ovachande, Breteval.
Une corde, Bouma, Boghol.
Le coude, Smainoton, Somdon.
Couper, Doghol, Tay.
Un couteau, Pakha, Pake.
Cracher, Toffii, Toude.
Cravate, Sma, Leffol.
Crocodile, Guasik, Norova.
Les cuisses, Loupe, Benball.
Cuivre, Prum, Hiackaovale.
Danser, Faike, Hemde.
Demain, Ailegakaghiam, Soubako.
Demeure, Gangone, Ghiodorde.
Les dents, Sonobenatia, Nhierre.
Dents d’éléphans Gnieï negnay, Nhierre-ghiova.
Le derrière, Tate ou Ghir, Rotec.
Le diable, Guinnay, Guine.
Dieu, Ihalla, Allah.
Les doigts, Smaharam, Sedohenda.
Dormir, Danadi.
Eau, Mdoch, Diam.
Français.
Iolof.
Foula.
De l’eau-de-vie, Sangara, Sangara.
Écorcher, Maugre fesse, Houtonde.
Écrire, Binde, Ovindove.
Un éléphant, Gnieï, Ghiova.
Enfans des princes, Domeguaïbe, Byla hamde.
Une épée, Gnassi, Kaffe.
Un esclave, Gnamen, Mokkioudou.
Éternuer, Maugre-tesseli, Hisseloude.
Étui de couteau, Gangone, Ghiodorde.
Feu, Safara, Ghia hingol.
Une femme, Dighen, Debo.
Le séve des femmes, Facere ou Fere, Kotto.
Une femme de mauvaise vie, Ghelarbi, Sakke.
Une femme grosse, Dighen gohir, Deboredo.
La fièvre, Guernama.
Fil à coudre, Ovin, Gnarabi.
Une fille, Ndaougdigheu, Soukka.
Une flèche, Sinaklonghar.
Un fourreau, Finan harguaisi, Ovana.
Un fripon, Abonde.
Un fusil, Sochhorby, Loussoul fetel.
Un garçon, Ovassi, Soukagorko.
Les genoux, Smahoum, Holbondon.
Glouton, Haderors.
Gomme, La konde.
Le gosier, Smanpourreh, Dandy.
Goudron, Sandol.
Graisse ou Suif, Dirgunek, Helere.
Grand, Maguma, Mahardo.
Gratter, Hock-halma, Nanhyadi.
Habit, Bouboutouvap, Dolangue.
Hameçons, Delika, Ovande.
Hauts-de-chausses, Touap, Tonhouka.
Français.
Iolof.
Foula.
Herbes, Miagh.
Un homme, Goourgue, Goskomaodo.
La jambe, Lmappaice, Kovassongal.
Jeter, Sanner, Verlady.
Les joues, Bekigg, Kobe.
Le jour, Lelegh, Soubakka.
La langue, Lamaing, D’heingall.
Se laver les mains, Raghen, Lahonyongo.
Les lèvres, Smatovin, Fondo.
Ligne à pêcher, Smabou, Delingha ovande.
Un lit, Cuntodou, Lessen.
Un livre, Smater gumara jank, Torade allah.
Livre à écrire, Smakiel gumorebind, Deffeterre.
La lune, Vhackiré, Leour.
La main, Leho, Yongo.
Une maison, Smanrig, Souddo.
Une maîtresse, Soumak hiore, Medodano.
Maïs, sorte de blé, Dougoub, Makkarg.
Malade, Raguena, Ognia hui.
Les mamelles, Ouhanier, Enhdo.
Marc du millet, Changle.
Marcher, Docholl, Medo hyassa.
Un matelas, Entedou, Lesso.
La mer, Smandai, Guéeck.
Mentir, Namma, Hadarime.
Mordre, Matt, N’hadde.
La mort, Dehaina, Mahyse.
Se moucher, Niendoou, Ngiéto.
Un mousquet, Fairal, Fetel.
Moi et mien, Sman.
Le nez, Smackbockan, Hener.
Non, Dhaair, Ala.
La nuit, Goudina, Guiema.
Un œuf, Nen, Ouchirnde.
Un oiseau, Arral, Niolli.
Français.
Iolof.
Foula.
Les ongles, Huai, Chegguen.
Oranges, Kanghe.
Les oreilles, Smanoppe, Noppy.
Les orteils, Smahuajetanks, Pedly.
Du pain, Bourou, Bourou.
Papier, Kahait, Harkal.
Parler, Ovache, Hall.
Un pavillon, Raya, Arhair billam.
La peau, Smagdayr, Goure.
Pêcheur, Moll, Kiruballs.
Toiles peintes, Calicos, Calicos.
Perroquet, Inkay, Saleron.
Petit, Nercina, Chonkayel.
Les pieds, Simatank, Kossede.
Une pierre, Doyg, Hayre.
Un pigeon, Petreik.
Pincer, Domp, Mouchionde.
Une pipe, Smanan, Hy-ardougal.
Pisser, Berouch, Kaing-huye.
Pleurer, Dgoise, Ouhedde.
Plomb, Bettaigh, Chaye.
Plume, Dongue, Donguo.
La pluie, Taon, Tobbo.
Poisson, Guenn, Lingno.
Un pot, Kingu, Sahando.
Une poule, Gnaar, Guertpgal.
Un rat, Guenak, Donbron.
Reine, Gnache, Guefoulbe.
Rire, Raihal, Ghialde.
Rouge, Laghovek, Bode ghioune.
Le roi, Bur, Lahamdé.
Le sang, Galtovap,
Du sel, Sokmate, Lambdan.
Serment, Smabokhanabi, Soldehama ou Kotelyacmo.
Serpent, Gnaun, Body ou Gorory.
Siffler, Ananileste, Honde.
Un singe, Golok, Ovandou.
Français.
Iolof.
Foula.
Soleil, Ghiante Sinkam, Nahangue.
Souliers, Dole, Pade.
Les sourcils, Hiamhianke.
Sucre, Lhom, Lhiombry.
Tabac, Tmagha, Taba.
Une table, Gangona, Gango.
Tasse de coco, Tassa, Horde.
La terre, Soffi, Letudi.
La tête, Smabab, Horde.
Toiles, Endimon, Chomchou.
Le tonnerre, Denadeno, Dherry.
Tortu, Loko.
Tousser, Sokka, Loghiomde.
Trembler, Denalock, Chinhoude.
Troquer ou Échanger, Nanvequi, Sohade.
Trompette, Bouffra.
Tuer, Rui, Ouarde.
Un vaisseau, Manguma, Randi.
Les veines, Saditte, Dadok.
Le vent, Gallaon, Hendon.
Le ventre, Smahir, Rhédo.
Vin de France, Msangotovabb, Chenk.
Vin de palmier, Msangojeloffi, Chengue.
Une voile, Ouir, Ougderelhana.
Les yeux, Smabut, Hytere.
NOMBRES.
Un, Ben, Goto.
Deux, Gniare, Didy.
Trois, Gniet, Taty.
Quatre, Gniamet, Naye.
Cinq, Gurom, Guioï.
Six, Gurom-ben, Guiego.
Sept, Gurom-Gniare, Guiedidy.
Huit, Gurom-gniet, Guietaty.
Neuf, Gurom-gnianet, Guienaye.
Dix, Fouk, Sappo.
Français.
Iolof.
Foula.
Onze, Fouk-ak-ben, Sappo-e-go.
Douze, Fouk-ak-gniare, Sappo-e-didy.
Treize, Fouk-ak-gniet, Sappo-e-taty.
Quatorze, Fouk-ak-gnianet, Sappo-e-naye.
Quinze, Fouk-ak-gurom, Sappo-e-guioï.
Seize, Fouk-ak-gurom-ben, Sappo-guiego.
Dix-sept, Fouk-ak-gurom-gniare, Sappo-guididy.
Dix-huit, Fouk-ak-gurom-gniet, Sappo-guietaty.
Dix-neuf, Fouk-ak-gurom-gnianet, Sappo-gui-e-naye.
Vingt, Nitte, Sappo.
Vingt-un, Nitte-ak-ben, Sappo-e-go.
Trente, Frononir, Noggas.
Quarante, Gnianet-fouk, Tchiapaldé taty.
Cinquante, Gurom-fouk, Le Foula s’est perdu
Soixante, Gurom-ben-ak-fouk,
Soixante-dix, Gurom-gniare-fouk,
Quatre-vingts, Gurom-gniet-fouk,
Quatre-vingt-dix, Gurom-gniaï-fouk,
Cent, Temir, Témédéré.
Cent un, Temir-ak-ben, Témédéré-go.
Deux cent, Gniare-temir, Témédéré-didy.
Trois cent, Gniet-temir, Témédéré-taty.
Mille, Guné, Témédéré-sappo.
Mille vingt, Guné-ak-nitte, Témédéré-sappo.
PHRASES FAMILIÈRES.
Français.
Iolof.
Foula.
Bonjour, monsieur, Diarakio-samba, Cossé samba.
Comment vous portez-vous ? Dia mesa, Ada heghiam.
Fort bien, monsieur, Diam édal, Samba mido.
Venez, Calé, Arga.
Venez manger, Calé lek.
Ne venez pas, Bouldik, Da rothan.
Allez-vous-en, Dock hodem, Hia.
Montez, Quia qua ou, Arga.
Descendez, Démal-ki-souf, Hialesse.
Je veux, Doina man, Bido hidy.
Je ne veux pas, Baino man, My hida.
Donnez-moi à boire, Maïman nan, Loca hiarde.
Apportez-moi vite une brebis, Iassi ma ommgharg. Addou nambalou.
Je vous remercie, Diorekio, Medo hietoma.
Allons nous promener, Caï dokhan, Harque Guehin hilojade.
J’y vais, Man ghé dok, Mede Lebo.
Il fait grand vent, Galigou baréna, Hendou hevy.
Il pleut, Vta ou.
Il tonne, Denadeno, Dhirry.
Il fait chaud, Gniak éna, Ouarn hiend.
Il fait froid, Lioul na, Ghiangol.
Je vous vois, Guesnala, Medo hyma.
Taisez-vous, Noppil, De you.
Fort matin, Leleg, Soubake allau.
Bonsoir, monsieur, Diaragonal samba, Fon angiam samba.
Je voudrais coucher avec une fille, Bougué uadièkil ak béné dighen, Medo leleby.
Français.
Iolof.
Foula.
Je m’endors, Nélao.
Je ne m’en souviens pas, Fatou ma, Myfa hiacke.
Mettez-le dans les fers, Guinguela maguiou, Ovarguihielle cassedo.



TABLE SECONDE.

VOCABULAIRE MANDINGUE.



L’astérisque * marque les mots qui se trouvent dans la première table.
Français.
Mandingue.
Acheter, Sann.
Aigre, Akonemota.
Allez, Ta.
Ambre, Lambre.
Amitié, Barnalem.
L’année ou une pluie, Sanju killin.
Un arc, Kulla.
Argent, Kodey.
Une armoire, Konneo.
Asseyez-vous, Secdouma.
Une balle, Kiddo kassi.
Un baril, Ankoret.*
Beau, Neemau.
Du beurre, Tooloo.
Bien, Kandi.
Blanc, Qui.
Un homme blanc, Tobauho.
Du blé, Neo.
Boire, Ami.
Bon, Abetti.
Français.
Mandingue.
La bouche, Dau.*
Une brebis, Kornell.
Calebasse, Merrug.
Caméléon, Minnir.
Canard, Bru.
Un canon, Kiddo.*
Poudre à canon, Kiddo mungo.
Un canot, Kalloun.*
Ceci, Ning.
Cela, Olim.
Une chaise, Scrong.*
Chaleur, Kandeca.
Une chambre, Bung.
Un chameau, Komaniung.
Une chandelle, Kaudet.
Un chanteur, Jelliki.
Un chat, Neankom.*
Chaud, Kandeka.
Un cheval, Souho.
Un cheval marin, Mally.
Une chèvre, Ha.*
Un chien, Oulve.
Un grand chien, Oulve dau.*
Cire, Lekonnio.
Un coq, Deontong ou Soufeki.
Collier, Ronnun.
Une colline, Koanko.
Comment vous portez-vous ? Animbatta montainia ?
Un couteau, Moroo.*
Un coutelas, une épée, Fong.*
Du cristal, Christall.
Un crocodile, Bumbo.*
Une cuillère, Kulear.
Cuivre, Tasso.
Un daim, Tonkong.
Que demandez-vous ? Laffeta munnum ?
Dent, Ning.*
Français.
Mandingue.
Dent d’éléphant, Samma ning.
Le diable, Bua.
Dieu, Alla.*
Doux, Timeata.
Un drap, Fauno.
Du drap rouge, Murfée.
La jambe droite, Sing bau.
La main droite, Bulla bau.
Dur, A Koleta.
Eau, Jée ou si.*
Un éléphant, Samma.
Enfer, Jehonama.
Entendre, Amoi.
Un esclave, Jong.*
L’est, Tillo vooleta.
L’étain, Tasroqui.
Étoile, Lolo.
Étranger, Leuntung.
Un facteur, Mercador.
Faux, Funniala.
Une femme, Mouza.*
Une femme de mauvaise vie, Jelli mouza.*
Une femme mariée, Mouza.
Fenêtre, Jenell.
Flèche, Beuna.*
Un fou, Toorala.
Une fourchette, Garfa.
Frère, Barrin kea.
Froid, Ninny.
Fumée, Sizi.
La jambe gauche, Sing nding.
La main gauche, Bulla nding.
Grand, Bau.
Un grand chien, Mouve bau.*
Grand’mère, Mooza bau.
Grand-père, Keal bau.
Guerre, Killi.
Français.
Mandingue.
Un hibou, c’est le même nom que le diable, Bucca.
Un homme, Kea.*
Une huître, Oystre.
La jambe, Sing.*
Je ne sais, Malo.
Je sais, Alo.
Je veux donner, Msadi.
Une île, Joüio.
Une jument, Souho mouza.
Jurement, Tikiniami ma ma mau.
Du lait, Nanuo.
Levez-vous, Oully.
Un lion, Jatta.
Un lit, La rong.*
Un loup, Sillo.
La lune, Korro.*
La main, Bulla.
Une maison, Fu.*
Malade, Munkandi.
Un marchand, Jonko.
Méchant, Munbetty.
Une médecine, Borru.
La mer, Bato bau.*
Mère, Mouza.
Miel, Li.
Mort, Sata.
Moi, Mta.
Noir, Fin.
Noix, Tiah.
Un œuf, Sousey killy.*
Un oiseau, Sousi.
L’ouest, Tillo bonita.
Pain, Mongo.*
Papier, Koyto.*
Paresseux, Narita.
Père, Fau.
Pesant, Kuleata.
Français.
Mandingue.
Petit, Nding.
Une pintade, Commi.
Une pipe, Da.
De la pluie, Sanju.
Un cheval marin, Mally.
Poisson, Heo.*
Une porte, Dau.
Poudre à canon, Kiddo mundo.
Une poule, Sousi mouza.
Un pouce, Kranki.
Prendre, Amoota.
Puant, Akoneata.
Que demandez-vous ? Laffetta munnum ?
Rien du tout, Feng o feng.
Rivière, Bato.
Un roc, Barry.
Rouge, Ouilima.*
Du drap rouge, Murfée.
Roi, Mansa.*
Sable, Kenne-kenne.
Sale, Nota.
Un sanglier, Seo.
Sec, Mindo.
Sel, Ki.*
Sentir, Mamaung.
Serpent, Sau.*
Vin de Siboa, Bandji.
Un singe, Kanic.
Jouir, Barrin mouza.
Le soleil, Tillo.*
Un sorcier, Baa.*
Sucre, Tobauboli.*
Une table, Meso.*
Un taureau, Nisi ké.
La terre, Banko.*
La tête, Kung.*
Timide, Yanimi.
Tonnerre, Korram alla.*
Français.
Mandingue.
Toucher, Ametta.
Tourbillon de vent, Sau.
Une vache, Neesa Moossa.
Un vaisseau, Tobaubo kaloun.
De la vaisselle, Prata.
Un valet, Buttlau.
Un veau, Neefa-nding.
Vendre, Saun.
Venez, Na.*
Venez ici, Nana re.
Vent, Funnio.
Je veux donner, Msadi.
Ville, Konda.
Vin de palmier, Tangi.*
Voleur, Suncar.
Vous, Itta.
Vrai, Atoniala.
Un ivrogne, Serrata.
NOMBRES.
Un, Killing.
Deux, Foulla.
Trois, Sabba.
Quatre, Nani.
Cinq, Loulou.
Six, Oro.
Sept, Oronglo.
Huit, Sye.
Neuf, Konnunti.
Dix, Tong.
Onze, Tong-ning-killing.
Douze, Tong-ning-foulla.
Treize, Tong-ning-sabba.
Quatorze, Tong-ning-nani.
Quinze, Tong-ning-loulou.
Seize, Tong-ning-oro.
Dix-sept, Tong-ning-oronglo.
Dix-huit, Tong-ning-sye.
Français.
Mandingue.
Dix-neuf, Tong-ning-konnunti.
Vingt, Noau.
Trente, Noau-ning-tong.
Quarante, Noau-foulla.
Cinquante, Noau-foulla-ning-tong.
Soixante, Noau-sabba.
Soixante-dix, Noau-sabba-ning-tong.
Quatre-vingts, Noau-nani.
Quatre-vingt-dix, Noau-nani-ning-tong.
Cent, Kemmy.
Mille, Ouoully.

Les Nègres qui habitent les deux bords du Sénégal, et qui s’étendent dans les terres à l’est et au sud, sont mahométans , convertis par les Maures. Ceux du royaume de Mandinga, dont le zèle est plus ardent, sont depuis long-temps les missionnaires de cette religion. Tous les autres Nègres, du moins ceux avec qui les Européens ont des relations de commerce, depuis la Gambie jusqu’en Guinée, sont idolâtres, à l’exception des Sérères et de quelques autres qui n’ont aucune apparence de religion.

On en voit beaucoup qui ne veulent pas souffrir qu’on tue les lézards autour de leurs maisons. Ils sont persuadés que ce sont les âmes de leur père, de leur mère et de leurs proches parens, qui viennent faire le folgar, c’est-à-dire se réjouir avec eux. On voit que l’opinion de la métempsycose leur est familière.

Le mahométisme établi parmi les Nègres est imparfait, autant par l’ignorance de ceux qui l’enseignent que par le libertinage des prosélytes. Il consiste dans la croyance de l’unité de Dieu, et dans deux ou trois pratiques cérémoniales, telles que le ramadan ou le carême, le bayram ou pâques, et la circoncision.

Jobson observe que les habitans naturels de la Gambie adorent un seul Dieu sous le nom d’Allah, qu’ils n’ont point de peintures ni d’images à la ressemblance de la Divinité ; qu’ils reconnaissent la mission de Mahomet, sans qu’ils invoquent jamais son nom ; qu’ils comptent les années par les pluies, et qu’ils ont des noms particuliers pour chaque jour de la semaine ; qu’ils donnent le nom de sabbat au vendredi, mais qu’ils l’observent si peu régulièrement, que leur commerce et leurs occupations ordinaires n’en reçoivent pas d’interruption.

Ils ont quelques traditions confuses de la personne de Jésus-Christ. Ils parlent de lui comme d’un prophète qui s’est rendu célèbre par un grand nombre de miracles ; mais ce qu’ils racontent de sa sainteté et de sa puissance est un tissu de fables sans vraisemblance et sans ordre. Ils lui donnent le nom d’Issa : ils nomment sa mère Maria. La sainteté, la bonté, la justice, sont des qualités qu’ils lui attribuent dans le plus haut degré ; mais il leur paraît impossible qu’il soit le fils de Dieu, parce que Dieu, disent-ils, ne peut être vu par les hommes. La doctrine de l’incarnation leur paraît scandaleuse. Elle suppose, dans leurs idées, que Dieu soit capable d’une liaison charnelle avec les femmes. Une prophétie, qui subsiste depuis long-temps dans leur nation, leur annonçait qu’ils seraient subjugués par un peuple blanc.

Les Nègres croient aussi à la prédestination, et mettent toutes leurs infortunes sur le compte de la Providence. Qu’un Nègre en assassine un autre, ils croient que c’est Dieu qui est l’auteur du meurtre. Cependant ils se saisissent du meurtrier et le vendent pour l’esclavage.

À l’égard de leur dévotion et de la forme de leur culte, Le Maire observe que le commun du peuple n’a pas de pratiques réglées qui puissent porter le nom de culte religieux ; mais les personnes de distinction affectent plus de zèle, et ne sont jamais sans un marabout, qui a beaucoup d’ascendant sur leur esprit et leur conduite.

On sait que les mahométans d’Asie font le salam ou la prière cinq fois le jour et la nuit. Le vendredi, qui est le jour de leur sabbat, ils la font sept fois ; mais ceux des Nègres qui sont bons mahométans se contentent de prier trois fois le jour, c’est-à-dire, le matin, à midi et le soir. Chaque village a son marabout ou prêtre, qui les rassemble pour ce devoir. Le lieu de leurs assemblées est un champ qui leur sert de mosquée. Là, après les ablutions ordonnées par l’Alcoran, ils se rangent en plusieurs lignes derrière le prêtre, dont ils imitent les mouvemens et les gestes. Ils ont le visage tourné vers l’orient ; mais, lorsqu’ils sont fatigués de leur posture, ils s’accroupissent à la manière des femmes, en tournant le visage à l’ouest.

Le marabout étend ses bras, répète plusieurs mots d’une voix si lente et si haute, que toute l’assemblée peut les répéter après lui ; il se met à genoux, baise la terre, recommence trois fois cette cérémonie, et ne fait rien qui ne soit imité par tous les assistans. Ensuite il se met à genoux pour la quatrième fois, et fait quelque temps sa prière en silence : il se relève, et traçant du doigt, autour de lui, un cercle dans lequel il imprime plusieurs caractères, il les baise respectueusement ; après quoi, la tête appuyée sur les deux mains, et les yeux fixés contre terre, il passe quelques momens dans une profonde méditation. Enfin il prend du sable et de la poussière, se la jette sur la tête et sur le visage, commence à prier d’une voix haute, en touchant la terre du doigt et le levant au front ; et pendant toutes ces formalités, il répète plusieurs fois ces mots, salam-aleck ; c’est-à-dire, je vous salue. Il se lève : toute l’assemblée suit son exemple, et chacun se retire. La modestie, le respect et l’attention qu’ils apportent à cet exercice causent une juste admiration à nos voyageurs. La prière dure une grande demi-heure , et se renouvelle trois fois le jour. Il n’y a point d’affaire ni de compagnie qui leur en fasse oublier le temps. S’ils ne peuvent assister à l’assemblée, ils se retirent à l’écart pour observer les mêmes pratiques ; et lorsqu’ils manquent d’eau pour leur ablution, ils emploient de la terre. Brue, qui fut plusieurs fois témoin de leurs cérémonies, eut la curiosité de demander aux marabouts quel était le sens de leurs postures et de leurs prières. Ils lui répondirent qu’ils adoraient Dieu en se prosternant devant lui ; que cette humiliation était un aveu de leur néant aux yeux du premier Être, qu’ils le priaient de pardonner leurs fautes et de leur accorder les commodités dont ils avaient besoin, telles qu’une femme, des enfans, une moisson abondante, la victoire sur leurs ennemis, une bonne pêche, la santé, et l’exemption de toutes sortes de dangers.

Aussitôt qu’ils voient paraître la première lune de l’équinoxe d’automne, ils la saluent en crachant dans leurs mains et en les étendant vers le ciel. Ensuite ils les tournent plusieurs fois autour de leur tête, et répètent à deux ou trois reprises la même cérémonie. En général, les mahométans rendent beaucoup de respect à la nouvelle lune, la saluent aussitôt qu’ils la voient paraître, ouvrent leur bourse, et demandent au ciel que leurs richesses puissent augmenter avec les quartiers de la lune.

La ramadan ou le carême des mahométans nègres est observé avec beaucoup de rigueur. Ils ne mangent et ne boivent qu’après le coucher du soleil. Les dévots n’avaleraient pas même leur salive, et, se couvrent la bouche d’un morceau d’étoffe, de peur qu’il n’y entre une mouche. Malgré la passion qu’ils ont pour le tabac, ils ne touchent point à leur pipe. Mais, lorsque la nuit arrive, ils se dédommagent de l’abstinence du jour. Les grands et les riches passent ensuite tout le jour à dormir.

Lorsque le mois du ramadan approche de sa fin, ils proclament le Tabasket, c’est-à-dire, la plus grande fête des mahométans nègres, comme des Turcs et des Persans, qui lui donnent le nom de Bayram. Brue, qui en avait été témoin, nous a laissé la description de cette fête, qui est proprement leur carnaval.

Un peu avant le coucher du soleil, on vit paraître six marabouts, ou prêtres mahométans, revêtus de tuniques blanches, qui ressemblent à nos surplis. Elles leur descendent jusqu’au milieu des jambes, et le bas est bordé de laine rouge. Ils marchaient en rang, avec une longue zagaie à la main, précédés de cinq grands bœufs, qui étaient couverts d’un beau drap de coton et couronnés de feuilles, chacun conduit par deux Nègres, comme on conduit dans les rues de Paris ce qu’on appelle le bœuf gras. Les fêtes populaires ont partout des rapports d’un bout du monde à l’autre. Les chefs des cinq villages dont la ville de Boucar est composée suivaient les prêtres sur une seule ligne, parés de leurs plus riches habits, armées de zagaies, de sabres, de poignards et de boucliers. Ils étaient suivis eux-mêmes de tous les habitans, leurs sujets, cinq sur chaque rang. Lorsque la procession fut, arrivée au bord de la rivière, les bœufs furent attachés à des poteaux, et le plus ancien marabout cria trois fois à haute voix, salam-aleck, qui est l’exhortation à la prière. Ensuite , mettant bas sa zagaie, il étendit le bras vers l’est. Les autres prêtres suivirent son exemple, et commencèrent la prière de concert. Ils se levèrent et reprirent leurs armes. Alors l’ancien marabout donna ordre aux Nègres d’amener les bœufs et de les renverser par terre, ce qui fut exécuté à l’instant. Ils les attachèrent à terre par les cornes, et, leur tournant la tête à l’est, ils leur coupèrent la gorge avec beaucoup de précaution, pour empêcher que ces animaux ne les regardassent tandis que leur sang coulait, parce que c’est pour eux un fort mauvais présage. Ils prennent soin, pour se garantir de leurs regards, de leur jeter du sable dans les yeux. Aussitôt que le sacrifice est achevé, et les victimes écorchées, ils les coupent en pièces, et chaque village emporte celles de son bœuf. Après cette cérémonie, le folgar commence. Le folgar fait place au festin, et les réjouissances durent trois jours.

La circoncision est une pratique rigoureusement observée parmi les mahométans nègres. Elle se fait aux mâles vers l’âge de quatorze ou quinze ans, pour leur donner le temps de se fortifier contre l’opération, et d’être bien instruits dans la profession de leur foi. On attend aussi pour cette sanglante cérémonie qu’il y ait un grand nombre de jeunes gens rassemblés, ou que le fils de quelque roi et d’autres grands aient atteint l’âge de la circoncision. Alors on avertit que tous les sujets du même roi, ses alliés et ses voisins, peuvent amener leurs enfans, car l’éclat de la fête répond au nombre des acteurs, et les chefs d’une nation souhaitent toujours que l’assemblée soit nombreuse, parce que, dans ces occasions, les jeunes gens forment des liaisons et des amitiés qui durent autant que leur vie.

Quoiqu’il n’y ait pas de temps réglé pour la cérémonie, on observe de ne jamais choisir la saison des grandes chaleurs, ni celle des pluies, ni le ramadan, qui ne sont pas des temps propres à la joie. On a soin aussi de prendre le décours de la lune, dans l’idée que l’opération est alors moins douloureuse, et la plaie plus facile à guérir.

Brue nous donne une description exacte de la cérémonie. Il y avait assisté dans l’île de Jean Barre, près du fort Saint-Louis, et les plus petits détails n’avaient point échappé à ses observations.

Le lieu de la scène était un champ fort agréable, environné de beaux arbres, à trois cents pas du village de Jean Barre, riche Nègre, qui servait d’interprète à la compagnie française, et dont le fils était le principal des jeunes gens qui devaient être circoncis. On choisit toujours un endroit éloigné des habitations, à cause des femmes, qui sont absolument exclues de l’assemblée. Lorsque Brue se fut assis avec les gens de sa suite sur un banc qui avait été préparé pour lui, la procession commença dans l’ordre suivant : les guiriots ou musiciens faisaient l’avant-garde en battant une marche lente et grave, sans y joindre leur chant. Ils étaient suivis de tous les marabouts des villages voisins qui marchaient deux à deux en robe de coton blanc, et leur zagaie à la main. Après les marabouts, on vit venir, à quelque distance, tous les jeunes gens qui devaient être circoncis. Ils étaient vêtus de longues pagnes de coton, croisées par-devant, mais sans haut-de-chausses. Ils marchaient sur une seule ligne, c’est-à-dire l’un après l’autre, accompagnés chacun de deux parens ou de deux amis, pour servir de témoins à leur profession de foi, ou pour les encourager à souffrir constamment l’opération. Yamsek, Nègre de distinction, qui devait être l’exécuteur suivait immédiatement avec Jean Barre, chef de la fête. Cette marche était fermée par un corps de deux mille Nègres bien armés. Au milieu du champ, fort près du lieu ou les Français étaient assis, on avait placé une planche sur une petite élévation. Les prêtres et les chefs des villages se rangèrent sur deux lignes, de chaque côté de la planche ; et tous les candidats, avec leurs parrains, demeurèrent au centre, dans le même ordre que celui de leur marche. Le reste des Nègres formait un cercle autour des prêtres et des victimes.

Aussitôt que l’ordre et le silence furent bien établis, le principal marabout fit le salam ou la prière. Tous les assistans répétaient ses paroles d’une voix claire et intelligible, avec autant de respect que d’attention. Après cet exercice, Guiopo, fils de Jean Barre, fut annoncé par ses deux parrains, qui le firent monter sur la planche, en le soutenant des deux côtés. Yamsek fit heureusement l’opération. Guiopo descendit immédiatement après, suivi de ses deux parrains, et branlant sa zagaie d’un air riant. Il se retira derrière les marabouts, pour laisser saigner sa plaie, pendant que les autres jeunes gens allèrent se présenter successivement à l’exécuteur.

Lorsque la blessure a jeté assez de sang, on la lave plusieurs fois le jour avec de l’eau fraîche, jusqu’à ce qu’elle se ferme d’elle-même, ce qui ne demande ordinairement que dix ou douze jours. Pendant l’opération, le candidat doit tenir le pouce droit élevé, et prononcer la formule de foi mahométane. Les plus fermes la prononcent d’une voix haute ; ils affectent même de la gaieté après la cérémonie ; mais il est aisé de juger à leur marche qu’ils souffrent une vive douleur. La plupart ne peuvent se retirer sans être soutenus par les parrains.

Quoique la circoncision ne soit pas ordonnée pour les femmes, les docteurs mandingues les admettent à la participation de ce privilége. Ce sont leurs propres femmes qui font l’office de prêtresses ; mais cet usage n’est pas universel parmi les Nègres.

Moore explique la cérémonie de la circoncision en fort peu de mots ; mais il ajoute une circonstance singulière, et qui peut donner une idée de la politique du sacerdoce nègre. Un peu avant la saison des pluies, dit-il, on circoncit un grand nombre de jeunes gens de l’âge de douze ou de quatorze ans. Après l’opération, ils portent un habit différent de l’usage ordinaire, et chaque royaume a le sien. Depuis la circoncision jusqu’au temps des pluies, les jeunes circoncis ont la liberté de commettre toutes sortes d’excès sans être soumis au châtiment de la justice. Lorsque les pluies commencent, ils sont obligés de rentrer dans l’ordre et de reprendre l’habit commun de leur nation. Cette licence accordée aux circoncis semble faite pour perpétuer l’usage de la circoncision et en balancer le désagrément.

Les mandingues croient que la cause des éclipses de la lune est l’interposition d’une panthère qui met sa pate entre la lune et la terre. Dans ces occasions, ils ne cessent pas de chanter et de danser en l’honneur de leur prophète Mahomet ; mais il ne paraît pas que leurs mouvemens soient l’effet de la crainte.

En général, ils sont extrêmement livrés à la superstition. Lorsqu’ils ont un voyage à faire, ils égorgent un poulet, et les observations qu’ils font sur les entrailles leur servent de règle pour avancer ou différer leur départ. Ils n’ont pas moins d’égard pour certains jours de la semaine qu’ils regardent comme malheureux ; rien ne serait capable de les leur faire choisir pour une entreprise d’importance. Voilà les superstitions des fameux Romains qui se retrouvent chez les hordes noires. Ces poulets sacrés, qui nous font rire chez les Nègres, ces présages, ces jours malheureux, sont pourtant fort imposans dans vingt endroits de l’histoire romaine, grâce au génie des Tite Live et des Salluste, tant l’éloquence produit d’illusion ! tant le nom de Rome et l’antiquité commandent à notre imagination ! Car, dans le fait, l’appétit des poulets, qui décidait, chez les Romains, du jour d’une bataille, est tout aussi ridicule que la pate de la panthère qui éclipse la lune.

Moore raconte que, pendant tout le temps qu’il passa dans leur pays, ils étaient persuadés que les sorciers avaient répandu des qualités malignes dans l’air et dans les eaux, qu’il ne mourait personne qui ne fût tué par ces ennemis publics, à l’exception d’un misérable qu’il vit enterrer, et que tous les Nègres croyaient tué par Dieu même, pour avoir violé son serment ou son vœu. L’usage des vœux est fort commun dans toutes ces nations. On leur voit porter autour du bras des manilles de fer, pour marque de leur engagement et pour s’en rappeler la mémoire. Celui qu’ils accusaient de parjure avait fait vœu de ne jamais vendre un esclave dont on lui avait fait présent, et portait une manille dans la crainte de l’oublier ; mais ses besoins et ceux de sa famille l’ayant emporté sur son serment, sa mort, qui arriva quelques jours après, fut regardée de tous les Nègres comme un effet signalé de la vengeance du ciel.

Entre une infinité d’autres superstitions, la plus commune et la plus remarquable est celle des grisgris dont nous avons déjà parlé. Chaque grisgris a sa vertu particulière ; l’un contre le péril de se noyer, l’autre contre la blessure des zagaies ou la morsure des serpens. Il y en a qui doivent rendre invulnérable, aider les plongeurs et les nageurs, procurer une pêche abondante. D’autres éloignent l’occasion de tomber dans l’esclavage, procurent de belles femmes et beaucoup d’enfans. Enfin les marabouts inventent des grisgris en faveur de tous les désirs et contre toutes les craintes. On sait d’ailleurs que, sur l’article des grisgris, il n’y a guère de peuple sur la terre qui ait droit de se moquer des Nègres.

Moore remarque qu’en allant à la guerre, le plus pauvre Nègre achète un grisgris des marabouts pour se garantir de toutes sortes de blessures. Si le charme manque de pouvoir, les marabouts en rejettent la faute sur la mauvaise conduite des Nègres, que Mahomet n’a pas jugés dignes de sa protection. Les prophètes des croisades se justifiaient de la même manière, ce qui est un moyen sûr de n’avoir jamais tort. Les marabouts se ressemblent en tous temps et en tous lieux. Moore assure qu’ils s’enrichissent tous en peu de temps. Le Maire dit que les marabouts ruinent les Nègres, en leur faisant payer jusqu’à trois esclaves et quatre ou cinq veaux pour un grisgris, suivant les qualités qu’ils lui attribuent.

Les grisgris de la tête se portent en couronne. Ceux du cou se portent en forme de colliers. Les épaules et les bras n’en sont pas moins garnis ; de sorte que cette religieuse parure devient un véritable fardeau. Les rois en sont plus chargés qu’aucun de leurs sujets. Moore prétend que le poids en monte souvent jusqu’à trente livres.

Au reste, ces grisgris pourraient en un sens rendre invulnérable, s’il est vrai, comme le disent les voyageurs, que leur multitude et leur grandeur forment une cuirasse que la zagaie aurait peine à pénétrer. Les grands en ont la tête et le corps tellement couverts, qu’étant presque incapables de se remuer, ils ne peuvent monter à cheval qu’avec le secours d’autrui. Le grisgris du dos et celui de l’estomac sont de la grandeur d’un livre in-4o. et d’un pouce d’épaisseur. Une main de papier est moins épaisse, et l’on assure qu’il n’y a point d’épée qui pût les percer.

Le Moumbo-Dioumbo est une idole mystérieuse des Nègres, inventée par les maris pour contenir leurs femmes dans la soumission. Elles ont tant de simplicité et d’ignorance, qu’elles prennent cette machine pour un homme farouche ; c’est ainsi que parmi nous on fait peur aux enfans en leur parlant du loup-garou. Elle est revêtue d’une longue robe décorée d’arbre avec une toque de paille sur la tête. Sa hauteur est de huit ou neuf pieds. Peu de Nègres ont l’art de lui faire pousser les sons qui lui sont propres. On ne les entend jamais que pendant la nuit, et l’obscurité aide beaucoup à l’imposture. Lorsque les hommes ont quelque différent avec leurs femmes, on s’adresse au Moumbo-Dioumbo, qui décide ordinairement la difficulté en faveur des maris.

Le Nègre qui agit sous la figure monstrueuse de Moumbo-Dioumbo jouit d’une autorité absolue, et s’attire tant de respect, que personne ne paraît couvert en sa présence. Lorsque les femmes le voient ou l’entendent, elles prennent la fuite et se cachent soigneusement ; mais si les maris ont quelque liaison avec l’acteur, il fait porter ses ordres aux femmes, et les force de reparaître. Alors il leur commande de s’asseoir, et les fait chanter ou danser suivant son caprice. Si quelques-unes refusent d’obéir, il les envoie chercher par d’autres Nègres qui exécutent ses lois, et leur désobéissance est punie par le fouet. Ceux qui sont initiés dans le mystère du Moumbo-Dioumbo, s’engagent, par un serment solennel, à ne le jamais révéler aux femmes, ni même aux autres Nègres qui ne sont pas de la société. On n’y peut être reçu avant l’âge de seize ans. Le peuple jure par cette idole, et n’a pas de serment plus respecté.

Vers l’an 1727, le roi de Diagra, ayant une femme curieuse, eut la faiblesse de lui révéler le secret du Moumbo-Dioumbo ; elle n’eut rien de plus pressé que d’en informer toutes ses compagnes. Le bruit alla jusqu’aux oreilles de quelques seigneurs nègres, qui n’étaient pas bien disposés pour le roi. Ils s’assemblèrent pour délibérer sur une affaire de cette importance, et, ne doutant pas que leurs femmes ne devinssent fort difficiles à gouverner, si la crainte du Moumbo-Dioumbo ne les arrêtait plus, ils prirent une résolution très-hardie, qui ne fut pas exécutée avec moins d’audace. Ils se rendirent à la ville royale avec l’idole : là, y prenant l’air d’autorité qui est propre à la religion dans tous les pays du monde, ils firent avertir le roi de venir parler à l’idole. Ce faible prince n’ayant osé refuser d’obéir, Moumbo-Dioumbo lui reprocha son crime, et lui donna ordre de faire paraître sa femme. À peine eut-elle paru, que, par la sentence de Moumbo-Dioumbo, ils furent poignardés tous deux. Le Moumbo-Dioumbo est une terrible leçon, si l’on sait l’entendre.

Il y a peu de villes considérables qui n’aient une figure de Moumbo-Dioumbo. Pendant le jour, elle demeure sur un poteau, dans quelque lieu voisin de la ville, jusqu’à l’entrée de la nuit, qui est le temps de ses opérations.

Il nous reste à parler des marabouts ou des prêtres nègres. Ils s’attachent sur plusieurs points à la loi du Lévitique, dont ils ont quelque connaissance. Ils ont des villes et des terres particulières à leur tribu, où ils n’admettent pas d’autres Nègres que leurs esclaves. Leurs mariages ne se font qu’entre les hommes et les femmes de leur race, et tous leurs enfans sont élevés pour la prêtrise. Labat les représente comme de scrupuleux observateurs de tous les préceptes de l’Alcoran. Ils s’abstiennent de vin et de liqueurs spiritueuses. Ils observent le ramadan avec beaucoup d’exactitude. Ils ont plus de douceur et de politesse que le commun des Nègres. Ils aiment le commerce, et se plaisent à voyager dans cette vue. Leur honnêteté et leur bonne foi sont généralement reconnues dans les affaires. La charité est une vertu qu’ils ne violent jamais entre eux ; et jamais ils ne souffrent qu’un homme de leur tribu soit vendu pour l’esclavage, s’il n’a mérité ce châtiment par quelque grand crime. Voilà du moins ce que les historiens, que nous suivons ici, appellent charité. On peut observer que, si les marabouts ne l’exécutent qu’envers leurs confrères, ils n’ont pas souvent l’occasion de la pratiquer, puisque le commerce des grisgris, tel qu’on l’a représenté, doit les rendre les plus riches de tous les Nègres ; et qu’est-ce qu’une charité qui ne respecte et ne soulage le malheur que dans celui qui a le même habit et la même doctrine que nous ? Cette charité, qui dérobe tous les marabouts à l’esclavage et à la misère, pourrait plutôt s’appeler politique et esprit de corps. Ce n’est pas là la charité de l’Évangile ; ce n’est pas celle de nos curés, qui n’emploient les aumônes, qui sont les revenus de l’Église, qu’à les répandre dans le sein des pauvres.

Entre plusieurs bonnes qualités des marabouts, Jobson loue beaucoup leur tempérance. À cette seule marque, dit-il, on les distingue aisément des autres Nègres. Ils se réduisent à l’eau pure, sans excepter les cas de maladie et de nécessité. Dans les voyages que l’auteur fit sur la Gambie, un marabout qu’il avait pris avec lui, ayant voulu prêter la main aux gens de l’équipage pour traverser une basse, fut entraîné par un courant qui mit sa vie dans un grand danger. Il disparut deux fois dans l’eau, et les Anglais ne l’ayant remis à bord qu’avec beaucoup de peine, il y demeura quelque temps sans connaissance. Dans cet état, ceux qui le secouraient ayant porté à sa bouche un flacon d’eau-de-vie, il ferma constamment les lèvres à la seule odeur de cette liqueur ; et, lorsqu’il eut rappelé ses sens, il demanda, avec un mélange de colère et d’inquiétude, s’il avait eu le malheur d’en avaler : on lui répondit qu’il s’y était opposé avec trop d’obstination. « J’aimerais mieux être mort, dit-il, à Jobson, que d’en avoir avalé la moindre goutte. »

Cet excès de scrupule s’étend jusqu’à leurs enfans. Non-seulement ils ne leur permettent pas de toucher au vin ni aux liqueurs fortes, mais ils ne souffrent pas même qu’on leur présente du raisin, du sucre, ni aucunes confitures.

Le même auteur ajoute que le respect des rois et des grands pour les marabouts ne le cède guère à celui du peuple. Si les personnes de la plus haute distinction rencontrent un marabout en chemin, elles forment un cercle autour de lui, et se mettent à genoux pour faire la prière et recevoir sa bénédiction ; le même usage se pratique dans la chambre du roi lorsqu’il y entre un marabout. Labat dit que les Nègres en général, mais surtout ceux du Sénégal, ont tant de respect pour leurs prêtres, qu’ils croient que ceux qui les offensent meurent dans l’espace de trois jours. Il est probable que les marabouts ne combattent pas cette opinion.

Les marabouts apprennent à lire et à écrire à leurs enfans, dans un livre composé d’une petite planche de bois fort unie, où la leçon est écrite avec une sorte d’encre noire et un roseau taillé comme une plume ; leurs caractères ressemblent à ceux de la langue arabe ; Jobson n’étant pas capable de les lire, en apporta plusieurs exemples en Angleterre. Cependant il observe que leur religion et leurs lois sont écrites dans une langue particulière, et fort différente de la langue vulgaire ; que les laïques nègres, de quelque rang qu’ils soient, ne savent ni lire ni écrire, et qu’ils n’ont par conséquent ni caractères ni livres. Le grand livre de la loi est un manuscrit, dont les marabouts s’exercent à faire des copies pour leur propre usage. Les rois mahométans en obtiennent à grand prix, et se font un honneur de les porter malgré la pesanteur du fardeau. Jobson a vu plusieurs marabouts qui en étaient chargés aussi dans leurs voyages.

Quand les élèves ont lu l’Alcoran, ils passent eux-mêmes pour autant de docteurs. Ils apprennent ensuite à écrire en arabe, car la langue du pays n’a pas de caractères. Les marabouts ne sont pas seulement prêtres, ils sont marchands, et font la plus grande partie du commerce du pays.

Ceux de Sétiko firent leurs efforts pour ôter au capitaine Jobson la pensée de remonter plus loin sur la Gambie. Ils lui représentèrent les difficultés et les dangers de ce voyage avec d’autant plus d’exagération, que, dans la vue de s’assurer tous les avantages de ce commerce, ils s’étaient procuré avec beaucoup de peine et de dépense une grande quantité d’ânes pour le transport de leurs marchandises. Leur méthode, en voyageant, est de suivre leurs ânes à pied, et de marcher du même pas que ces animaux. Ils partent à la pointe du jour, qui, dans ces climats, ne précède guère le lever du soleil. Leur marche dure trois heures, après lesquelles ils se reposent pendant la chaleur du jour. Ils recommencent à marcher deux heures avant la nuit, et la crainte des bêtes féroces ne leur permet pas de se hasarder dans l’obscurité, excepté pendant les clairs de lune, qui leur paraissent un temps fort commode pour les voyageurs. Ils s’arrêtent deux ou trois jours près des grandes villes ; et, déchargeant leurs marchandises, qu’ils étalent sous quelques arbres, ils font une espèce de foire pour la ville voisine. Dans ces occasions, ils n’ont pas d’autre logement que leurs paquets, entre lesquels ils passent la nuit sur des nattes.


  1. On a vu un exemple d’une bassesse à peu près semblable dans un guiriot français. Il adressa une ode à un ministre qui venait d’en faire renvoyer un autre, ode dans laquelle le ministre disgracié était fort maltraité ; celui-ci revint, et le guiriot lui dédia à son tour une autre ode. Toutes les deux eurent la même récompense, le mépris.